Texte intégral
C'est pour moi un honneur et un plaisir, dans le cadre de cette visite officielle en Russie, d'intervenir au MGIMO, qui a formé plusieurs générations de diplomates et responsables gouvernementaux au plus haut niveau. En introduction de cette conférence dédiée à l'Europe de la défense, dont la France est un artisan essentiel, je voudrais souligner l'importance d'un dialogue régulier et approfondi entre la France et la Russie, deux pays qui partagent des préoccupations communes sur l'évolution du monde, qui éprouvent les mêmes aspirations pour un monde multipolaire, qui souhaitent uvrer ensemble sur le continent européen comme dans les conflits régionaux pour la sécurité et pour la paix. La Russie représente un partenaire stratégique majeur non seulement pour la France, mais aussi pour l'Union européenne ; il est donc naturel que je vous parle de l'Europe de la défense.
La phase de construction de la PECSD a trouvé un aboutissement à Nice, avec la création des structures permanentes de cette politique de défense, avec les engagements de capacités des 15 nations, et avec les dispositions concernant les rapports avec l'OTAN et avec les Etats tiers. Nous avons fini cette phase de construction et nous sommes maintenant dans une phase de mise en uvre de la PECSD.
Nous nous fixons également, au cours de ce semestre qui vient, de préciser les modalités d'échange avec les partenaires potentiels et en particulier avec la Russie, et aussi de fixer les modalités de leur participation à des opérations de gestion des crises qui pourraient être conduites par l'Union européenne.
La Russie, qui a fait l'objet de la première stratégie commune adoptée par l'Union européenne, entretient un dialogue politique nourri avec notre Union. Elle constitue pour l'UE un partenaire stratégique dans le renforcement de la stabilité et de la sécurité sur notre continent.
C'est pourquoi la déclaration conjointe du Sommet UE/Russie du 30 octobre dernier prévoyait :
- des consultations spécifiques sur les questions de sécurité et de défense ;
- un dialogue stratégique sur les questions, notamment en matière de sécurité, ayant des implications pour la Russie et l'Union européenne ;
- d'élargir le champ des consultations d'experts sur les questions de désarmement, de contrôle des armements et de non-prolifération ;
- de développer la coopération dans la gestion opérationnelle des crises nationales.
Ces dispositions feront l'objet de nouvelles précisions lors du prochain sommet euro-russe, en avril 2001.
La Russie s'est lancée dans un effort courageux de modernisation de l'Etat, fondé sur la promotion de la démocratie, le respect du droit et le développement économique et social, il est légitime d'uvrer ensemble à l'insertion de la Russie dans la famille européenne. Nous devons donc réfléchir en commun aux termes d'un " contrat de coopération " fondé sur le partage de valeurs communes et la promotion d'intérêts communs. Il est essentiel pour nous de conduire un dialogue euro-russe ouvert, fondé sur la confiance et la transparence.
Les liens historiques qui se sont formés entre la France et la Russie depuis la fin du XIXe siècle, leurs responsabilités comme membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies et comme puissances nucléaires, donnent tout son sens à la contribution de nos deux pays à la sécurité sur notre Continent et sur la scène internationale.
La redynamisation de la relation franco-russe décidée par le président Poutine et le Président Chirac a ouvert une nouvelle phase avec deux temps forts : la visite officielle du Président Poutine à Paris, à l'occasion du Sommet UE/Russie en octobre 2000, et le séminaire gouvernemental coprésidé par nos deux Premiers Ministres, MM. Kassianov et Jospin, en décembre 2000.
Il me paraît, dans cette perspective, capital, de vous présenter cette étape essentielle de la construction européenne, le développement d'une politique européenne de sécurité et de défense.
Pendant notre Présidence de l'Union européenne cette politique a été pour nous une priorité, comme elle l'avait été d'un commun accord entre les Etats membres au cours de deux dernières années.
La politique européenne de sécurité et de défense vient de la dynamique commune de la construction européenne ; elle résulte d'une prise de conscience collective ; et c'est collectivement que nous avons créé les résultats actuels, en tenant compte de l'opinion de chacun.
Ce projet depuis l'origine a voulu être ouvert à nos partenaires de sécurité sur le continent, et en particulier à la Russie. Cette politique n'est pas une forteresse, elle est un projet ouvert au dialogue et aux contributions des partenaires.
L'Union européenne n'est pas simplement un grand ensemble monétaire, commercial et technologique. Elle est devenue un acteur important dans la gestion des affaires internationales : sur le plan économique, sur le plan commercial et elle le devient aussi sur le plan politique.
Les Européens ont de nombreux intérêts en commun. Ils partagent l'aspiration à une union de démocraties stables dans un environnement stable.
