Texte intégral
- 1ère partie -
Ulysse GOSSET - Bienvenue sur FRANCE 24 pour cette première émission de l'année du " Talk de Paris ". Je vous présente mes meilleurs voeux pour 2007, une année cruciale pour la France et pour l'Europe, plus que jamais confrontées à de formidables défis. Quels sont, justement, ces grands défis ? La France est-elle encore une grande puissance ? Pour répondre, une femme entrée, il y a peu de temps, en politique, mais qui s'est très vite imposée comme une interlocutrice de poids : Christine LAGARDE, ministre déléguée au Commerce extérieur, bonsoir Madame la Ministre.
Christine LAGARDE - Bonsoir !
Ulysse GOSSET - Quels sont donc les défis auxquels nous sommes confrontés en ce début de siècle, en ce début 2007 ? FRANCE 24 et le " Talk de Paris " ont voulu connaître votre point de vue. Nous avons donc réalisé un grand sondage dans cinq pays européens et aux Etats-Unis avec notre partenaire, l'Institut NOVATRIS/HARRIS ; un sondage que vous pourrez d'ailleurs retrouver sur le site de FRANCE 24 et aussi dans L'INTERNATIONAL HERALD TRIBUNE. Vous allez le voir, les résultats sont passionnants. Nous les analyserons avec Christine LAGARDE, bien sûr et un observateur talentueux de la société française, Peter GUMBEL, que je salue, Peter GUMBEL, auteur du " Vertige français ", " French Vertigo ". Christine LAGARDE, donc 2006 s'est terminée avec une grosse déception. La Chine, en effet, n'a pas commandé de réacteur nucléaire, préférant des réacteurs américains. Pour vous, cela n'a pas été une surprise mais tout de même un coup assez dur pour terminer l'année 2006...
Christine LAGARDE - C'est vrai que ça aurait été plus agréable que la Chine commande quatre EPR plutôt que quatre projets de centrales, parce qu'aujourd'hui les centrales sous licence WESTINGHOUSE ne sont pas véritablement des centrales, il n'y a en a aucune en construction, aucune en projet même, elles sont vraiment sur le papier. Or, c'est un choix des Chinois, il y a d'autres programmes de nombreuses centrales nucléaires qui seront construites en Chine et puis tout un cycle à explorer en amont et en aval de la production d'électricité nucléaire qui reste évidemment en négociation.
Ulysse GOSSET - Cela fait plusieurs milliards de dollars qui s'envolent en fumée pour la France, 5.000 emplois au total et pourtant, on sait qu'il y a eu des gros progrès, en 2006, sur l'exportation qui a fait un bond de 9 %. Alors tout cela, au total, n'a pas, quand même, amélioré les résultats du Commerce extérieur qui sont en déficit, toujours. Quel bilan vous faites de l'année 2006, en la matière ?
Christine LAGARDE - Ecoutez, je fais un bilan assez positif, pour la raison suivante. Parce que, d'abord, on a eu une augmentation au moins égale à celle du commerce mondial actuellement, donc au niveau de nos exportations -ce qui signifie que nous sommes au moins, en stratégie de maintien sinon de très léger gain de nos parts de marché - deuxièmement, nous avions fait le diagnostic, au début de l'année, que nous devions réorienter nos exportations vers des pays à forte croissance comme la Russie, l'Inde, la Chine, les Etats-Unis et le Japon à un moindre degré, en les désignant comme nos cibles et nos pays pilotes et vers ces pays-là, nos exportations ont augmenté d'environ 30 % pour la Chine, 18 % pour la Russie et l'Inde et puis d'à peu près 7 % pour les Etats-Unis, un petit peu moins pour le Japon. Donc, c'est bien...
Ulysse GOSSET - C'est un bon rattrapage...
Christine LAGARDE - ... C'est une bonne orientation. Non, je crois que ce qui est vraiment important, c'est qu'on engage une action pour l'avenir, vers les pays à forte croissance. Parce que, quand vous exportez vers l'Allemagne, qui est aujourd'hui notre premier client et notre premier fournisseur, et que ce pays croît à 1 % - 1,5 %, il a fait beaucoup mieux en 2006 mais tout de même à des taux assez faibles, cela n'augmente pas considérablement nos exportations. Donc, je crois que la réorientation est bonne, et le fait que beaucoup plus de PME envisagent l'exportation comme, non pas une contrainte ou une variable d'ajustement, mais tout simplement comme l'expression de leur activité sur un marché unique qui est le marché du monde.
Ulysse GOSSET - Votre job, c'est de vendre la marque France dans le monde entier. Pour mieux vous connaître, nous avons réalisé un portrait. Pauline PACCARD l'a fait au sein de la rédaction de FRANCE 24. Regardons-le ensemble.
Pauline PACCARD - Discrète, souriante et redoutable... Voici la 30ème femme la plus puissante du monde, selon le magazine américain FORBES. Christine LAGARDE ? LA Madame France de l'étranger. toujours en voyage, cette avocate de 50 ans a passé une grande partie de sa vie à l'étranger, à Chicago surtout où elle dirige, à 43 ans, le plus gros cabinet d'avocats américains, BAKER & MACKENZIE, multinationale de 8.000 employés, au chiffre d'affaires qui dépasse le milliard de dollars. A l'époque déjà, cette mère de famille rêve secrètement d'entrer en politique, comme on entre en mission.
Christine LAGARDE (Chicago, 1999, archives TF1) - En France, il y a quelques exemples de femmes qui ont très bien réussi. Je pense à Anne LAUVERGEON, je pense à Nicole FONTAINE, je pense à un certain nombre de nos femmes ministres qui sont très courageuses, très talentueuses. ON ne les encourage pas beaucoup...
Pauline PACCARD - Retour à Paris en juin 2005 sur demande expresse de Dominique de VILLEPIN, il l'appelle au poste de ministre déléguée au Commerce extérieur, un poste à risque. Elle prend le premier avion, s'installe à Bercy et impose son style : une poigne de fer, 15 minutes de yoga par jour et pas de langue de bois. Une méthode qui marche. On dit qu'elle est l'une des plus écoutées à la table du Conseil des ministres. Féministe, Christine LAGARDE aime citer Françoise GIROUD et pense qu'il ne suffit pas d'être une femme pour exercer des responsabilités, il faut démontrer qu'on a des idées et des compétences. Démonstration plutôt réussie. Les grands de ce monde ne tarissent pas d'éloges à son propos. Prochaine étape pour Madame le Ministre : se rapprocher de l'eau, son élément. Cette ancienne championne de natation synchronisée serait prête à rejoindre Le Havre où beaucoup la voit déjà maire.
Ulysse GOSSET - Christine LAGARDE, est-ce vrai ? Est-ce que vous avez décidé de vous lancer vraiment en politique, c'est-à-dire dans un combat électoral et avec le verdict des urnes pour gagner la mairie du Havre ?
Christine LAGARDE - Je ne suis pas dans une stratégie de gain d'une quelconque mairie. J'ai deux objectifs. Le premier, c'est d'abord de faire mon travail jusqu'à son terme. Le terme, aujourd'hui, c'est la fin de la législature et de le faire pleinement et avec passion. Donc, cela, je vais le faire. Et puis ensuite, d'être à la disposition d'une cause qui m'intéresse et qui soit ancrée dans le territoire, dans le sol et près de la mer, oui, cela c'est vrai et...
Ulysse GOSSET - Au Havre...
Christine LAGARDE - Et auprès d'un maire pour lequel j'ai une énorme estime, beaucoup d'affection, beaucoup d'admiration, qui est Antoine RUFFENACH, qui a transformé une ville dans laquelle j'ai passé toute mon enfance, que j'aime, et il l'a transformée vers quelque chose de véritablement attirant, attractif, en transformant parfois des éléments qui étaient perçus de manière très négative, en positif. Et ce transfert du négatif en positif est une démarche passionnante à laquelle j'aimerais m'associer avec lui.
Ulysse GOSSET - Donc vous restez en France, vous ne repartez plus pour des contrées lointaines ?
Christine LAGARDE - Je ne vais pas m'installer en Suisse, non ! (Rire)
Ulysse GOSSET - (Rire) Alors regardons sur notre site Internet, les questions qui nous sont parvenues vous concernant et nous allons en avoir une tout de suite : " Christine LAGARDE aimerait-elle redevenir ministre après les prochaines élections si on lui en faisait la proposition ? "
Christine LAGARDE - Cela dépend de celui qui la proposerait.
Ulysse GOSSET - Si c'est Nicolas SARKOZY ?
Christine LAGARDE - Absolument, oui...
Ulysse GOSSET - Pas si c'est Ségolène ROYAL...
Christine LAGARDE - Sans aucun doute non. (Rire)
Ulysse GOSSET - Pourquoi ?
Christine LAGARDE - Parce que je crois...
Ulysse GOSSET - C'est une femme, après tout...
