Interview de M. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche, à France-Inter le 19 décembre 2006, sur les horaires des enseignants, la recherche et le Synchrotron Soleil.

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Média : France Inter

Texte intégral


Q- Quelle est l'ambiance ce matin, Rue de Grenelle au ministère de l'Education nationale, après la grande manif des profs d'hier ?
R- On a eu une manifestation relativement importante, cela veut dire qu'il y a une certaine inquiétude. Sur le fond, on dépoussière un texte qui remonte à 1950, qui n'est plus d'actualité, cela paraît quand même relativement normal. Il y a sans doute un fond d'inquiétude et, si vous me le permettez, il est possible que les propos de S. Royal y soient pour quelque chose, propos maladroits sur les 35 heures des profs qui souvent en font plus. Voilà, je crois que ça peut s'arranger avec de la concertation et puis un sens des réalités. Encore une fois, il faut s'adapter à notre époque et surtout aux besoins des élèves.
Q- Donc même en considérant le calendrier électoral, le moment très particulier dans lequel on est, même en considérant l'appel unitaire de tous les syndicats pour cette manifestation, vous continuez, vous persévérez ?
R- Il va sans dire qu'on ne peut pas revenir sur des réformes comme celles-là qui sont aujourd'hui nécessaires, mais il faut que cela se fasse dans la concertation, dans le calme. Encore une fois, c'est plutôt un sujet d'ensemble, c'est l'avenir de l'école, c'est la place des enseignants et tout cela dirigé vers les élèves. On en parle dans le débat public, à l'heure actuelle, dans le débat politique pas toujours dans des termes tout à fait exacts et c'est vrai qu'il y a eu des propos lapidaires qui pouvaient susciter de l'inquiétude.
Q- Et la concertation n'a pas eu lieu avant ?
R- Si.
Q- C'est une grande tradition française : on se concerte après les manifestations.
R- C'est vrai, d'une façon générale, au ministère de l'éducation, il y a beaucoup de procédures et on se concerte sur pratiquement tout. Il y a des comités, des commissions, des conseils, on passe beaucoup de temps à ça, c'est tout fait normal d'ailleurs mais ce n'était pas une surprise et ce n'était pas un sujet nouveau.
Q- Etes-vous satisfait de la place que prennent l'éducation et la recherche dans la pré campagne électorale ou ces sujets sont-ils sous et mal traités ?
R- C'est très bien que nous en parlions à l'heure actuelle et c'est nouveau. En tout cas pour l'université et la recherche, c'est la première fois dans une campagne présidentielle qu'on en parle autant, j'espère que ça durera jusqu'au bout. Naturellement, dans ce qui est proposé, tout n'est pas à prendre mais c'est une bonne chose que l'on reconnaisse l'importance que ça a pour notre avenir, voilà.
Q- Et l'avenir de la recherche en France alors, dans quel état est-il ?
R- Cela va de mieux en mieux, tout n'est pas réglé, loin s'en faut
Q- C'est vrai ça ?
R- Ah oui, incontestablement.
Q- De mieux en mieux, de quel point de vue ?
R- D'abord la recherche a été profondément réformée, elle a de nouveaux moyens, nous avons beaucoup créé d'emplois et nous nous sommes donné les outils pour la faire évoluer plus favorablement. C'est vrai que les pouvoirs publics s'étaient relativement peu intéressés à la recherche pendant d'assez longues années et c'est vrai qu'à la suite, il faut bien le dire du mouvement des chercheurs, au début des années 2000, il y a eu un changement de cap et nous avons beaucoup travaillé. On a fait adopté une loi, on s'est dotés de moyens de faire évoluer les choses. Un exemple : l'agence d'évaluation. Jusqu'à présent, on n'avait pas dévaluation de ce qui est fait en matière de recherche ; ce n'est pas très facile de savoir si notre recherche est bonne ou moins bonne. Nous avons désormais un outil pour le faire et donc pour mettre les crédits là où il y a la meilleure recherche qui est faite dans notre pays. Et c'est ça qui compte, parce que nous avons besoin dans ce domaine, comme dans d'autres, d'être performants non pas au sens économique du terme mais au sens scientifique du terme.
Q- La recherche en France est à la hauteur des enjeux de ce qu'on appelle maintenant "l'économie de l'immatériel" le grand marché concurrentiel du savoir mondial ?