Cette évolution d'une union économique et monétaire vers une dimension politique était déjà apparue dans le traité d'Amsterdam en 1997, puisqu'on y avait inscrit des missions de gestion des crises par l'Europe, la création du poste de Haut-Représentant pour la PESC et d'une unité politique de planification et d'alerte rapide.
Les Etats membres de l'Union européenne partagent un grand nombre d'intérêts importants et de valeurs, sur lesquels se construit une politique étrangère et de sécurité commune. Cette position ne peut avoir de poids que si elle s'appuie sur des capacités militaires crédibles, qui sont aujourd'hui l'objet des efforts des Etats membres de l'Union européenne.
La crise du Kosovo a joué un rôle important dans la prise de conscience collective. Nous avons pris la mesure de nos profondes convergences et de notre volonté commune d'agir ensemble sur notre continent, autant que possible avec nos Alliés et nos partenaires européens de sécurité. Nous avons également pris conscience que nous ne disposions pas des moyens de décision et d'action à la mesure de notre volonté politique.
L'affirmation du rôle de l'Union est d'autant plus justifiée aujourd'hui que le traitement des crises, y compris leur anticipation, implique d'avoir recours à une combinaison de moyens politiques, économiques, humanitaires, financiers, militaires. Aujourd'hui, aucune crise n'a de solution purement militaire, ou économique. Nous le constatons ensemble tous les jours au Kosovo, ces composantes dans la gestion d'une crise se succèdent, se chevauchent.
L'Union européenne dispose de nombre de ces moyens. Nous avons des moyens financiers d'aide bilatérale ou régionale. C'est le rassemblement, la combinaison de ces moyens qui sera demain une véritable spécificité de l'Union Européenne sur le terrain international.
C'est en juin 1999 que l'Union européenne a décidé de compléter la panoplie de ses instruments en se dotant d'une capacité autonome de décision et d'action pour conduire des missions de gestion militaire de crises en allant des missions humanitaires et d'évacuation de personnes menacées jusqu'au rétablissement de la paix par la force. Depuis cette date, chaque Conseil européen confirme la vigueur de notre élan.
Nous avons privilégié dans nos travaux une approche non institutionnelle, mais pratique et capacitaire, en nous attachant à répondre à cette question simple : de quelles compétences militaires avons-nous besoin, et dans quelles proportions, pour permettre à l'Union de décider et de conduire des opérations militaires de gestion de crise en prenant ses responsabilités.
Cette démarche n'a aucune vocation agressive à l'encontre de notre environnement. Les capacités que nous développons ne visent qu'à contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales.
Il n'y a rien non plus qui compromette l'Alliance atlantique.
D'une part l'Alliance reste le fondement de la défense collective de ses membres.
D'autre part, s'agissant de la gestion des crises, l'Union européenne et l'OTAN devront agir en " bonne intelligence ", par le dialogue. Nous établissons un système de consultations et de transparence qui permettra d'éviter les écueils soit du " fait accompli " de la part de l'Union, soit d'un " droit préférentiel " de la part de l'OTAN pour intervenir.
L'Alliance avait d'ailleurs approuvé dès avril 1999 la démarche des Européens, en affirmant que " un rôle plus fort de l'Europe ne peut que contribuer à la vitalité de l'Alliance pour le XXIè siècle ". Nos amis européens ont constamment salué les progrès de la PECSD, et leur approbation ne s'est pas démentie.
L'émergence de l'Union comme un nouvel acteur politique sur la scène européenne et internationale exprime que les Européens maîtrisent mieux leur sécurité et qu'ils jouent un rôle accru dans les affaires internationales.
Je voudrais revenir sur les principes qui président au développement de la PECSD.
Le premier principe est celui de la primauté du Conseil de sécurité des Nations Unies en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales, et pour le recours à la force dans le règlement des conflits. Les Européens sont déterminés à agir conformément à des résolutions du Conseil de Sécurité, en dépit des difficultés rencontrées et des compromis parfois nécessaires, comme cela a été le cas au Kosovo.
Je l'ai dit, l'avantage comparatif de l'Union Européenne est sa capacité à appréhender les différentes dimensions d'une crise et à utiliser une gamme très large d'instruments civils et militaires. L'Union européenne entend coopérer étroitement avec les Nations Unies, l'OSCE, et le Conseil de l'Europe, ainsi qu'avec les partenaires, comme la Russie, qui veulent apporter leur contribution à la prévention des conflits et au maintien de la sécurité sur le continent.
Avons-nous vocation à intervenir dans le monde entier ? Nos moyens sont limités et nous n'avons pas le souhait de jouer les gendarmes dans le monde entier. Nos intérêts de sécurité se situent clairement d'abord en Europe et dans ses approches. Mais nous n'écartons pas la participation de l'Union à une opération de paix décidée par l'ONU. L'UE joue d'ailleurs, d'ores et déjà, un rôle stabilisateur dans de nombreuses régions, déjà par son assistance économique.