Christine LAGARDE - Non... cela, je crois que votre reporter le dit très justement, ce n'est pas le sexe qui fait la qualité ou la réussite. Je crois véritablement au mérite profond, aux idées, aux principes, aux ambitions et de ce point de vue-là, Nicolas SARKOZY, dans ses programmes, dans ses discours, dans le changement qu'il incarne, y compris avec cette espèce d'énergie qui, parfois, est analysée comme de l'agressivité et que moi j'ai vu, en pratique, déployée comme de l'énergie et pas comme de l'agressivité, ces qualités-là, au service de ce programme-là me paraît indispensable pour entraîner la France là où elle doit être, c'est-à-dire en tête.
Ulysse GOSSET - Et s'il y avait un gouvernement d'union nationale, vous seriez prête à tenter le jeu avec d'autres ministres qui ne soient pas forcément de votre bord politique, avec des gens de gauche, par exemple ?
Christine LAGARDE - Tout doit être jugé sur les engagements qui sont pris, sur les principes qui sont défendus et sur les ambitions qui sont affichées. Et puis sur la volonté de les réaliser, parce que cela compte aussi. Moi, je l'ai vécu dans ma vie professionnelle, faire des programmes, faire des discours, c'est une chose, les exécuter au quotidien et tirer la machine avec soi, c'est cela qui compte.
Ulysse GOSSET - Justement, on se souvient de votre petite phrase qui avait marqué vos débuts au ministère, lorsque vous avez dit " Pour lutter contre le chômage, il faut d'abord commencer par réformer le Code du travail " et puis, houps ! La petite phrase a disparu... Vous avez perdu votre liberté de parole au ministère ?
Christine LAGARDE - En tout cas, j'ai perdu l'amplitude du territoire dont je disposais, quand j'étais chef d'entreprise. Et j'ai compris rapidement que j'avais un pré carré qui était celui du Commerce extérieur et que je pouvais avoir mes sentiments, mes opinions, mais que je n'avais pas forcément à les exprimer sur le territoire des autres. Ce qui ne m'empêche pas, rétrospectivement et à l'analyse des forces et des faiblesses du commerce extérieur français, de continuer à penser profondément que le commerce extérieur français, c'est aussi le droit du travail en France.
Ulysse GOSSET - Et donc, cela veut dire que, après les prochaines élections, il faudrait s'attaquer à nouveau à cette réforme du Code du travail que vous aviez souhaitée ?
Christine LAGARDE - J'en suis convaincue, oui...
Ulysse GOSSET - Il faudra réformer le Code du travail...
Christine LAGARDE - Il faudra le réformer, me semble-t-il, il faudra le simplifier, il faudra introduire beaucoup plus de fluidité pour permettre aux entreprises et aux hommes d'être beaucoup plus agiles ; parce qu'on n'est pas, aujourd'hui, dans un monde qui est rigide, qui est encadré, qui est discipliné. On est dans un monde qui est en mouvement perpétuel et en mouvement rapide. Donc, si on est, dans ce mouvement-là, une force très sclérosée, on n'y arrivera pas ! Il faut être capable de souplesse et d'agilité.
Ulysse GOSSET - Justement, une autre proposition de réforme qui nous vient encore d'un internaute, c'est notre deuxième question : " Pourquoi les hommes politiques ne s'engagent-ils pas sur leur programme au moment d'entrer en fonction, pour qu'ensuite le peuple puisse se prononcer par voie électorale sur leur maintien ou non au pouvoir, ministère ou poste par poste ? "
Christine LAGARDE - Ministère ou poste par poste, c'est un peu compliqué parce que, a priori, le travail d'un gouvernement, c'est quand même un travail d'équipe. Et il y a, à la mise en place d'un gouvernement, un discours de politique générale qui est prononcé par le Premier ministre devant l'Assemblée nationale - qui représente donc l'ensemble du peuple de France - dans lequel il s'engage, au nom et pour le compte des membres de son gouvernement, sur un certain nombre d'objectifs. Et la fonction des urnes légitimes, au terme de chaque législature, au terme de chaque mandat, c'est évidemment, pour les hommes politiques, de revenir devant le peuple et de dire : " Voilà ce que je m'étais engagé à faire, voilà ce que j'ai réalisé, voilà ce que je suis prêt à faire pour le futur "... Donc, je pense que cela fonctionne un peu...
Ulysse GOSSET - Donc, c'est un petit peu la reprise de la fameuse idée des " jurys populaires " entre guillemets, mais cette fois, au niveau ministériel, c'est possible en France ou pas ?
Christine LAGARDE - Mais cette histoire de jury populaire, cela n'a aucun sens, si vous voulez ! Il y a un principe électoral, il y a des cycles dans lequel s'inscrit toute vie politique, et l'expérience que j'ai, et de la vie privée dans le secteur privé et de la vie dans le secteur public, c'est que si l'on fonctionne à des échéances très courtes, on est capable de rien réaliser. Pour faire de vraies réformes, pour entraîner un changement et pour l'exécution au quotidien, il faut s'inscrire dans le temps ! Cinq ans, cela me paraît, à moi personnellement, le minimum de temps pour vraiment engager, exécuter et récolter ce que l'on a semé en terme de changement.
Ulysse GOSSET - Merci. Alors question de cette émission : la France est-elle encore une grande puissance ? Regardons les résultats de notre sondage ; un sondage que nous avons réalisé dans 5 pays européens et aux Etats-Unis avec notre partenaire l'Institut NOVATRIS/HARRIS POL (phon), un sondage que vous pourrez d'ailleurs retrouver sur le site de FRANCE 24, et aussi dans l'INTERNATIONAL HERALD TRIBUNE. Première question : quelle est l'influence de chaque pays dans le monde ? Quelle est l'influence de l'Europe ? Regardons vos réponses, celles des sondés avec Pauline PACCARD.
Pauline PACCARD - Etats-Unis, Chine, Russie, Grande Bretagne et France, les pays les plus influents dans le monde sont les membres du Conseil de sécurité de l'ONU. Sans surprise, les Etats-Unis restent en première position, plébiscitée par les sondés américains, mais aussi par tous les autres pays interrogés. La Chine arrive en numéro deux. Français, Américains et Anglais placent Pékin juste après les Etats-Unis. Surprise, sur le score de la Russie qui arrive en troisième position ; surprise, aussi, sur un grand pays émergent, l'Inde, qui est reléguée à la 6ème place, loin derrière la France et l'Allemagne. Selon les sondés, l'Europe est véritablement devenir une puissance mondiale à jeu quasi égal avec les Etats-Unis. Quatre-vingt-dix pour cent des Allemands et des Américains partagent cet avis, ainsi que 86 % des Anglais, pourtant souvent considérés comme " eurosceptiques ". Un chiffre plus surprenant, plus d'un quart des Français n'accorde pas une grande influence à l'Union européenne sur la scène mondiale. Ils sont plus unanimes au sujet de la Chine qu'ils ont placée devant l'Europe.
Ulysse GOSSET - Alors Christine LAGARDE, votre réaction, les Etats-Unis, bien sûr, hyper puissance ; l'Inde n'est pas dans le palmarès, elle viendra peut-être plus tard, mais votre réaction à vous sur la France ?
Christine LAGARDE - Non, deux réactions. La première, c'est qu'il y a deux facteurs qui sont quand même déterminants : la géographie et l'économie. Quand on voit les pays qui sont en tête, considérés comme les plus influents ; deuxième observation, je suis étonnée du score que réalise l'Inde, parce que je crois que c'est un pays qui est beaucoup plus influent que ne le laisse paraître les sondages. Je regarde, par exemple, le dialogue de l'OMC, les négociations en cours, l'Inde est un pays totalement pivot dans ces négociations.
Ulysse GOSSET - Et vous, Peter GUMBEL, je rappelle que vous êtes l'auteur de " French vertigo " - " le Vertige français " - votre réaction sur cette première question, c'est, je crois, la présence très forte en troisième position de la Russie ?
Peter GUMBEL - Oui, tout à fait ! C'est étonnant ! Il y a 15 ans, la Russie, c'était nulle part. Maintenant, avec POUTINE, avec cette politique du pétrole, on est en train de remonter très vivement. Deuxième chose qui me frappe beaucoup, c'est que les Français, eux-mêmes, sont très sceptiques vis-à-vis de la France et de l'Europe. C'est un peu ce manque de confiance dans la France et dans l'Europe qu'on constate dans la vie quotidienne française.
Ulysse GOSSET - Et à votre avis, on explique cela comment ?
Peter GUMBEL - Je trouve que c'est surtout un esprit de défaitisme, dans ce pays qui est affreux, franchement, parce que la France est plus forte que les Français croient. Et donc, dans le monde, si les Français eux-mêmes disent : " Oh, la France, l'Europe, ce n'est pas ça ", tous les autres vont dire : " OK, voilà, c'est fini avec la France, c'est fini avec l'Europe ". Donc, c'est très important pour les Français eux-mêmes d'avoir confiance dans le pays et dans l'Europe.
Ulysse GOSSET - Sur cette question et sur bien d'autres, la réaction, tout de suite après la pause, de Christine LAGARDE qui est notre invitée, ce soir, dans " Le Talk de Paris " ; la réaction du ministre délégué au Commerce extérieur, tout de suite après le journal de FRANCE 24.
