Déclaration de M. François Bayrou, président de l'UDF, sur le sport et la politique sportive, Paris le 10 janvier 2007.

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Circonstance : Colloque de l'UDF sur le thème "Quelles missions pour le sport ?", à Paris le 10 janvier 2007

Texte intégral

La passion qui s'est exprimée aujourd'hui est révélatrice de la place du sport dans la société contemporaine et en particulier dans la société française. Je ne connais pas de phénomène qui déchaîne à ce point l'intérêt, la passion. Un des mes amis qui est président du club de football de Valenciennes, Francis de Courrière - après avoir été président du plus grand club de basket et qui a été député européen de cette famille politique - m'appelle tous les lundis matin et il me dit : « c'est un univers de fous ». La passion extrême qui se libère, notamment de la part de ceux qui n'ont pas grand chose d'autre dans leur vie, cette passion qui se libère autour des stades, autour des destins du club qui rappelle évidemment la vieille loi de l'humanité « du pain et des jeux », cette passion extraordinaire qui fait qu'il y a des gens pour qui c'est le centre de leur vie, cette passion-là a des traductions économiques extrêmement lourdes. Elle est une donnée fondamentale de la société dans laquelle nous vivons.
Le sport est une passion parce qu'il offre une double dimension : une dimension de communauté de solidarité, et de création d'une identité qui n'est pas une identité individuelle mais une identité de groupe : on vit ensemble, on porte le même maillot, cela dit qui nous sommes. Dans une société, les questions « qui sommes-nous ? » « qui suis-je ? », dans une société où on passe son temps à séparer les gens et à demander « de quelle origine es-tu ? De quelle religion es-tu ? De quel quartier ? », le fait de répondre que nous sommes tous, identiquement ou solidairement, des supporteurs du PSG, de Pau, de Bayonne... c'est quelque chose de probablement plus important qu'on ne le croit. C'est la première raison.
Il y en a une deuxième, le sport offre à chacun une part de rêve « on va pouvoir dépasser le destin, destin auquel on était condamné, contraint, et on va pouvoir rencontrer quelque chose d'autre de plus important. C 'est le sport de haut niveau.
Il y a un autre sport qui est le sport de masse. Je vais citer quelques chiffres pour montrer la dimension que cela représente : le premier des mouvements associatifs français, 15 millions de licenciés, 1 Français sur 4 est licencié sportif, 175 000 associations, 2 millions de bénévoles. Pour les plus de quinze ans, le sport est le premier motif d'adhésion à une association. Et c'est plus important que dans les autres grands pays européens : 22,5% des Français sont membres d'un club sportif, contre 15% des Allemands ou des Anglais, 12,5% des Italiens.
Cette double importance symbolique et sociale du sport mérite qu'on s'y arrête.
Il y a aujourd'hui, une extrême tension dans le monde sportif parce qu'il y a à la fois cette dimension économique - explosion des chiffres des droits télévisés et des salaires - et de l'autre le sport de tous les jours qui apparaît souvent comme pauvre au regard de l'extrême richesse du sport de haut niveau.
Je ne parlerai pas aujourd'hui de la question de la gouvernance du mouvement sportif que vous avez abordée, tout cela est très important. Je voudrais aborder le sujet qui me paraît principal dans le domaine du sport de haut niveau qui est la reconnaissance du bénévolat . Je n'emploie pas le mot de statut du bénévole, cela me semble contradictoire dans les termes : l'idée qu'un bénévole reçoive un statut avec des acquis verrouillés, est quelque chose qui est troublant pour l'idée même du bénévolat. Ce matin, un certain nombre de bénévoles ont dit : « je refuse de perdre l'essence du bénévolat, qui est la gratuité de mon engagement ».
Que peut comporter la reconnaissance du bénévolat ? A mon sens, trois sujets très importants :
Premier sujet : il faut faciliter le remboursement des dépenses que les bénévoles consacrent à leur sport : indemnisation, frais engagés. La collectivité française doit rendre cela beaucoup plus facile, beaucoup moins sujet à caution que cela ne l'est pour l'instant.
Deuxième sujet : c'est la prise en compte de ce qu'on apprend et de ce qu'on reçoit comme expérience en étant bénévole, et que ces expériences-là puissent être validées dans un CV, qu'on puisse faire valoir ce qu'on a appris, ce qu'on a construit en étant formateur bénévole, cadre bénévole, animateur bénévole et responsable bénévole d'un club. J'ai défendu comme ministre de l'Education, la validation des acquis.