Le second principe de notre politique commune est celui de l'action à 15.
Le sommet franco-britannique de Saint-Malo en décembre 1998 avait été un point de départ, mais depuis ce sont les Conseils européens à 15 qui ont réalisé nos progrès, au plus haut niveau des décideurs de l'Union Européenne. C'est ce qui donne à nos décisions toute leur force.
Agir à Quinze, cela signifie aussi, quand nous parlons de capacités militaires autonomes, que les membres de l'Union Européenne se donnent les moyens d'agir seuls, en particulier là ou l'Alliance atlantique en tant que telle n'est pas engagée, ou bien si nos voisins européens non membres de l'UE ne souhaitent pas agir à nos côtés. Nous élaborons aujourd'hui les capacités nécessaires pour cette action pleinement autonome.
Le troisième principe est celui de l'action intergouvernementale.
Tout ce qui concerne la sécurité et la défense dans l'UE se situe dans le cadre intergouvernemental, ce qui veut dire que les décisions se prennent par consensus entre tous les Etats membres. Il n'y a pas de place dans ce domaine pour une dimension supranationale avec un vote à la majorité. Lorsqu'il s'agit d'employer la force dans une situation politique grave, c'est chaque gouvernement qui décide de l'usage des moyens nationaux.
Cela signifie que nous ne sommes pas en train de bâtir une armée européenne. Nous mettons sur pied les organes politiques et militaires, des procédures de travail qui permettront à nos armées d'agir ensemble, si les chefs d'Etat et de Gouvernement le décident. Nous ne créerons pas une armée européenne, nous voulons doter l'Union de la capacité de conduire une opération de soutien à la paix avec des moyens nationaux qui, pour la plupart, existent déjà, soit sur un plan national ou multinational, soit dans le cadre de l'OTAN, j'y reviendrai.
Le principe intergouvernemental signifie donc que les décisions d'action sont prises par consensus. Une action militaire de l'Union européenne pourra naturellement se concevoir sans que tous les membres y prennent part, puisque nous avons prévu le système de " l'abstention constructive ". Mais par contre nous ne pourrions pas agir dans le cadre de l'UE si un de nos membres s'y opposait.
En agissant à Quinze nous n'ignorons pas le contexte stratégique de l'UE. Nous avons travaillé de manière privilégiée sur les relations de notre politique européenne de sécurité et de défense avec l'OTAN et avec les Etats extérieurs à l'Union qui sont nos partenaires de sécurité.
S'agissant des relations UE/ OTAN, la consultation et la transparence seront très étendues et organisées (nous avons d'ailleurs onze membres en commun). Mais nous avons tenu au respect de l'autonomie de décision des deux organismes, et aussi nous nous rappelons leur différence de nature.
Le contexte stratégique de l'UE, c'est aussi ses relations avec les Etats tiers qui constituent des partenaires de sécurité. Il s'agit bien entendu des Etats européens membres de l'OTAN et non membres de l'Union, des Etats candidats à l'Union et aussi du Canada. Il s'agit également d'autres partenaires qui pourront être invités aux opérations menées par l'UE, comme la Russie ou l'Ukraine.
Là aussi, prévaut le principe du dialogue, de la consultation, dans le respect de l'autonomie de décision à Quinze.
Nous le répétons souvent, nous ne sommes pas en train de construire une forteresse. Notre projet de défense européenne est ouvert et il est de notre intérêt de bénéficier du concours des partenaires européens qui souhaitent y participer.
Je voudrais maintenant faire le point de l'état d'avancement de la PECSD.
Au Conseil Européen de Nice nous avons créé des structures politiques et militaires permanentes de l'Europe.
Il y a un Comité politique et de sécurité, composé d'Ambassadeurs, ce sera à lui de définir la politique de l'Union dans une crise et de la contrôler au jour le jour. En temps de crise, ce Comité d'Ambassadeurs sera présidé par le Haut-Représentant pour la PECSD
Il sera assisté d'un comité militaire, composé des représentants militaires des Quinze, qui lui fournira des avis et recommandations de nature militaire, et exercera la direction de l'Etat-major de l'Union européenne.
L'état-major de l'Union européenne, composé d'une centaine de personnels, sera chargé de l'analyse de situation, et de la planification avant décision politique.
Ensuite, toujours au Conseil de Nice, les Chefs d'Etat et de Gouvernement ont adopté les engagements des 15 Nations pour atteindre les objectifs de capacité militaire que nous avions décidé.