- Deuxième et dernière partie -
Ulysse GOSSET - Retour sur le plateau du " Talk de Paris " avec notre invitée, Christine LAGARDE, madame le ministre du Commerce extérieur, et Peter GUMBEL, l'auteur de " French Vertigo ". Christine LAGARDE, vous avez entendu les propos de notre deuxième invité qui parle de défaitisme et il dit " c'est affreux ", si je me souviens bien dans son livre, il parle du coq qui a perdu toute sa splendeur, du coq gaulois bien sûr, et qu'il compare maintenant à une poule mouillée qui a peur de tout et notamment d'être mangée comme une soupe chinoise. Alors qu'est-ce que vous lui répondez, est-ce que les Français sont vraiment défaitistes ?
Christine LAGARDE - Je crois que nous sommes paradoxaux. Quand on regarde bien, on est un pays probablement, un des pays où on mange le mieux au monde, on est tous quand même relativement minces, on est un des pays où les trains arrivent presque toujours à l'heure et où on peste toujours contre les services publics, on est un des pays où on vit très, très bien mais où on se plaint constamment. Et ça c'est un peu cet espèce de paradoxe français extraordinaire qui nous amène à force de nous plaindre à paraître défaitiste. Mais il y a cette schizophrénie incroyable entre cette espèce de vision un peu triste que l'on projète de nous-mêmes, la vraie réalité qui est somme toute qu'on y mange bien, qu'on y vit bien, qu'on s'y transporte bien, qu'on y entreprend pas mal, qu'on a un taux de productivité très fort, qu'on est au coeur d'un très, très grand marché, toute une série d'atouts incroyables, et puis cette espèce de double schizophrénie qui consiste à ce que le regard de l'autre, le regard de l'étranger, est parfois encore plus joli que notre réalité. Donc on est un peu écartelé entre ces deux thèse/antithèse, on porte un regard négatif sur soi, les autres portent un regard très positif sur nous, et puis la réalité se situe quelque part au milieu.
Ulysse GOSSET - D'accord, on est toujours la cinquième puissance mondiale en matière de commerce extérieur, d'exportation, même si on a un gros déficit mais on est tout de même les cinquième, c'est bien, mais tout de même il y a un déclin. Si on compare les chiffres du début du XXIe siècle au début du XXe siècle, il y a un déclin de la France, d'ailleurs aussi une forme de déclin d'un certain nombre de pays européens face aux pays émergents comme la Chine et l'Inde, ça on ne peut pas le nier ?
Christine LAGARDE - Alors plus qu'un déclin moi je dirai que c'est un monde qui s'ouvre avec des acteurs nouveaux qui sont des acteurs émergents et qui viennent prendre leur place dans le marché. Et ce n'est pas seulement la Chine, l'Inde, la Russie, ce sont des pays par exemple comme la Pologne, comme l'Espagne au sein de notre pré-carré européen qui était des acteurs tout à fait mineurs et qui sont en train de prendre leur place sur le marché. On a parfois cette espèce de nostalgie d'une France qui serait le génie français incarnant les grandes idées, incarnant la puissance, incarnant cet espèce d'élan qui existe encore bien entendu mais qu'on partage avec d'autres parce que d'autres sont arrivés aussi sur la scène mondiale.
Ulysse GOSSET - Mais vous qui êtes donc sur le terrain depuis un an et demi maintenant, est-ce que la marque France est difficile à vendre ?
Christine LAGARDE - Pas du tout, pas du tout, la marque France a une espèce d'aura, il y a une envie de France hors de France qui est incroyable. Il n'y a pas un chef d'entreprise dans le monde que j'ai rencontré au cours des 18 derniers mois et j'en ai rencontrés des dizaines qui ne m'aient pas dit " j'ai envie d'investir en France, on a envie même de vivre en France, on est content d'y expatrier nos cadres ". Alors ils râlent aussi en disant que le droit du travail est trop rigide, est trop structuré et que la fiscalité est un peu excessive, que la bureaucratie est lourde, mais c'est peu à côté des atouts qu'ils perçoivent et qu'ils constatent en travaillant en France.
Ulysse GOSSET - Nous savons tout de même qu'il y a beaucoup de chefs d'entreprise qui sont très prudents et même réticents, qui sont un peu effrayés par la crise des banlieues, les manifestations des jeunes sur le CPE, et regardez cette question, vous savez que nous avons des questions d'internautes sur webcam, regardez cette question qui nous arrive des Etats-Unis sur la compétitivité de la France en matière salariale et d'emploi, vous allez voir cette question d'une jeune femme de 25 ans.
Vanessa, Etats-Unis - Bonsoir, Vanessa, j'ai 25 ans, j'ai une question pour Christine LAGARDE. Est-ce que vous pensez qu'un pays puisse facilement concilier protection sociale et compétitivité ? Si oui, qu'est-ce que vous préconisez pour que la France aille dans ce sens ?
Ulysse GOSSET - Christine LAGARDE...
Christine LAGARDE - Je voudrais remercier Vanessa de sa question. La réponse c'est oui, c'est compatible. Quand on regarde aujourd'hui la compétitivité horaire d'un ouvrier français quand on la compare à la compétitivité horaire d'un ouvrier américain ou d'un ouvrier allemand, on s'aperçoit que la compétitivité de l'ouvrier français est pratiquement égale sans tenir compte de l'impact change mais elle est pratiquement égale à celle du salarié américain et elle est meilleure que celle du salarié allemand. Donc si on considère que la protection sociale française est bonne, est généreuse, ce qui est en général tout de même considéré par la plupart des commentateurs, eh bien malgré cette " charge sociale " entre guillemets, la compétitivité toutes charges comprises est quasiment égale, donc c'est compatible.
Ulysse GOSSET - C'est compatible et en même temps on voit qu'on change d'époque et que les Français qui étaient habitués à la grande sécurité en matière sociale vont devoir s'habituer à une plus grande précarité en matière de protection et de retraite aussi.
Christine LAGARDE - Alors les choses qui sont véritablement des changements de fond auxquels il faut que nous nous préparions tous mais pas seulement les Français, les Anglais, les Allemands, les Américains, les Chinois aussi, c'est, un, les changements climatiques considérables qui vont affecter nos vies au quotidien et qu'on n'est pas près d'avoir suffisamment anticipé et, deux, les changements démographiques. Et le changement démographique qui va affecter de toute évidence tous les pays d'Europe de l'ouest c'est le vieillissement de la population accompagné d'un taux de natalité faible. Donc on va avoir une augmentation des inactifs et une diminution des actifs. Donc de ce point de vue-là la protection sociale il va falloir la repenser collectivement.
Ulysse GOSSET - C'est ça, et justement ça peut donner le vertige, je remontre le livre de Peter GUMBEL, ça s'appelle " Le vertige français ", on se souvient de " American Vertigo " de Bernard-Henri LEVY, mais donc le vertige français peut-être parce qu'il y a cette grande faiblesse en France qui est qu'il y a beaucoup de gens qui ne travaillent pas...
Peter GUMBEL - Oui, c'est exactement ça, c'est vrai que la productivité des individus, des Français, c'est très élevé mais en tant que pays c'est très bas par rapport aux autres pays parce que les jeunes, les seniors ne travaillent pas de tout (sic) et les gens qui travaillent, les 35 heures, etc. Donc le niveau de travail, le total c'est beaucoup moins que dans d'autres pays, et pour ça la productivité du pays souffre.
Ulysse GOSSET - Alors je crois que nous pouvons maintenant poursuivre l'analyse de notre sondage. Nous avons une autre question qui a été posée encore une fois dans cinq pays européens et aux Etats-Unis, une question qui concerne les grands défis auxquels nous allons être confrontés. Quelles sont les perceptions des opinions publiques européenne et américaine, quels sont les grands défis pour demain ? Ecoutez les réponses des sondés avec Pauline PACCARD.
Pauline PACCARD - Consensus général autour des défis planétaires : réchauffement de la planète, fanatisme religieux et terrorisme mais ces trois menaces n'ont pas la même importance dans chacun des pays sondés. Alors que les Américains et les Anglais placent le terrorisme en première position, la majorité des Français s'inquiètent plus des dérives climatiques, un défi aussi important pour les Allemands que le fanatisme religieux.
Ulysse GOSSET - Christine LAGARDE, donc consensus planétaire, il faut lutter contre le réchauffement de la planète ?
Christine LAGARDE - Il n'y a aucun doute là-dessus, c'est une cause mondiale à laquelle nous devons tous nous atteler et ce que je constate en regardant ce sondage c'est que finalement l'action politique et l'engagement politique ont leur importance. Le président CHIRAC, je crois, en 2002, c'était au sommet de Johannesburg, avait dit : " la maison brûle et nous regardons ailleurs ". C'est très frappant de constater que les Français parmi tous les autres peuples sondés, sur l'échantillon qui a été retenu, sont ceux qui ont le plus conscience de l'impératif de l'enjeu du réchauffement climatique et des questions d'environnement en général. Ca prouve tout de même que l'action politique peut être un peu efficace.