Troisième sujet : le jour va venir où la question des retraites sera centrale pour la société française. Un rapport officiel dit que cette question n'est pas réglée et qu'elle est même beaucoup moins réglée qu'annoncé. J'ai dit que cette question ne pourra se traiter que par une réflexion de fond de la société française. Je ne crois pas comme le Parti socialiste qu'il suffira seulement d'augmenter les prélèvements et la CSG, c'est une question beaucoup plus profonde. Cette question ne peut être tranchée que par référendum, de manière que personne en France n'ait le sentiment que cela va être décidé dans leur dos. La question du doute des citoyens sur les grands enjeux de la nation, est liée qu fait qu'ils ont peur que les réformes se fassent sans qu'ils soient partie prenante ou sans recours. Le référendum, c'est une manière de dire : « Vous êtes des citoyens, c'est vous qui trancherez. Nous vous disons à l'avance que nous allons conduire cette réflexion avec vous, que nous allons vous rendre partenaires de cette réflexion et que vous allez être tellement reconnus comme partenaires qu'au bout du compte vous serez les décideurs ».
La réflexion que je conduis depuis des années avec des amis, c'est qu'il n'y a qu'un moyen de s'en sortir : le système de la retraite par points - système qui a été retenu pour les caisses complémentaires. Chaque citoyen a acquis au cours de sa vie un certain nombre de droits différents selon les cas, selon la durée, la pénibilité du travail... Vous avez acquis un certain nombre de droits à la solidarité de ceux qui travaillent. A partir de ces droits, vous déciderez vous-même de l'âge de départ à la retraite et donc du montant de cette retraite. Dans ces droits-là, il me semble que ceux qui se seront engagés dans la société, auront droit à recevoir des points qui leur permettront, plus tard, de faire valoir un droit différé à la solidarité. On doit mettre en rapport cette question de l'amélioration des droits à la retraite avec la question du bénévolat. C'est un engagement dont la reconnaissance sera différée dans le temps - de 20 ans, 30 ans - qui vous permettra de savoir que cela n'est pas indifférent d'avoir été au service des autres.
On pourrait aussi réfléchir à ce qu'une mère de famille qui élève des enfants ou des responsables associatifs dans l'humanitaire, peuvent recevoir comme reconnaissance, c'est une conception complètement différente de la société qui cherche à reconnaître le lien social à l'intérieur de cette société française.
La reconnaissance du bénévolat, c'est la société qui dit : « il est important pour nous que des centaines de milliers de femmes et d'hommes prennent sur leur vie d'homme et de femme pour que les associations, les clubs sportifs, les jeunes soient aidés et encadrés. Cela est valorisant dans une conception humaniste qui est la mienne et que je veux défendre de la société française.
Je veux dire un mot particulier du handisport - Béatrice Hess [multi-médaillée d'or de natation à Atlanta, Sydney et Athènes] était là ce matin. Le handisport avec la Fédération Française Handisport, la Fédération Française du Sport Adapté, et la Fédération Française des Sourds de France, représente 50 000 licenciés et 80 000 pratiquants.
Mais il y a 3 millions de personnes handicapées en France. Il me semble qu'il y a un effort à conduire - Béatrice Hess l'a dit ce matin - pour renforcer l'encadrement technique, les installations sportives dans les établissement scolaires et au sein des clubs, et notamment en direction des élèves handicapés qui sont aujourd'hui dispensés d'activité sportive. Il me semble qu'il y a aujourd'hui quelque chose à faire pour qu'ils reçoivent au contraire une éducation sportive adaptée.
Le sport au centre du système éducatif
On a évoqué ce matin, l'attente des élèves, des étudiants et des familles à l'égard du sport à l'école et à l'université. Le sport à l'université est pratiquement absent. C'est un paradoxe parce que les grandes universités du monde anglo-saxon s'illustrent au contraire et recherchent une image de marque au travers du sport. Le sport à l'école primaire, est en question ; le sport scolaire est en régression - on a tous connu le temps le jeudi après-midi où il y avait l'équipe de rugby, de basket, de football, de hand-ball qui affrontaient les lycées voisins. Il y a un besoin très grand d'encadrement dans les différents échelons de notre système scolaire et à l'université.