Un précédent Conseil européen en décembre 1999 avait décidé que l'Union devrait être capable de réunir d'ici 2003 une force du niveau d'un corps d'armée (60 000 hommes) déployable dans un délai de 60 jours, et pouvant soutenir un tel déploiement pendant au moins une année. Ce volume de force correspond au dispositif qui a été déployé par les Alliés dans les Balkans depuis 1993.
Le Conseil européen avait également fixé des objectifs collectifs de capacités dans trois domaines stratégiques : le transport stratégique pour pouvoir acheminer rapidement des troupes sur le terrain ; les états-majors pour commander et contrôler les forces; les moyens pour les renseigner.
Les Ministres de la défense des 15 se sont réunis le 20 novembre dernier pour annoncer les engagements de capacité et chacun a annoncé la contribution de son pays aux objectifs de capacités. Cette conférence a constitué la première traduction concrète de la décision de l'Union d'avoir une capacité militaire commune. En outre nous avons identifié les efforts qui restent nécessaires pour atteindre l'ensemble des objectifs de capacités que nous nous sommes fixés pour 2003 pour que l'Union soit capable d'intervenir dans tous les types de crise que nous avons programmés.
Les engagements de capacités annoncés par les Etats membres constituent un réservoir de forces de plus de 100 000 hommes, environ 400 avions de combat, et 100 navires de guerre. Ils correspondent pleinement aux besoins identifiés par les experts militaires de l'Union, pour être en mesure de déployer 60 000 hommes dans les différents cas de figure tactiques, y compris s'il devait y avoir deux opérations de gestion de crise en même temps.
Nous savons que des efforts d'amélioration des capacités restent nécessaires. De premières initiatives nationales ou communes ont été annoncées dans ce sens. Nous avons aussi adopté un mécanisme d'évaluation commune des capacités des différents Nations pour maintenir la détermination de renforcer nos capacités.
Les autres Etats non membres de l'UE ont également présenté des offres de contributions complémentaires , qui seront examinées dans les mois à venir.
J'ajoute que nous avons travaillé sur les capacités civiles de gestion de crises, en particulier sur les capacités de police et de renforcement de l'Etat de droit. Nous avons défini une méthode pour atteindre l'objectif de déploiement de 5000 policiers dont 1000 dans un délai de 30 jours dans une situation de crise. Nous avons doté l'Union d'une capacité de conduite d'opérations de police.
Nous nous sommes enfin mis d'accord, à Quinze, sur les méthodes qui permettraient de travailler avec l'Alliance pour pouvoir utiliser les capacités et les moyens de l'Alliance comme cela avait été décidé par l'OTAN à Washington.
Ces propositions de l'Europe ont accueillies favorablement par l'Alliance atlantique.
Nous avons aussi prévu les engagements qui pourraient être pris par les Etats non membres de l'UE pour participer à des opérations de gestion des crises conduites par l'Union.
Nous avons prévu un comité des contributeurs qui réunira en période d'opération les Etats intéressés, c'est à dire les Quinze de l'UE et les Etats tiers participants, et qui donnerait donc à ces Etats tiers un rôle important dans la gestion courante de la crise.
La Russie a déjà été mentionnée explicitement par le Conseil européen parmi les partenaires potentiels qui pourront être invités à participer aux opérations que l'UE décidera de mener, si telle est la volonté de la Russie, bien sûr.
A Nice, l'Union a proposé en période hors crise d'avoir des échanges d'information sur les questions liées à la PECSD et, en cas de crise, si l'éventualité d'une opération militaire était envisagée, des consultations permanentes permettraient de discuter sur la participation des partenaires potentiels.
A ces dispositions s'ajoutent pour la Russie des consultations spécifiques que je viens de mentionner sur les questions de sécurité et de défense, en application de la déclaration conjointe du sommet UE/Russie.
La France a passé le relais de la Présidence à nos partenaires Suédois pour réaliser cette nouvelle étape de construction de la PECSD.
C'est au cours de l'année 2001, que nous déclarerons opérationnel l'ensemble des outils de l'Union, en particulier l'état-major. De même nous allons terminer les arrangements entre l'UE et l'OTAN sur le recours mutuel aux moyens de chaque organisation.
C'est aussi au cours de ce premier semestre 2001 que nous mettrons en place les mécanismes de consultation avec la Russie, ainsi que les modalités de sa participation à des opérations de gestion de crise conduites par l'Union européenne. C'est une intention prioritaire de la Présidence suédoise, partagée par l'ensemble des Etats membres.
Voilà les principaux aspects de la politique européenne de sécurité et de défense que nous conduisons à Quinze.
C'est un projet de longue haleine qui demande à la fois esprit pratique et volonté politique.
Mais je crois que nous avons montré depuis 2 ans que nous sommes déterminés à prendre une part accrue dans la sécurité de notre continent.