R- Nous sommes en bonne voie, contrairement à ce que l'on dit quelquefois, nous sommes plutôt bien placés. En Europe, nous sommes numéro 2 en matière d'efforts de recherche, juste derrière l'Allemagne, nous sommes devant les Britanniques et ça se passe de mieux en mieux. C'est vrai que l'Europe s'est fait doubler par les Etats-Unis depuis longtemps, par le Japon également, on voit la Chine et l'Inde qui font des efforts considérables. Et je pense qu'avec un certain temps de retard, nous avons pris un démarrage qui nous met vraiment en bonne situation pour bien utiliser les résultats de la recherche au service de la société, au service de l'économie. Ce ne sont pas des sujets simples, et on ne change pas en quelques mois voire même en quelques années une situation qui, il est vrai n'était pas satisfaisante. Mais encore une fois, je crois qu'aujourd'hui nous avons les moyens de rattraper un retard. Nous sommes, par exemple, au premier rang mondial dans plusieurs grandes disciplines scientifiques, on en le sait pas habituellement, mais en mathématiques, pour certains aspects de la physique contemporaine, pour beaucoup de domaines, nous sommes au premier rang mondial, voilà.
Q- Mais, vous préférez voir, comme ministre, le verre au 1/4 plein qu'aux3/4 vide ?
R- D'abord, ce n'est pas aux 3/4 vide, c'est au moins à moitié plein et comme
le verre se remplit, c'est bien.
Q- Mais sur des indicateurs comme les prix Nobel et ce genre de choses, là, la France est très en retard, même sur d'autres indicateurs plus modestes comme la place de nos universités dans le monde.
R- Vous savez combien de temps il faut pour former un prix Nobel ? Quelques années.
Q- Ce sont des investissements, c'est pour ça, ça mérite d'avoir de l'argent pour le faire.
R- C'est pour ça qu'on le fait à l'heure actuelle et je suis certain que ça portera ses fruits. Nous avons eu par exemple un prix Nobel l'année dernière, nous avons eu une médaille Fields, c'est-à-dire le prix Nobel de mathématiques il y a quelques mois. On ne peut pas dire que la science française se porte mal, il fallait redresser le tir, c'est fait.
Q- Hier vous inauguriez le Synchrotron Soleil avec le président de la République, est-ce que ce type de magnifique construction scientifique n'est pas l'arbre qui cache la forêt tout de même, d'une situation beaucoup plus précaire pour la recherche en France ?
R- on, le Synchrotron c'est un grand équipement scientifique mais on en a inauguré pas mal ces temps-ci. Juste à côté, sur le plateau de Saclay, Neurospin, par exemple, qui est le centre d'imagerie médicale sur le cerveau, probablement le plus moderne du monde, nous avons Iter qui est en train de se construire dans le sud de la France. Donc en matière de grands équipements, nous sommes vraiment très bien placés et je le répète, nos avons fait de gros efforts. Ajouter en trois ans, six milliards d'euros de crédit, ça n'est pas rien.
Q- La presse dit ce matin que ce Synchrotron c'est enfin, en fin de parcours pour J. Chirac, la possibilité de s'accrocher au revers de la veste une médaille de bonne recherche, de bonne politique scientifique française, que c'est quand même tard et que là pour le coup, ça cache un désengagement ou en tout cas des budgets qui ne sont pas à la hauteur de l'enjeu.
R- Vous savez, d'abord, en la matière on n'obtient pas des résultats en un an. Donc, que ce soit en fin de législature qu'on voit les résultats de ce qu'on a fait, cela me parait plutôt naturel. Le président de la République a beaucoup fait pour la recherche, il s'est beaucoup impliqué et il porte un véritable intérêt à ces questions là. Donc c'est vrai que c'est bien qu'il puisse inaugurer des réalisations comme celles là qui sont le résultat d'efforts maintenant relativement anciens. Quant à la recherche française, encore une fois, on y consacre davantage de moyens que la plupart des pays européens,ce n'est quand même pas négligeable.
Q- Il était en forme, J. Chirac ?
R- En pleine forme, alors ça si je peux apporter un témoignage, une grande, comment dirais-je, une grande alacrité dans l'accomplissement de sa tâche.
Q- Ce qui veut dire concrètement ?
R- Cela veut dire qu'il est heureux de remplir ses fonctions, ça se voit.
Q- Il est en campagne ?
R- Je n'ai pas dit ça. Alors, là... Non, mais en tout cas, vraiment heureux d'être là, heureux de constater que nous progressons. Voilà.
Q- Et le débat au sein de l'UMP, progresse-t-il ?
