Texte intégral
CLAIRE CHAZAL
Nicolas SARKOZY, bonsoir et merci d'être sur ce plateau. Vous avez fait de cette bataille présidentielle à laquelle vous vous préparez depuis des années j'allais dire le choix d'une vie, vous l'avez dit d'ailleurs une fois et vous avez en commençant votre discours tout à l'heure, dit "j'ai changé". Qu'est-ce que vous ressentez ce soir ?
NICOLAS SARKOZY
Beaucoup d'émotion. Un sentiment d'une très grande responsabilité. Je n'ai pas le droit de décevoir, je n'ai pas le droit de mentir, je n'ai pas le droit d'échouer. Beaucoup d'humilité. Il y a des dizaines de milliers de gens qui étaient là, des millions de Français qui font confiance, qui espèrent... qui espèrent quoi ? Que la France, ce n'est pas fini, que tout peut devenir possible pour les enfants dans leur famille, pour leur famille, que le travail ça vaut quelque chose, que la promotion sociale, ça existe, qu'on peut lutter contre les injustices, que la politique, ça peut susciter l'espérance et pas simplement décevoir, c'est une charge très lourde et j'ai bien conscience de ce qui m'attend, du chemin qui a été parcouru, de la chance que j'ai d'avoir une famille unie derrière moi, rassemblée, je ferai face.
CLAIRE CHAZAL
Alors justement vous dites "une famille unie", effectivement tout le monde était là mais Dominique de VILLEPIN est passé rapidement et Jacques CHIRAC n'a pas délivré de message, on pouvait l'attendre ; est-ce que ça vous a déçu, est-ce que vous auriez attendu quelques mots ? Est-ce que vous attendez un soutien explicite ?
NICOLAS SARKOZY
Non, vous savez je suis en âge et je postule à des responsabilités ; si on n'est pas capable de les affronter et de les assumer seul, il vaut mieux faire autre chose. Jacques CHIRAC se prononcera quand il aura décidé de le faire, je respecte sa décision. Je ne l'attends pas, je la respecte. S'il le fait, le moment où il le fera, ce sera bien. Je n'ai pas de commentaire à faire. Dominique de VILLEPIN a eu des hésitations. Il avait lui aussi des ambitions, je comprends. Je comprends ses états d'âme et ses hésitations. J'ai reçu d'ailleurs un certain nombre de ses arguments, il n'a pas tort et mon devoir, c'est de rassembler tout le monde, c'est ça qui copte. Si on n'est pas capable de rassembler sa famille, on ne peut pas rassembler un pays. Or la France a besoin de tout le monde et dans cette épreuve qui m'attend, dans cette élection qui se prépare et qui se profile, j'aurai moi-même besoin de tout le monde.
CLAIRE CHAZAL
On l'entend ce soir et on l'a entendu dans votre discours, vous vous voulez plus consensuel, plus humaniste, presque assez serein par rapport à des interventions précédentes, est-ce que c'est pour gommer une image qui a été parfois un peu dure, voire inquiétante pour les Français ?
NICOLAS SARKOZY
Vous savez, j'ai eu pendant quatre ans la responsabilité de la sécurité des Français et pendant quatre ans, il n'y a pas eu de problème... enfin il y a eu beaucoup de problèmes mais pas eu de bavure, pas eu d'incident. Il m'a fallu prendre de multiples décisions. J'ai une longue expérience mais j'ai voulu dire à mes amis que lorsqu'on n'a pas soi-même éprouvé la souffrance, on ne peut pas tendre la main, on ne peut pas comprendre. J'ai bientôt 52 ans, j'ai connu des difficultés, des échecs, des épreuves, je les ai surmontés, j'ai voulu pendant longtemps dissimuler tout cela, le garder pour moi mais l'élection présidentielle, c'est une épreuve de vérité et je veux apparaître en vérité. Et puis je vois ce qu'il faut faire pour la France, je le ressens, je le porte en moi. Je veux être le président du pouvoir d'achat - les salaires sont trop bas, il n'y a pas assez de pouvoir d'achat en France parce qu'on ne travaille pas assez, parce qu'il faut donner davantage de travail. Je veux que les gens ne paient plus d'impôt sur les heures supplémentaires, qu'il n'y ait plus de charges sociales sur les heures supplémentaires. Je veux que les Français y compris ceux qui ont des petits salaires, puissent devenir propriétaires. Pourquoi le rêve de la propriété serait-il réservé à ceux qui en ont les moyens ? Je veux que l'Etat garantisse. Je veux que ceux qui n'ont pas les moyens, pas de relations, puissent emprunter, je veux qu'on puisse déduire les intérêts de ces emprunts quand on achète son appartement. Je veux apporter une nouvelle conception de la politique, je veux remettre le travail au coeur de la société ; je veux que les gens se disent "mais ça vaut le coup de se donner du mal puisqu'on en a la récompense !". Quel est le problème de la France ? Formidable crise morale, pourquoi ? Parce que le travail ne paie plus, parce que le travail n'est pas respecté, parce que le travail n'est pas valorisé, parce que le travail n'est pas récompensé. Je veux par exemple exonérer pour 90% des Français les droits de succession.