L'intégration d'une dimension de défense avec toute sa force politique constitue bien sûr une évolution fondamentale de la construction européenne. Elle va transformer et enrichir les relations de l'Union avec ses partenaires, et au premier rang avec la Russie.
C'est à nous, partenaires russes et européens, de faire vivre ensemble cette nouvelle dimension de notre partenariat. C'est en tout cas la volonté des Européens et en particulier de la France.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 30 janvier 2001)
La phase de construction de la PECSD a trouvé un aboutissement à Nice, avec la création des structures permanentes de cette politique de défense, avec les engagements de capacités des 15 nations, et avec les dispositions concernant les rapports avec l'OTAN et avec les Etats tiers. Nous avons fini cette phase de construction et nous sommes maintenant dans une phase de mise en uvre de la PECSD.
Nous nous fixons également, au cours de ce semestre qui vient, de préciser les modalités d'échange avec les partenaires potentiels et en particulier avec la Russie, et aussi de fixer les modalités de leur participation à des opérations de gestion des crises qui pourraient être conduites par l'Union européenne.
La Russie, qui a fait l'objet de la première stratégie commune adoptée par l'Union européenne, entretient un dialogue politique nourri avec notre Union. Elle constitue pour l'UE un partenaire stratégique dans le renforcement de la stabilité et de la sécurité sur notre continent.
C'est pourquoi la déclaration conjointe du Sommet UE/Russie du 30 octobre dernier prévoyait :
- des consultations spécifiques sur les questions de sécurité et de défense ;
- un dialogue stratégique sur les questions, notamment en matière de sécurité, ayant des implications pour la Russie et l'Union européenne ;
- d'élargir le champ des consultations d'experts sur les questions de désarmement, de contrôle des armements et de non-prolifération ;
- de développer la coopération dans la gestion opérationnelle des crises nationales.
Ces dispositions feront l'objet de nouvelles précisions lors du prochain sommet euro-russe, en avril 2001.
La Russie s'est lancée dans un effort courageux de modernisation de l'Etat, fondé sur la promotion de la démocratie, le respect du droit et le développement économique et social, il est légitime d'uvrer ensemble à l'insertion de la Russie dans la famille européenne. Nous devons donc réfléchir en commun aux termes d'un " contrat de coopération " fondé sur le partage de valeurs communes et la promotion d'intérêts communs. Il est essentiel pour nous de conduire un dialogue euro-russe ouvert, fondé sur la confiance et la transparence.
Les liens historiques qui se sont formés entre la France et la Russie depuis la fin du XIXe siècle, leurs responsabilités comme membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies et comme puissances nucléaires, donnent tout son sens à la contribution de nos deux pays à la sécurité sur notre Continent et sur la scène internationale.
La redynamisation de la relation franco-russe décidée par le président Poutine et le Président Chirac a ouvert une nouvelle phase avec deux temps forts : la visite officielle du Président Poutine à Paris, à l'occasion du Sommet UE/Russie en octobre 2000, et le séminaire gouvernemental coprésidé par nos deux Premiers Ministres, MM. Kassianov et Jospin, en décembre 2000.
Il me paraît, dans cette perspective, capital, de vous présenter cette étape essentielle de la construction européenne, le développement d'une politique européenne de sécurité et de défense.
Pendant notre Présidence de l'Union européenne cette politique a été pour nous une priorité, comme elle l'avait été d'un commun accord entre les Etats membres au cours de deux dernières années.
La politique européenne de sécurité et de défense vient de la dynamique commune de la construction européenne ; elle résulte d'une prise de conscience collective ; et c'est collectivement que nous avons créé les résultats actuels, en tenant compte de l'opinion de chacun.
Ce projet depuis l'origine a voulu être ouvert à nos partenaires de sécurité sur le continent, et en particulier à la Russie. Cette politique n'est pas une forteresse, elle est un projet ouvert au dialogue et aux contributions des partenaires.
L'Union européenne n'est pas simplement un grand ensemble monétaire, commercial et technologique. Elle est devenue un acteur important dans la gestion des affaires internationales : sur le plan économique, sur le plan commercial et elle le devient aussi sur le plan politique.
Les Européens ont de nombreux intérêts en commun. Ils partagent l'aspiration à une union de démocraties stables dans un environnement stable.
Cette évolution d'une union économique et monétaire vers une dimension politique était déjà apparue dans le traité d'Amsterdam en 1997, puisqu'on y avait inscrit des missions de gestion des crises par l'Europe, la création du poste de Haut-Représentant pour la PESC et d'une unité politique de planification et d'alerte rapide.