Ulysse GOSSET - Et Jacques CHIRAC qui dans ses voeux vient d'annoncer la troisième révolution qui nous attend, c'est-à-dire la révolution du développement durable...
Christine LAGARDE - Oui...
Ulysse GOSSET - Ca veut dire beaucoup d'engagement alors que des grands pays comme les Etats-Unis n'ont toujours pas signé le protocole de Kyoto, là il y a une vraie divergence entre l'Europe et les Etats-Unis ?
Christine LAGARDE - Il y a une vraie divergence sur les instruments qui doivent être utilisés pour lutter contre le réchauffement climatique et contre le développement débridé et sans contrôle et surtout sans préservation de l'avenir de la planète. Je crois en revanche qu'un certain nombre d'Etats, que certaines villes américaines vont au-delà de Kyoto, font mieux que Kyoto. Ce qui est important, c'est un petit peu ce que je vous disais tout à l'heure, c'est à la fois l'engagement et l'exécution sur le terrain au quotidien. Et de ce point de vue-là je ne pense pas qu'on ait beaucoup, beaucoup de leçons à donner à un certain nombre d'Etats américains, al Californie, tous les Etats de l'est aussi en partant du Maine et en descendant jusque dans le Massachusetts, tous ces Etats-là sont très, très volontairement engagés dans un processus de développement durable, mais il faut que tous nous y allions et je crois qu'il faut repenser un certain nombre d'outils internationaux pour s'y engager ensemble.
Ulysse GOSSET - Christine LAGARDE, est-ce que ces menaces qui pèsent sur le monde et donc forcément sur l'économie mondiale, est-ce que vous les gérez dans votre démarche vis-à-vis des investisseurs ? Comment faites-vous pour leur parler de tout cela et pour les rassurer s'ils sont inquiets ?
Christine LAGARDE - A deux niveaux, d'abord dans la démarche de l'attractivité de la France, j'essaye au quotidien avec les investisseurs étrangers de leur expliquer quelle est la politique de la France en matière de sécurité et la sécurité ça veut dire à la fois l'accès au territoire, le contrôle de l'immigration, les contrôles aux frontières, ça veut dire la sécurité juridique, ça veut dire la protection de leurs investissements, la liberté de mouvement des capitaux dans le respect des règles que nous nous sommes donné les uns et les autres en Europe. Et puis il y a une autre dimension qui concerne celle de la mondialisation et ça si je peux en dire un mot. Moi j'ai été très frappée quand je suis rentrée en France de l'espèce de grande anxiété de la population française vis-à-vis de ce grand mot de " mondialisation ". Et je pense que nous avons tous des gros efforts à faire pour comprendre ensemble ce qu'est la mondialisation, la manière dont tous nous y participons dans les choses que nous achetons, la provenance des produits que nous achetons, la manière dont nous échangeons par le net, la manière dont nous téléchargeons, dont nous envoyons des messages, tout ça ça participe d'un phénomène de mondialisation qui consiste à raccourcir les distances, à accélérer les échanges et à nous faire être ensemble sur une même planète avec les mêmes menaces. Ces trois menaces sont des menaces d'ordre mondial.
Ulysse GOSSET - Mais alors justement, mondialisation c'est l'intégration de toutes les économies et on s'aperçoit qu'en 2006 on a vécu l'échec des négociations de Doha et certains disent que ça peut être une pause temporaire, d'autres disent que c'est peut-être la mort des accords internationaux et donc peut-être une menace pour la mondialisation...
Christine LAGARDE - Moi je pense que c'est soit...j'espère que c'est une pause salutaire et je pense que ça devrait nous amener à tous reconsidérer le champ d'application de ces accords internationaux. Est-ce qu'on doit simplement se contenter de travailler sur les questions commerciales, sur les questions d'investissements, ou est-ce qu'on ne doit pas avoir des accords qui soient beaucoup plus larges et qui concernent l'environnement, qui concernent le droit social, qui concernent l'investissement, qui concernent la facilitation des échanges et qu'il y ait un spectre beaucoup plus vaste, ça rendra probablement les négociations difficiles mais ça leur donnera un véritable sens pour tous les pays. Parce qu'aujourd'hui ce que l'on constate c'est que chacun des pays regarde les effets sur sa propre économie et aujourd'hui dans un cycle du développement les économies des pays développés ont du mal à équilibrer les jeux dans une perspective de court terme, parce qu'on se dit pourquoi est-ce que je devrais encourager le développement au détriment de mes propres productions, c'est la crainte de la délocalisation.
Ulysse GOSSET - Et c'est le risque de la montée des protectionnismes, des nationalismes, on a vu le patriotisme économique qui a été lancé en France, est-ce que ça vous a gêné vous dans vos démarches ?
Christine LAGARDE - Ca m'a gêné un petit peu, oui, et je vais vous dire, ça me paraît d'autant plus dommage qu'en fait tous les pays du monde aujourd'hui font du patriotisme économique, personne ne le dit sauf nous. Alors que pour autant nous sommes un des pays les plus ouverts au monde, on a, je ne sais pas, 45 % du capital des sociétés du CAC 40 détenus par des capitaux étrangers, un salarié sur sept en France travaille directement ou indirectement pour un investisseur direct étranger, on est le quatrième pays d'accueil des investissements directs étrangers. Donc on est une économie fantastiquement ouverte au monde et pourtant on parle de notre patriotisme économique.
Ulysse GOSSET - Voyons maintenant le dernier volet de notre sondage qui est consacré aux enjeux pour les sociétés européenne et américaine, dernier volet donc avec Pauline PACCARD.
Pauline PACCARD - L'augmentation du coût de la vie est la préoccupation numéro un des citoyens du vieux continent, la pauvreté et le chômage touchent aussi particulièrement les Français et les Allemands alors que les Anglais et les Espagnols se sentent plutôt concernés par l'immigration. Même inquiétude outre-Atlantique mais les Américains accordent eux plutôt la priorité à la réforme de leur système de santé.
Ulysse GOSSET - Christine LAGARDE, on voit qu'aux Etats-Unis la priorité c'est la réforme du système de santé dont on connaît l'état assez déplorable et par contre chez nous c'est l'augmentation du coût de la vie, la pauvreté, le chômage qui sont le plus préoccupant...
Christine LAGARDE - Ca prouve une certaine sagesse de l'échantillon de Français, d'Américains, d'Allemands qui ont été sondés parce que c'est vrai que notre système de santé fonctionne plutôt bien, il a été assez largement réformé, de même que le système des retraites, il y a encore à faire, on n'a pas fini, mais on a quand même bien avancé, alors que les Etats-Unis ont beaucoup à faire pour la réforme de leur système de santé, pour la réforme du régime des retraites. Donc cette perception à deux faces différentes est assez légitime. De la même manière on a déjà beaucoup fait pour le chômage et pour autant nous avons encore un taux de chômage qui est double de celui des Etats-Unis.
Ulysse GOSSET - Justement Peter GUMBEL, vous votre réaction sur ces enjeux...
Peter GUMBEL - Oui, ce que je trouve extraordinaire c'est l'idée que l'augmentation du coût de la vie c'est en place numéro un en France parce que c'est le produit d'une démagogie extraordinaire politique française qui dit que maintenant on est dans une phase d'inflation très élevée, qui n'est pas du tout vraie. Donc si on regarde les statistiques officielles c'est absolument le cas qu'on vit avec un taux d'inflation très bas historiquement. En même temps, c'est vrai que les salaires n'ont pas progressé non plus mais cette augmentation du coût de la vie a été inventée par les hommes et les femmes politiques, monsieur SARKOZY, madame ROYAL aussi, et pour créer vraiment une atmosphère de panique et où on peut critiquer la Banque centrale européenne, l'euro, tout le monde, et ce n'est pas vrai, c'est de la démagogie pure et simple avant les élections. Et c'est extraordinaire qu'avec cette campagne de démagogie on trouve première place, c'est exactement ça, je suis navré franchement.
Ulysse GOSSET - Christine LAGARDE...
Christine LAGARDE - Peter a raison de dire qu'en ce qui concerne l'inflation en tout cas il y a une très, très grande maîtrise de l'inflation. Le chariot à 100 euros qui a été mis en place comme instrument de mesure par Thierry BRETON au début de l'année 2006 a augmenté de 0,91 euros en un an. Donc c'est très, très peu de chose. Et parler de cet espèce de notion de la vie chère, c'est vrai que c'est un peu flatter la bête dans le sens du poil.
Peter GUMBEL - Et c'est extraordinaire que le gouvernement même, vos collègues ne disent pas " attention, la réalité c'est que nous n'avons vraiment pas d'inflation ", ils disent le contraire, monsieur de VILLEPIN dit " oh peut-être que les statistiques ne sont pas exactement ça, il faut faire un nouveau index, etc. ". Donc c'est ça que je comprends mal pourquoi en tant que gouvernement vous ne dites pas " attention, ce n'est pas vrai " ?