R- Le débat au sein de l'UMP, j'ai émis un certain nombre de critiques, je pense que... Bon, nous n'avons pas la même tradition de débat que la gauche. Je pense qu'on aurait pu faire mieux mais dont acte, ça y est, c'est une séquence qui maintenant est passée. Après le 14 janvier, ça va être la campagne, j'espère que nous nous donnerons tous les moyens pour la gagner, c'est ça qui est important.
Q- Il y a encore de la place pour de l'imprévu, d'après vous, dans cette campagne à droite notamment ?
R- Toujours. L'imprévu dans les campagnes, vous savez, est toujours au rendez-vous, on ne sait pas dans quel sens, mais rien n'est écrit d'avance.
Q- Y a-t-il de la place pour d'autres candidatures, vous êtes un proche de D. de Villepin, pensez-vous qu'il peut se déclarer un jour, qu'il va se déclarer ?
R- J'ai toujours dit qu'il y avait deux personnalités qui échappaient aux règles d'un parti politique : c'est le président de la République, et le Premier ministre. Donc c'est bien sûr eux que ça regarde, il est tout à fait loisible que l'un ou l'autre ait l'intention de présenter sa candidature.
Q- Dans quelles conditions D. de Villepin pourrait-il le faire, il a refusé de répondre à la question que je lui posais il y a une semaine. Donc vous pouvez peut-être le faire, vous ?
R- Voilà, c'est pour ça que vous m'avez invité. Eh bien, non, je ne e sais pas...
Q- Non, en passant...
R- Je n'ai pas d'élément à vous apporter sur ce plan-là. Moi j'ai toujours dit que c'était un homme qu avait à l'évidence la capacité. Mais on sait très bien que la capacité ne suffit pas, il faut aussi les circonstances. C'est à lui d'apprécier si les circonstances sont réunies.
Q- Il incarnerait quel type de droite dans le paysage ?
R- Vous savez, la droite d'abord est multiple. Quelqu'un qui est candidat à la présidence de la République se doit d'incarner tout son camp et, j'allais dire, largement au-delà. C'est peut-être ça la règle pour l'emporter, il ne faut pas apparaître comme l'homme d'un parti, l'homme d'un camp, il faut apparaître comme l'homme ou la femme capable de dépasser son appartenance partisane pour être l'incarnation de l'ensemble du pays.
Q- C'est ce qu'a fait N. Sarkozy hier soir dans les Ardennes ?
R- Il a eu raison de se rapprocher...
Q- C'était une question.
R- Oui, je l'ai compris comme ça, il a eu raison de se rapprocher de ceux qui subissent de plein fouet tous les problèmes de la compétition économique. C'est vrai que ce n'est pas simple, c'est vrai qu'il y a des situations cruelles, dramatiques mais c'est vrai aussi que nous ne pouvons nous en sortir qu'en faisant des efforts collectifs, en regardant les choses en face, en prenant en compte les réalités internationales. Il y a des pays qui s'en sortent mieux sur une dizaine d'années que nous, il faut continuer dans la voie qui a été engagée, il faut continuer un certain nombre de réformes qui sont indispensables, je dirais même qu'il faut les accentuer.
Q- Mais, n'y avait-il pas cinq ans derrière vous tous, collectivement, Gouvernement, UMP, pour le faire ?
R- Cela veut dire que l'on a travaillé, on a enregistré un certain nombre de progrès et il faut vraiment continuer et continuer à mon avis dans la même voie.
Q- D. de Villepin sera entendu par la justice dans l'affaire Clearstream le 21 décembre, comme témoin, ce qui veut dire qu'il n'y a pas plus de charges que ça. Comment relisez vous à posteriori, le feuilleton qu'on a pu lire dans la presse, où il apparaissait au contraire comme le grand organisateur de tout ça ?
R- C'est un grand classique, il y a des affaires troubles, cela existe et en l'occurrence, là c'est sur un fond de....
Q- D'où venaient les informations pour écrire le roman feuilleton ?
R- ...sur un fond d'affaire très trouble, de commissions occultes sur des marchés internationaux concernant la défense, on peut échafauder des romans. En général, on ne sait pas grand chose. Il se trouve qu'il y a un listing qui se promène, il se trouve qu'il comporte des noms de personnalités. Le ministre des Affaires étrangères concerné par cela fait enquêter, c'est tout à fait normal et on s'en aperçoit quelques mois après.
Q- Si élucubrations et fictions il y a eu, qui nourrissait ces élucubrations et ces fictions ?
R- Toujours, il y a des gens pour élucubrer, toujours. Mais au bout du compte, ce sont les réalités qui s'imposent et là c'est ce qui se passe.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 décembre 2006