Les Etats membres de l'Union européenne partagent un grand nombre d'intérêts importants et de valeurs, sur lesquels se construit une politique étrangère et de sécurité commune. Cette position ne peut avoir de poids que si elle s'appuie sur des capacités militaires crédibles, qui sont aujourd'hui l'objet des efforts des Etats membres de l'Union européenne.
La crise du Kosovo a joué un rôle important dans la prise de conscience collective. Nous avons pris la mesure de nos profondes convergences et de notre volonté commune d'agir ensemble sur notre continent, autant que possible avec nos Alliés et nos partenaires européens de sécurité. Nous avons également pris conscience que nous ne disposions pas des moyens de décision et d'action à la mesure de notre volonté politique.
L'affirmation du rôle de l'Union est d'autant plus justifiée aujourd'hui que le traitement des crises, y compris leur anticipation, implique d'avoir recours à une combinaison de moyens politiques, économiques, humanitaires, financiers, militaires. Aujourd'hui, aucune crise n'a de solution purement militaire, ou économique. Nous le constatons ensemble tous les jours au Kosovo, ces composantes dans la gestion d'une crise se succèdent, se chevauchent.
L'Union européenne dispose de nombre de ces moyens. Nous avons des moyens financiers d'aide bilatérale ou régionale. C'est le rassemblement, la combinaison de ces moyens qui sera demain une véritable spécificité de l'Union Européenne sur le terrain international.
C'est en juin 1999 que l'Union européenne a décidé de compléter la panoplie de ses instruments en se dotant d'une capacité autonome de décision et d'action pour conduire des missions de gestion militaire de crises en allant des missions humanitaires et d'évacuation de personnes menacées jusqu'au rétablissement de la paix par la force. Depuis cette date, chaque Conseil européen confirme la vigueur de notre élan.
Nous avons privilégié dans nos travaux une approche non institutionnelle, mais pratique et capacitaire, en nous attachant à répondre à cette question simple : de quelles compétences militaires avons-nous besoin, et dans quelles proportions, pour permettre à l'Union de décider et de conduire des opérations militaires de gestion de crise en prenant ses responsabilités.
Cette démarche n'a aucune vocation agressive à l'encontre de notre environnement. Les capacités que nous développons ne visent qu'à contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales.
Il n'y a rien non plus qui compromette l'Alliance atlantique.
D'une part l'Alliance reste le fondement de la défense collective de ses membres.
D'autre part, s'agissant de la gestion des crises, l'Union européenne et l'OTAN devront agir en " bonne intelligence ", par le dialogue. Nous établissons un système de consultations et de transparence qui permettra d'éviter les écueils soit du " fait accompli " de la part de l'Union, soit d'un " droit préférentiel " de la part de l'OTAN pour intervenir.
L'Alliance avait d'ailleurs approuvé dès avril 1999 la démarche des Européens, en affirmant que " un rôle plus fort de l'Europe ne peut que contribuer à la vitalité de l'Alliance pour le XXIè siècle ". Nos amis européens ont constamment salué les progrès de la PECSD, et leur approbation ne s'est pas démentie.
L'émergence de l'Union comme un nouvel acteur politique sur la scène européenne et internationale exprime que les Européens maîtrisent mieux leur sécurité et qu'ils jouent un rôle accru dans les affaires internationales.
Je voudrais revenir sur les principes qui président au développement de la PECSD.
Le premier principe est celui de la primauté du Conseil de sécurité des Nations Unies en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales, et pour le recours à la force dans le règlement des conflits. Les Européens sont déterminés à agir conformément à des résolutions du Conseil de Sécurité, en dépit des difficultés rencontrées et des compromis parfois nécessaires, comme cela a été le cas au Kosovo.
Je l'ai dit, l'avantage comparatif de l'Union Européenne est sa capacité à appréhender les différentes dimensions d'une crise et à utiliser une gamme très large d'instruments civils et militaires. L'Union européenne entend coopérer étroitement avec les Nations Unies, l'OSCE, et le Conseil de l'Europe, ainsi qu'avec les partenaires, comme la Russie, qui veulent apporter leur contribution à la prévention des conflits et au maintien de la sécurité sur le continent.
Avons-nous vocation à intervenir dans le monde entier ? Nos moyens sont limités et nous n'avons pas le souhait de jouer les gendarmes dans le monde entier. Nos intérêts de sécurité se situent clairement d'abord en Europe et dans ses approches. Mais nous n'écartons pas la participation de l'Union à une opération de paix décidée par l'ONU. L'UE joue d'ailleurs, d'ores et déjà, un rôle stabilisateur dans de nombreuses régions, déjà par son assistance économique.
Le second principe de notre politique commune est celui de l'action à 15.
Le sommet franco-britannique de Saint-Malo en décembre 1998 avait été un point de départ, mais depuis ce sont les Conseils européens à 15 qui ont réalisé nos progrès, au plus haut niveau des décideurs de l'Union Européenne. C'est ce qui donne à nos décisions toute leur force.