Ce besoin doit trouver une réponse, mais cette réponse ne sera pas dans la création des dizaines milliers de postes qu'il faudrait, dans un monde idéal, mais que désormais on ne peut pas créer pour des raisons budgétaires. C'est la raison pour laquelle je mets en relation ce besoin avec l'idée que je défends depuis très longtemps - le premier de tous les responsables politiques français - d'un service civique universel pour tous les jeunes et d'une activité universelle pour tous ceux qui en France sont en situation de minima sociaux et qui, très souvent, ont des compétences qui ne sont pas valorisées. Un certain nombre d'entre eux sont sportifs, ils peuvent être des « grands frères », des encadreurs, des aînés, des animateurs des clubs sportifs dans les universités. Il faut changer le modèle et permettre un encadrement qui ne soit plus désormais seulement professionnel, mais un encadrement engagé de la part de jeunes ou de personnes plus âgées à qui la société peut offrir la chance d'être reconnus dans leurs compétences auprès des plus jeunes ou des plus âgés qui sont dans les universités.
Bien sûr, il n'y aura pas les dizaines de milliers de postes de fonctionnaires et de professeurs d'éducation physique dont on rêverait, mais nous pouvons avoir des jeunes et des adultes en situation provisoire d'inactivité qui trouvent là le moyen de réaliser leur engagement de service et peut-être d'améliorer, par une indemnité, les fins de mois réduites pour ceux qui sont aux minima sociaux. Il y a un immense besoin de réengager dans l'activité, une grande partie de ceux qui sont condamnés à l'inactivité.
Le sport de haut niveau
Il me semble que la question du modèle est très importante pour la société française. Je voudrais dire que le modèle économique existe mais l'argent ne peut pas être le seul maître du sport. Il y a dans la société française comme dans toute les sociétés contemporaines, une exigence d'éthique qui doit être reconnue et affirmée. C'est en particulier le rôle de notre vision humaniste de la société que de défendre cette approche d'un sport où l'éthique compte plus que l'argent. Cette exigence éthique s'adresse d'abord et en premier lieu aux sportifs de haut niveau dans plusieurs grands domaines.
Premièrement : le dopage. Il y a naturellement une question de discipline, de contrôle et éventuellement de sanction. J'approuve à ce titre les contrôles qui ont été fait. Mais il serait complètement hypocrite de ne prendre la question du dopage que sous l'angle du contrôle et de la sanction, sans se poser la question des contraintes que nous infligeons aux sportifs notamment en termes de calendrier et de difficultés des épreuves. S'indigner du dopage tout en augmentant perpétuellement la difficulté des épreuves, la durée des épreuves, la fréquence des épreuves, il y a quelque chose de profondément hypocrite dans cette affaire. J'approuve donc la réflexion qui conduit à dire que pour ce monde du sport de haut niveau, la médecine du sport doit être une médecine du travail, avec les contraintes de protection du sportif de haut niveau et notamment l'obligation d'allègement du calendrier.
Deuxième réflexion sur les sportifs de haut niveau : leur reconversion. Vous êtes un jeune de 20 ans : votre carrière dure en moyenne six ans et demi, sortant souvent de milieux modestes et après avoir connu la première ivresse de l'argent, vous allez avoir beaucoup d'argent entre les mains. Les conditions fiscales qui sont imposées font que vous allez être en situation de grande difficulté. Puis un jour tout s'arrête et vous êtes à la fois dans la déprime de ce changement de statut - c'est difficile à vivre pour quelqu'un qui n'a pas l'expérience de la vie - et vous êtes en situation de difficulté économique. C'est pourquoi je défends l'idée d'un plan d'épargne reconversion qui permettra que des avantages fiscaux soient reconnus pour des jeunes qui mettront de côté l'argent qu'ils reçoivent pour le jour où leur carrière s'arrêtera et où ils devront prendre un nouveau départ. Il me semble qu'il y a là quelque chose de plus juste que ce qui est imposé aujourd'hui et qui permet de prendre réellement en compte l'expérience humaine d'un sportif de haut niveau en étant à la fois exigeant et rigoureux. C'est le statut des danseurs de l'Opéra. Je trouverais intéressant que des sportifs de haut niveau se voient ouvrir l'accès à ce type d'avantages fiscaux qui permettent réellement de se bâtir une vie à partir de l'expérience sportive.
Troisième réflexion : il y a un travail à conduire sur les clubs formateurs : il ne peut se faire que dans un cadre européen. Depuis l'arrêt Bosman, la libre circulation ayant été reconnue, tout ce qui doit permettre de la réguler, ne peut se faire que dans un cadre européen. Les prochains dirigeants français doivent avoir un poids, une initiative sur le statut de ce travail un peu particulier du sportif de haut niveau.