CLAIRE CHAZAL
Mais tout cela a un coût, Nicolas SARKOZY, toutes ces exonérations, ces baisses d'impôt, ces relèvements de salaire dans le cas des minima...
NICOLAS SARKOZY
Non pas du tout, ce qui a un coût, c'est que depuis quinze ans, on a grosso modo 1% de croissance de moins que les autres, pourquoi ? Parce que les salaires sont trop bas, les charges sont trop lourdes ; il manque du pouvoir d'achat, il manque du carburant dans l'économie française. Quand les autres travaillent plus, nous, on travaille moins ; alors ce sera l'un des débats de la présidentielle ; il y a ceux qui proposeront de travailler moins et puis moi qui dirai aux Français "on peut gagner davantage". Vous savez, j'ai parlé pendant une heure et quart, je n'ai critiqué personne.
CLAIRE CHAZAL
On a vu que vous n'aviez pas attaqué Ségolène ROYAL ; vous avez d'ailleurs laissé Michèle ALLIOT-MARIE le faire...
NICOLAS SARKOZY
Non, mais pourquoi ? Mais qu'elle présente ses idées, qu'elle présente ses alternatives. J'ai vu que le Parti socialiste m'attaquait, avait fait même 150 pages pour m'attaquer mais je leur laisse le monopole du sectarisme, moi je ne veux pas attaquer.
CLAIRE CHAZAL
Dominique STRAUSS-KAHN dit que vous êtes dans l'évitement, que vous n'avez pas parlé de votre bilan au fond. Ca fait cinq ans à peu près ou presque...
NICOLAS SARKOZY
Franchement, pourquoi voulez-vous que j'en parle, les socialistes en parlent tellement ?! Là où la délinquance avait augmenté à leur époque de 14%, elle a diminué de près de 10%. Mais ce qui m'intéresse, c'est quoi ? C'est de dire aux Français que tout peut devenir possible, qu'il y a une solution aux problèmes de la France, qu'on n'est pas condamné à la fatalité. Je veux leur dire qu'il y a une nouvelle façon de faire l'Europe, je veux réunir ceux qui ont voté non et ceux qui ont voté oui ; je crois en l'Europe, je suis profondément européen mais je veux une Europe qui ait des frontières, où la Turquie n'a pas sa place ; je veux une Europe où on comprenne que la préférence communautaire, ce n'est pas un gros mot. Je veux une Europe qui joue la subsidiarité, je veux une Europe qui protège, pas qui menace. Je veux une République irréprochable ! Par exemple sur les nominations, je prends des engagements. Si l'Etat veut être respecté, il doit être respectable. Il faut nommer les gens en fonction de leurs compétences...
CLAIRE CHAZAL
Vous faites allusion à ce que veut faire Jacques CHIRAC dans ce domaine avant la fin de son mandat ?
NICOLAS SARKOZY
Non, je ne sais pas ce qu'il veut faire, je dis simplement une chose : c'est qu'on ne peut pas nommer des gens à des postes importants sans qu'on leur demande avant s'ils ont des idées pour l'organisme ou l'entreprise qu'ils vont présider. Sans que les commissions ne ratifient cette nomination. L'Etat impartial, c'est quelque chose qui compte.
CLAIRE CHAZAL
Est-ce que ça va marcher, Nicolas SARKOZY, jusqu'à la fin entre le gouvernement et la majorité? On a vu des tensions ces derniers temps, des réunions de groupe très chahutées. Est-ce qu'après au fond cette grand-messe et cet adoubement, vous pensez que ça va mieux se passer et à quel moment pensez-vous, vous, quitter votre poste de ministre ?
NICOLAS SARKOZY
Oui, enfin grand-messe, adoubement... il y a eu des dizaines de milliers de personnes, peut-être 100.000 personnes, bon. Mais ce qui compte, c'est que maintenant nous construisions, on est à trois mois du premier tour, trois mois et demi du deuxième tour, il faut se tourner vers les Français. Je l'ai dit, je ne serai plus ministre de l'Intérieur au moment des élections mais en même temps j'ai une tâche à accomplir. Nous sommes à trois mois, j'ai encore du travail à faire mais enfin le moment venu, j'irai tout seul vers les Français.
CLAIRE CHAZAL
Merci beaucoup Nicolas SARKOZY d'être venu ce soir. Source http://www.u-m-p.org, le 16 janvier 2007