Ulysse GOSSET - Christine LAGARDE...
Christine LAGARDE - Je crois que nous en tout cas à l'Economie on l'a dit, on l'a redit, avec la mise en place de ce chariot à 100 euros et du fait qu'il a très, très peu augmenté en un an. Ceci dit, moi je voudrais tout de même ajouter qu'en ce qui concerne la politique monétaire je crois qu'il serait souhaitable qu'on puisse y inclure la perspective de croissance de nos économies et pas seulement de lutte contre l'inflation, ce qui est aujourd'hui la feuille de route de monsieur TRICHET. Je ne suis pas en train de tirer sur la Banque centrale européenne, je dis simplement que la croissance est aussi un des facteurs salutaires d'une feuille de route d'une banque européenne légèrement réformée.
Ulysse GOSSET - Un dernier mot, Christine LAGARDE, puisque nous sommes en début d'année, vos voeux pour le commerce extérieur et pour la France en 2007 ?
Christine LAGARDE - Le voeu que les entreprises aient confiance en elles et que tous ensemble fondant notre force sur cette confiance partagée nous donnions à la France le rang qui est le sien.
Ulysse GOSSET - Vous allez à Davos cette année ?
Christine LAGARDE - Oui.
Ulysse GOSSET - Et ça sera quoi, ça se passera mieux que la dernière fois ?
Christine LAGARDE - On va faire tout ce qu'on peut pour que ça se passe mieux et on va essayer d'être collectif. J'ai rassemblé les entreprises, nous allons nous retrouver juste avant de partir pour être un peu tous sur la même ligne.
Ulysse GOSSET - Merci Christine LAGARDE, merci Peter GUMBEL.
Ulysse GOSSET - Bienvenue sur FRANCE 24 pour cette première émission de l'année du " Talk de Paris ". Je vous présente mes meilleurs voeux pour 2007, une année cruciale pour la France et pour l'Europe, plus que jamais confrontées à de formidables défis. Quels sont, justement, ces grands défis ? La France est-elle encore une grande puissance ? Pour répondre, une femme entrée, il y a peu de temps, en politique, mais qui s'est très vite imposée comme une interlocutrice de poids : Christine LAGARDE, ministre déléguée au Commerce extérieur, bonsoir Madame la Ministre.
Christine LAGARDE - Bonsoir !
Ulysse GOSSET - Quels sont donc les défis auxquels nous sommes confrontés en ce début de siècle, en ce début 2007 ? FRANCE 24 et le " Talk de Paris " ont voulu connaître votre point de vue. Nous avons donc réalisé un grand sondage dans cinq pays européens et aux Etats-Unis avec notre partenaire, l'Institut NOVATRIS/HARRIS ; un sondage que vous pourrez d'ailleurs retrouver sur le site de FRANCE 24 et aussi dans L'INTERNATIONAL HERALD TRIBUNE. Vous allez le voir, les résultats sont passionnants. Nous les analyserons avec Christine LAGARDE, bien sûr et un observateur talentueux de la société française, Peter GUMBEL, que je salue, Peter GUMBEL, auteur du " Vertige français ", " French Vertigo ". Christine LAGARDE, donc 2006 s'est terminée avec une grosse déception. La Chine, en effet, n'a pas commandé de réacteur nucléaire, préférant des réacteurs américains. Pour vous, cela n'a pas été une surprise mais tout de même un coup assez dur pour terminer l'année 2006...
Christine LAGARDE - C'est vrai que ça aurait été plus agréable que la Chine commande quatre EPR plutôt que quatre projets de centrales, parce qu'aujourd'hui les centrales sous licence WESTINGHOUSE ne sont pas véritablement des centrales, il n'y a en a aucune en construction, aucune en projet même, elles sont vraiment sur le papier. Or, c'est un choix des Chinois, il y a d'autres programmes de nombreuses centrales nucléaires qui seront construites en Chine et puis tout un cycle à explorer en amont et en aval de la production d'électricité nucléaire qui reste évidemment en négociation.
Ulysse GOSSET - Cela fait plusieurs milliards de dollars qui s'envolent en fumée pour la France, 5.000 emplois au total et pourtant, on sait qu'il y a eu des gros progrès, en 2006, sur l'exportation qui a fait un bond de 9 %. Alors tout cela, au total, n'a pas, quand même, amélioré les résultats du Commerce extérieur qui sont en déficit, toujours. Quel bilan vous faites de l'année 2006, en la matière ?
Christine LAGARDE - Ecoutez, je fais un bilan assez positif, pour la raison suivante. Parce que, d'abord, on a eu une augmentation au moins égale à celle du commerce mondial actuellement, donc au niveau de nos exportations -ce qui signifie que nous sommes au moins, en stratégie de maintien sinon de très léger gain de nos parts de marché - deuxièmement, nous avions fait le diagnostic, au début de l'année, que nous devions réorienter nos exportations vers des pays à forte croissance comme la Russie, l'Inde, la Chine, les Etats-Unis et le Japon à un moindre degré, en les désignant comme nos cibles et nos pays pilotes et vers ces pays-là, nos exportations ont augmenté d'environ 30 % pour la Chine, 18 % pour la Russie et l'Inde et puis d'à peu près 7 % pour les Etats-Unis, un petit peu moins pour le Japon. Donc, c'est bien...
Ulysse GOSSET - C'est un bon rattrapage...
Christine LAGARDE - ... C'est une bonne orientation. Non, je crois que ce qui est vraiment important, c'est qu'on engage une action pour l'avenir, vers les pays à forte croissance. Parce que, quand vous exportez vers l'Allemagne, qui est aujourd'hui notre premier client et notre premier fournisseur, et que ce pays croît à 1 % - 1,5 %, il a fait beaucoup mieux en 2006 mais tout de même à des taux assez faibles, cela n'augmente pas considérablement nos exportations. Donc, je crois que la réorientation est bonne, et le fait que beaucoup plus de PME envisagent l'exportation comme, non pas une contrainte ou une variable d'ajustement, mais tout simplement comme l'expression de leur activité sur un marché unique qui est le marché du monde.
Ulysse GOSSET - Votre job, c'est de vendre la marque France dans le monde entier. Pour mieux vous connaître, nous avons réalisé un portrait. Pauline PACCARD l'a fait au sein de la rédaction de FRANCE 24. Regardons-le ensemble.
Pauline PACCARD - Discrète, souriante et redoutable... Voici la 30ème femme la plus puissante du monde, selon le magazine américain FORBES. Christine LAGARDE ? LA Madame France de l'étranger. toujours en voyage, cette avocate de 50 ans a passé une grande partie de sa vie à l'étranger, à Chicago surtout où elle dirige, à 43 ans, le plus gros cabinet d'avocats américains, BAKER & MACKENZIE, multinationale de 8.000 employés, au chiffre d'affaires qui dépasse le milliard de dollars. A l'époque déjà, cette mère de famille rêve secrètement d'entrer en politique, comme on entre en mission.
Christine LAGARDE (Chicago, 1999, archives TF1) - En France, il y a quelques exemples de femmes qui ont très bien réussi. Je pense à Anne LAUVERGEON, je pense à Nicole FONTAINE, je pense à un certain nombre de nos femmes ministres qui sont très courageuses, très talentueuses. ON ne les encourage pas beaucoup...
Pauline PACCARD - Retour à Paris en juin 2005 sur demande expresse de Dominique de VILLEPIN, il l'appelle au poste de ministre déléguée au Commerce extérieur, un poste à risque. Elle prend le premier avion, s'installe à Bercy et impose son style : une poigne de fer, 15 minutes de yoga par jour et pas de langue de bois. Une méthode qui marche. On dit qu'elle est l'une des plus écoutées à la table du Conseil des ministres. Féministe, Christine LAGARDE aime citer Françoise GIROUD et pense qu'il ne suffit pas d'être une femme pour exercer des responsabilités, il faut démontrer qu'on a des idées et des compétences. Démonstration plutôt réussie. Les grands de ce monde ne tarissent pas d'éloges à son propos. Prochaine étape pour Madame le Ministre : se rapprocher de l'eau, son élément. Cette ancienne championne de natation synchronisée serait prête à rejoindre Le Havre où beaucoup la voit déjà maire.
Ulysse GOSSET - Christine LAGARDE, est-ce vrai ? Est-ce que vous avez décidé de vous lancer vraiment en politique, c'est-à-dire dans un combat électoral et avec le verdict des urnes pour gagner la mairie du Havre ?
Christine LAGARDE - Je ne suis pas dans une stratégie de gain d'une quelconque mairie. J'ai deux objectifs. Le premier, c'est d'abord de faire mon travail jusqu'à son terme. Le terme, aujourd'hui, c'est la fin de la législature et de le faire pleinement et avec passion. Donc, cela, je vais le faire. Et puis ensuite, d'être à la disposition d'une cause qui m'intéresse et qui soit ancrée dans le territoire, dans le sol et près de la mer, oui, cela c'est vrai et...