Agir à Quinze, cela signifie aussi, quand nous parlons de capacités militaires autonomes, que les membres de l'Union Européenne se donnent les moyens d'agir seuls, en particulier là ou l'Alliance atlantique en tant que telle n'est pas engagée, ou bien si nos voisins européens non membres de l'UE ne souhaitent pas agir à nos côtés. Nous élaborons aujourd'hui les capacités nécessaires pour cette action pleinement autonome.
Le troisième principe est celui de l'action intergouvernementale.
Tout ce qui concerne la sécurité et la défense dans l'UE se situe dans le cadre intergouvernemental, ce qui veut dire que les décisions se prennent par consensus entre tous les Etats membres. Il n'y a pas de place dans ce domaine pour une dimension supranationale avec un vote à la majorité. Lorsqu'il s'agit d'employer la force dans une situation politique grave, c'est chaque gouvernement qui décide de l'usage des moyens nationaux.
Cela signifie que nous ne sommes pas en train de bâtir une armée européenne. Nous mettons sur pied les organes politiques et militaires, des procédures de travail qui permettront à nos armées d'agir ensemble, si les chefs d'Etat et de Gouvernement le décident. Nous ne créerons pas une armée européenne, nous voulons doter l'Union de la capacité de conduire une opération de soutien à la paix avec des moyens nationaux qui, pour la plupart, existent déjà, soit sur un plan national ou multinational, soit dans le cadre de l'OTAN, j'y reviendrai.
Le principe intergouvernemental signifie donc que les décisions d'action sont prises par consensus. Une action militaire de l'Union européenne pourra naturellement se concevoir sans que tous les membres y prennent part, puisque nous avons prévu le système de " l'abstention constructive ". Mais par contre nous ne pourrions pas agir dans le cadre de l'UE si un de nos membres s'y opposait.
En agissant à Quinze nous n'ignorons pas le contexte stratégique de l'UE. Nous avons travaillé de manière privilégiée sur les relations de notre politique européenne de sécurité et de défense avec l'OTAN et avec les Etats extérieurs à l'Union qui sont nos partenaires de sécurité.
S'agissant des relations UE/ OTAN, la consultation et la transparence seront très étendues et organisées (nous avons d'ailleurs onze membres en commun). Mais nous avons tenu au respect de l'autonomie de décision des deux organismes, et aussi nous nous rappelons leur différence de nature.
Le contexte stratégique de l'UE, c'est aussi ses relations avec les Etats tiers qui constituent des partenaires de sécurité. Il s'agit bien entendu des Etats européens membres de l'OTAN et non membres de l'Union, des Etats candidats à l'Union et aussi du Canada. Il s'agit également d'autres partenaires qui pourront être invités aux opérations menées par l'UE, comme la Russie ou l'Ukraine.
Là aussi, prévaut le principe du dialogue, de la consultation, dans le respect de l'autonomie de décision à Quinze.
Nous le répétons souvent, nous ne sommes pas en train de construire une forteresse. Notre projet de défense européenne est ouvert et il est de notre intérêt de bénéficier du concours des partenaires européens qui souhaitent y participer.
Je voudrais maintenant faire le point de l'état d'avancement de la PECSD.
Au Conseil Européen de Nice nous avons créé des structures politiques et militaires permanentes de l'Europe.
Il y a un Comité politique et de sécurité, composé d'Ambassadeurs, ce sera à lui de définir la politique de l'Union dans une crise et de la contrôler au jour le jour. En temps de crise, ce Comité d'Ambassadeurs sera présidé par le Haut-Représentant pour la PECSD
Il sera assisté d'un comité militaire, composé des représentants militaires des Quinze, qui lui fournira des avis et recommandations de nature militaire, et exercera la direction de l'Etat-major de l'Union européenne.
L'état-major de l'Union européenne, composé d'une centaine de personnels, sera chargé de l'analyse de situation, et de la planification avant décision politique.
Ensuite, toujours au Conseil de Nice, les Chefs d'Etat et de Gouvernement ont adopté les engagements des 15 Nations pour atteindre les objectifs de capacité militaire que nous avions décidé.
Un précédent Conseil européen en décembre 1999 avait décidé que l'Union devrait être capable de réunir d'ici 2003 une force du niveau d'un corps d'armée (60 000 hommes) déployable dans un délai de 60 jours, et pouvant soutenir un tel déploiement pendant au moins une année. Ce volume de force correspond au dispositif qui a été déployé par les Alliés dans les Balkans depuis 1993.
Le Conseil européen avait également fixé des objectifs collectifs de capacités dans trois domaines stratégiques : le transport stratégique pour pouvoir acheminer rapidement des troupes sur le terrain ; les états-majors pour commander et contrôler les forces; les moyens pour les renseigner.