J'ai trouvé intéressante l'idée d'un retour sportif pour le club formateur, j'aime modérément l'idée du retour financier. Bien sûr cela compte, cela existe même pour les élèves des grandes écoles en France, mais je trouve que rembourser de l'argent n'est sûrement pas à la hauteur des dépenses engagées et je trouve que cela a quelque chose de peu respectueux. Mais l'idée selon laquelle un joueur formé dans un centre de formation doit commencer sa carrière pendant deux ou trois années dans le club dans lequel il a été formé, c'est une idée très contraignante, sans doute difficile et qui peut être mise en cause par les familles et les agents de joueurs, mais qui cependant permettrait de convaincre les clubs d'avoir un centre de formation. Je crains autrement qu'un certain nombre de clubs ne renoncent à leur centre de formation car il est tellement plus facile d'acheter cher un joueur formé que de dépenser de longs efforts humains et financiers, d'avoir à mettre en place et à former des générations de joueurs. Il me semble qu'il y a là quelque chose de novateur qui suscitera des débats, mais cela me paraît répondre aux besoins de cet immense réseau de clubs qui a un sentiment d'immense frustration lorsqu'il voit les meilleurs lui être arrachés et faire les beaux jours des clubs les plus riches.
Reste la question du modèle . Est-ce que le modèle du sport de haut niveau doit être uniquement le modèle de concurrence financière ? Je voudrais appeler l'attention sur les risques que cela suppose : le premier risque est à la fois sportif et d'intérêt de la compétition. Ce modèle de concurrence financier creuse de plus en plus le fossé entre les clubs têtes de listes et les clubs moyens, y compris dans la première division de football. Il y a là quelque chose qui menace l'intérêt sportif de la compétition et à terme l'intérêt des spectateurs. Se pose la question du type de régulation : est-ce que on peut imaginer une régulation librement consentie, sportive, pour essayer d'équilibrer un peu plus les chances des clubs, de manière qu'il n'y ait pas définitivement des clubs qui appartiennent à un autre monde et qui ont à l'avance la certitude qu'il y aura, entre eux et leurs poursuivants, des fossés impossibles à combler ? Il existe dans le monde d'autres modèles et notamment des sports collectifs américains qui ont mis en place un équilibre qui permet d'aider les clubs plus modestes à rattraper leur retard. Je ne sais pas si ce modèle est adaptable en Europe mais la question mérite d'être posée. Il n'est pas acquis définitivement que les spectateurs considèrent que tout est joué, et qu'il y aura désormais un très petit nombre de clubs en Europe qui auront tellement d'argent, qu'il sera impossible de faire jeu égal avec eux dans une compétition. Cette question appartient d'abord au mouvement sportif et je ne sais pas s'il est capable d'y répondre. Je ne sais pas en particulier si la grande différence qu'il y a entre l'organisation politique du mouvement sportif et l'organisation économique du mouvement sportif, peut permettre d'y répondre. En tout cas, il me semble que les pouvoirs publics ont le devoir de poser cette question et d'ouvrir une réflexion avec le mouvement sportif en particulier, avec les deux sports majeurs collectifs qui concentrent le plus d'argent dans le monde de la compétition et des droits télévisés. C'est une question qui mérité d'être posée parce que c'est aussi une réflexion sur la société que nous avons à construire.
Dans le sport se concentrent beaucoup de défauts, beaucoup de faiblesses, beaucoup de rêves et d'idéal de la société que nous formons ensemble. Ce n'est pas un hasard s'il y tant de personnes qui s'y intéressent, s'il y a tant d'argent dans le sport. Ce n'est pas un hasard s'il y a tant de passion autour des victoires et tant de déception autour des défaites. Le sport parle de notre société et de nous-mêmes.
Pour nous, cette force du sport dans la société française ne peut pas se résumer à l'argent que le sport draine. Il faut donc aider et soutenir le mouvement sportif de masse, aider l'encadrement, imaginer de nouvelles formes d'encadrement et s'adresser au sport de haut niveau en disant qu'on l'aime, qu'il est passionnant mais qu'il faut penser d'abord aux sportifs, et un peu à ce que ces événements, ces clubs, ces performances disent aux plus jeunes des Français et à la société toute entière, de leur avenir.
Je vous remercie.

Source http://www.udf.org, le 15 janvier 2007