Ulysse GOSSET - Au Havre...
Christine LAGARDE - Et auprès d'un maire pour lequel j'ai une énorme estime, beaucoup d'affection, beaucoup d'admiration, qui est Antoine RUFFENACH, qui a transformé une ville dans laquelle j'ai passé toute mon enfance, que j'aime, et il l'a transformée vers quelque chose de véritablement attirant, attractif, en transformant parfois des éléments qui étaient perçus de manière très négative, en positif. Et ce transfert du négatif en positif est une démarche passionnante à laquelle j'aimerais m'associer avec lui.
Ulysse GOSSET - Donc vous restez en France, vous ne repartez plus pour des contrées lointaines ?
Christine LAGARDE - Je ne vais pas m'installer en Suisse, non ! (Rire)
Ulysse GOSSET - (Rire) Alors regardons sur notre site Internet, les questions qui nous sont parvenues vous concernant et nous allons en avoir une tout de suite : " Christine LAGARDE aimerait-elle redevenir ministre après les prochaines élections si on lui en faisait la proposition ? "
Christine LAGARDE - Cela dépend de celui qui la proposerait.
Ulysse GOSSET - Si c'est Nicolas SARKOZY ?
Christine LAGARDE - Absolument, oui...
Ulysse GOSSET - Pas si c'est Ségolène ROYAL...
Christine LAGARDE - Sans aucun doute non. (Rire)
Ulysse GOSSET - Pourquoi ?
Christine LAGARDE - Parce que je crois...
Ulysse GOSSET - C'est une femme, après tout...
Christine LAGARDE - Non... cela, je crois que votre reporter le dit très justement, ce n'est pas le sexe qui fait la qualité ou la réussite. Je crois véritablement au mérite profond, aux idées, aux principes, aux ambitions et de ce point de vue-là, Nicolas SARKOZY, dans ses programmes, dans ses discours, dans le changement qu'il incarne, y compris avec cette espèce d'énergie qui, parfois, est analysée comme de l'agressivité et que moi j'ai vu, en pratique, déployée comme de l'énergie et pas comme de l'agressivité, ces qualités-là, au service de ce programme-là me paraît indispensable pour entraîner la France là où elle doit être, c'est-à-dire en tête.
Ulysse GOSSET - Et s'il y avait un gouvernement d'union nationale, vous seriez prête à tenter le jeu avec d'autres ministres qui ne soient pas forcément de votre bord politique, avec des gens de gauche, par exemple ?
Christine LAGARDE - Tout doit être jugé sur les engagements qui sont pris, sur les principes qui sont défendus et sur les ambitions qui sont affichées. Et puis sur la volonté de les réaliser, parce que cela compte aussi. Moi, je l'ai vécu dans ma vie professionnelle, faire des programmes, faire des discours, c'est une chose, les exécuter au quotidien et tirer la machine avec soi, c'est cela qui compte.
Ulysse GOSSET - Justement, on se souvient de votre petite phrase qui avait marqué vos débuts au ministère, lorsque vous avez dit " Pour lutter contre le chômage, il faut d'abord commencer par réformer le Code du travail " et puis, houps ! La petite phrase a disparu... Vous avez perdu votre liberté de parole au ministère ?
Christine LAGARDE - En tout cas, j'ai perdu l'amplitude du territoire dont je disposais, quand j'étais chef d'entreprise. Et j'ai compris rapidement que j'avais un pré carré qui était celui du Commerce extérieur et que je pouvais avoir mes sentiments, mes opinions, mais que je n'avais pas forcément à les exprimer sur le territoire des autres. Ce qui ne m'empêche pas, rétrospectivement et à l'analyse des forces et des faiblesses du commerce extérieur français, de continuer à penser profondément que le commerce extérieur français, c'est aussi le droit du travail en France.
Ulysse GOSSET - Et donc, cela veut dire que, après les prochaines élections, il faudrait s'attaquer à nouveau à cette réforme du Code du travail que vous aviez souhaitée ?
Christine LAGARDE - J'en suis convaincue, oui...
Ulysse GOSSET - Il faudra réformer le Code du travail...
Christine LAGARDE - Il faudra le réformer, me semble-t-il, il faudra le simplifier, il faudra introduire beaucoup plus de fluidité pour permettre aux entreprises et aux hommes d'être beaucoup plus agiles ; parce qu'on n'est pas, aujourd'hui, dans un monde qui est rigide, qui est encadré, qui est discipliné. On est dans un monde qui est en mouvement perpétuel et en mouvement rapide. Donc, si on est, dans ce mouvement-là, une force très sclérosée, on n'y arrivera pas ! Il faut être capable de souplesse et d'agilité.
Ulysse GOSSET - Justement, une autre proposition de réforme qui nous vient encore d'un internaute, c'est notre deuxième question : " Pourquoi les hommes politiques ne s'engagent-ils pas sur leur programme au moment d'entrer en fonction, pour qu'ensuite le peuple puisse se prononcer par voie électorale sur leur maintien ou non au pouvoir, ministère ou poste par poste ? "
Christine LAGARDE - Ministère ou poste par poste, c'est un peu compliqué parce que, a priori, le travail d'un gouvernement, c'est quand même un travail d'équipe. Et il y a, à la mise en place d'un gouvernement, un discours de politique générale qui est prononcé par le Premier ministre devant l'Assemblée nationale - qui représente donc l'ensemble du peuple de France - dans lequel il s'engage, au nom et pour le compte des membres de son gouvernement, sur un certain nombre d'objectifs. Et la fonction des urnes légitimes, au terme de chaque législature, au terme de chaque mandat, c'est évidemment, pour les hommes politiques, de revenir devant le peuple et de dire : " Voilà ce que je m'étais engagé à faire, voilà ce que j'ai réalisé, voilà ce que je suis prêt à faire pour le futur "... Donc, je pense que cela fonctionne un peu...
Ulysse GOSSET - Donc, c'est un petit peu la reprise de la fameuse idée des " jurys populaires " entre guillemets, mais cette fois, au niveau ministériel, c'est possible en France ou pas ?
Christine LAGARDE - Mais cette histoire de jury populaire, cela n'a aucun sens, si vous voulez ! Il y a un principe électoral, il y a des cycles dans lequel s'inscrit toute vie politique, et l'expérience que j'ai, et de la vie privée dans le secteur privé et de la vie dans le secteur public, c'est que si l'on fonctionne à des échéances très courtes, on est capable de rien réaliser. Pour faire de vraies réformes, pour entraîner un changement et pour l'exécution au quotidien, il faut s'inscrire dans le temps ! Cinq ans, cela me paraît, à moi personnellement, le minimum de temps pour vraiment engager, exécuter et récolter ce que l'on a semé en terme de changement.
Ulysse GOSSET - Merci. Alors question de cette émission : la France est-elle encore une grande puissance ? Regardons les résultats de notre sondage ; un sondage que nous avons réalisé dans 5 pays européens et aux Etats-Unis avec notre partenaire l'Institut NOVATRIS/HARRIS POL (phon), un sondage que vous pourrez d'ailleurs retrouver sur le site de FRANCE 24, et aussi dans l'INTERNATIONAL HERALD TRIBUNE. Première question : quelle est l'influence de chaque pays dans le monde ? Quelle est l'influence de l'Europe ? Regardons vos réponses, celles des sondés avec Pauline PACCARD.
Pauline PACCARD - Etats-Unis, Chine, Russie, Grande Bretagne et France, les pays les plus influents dans le monde sont les membres du Conseil de sécurité de l'ONU. Sans surprise, les Etats-Unis restent en première position, plébiscitée par les sondés américains, mais aussi par tous les autres pays interrogés. La Chine arrive en numéro deux. Français, Américains et Anglais placent Pékin juste après les Etats-Unis. Surprise, sur le score de la Russie qui arrive en troisième position ; surprise, aussi, sur un grand pays émergent, l'Inde, qui est reléguée à la 6ème place, loin derrière la France et l'Allemagne. Selon les sondés, l'Europe est véritablement devenir une puissance mondiale à jeu quasi égal avec les Etats-Unis. Quatre-vingt-dix pour cent des Allemands et des Américains partagent cet avis, ainsi que 86 % des Anglais, pourtant souvent considérés comme " eurosceptiques ". Un chiffre plus surprenant, plus d'un quart des Français n'accorde pas une grande influence à l'Union européenne sur la scène mondiale. Ils sont plus unanimes au sujet de la Chine qu'ils ont placée devant l'Europe.
Ulysse GOSSET - Alors Christine LAGARDE, votre réaction, les Etats-Unis, bien sûr, hyper puissance ; l'Inde n'est pas dans le palmarès, elle viendra peut-être plus tard, mais votre réaction à vous sur la France ?
Christine LAGARDE - Non, deux réactions. La première, c'est qu'il y a deux facteurs qui sont quand même déterminants : la géographie et l'économie. Quand on voit les pays qui sont en tête, considérés comme les plus influents ; deuxième observation, je suis étonnée du score que réalise l'Inde, parce que je crois que c'est un pays qui est beaucoup plus influent que ne le laisse paraître les sondages. Je regarde, par exemple, le dialogue de l'OMC, les négociations en cours, l'Inde est un pays totalement pivot dans ces négociations.