Les Ministres de la défense des 15 se sont réunis le 20 novembre dernier pour annoncer les engagements de capacité et chacun a annoncé la contribution de son pays aux objectifs de capacités. Cette conférence a constitué la première traduction concrète de la décision de l'Union d'avoir une capacité militaire commune. En outre nous avons identifié les efforts qui restent nécessaires pour atteindre l'ensemble des objectifs de capacités que nous nous sommes fixés pour 2003 pour que l'Union soit capable d'intervenir dans tous les types de crise que nous avons programmés.
Les engagements de capacités annoncés par les Etats membres constituent un réservoir de forces de plus de 100 000 hommes, environ 400 avions de combat, et 100 navires de guerre. Ils correspondent pleinement aux besoins identifiés par les experts militaires de l'Union, pour être en mesure de déployer 60 000 hommes dans les différents cas de figure tactiques, y compris s'il devait y avoir deux opérations de gestion de crise en même temps.
Nous savons que des efforts d'amélioration des capacités restent nécessaires. De premières initiatives nationales ou communes ont été annoncées dans ce sens. Nous avons aussi adopté un mécanisme d'évaluation commune des capacités des différents Nations pour maintenir la détermination de renforcer nos capacités.
Les autres Etats non membres de l'UE ont également présenté des offres de contributions complémentaires , qui seront examinées dans les mois à venir.
J'ajoute que nous avons travaillé sur les capacités civiles de gestion de crises, en particulier sur les capacités de police et de renforcement de l'Etat de droit. Nous avons défini une méthode pour atteindre l'objectif de déploiement de 5000 policiers dont 1000 dans un délai de 30 jours dans une situation de crise. Nous avons doté l'Union d'une capacité de conduite d'opérations de police.
Nous nous sommes enfin mis d'accord, à Quinze, sur les méthodes qui permettraient de travailler avec l'Alliance pour pouvoir utiliser les capacités et les moyens de l'Alliance comme cela avait été décidé par l'OTAN à Washington.
Ces propositions de l'Europe ont accueillies favorablement par l'Alliance atlantique.
Nous avons aussi prévu les engagements qui pourraient être pris par les Etats non membres de l'UE pour participer à des opérations de gestion des crises conduites par l'Union.
Nous avons prévu un comité des contributeurs qui réunira en période d'opération les Etats intéressés, c'est à dire les Quinze de l'UE et les Etats tiers participants, et qui donnerait donc à ces Etats tiers un rôle important dans la gestion courante de la crise.
La Russie a déjà été mentionnée explicitement par le Conseil européen parmi les partenaires potentiels qui pourront être invités à participer aux opérations que l'UE décidera de mener, si telle est la volonté de la Russie, bien sûr.
A Nice, l'Union a proposé en période hors crise d'avoir des échanges d'information sur les questions liées à la PECSD et, en cas de crise, si l'éventualité d'une opération militaire était envisagée, des consultations permanentes permettraient de discuter sur la participation des partenaires potentiels.
A ces dispositions s'ajoutent pour la Russie des consultations spécifiques que je viens de mentionner sur les questions de sécurité et de défense, en application de la déclaration conjointe du sommet UE/Russie.
La France a passé le relais de la Présidence à nos partenaires Suédois pour réaliser cette nouvelle étape de construction de la PECSD.
C'est au cours de l'année 2001, que nous déclarerons opérationnel l'ensemble des outils de l'Union, en particulier l'état-major. De même nous allons terminer les arrangements entre l'UE et l'OTAN sur le recours mutuel aux moyens de chaque organisation.
C'est aussi au cours de ce premier semestre 2001 que nous mettrons en place les mécanismes de consultation avec la Russie, ainsi que les modalités de sa participation à des opérations de gestion de crise conduites par l'Union européenne. C'est une intention prioritaire de la Présidence suédoise, partagée par l'ensemble des Etats membres.
Voilà les principaux aspects de la politique européenne de sécurité et de défense que nous conduisons à Quinze.
C'est un projet de longue haleine qui demande à la fois esprit pratique et volonté politique.
Mais je crois que nous avons montré depuis 2 ans que nous sommes déterminés à prendre une part accrue dans la sécurité de notre continent.
L'intégration d'une dimension de défense avec toute sa force politique constitue bien sûr une évolution fondamentale de la construction européenne. Elle va transformer et enrichir les relations de l'Union avec ses partenaires, et au premier rang avec la Russie.
C'est à nous, partenaires russes et européens, de faire vivre ensemble cette nouvelle dimension de notre partenariat. C'est en tout cas la volonté des Européens et en particulier de la France.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 30 janvier 2001)