Ulysse GOSSET - Et vous, Peter GUMBEL, je rappelle que vous êtes l'auteur de " French vertigo " - " le Vertige français " - votre réaction sur cette première question, c'est, je crois, la présence très forte en troisième position de la Russie ?
Peter GUMBEL - Oui, tout à fait ! C'est étonnant ! Il y a 15 ans, la Russie, c'était nulle part. Maintenant, avec POUTINE, avec cette politique du pétrole, on est en train de remonter très vivement. Deuxième chose qui me frappe beaucoup, c'est que les Français, eux-mêmes, sont très sceptiques vis-à-vis de la France et de l'Europe. C'est un peu ce manque de confiance dans la France et dans l'Europe qu'on constate dans la vie quotidienne française.
Ulysse GOSSET - Et à votre avis, on explique cela comment ?
Peter GUMBEL - Je trouve que c'est surtout un esprit de défaitisme, dans ce pays qui est affreux, franchement, parce que la France est plus forte que les Français croient. Et donc, dans le monde, si les Français eux-mêmes disent : " Oh, la France, l'Europe, ce n'est pas ça ", tous les autres vont dire : " OK, voilà, c'est fini avec la France, c'est fini avec l'Europe ". Donc, c'est très important pour les Français eux-mêmes d'avoir confiance dans le pays et dans l'Europe.
Ulysse GOSSET - Sur cette question et sur bien d'autres, la réaction, tout de suite après la pause, de Christine LAGARDE qui est notre invitée, ce soir, dans " Le Talk de Paris " ; la réaction du ministre délégué au Commerce extérieur, tout de suite après le journal de FRANCE 24.
- Deuxième et dernière partie -
Ulysse GOSSET - Retour sur le plateau du " Talk de Paris " avec notre invitée, Christine LAGARDE, madame le ministre du Commerce extérieur, et Peter GUMBEL, l'auteur de " French Vertigo ". Christine LAGARDE, vous avez entendu les propos de notre deuxième invité qui parle de défaitisme et il dit " c'est affreux ", si je me souviens bien dans son livre, il parle du coq qui a perdu toute sa splendeur, du coq gaulois bien sûr, et qu'il compare maintenant à une poule mouillée qui a peur de tout et notamment d'être mangée comme une soupe chinoise. Alors qu'est-ce que vous lui répondez, est-ce que les Français sont vraiment défaitistes ?
Christine LAGARDE - Je crois que nous sommes paradoxaux. Quand on regarde bien, on est un pays probablement, un des pays où on mange le mieux au monde, on est tous quand même relativement minces, on est un des pays où les trains arrivent presque toujours à l'heure et où on peste toujours contre les services publics, on est un des pays où on vit très, très bien mais où on se plaint constamment. Et ça c'est un peu cet espèce de paradoxe français extraordinaire qui nous amène à force de nous plaindre à paraître défaitiste. Mais il y a cette schizophrénie incroyable entre cette espèce de vision un peu triste que l'on projète de nous-mêmes, la vraie réalité qui est somme toute qu'on y mange bien, qu'on y vit bien, qu'on s'y transporte bien, qu'on y entreprend pas mal, qu'on a un taux de productivité très fort, qu'on est au coeur d'un très, très grand marché, toute une série d'atouts incroyables, et puis cette espèce de double schizophrénie qui consiste à ce que le regard de l'autre, le regard de l'étranger, est parfois encore plus joli que notre réalité. Donc on est un peu écartelé entre ces deux thèse/antithèse, on porte un regard négatif sur soi, les autres portent un regard très positif sur nous, et puis la réalité se situe quelque part au milieu.
Ulysse GOSSET - D'accord, on est toujours la cinquième puissance mondiale en matière de commerce extérieur, d'exportation, même si on a un gros déficit mais on est tout de même les cinquième, c'est bien, mais tout de même il y a un déclin. Si on compare les chiffres du début du XXIe siècle au début du XXe siècle, il y a un déclin de la France, d'ailleurs aussi une forme de déclin d'un certain nombre de pays européens face aux pays émergents comme la Chine et l'Inde, ça on ne peut pas le nier ?
Christine LAGARDE - Alors plus qu'un déclin moi je dirai que c'est un monde qui s'ouvre avec des acteurs nouveaux qui sont des acteurs émergents et qui viennent prendre leur place dans le marché. Et ce n'est pas seulement la Chine, l'Inde, la Russie, ce sont des pays par exemple comme la Pologne, comme l'Espagne au sein de notre pré-carré européen qui était des acteurs tout à fait mineurs et qui sont en train de prendre leur place sur le marché. On a parfois cette espèce de nostalgie d'une France qui serait le génie français incarnant les grandes idées, incarnant la puissance, incarnant cet espèce d'élan qui existe encore bien entendu mais qu'on partage avec d'autres parce que d'autres sont arrivés aussi sur la scène mondiale.
Ulysse GOSSET - Mais vous qui êtes donc sur le terrain depuis un an et demi maintenant, est-ce que la marque France est difficile à vendre ?
Christine LAGARDE - Pas du tout, pas du tout, la marque France a une espèce d'aura, il y a une envie de France hors de France qui est incroyable. Il n'y a pas un chef d'entreprise dans le monde que j'ai rencontré au cours des 18 derniers mois et j'en ai rencontrés des dizaines qui ne m'aient pas dit " j'ai envie d'investir en France, on a envie même de vivre en France, on est content d'y expatrier nos cadres ". Alors ils râlent aussi en disant que le droit du travail est trop rigide, est trop structuré et que la fiscalité est un peu excessive, que la bureaucratie est lourde, mais c'est peu à côté des atouts qu'ils perçoivent et qu'ils constatent en travaillant en France.
Ulysse GOSSET - Nous savons tout de même qu'il y a beaucoup de chefs d'entreprise qui sont très prudents et même réticents, qui sont un peu effrayés par la crise des banlieues, les manifestations des jeunes sur le CPE, et regardez cette question, vous savez que nous avons des questions d'internautes sur webcam, regardez cette question qui nous arrive des Etats-Unis sur la compétitivité de la France en matière salariale et d'emploi, vous allez voir cette question d'une jeune femme de 25 ans.
Vanessa, Etats-Unis - Bonsoir, Vanessa, j'ai 25 ans, j'ai une question pour Christine LAGARDE. Est-ce que vous pensez qu'un pays puisse facilement concilier protection sociale et compétitivité ? Si oui, qu'est-ce que vous préconisez pour que la France aille dans ce sens ?
Ulysse GOSSET - Christine LAGARDE...
Christine LAGARDE - Je voudrais remercier Vanessa de sa question. La réponse c'est oui, c'est compatible. Quand on regarde aujourd'hui la compétitivité horaire d'un ouvrier français quand on la compare à la compétitivité horaire d'un ouvrier américain ou d'un ouvrier allemand, on s'aperçoit que la compétitivité de l'ouvrier français est pratiquement égale sans tenir compte de l'impact change mais elle est pratiquement égale à celle du salarié américain et elle est meilleure que celle du salarié allemand. Donc si on considère que la protection sociale française est bonne, est généreuse, ce qui est en général tout de même considéré par la plupart des commentateurs, eh bien malgré cette " charge sociale " entre guillemets, la compétitivité toutes charges comprises est quasiment égale, donc c'est compatible.
Ulysse GOSSET - C'est compatible et en même temps on voit qu'on change d'époque et que les Français qui étaient habitués à la grande sécurité en matière sociale vont devoir s'habituer à une plus grande précarité en matière de protection et de retraite aussi.
Christine LAGARDE - Alors les choses qui sont véritablement des changements de fond auxquels il faut que nous nous préparions tous mais pas seulement les Français, les Anglais, les Allemands, les Américains, les Chinois aussi, c'est, un, les changements climatiques considérables qui vont affecter nos vies au quotidien et qu'on n'est pas près d'avoir suffisamment anticipé et, deux, les changements démographiques. Et le changement démographique qui va affecter de toute évidence tous les pays d'Europe de l'ouest c'est le vieillissement de la population accompagné d'un taux de natalité faible. Donc on va avoir une augmentation des inactifs et une diminution des actifs. Donc de ce point de vue-là la protection sociale il va falloir la repenser collectivement.
Ulysse GOSSET - C'est ça, et justement ça peut donner le vertige, je remontre le livre de Peter GUMBEL, ça s'appelle " Le vertige français ", on se souvient de " American Vertigo " de Bernard-Henri LEVY, mais donc le vertige français peut-être parce qu'il y a cette grande faiblesse en France qui est qu'il y a beaucoup de gens qui ne travaillent pas...
Peter GUMBEL - Oui, c'est exactement ça, c'est vrai que la productivité des individus, des Français, c'est très élevé mais en tant que pays c'est très bas par rapport aux autres pays parce que les jeunes, les seniors ne travaillent pas de tout (sic) et les gens qui travaillent, les 35 heures, etc. Donc le niveau de travail, le total c'est beaucoup moins que dans d'autres pays, et pour ça la productivité du pays souffre.
Ulysse GOSSET - Alors je crois que nous pouvons maintenant poursuivre l'analyse de notre sondage. Nous avons une autre question qui a été posée encore une fois dans cinq pays européens et aux Etats-Unis, une question qui concerne les grands défis auxquels nous allons être confrontés. Quelles sont les perceptions des opinions publiques européenne et américaine, quels sont les grands défis pour demain ? Ecoutez les réponses des sondés avec Pauline PACCARD.
Pauline PACCARD - Consensus général autour des défis planétaires : réchauffement de la planète, fanatisme religieux et terrorisme mais ces trois menaces n'ont pas la même importance dans chacun des pays sondés. Alors que les Américains et les Anglais placent le terrorisme en première position, la majorité des Français s'inquiètent plus des dérives climatiques, un défi aussi important pour les Allemands que le fanatisme religieux.
Ulysse GOSSET - Christine LAGARDE, donc consensus planétaire, il faut lutter contre le réchauffement de la planète ?
Christine LAGARDE - Il n'y a aucun doute là-dessus, c'est une cause mondiale à laquelle nous devons tous nous atteler et ce que je constate en regardant ce sondage c'est que finalement l'action politique et l'engagement politique ont leur importance. Le président CHIRAC, je crois, en 2002, c'était au sommet de Johannesburg, avait dit : " la maison brûle et nous regardons ailleurs ". C'est très frappant de constater que les Français parmi tous les autres peuples sondés, sur l'échantillon qui a été retenu, sont ceux qui ont le plus conscience de l'impératif de l'enjeu du réchauffement climatique et des questions d'environnement en général. Ca prouve tout de même que l'action politique peut être un peu efficace.
Ulysse GOSSET - Et Jacques CHIRAC qui dans ses voeux vient d'annoncer la troisième révolution qui nous attend, c'est-à-dire la révolution du développement durable...
Christine LAGARDE - Oui...
Ulysse GOSSET - Ca veut dire beaucoup d'engagement alors que des grands pays comme les Etats-Unis n'ont toujours pas signé le protocole de Kyoto, là il y a une vraie divergence entre l'Europe et les Etats-Unis ?
Christine LAGARDE - Il y a une vraie divergence sur les instruments qui doivent être utilisés pour lutter contre le réchauffement climatique et contre le développement débridé et sans contrôle et surtout sans préservation de l'avenir de la planète. Je crois en revanche qu'un certain nombre d'Etats, que certaines villes américaines vont au-delà de Kyoto, font mieux que Kyoto. Ce qui est important, c'est un petit peu ce que je vous disais tout à l'heure, c'est à la fois l'engagement et l'exécution sur le terrain au quotidien. Et de ce point de vue-là je ne pense pas qu'on ait beaucoup, beaucoup de leçons à donner à un certain nombre d'Etats américains, al Californie, tous les Etats de l'est aussi en partant du Maine et en descendant jusque dans le Massachusetts, tous ces Etats-là sont très, très volontairement engagés dans un processus de développement durable, mais il faut que tous nous y allions et je crois qu'il faut repenser un certain nombre d'outils internationaux pour s'y engager ensemble.
Ulysse GOSSET - Christine LAGARDE, est-ce que ces menaces qui pèsent sur le monde et donc forcément sur l'économie mondiale, est-ce que vous les gérez dans votre démarche vis-à-vis des investisseurs ? Comment faites-vous pour leur parler de tout cela et pour les rassurer s'ils sont inquiets ?
Christine LAGARDE - A deux niveaux, d'abord dans la démarche de l'attractivité de la France, j'essaye au quotidien avec les investisseurs étrangers de leur expliquer quelle est la politique de la France en matière de sécurité et la sécurité ça veut dire à la fois l'accès au territoire, le contrôle de l'immigration, les contrôles aux frontières, ça veut dire la sécurité juridique, ça veut dire la protection de leurs investissements, la liberté de mouvement des capitaux dans le respect des règles que nous nous sommes donné les uns et les autres en Europe. Et puis il y a une autre dimension qui concerne celle de la mondialisation et ça si je peux en dire un mot. Moi j'ai été très frappée quand je suis rentrée en France de l'espèce de grande anxiété de la population française vis-à-vis de ce grand mot de " mondialisation ". Et je pense que nous avons tous des gros efforts à faire pour comprendre ensemble ce qu'est la mondialisation, la manière dont tous nous y participons dans les choses que nous achetons, la provenance des produits que nous achetons, la manière dont nous échangeons par le net, la manière dont nous téléchargeons, dont nous envoyons des messages, tout ça ça participe d'un phénomène de mondialisation qui consiste à raccourcir les distances, à accélérer les échanges et à nous faire être ensemble sur une même planète avec les mêmes menaces. Ces trois menaces sont des menaces d'ordre mondial.
Ulysse GOSSET - Mais alors justement, mondialisation c'est l'intégration de toutes les économies et on s'aperçoit qu'en 2006 on a vécu l'échec des négociations de Doha et certains disent que ça peut être une pause temporaire, d'autres disent que c'est peut-être la mort des accords internationaux et donc peut-être une menace pour la mondialisation...
Christine LAGARDE - Moi je pense que c'est soit...j'espère que c'est une pause salutaire et je pense que ça devrait nous amener à tous reconsidérer le champ d'application de ces accords internationaux. Est-ce qu'on doit simplement se contenter de travailler sur les questions commerciales, sur les questions d'investissements, ou est-ce qu'on ne doit pas avoir des accords qui soient beaucoup plus larges et qui concernent l'environnement, qui concernent le droit social, qui concernent l'investissement, qui concernent la facilitation des échanges et qu'il y ait un spectre beaucoup plus vaste, ça rendra probablement les négociations difficiles mais ça leur donnera un véritable sens pour tous les pays. Parce qu'aujourd'hui ce que l'on constate c'est que chacun des pays regarde les effets sur sa propre économie et aujourd'hui dans un cycle du développement les économies des pays développés ont du mal à équilibrer les jeux dans une perspective de court terme, parce qu'on se dit pourquoi est-ce que je devrais encourager le développement au détriment de mes propres productions, c'est la crainte de la délocalisation.
Ulysse GOSSET - Et c'est le risque de la montée des protectionnismes, des nationalismes, on a vu le patriotisme économique qui a été lancé en France, est-ce que ça vous a gêné vous dans vos démarches ?
Christine LAGARDE - Ca m'a gêné un petit peu, oui, et je vais vous dire, ça me paraît d'autant plus dommage qu'en fait tous les pays du monde aujourd'hui font du patriotisme économique, personne ne le dit sauf nous. Alors que pour autant nous sommes un des pays les plus ouverts au monde, on a, je ne sais pas, 45 % du capital des sociétés du CAC 40 détenus par des capitaux étrangers, un salarié sur sept en France travaille directement ou indirectement pour un investisseur direct étranger, on est le quatrième pays d'accueil des investissements directs étrangers. Donc on est une économie fantastiquement ouverte au monde et pourtant on parle de notre patriotisme économique.
Ulysse GOSSET - Voyons maintenant le dernier volet de notre sondage qui est consacré aux enjeux pour les sociétés européenne et américaine, dernier volet donc avec Pauline PACCARD.
Pauline PACCARD - L'augmentation du coût de la vie est la préoccupation numéro un des citoyens du vieux continent, la pauvreté et le chômage touchent aussi particulièrement les Français et les Allemands alors que les Anglais et les Espagnols se sentent plutôt concernés par l'immigration. Même inquiétude outre-Atlantique mais les Américains accordent eux plutôt la priorité à la réforme de leur système de santé.
Ulysse GOSSET - Christine LAGARDE, on voit qu'aux Etats-Unis la priorité c'est la réforme du système de santé dont on connaît l'état assez déplorable et par contre chez nous c'est l'augmentation du coût de la vie, la pauvreté, le chômage qui sont le plus préoccupant...
Christine LAGARDE - Ca prouve une certaine sagesse de l'échantillon de Français, d'Américains, d'Allemands qui ont été sondés parce que c'est vrai que notre système de santé fonctionne plutôt bien, il a été assez largement réformé, de même que le système des retraites, il y a encore à faire, on n'a pas fini, mais on a quand même bien avancé, alors que les Etats-Unis ont beaucoup à faire pour la réforme de leur système de santé, pour la réforme du régime des retraites. Donc cette perception à deux faces différentes est assez légitime. De la même manière on a déjà beaucoup fait pour le chômage et pour autant nous avons encore un taux de chômage qui est double de celui des Etats-Unis.
Ulysse GOSSET - Justement Peter GUMBEL, vous votre réaction sur ces enjeux...
Peter GUMBEL - Oui, ce que je trouve extraordinaire c'est l'idée que l'augmentation du coût de la vie c'est en place numéro un en France parce que c'est le produit d'une démagogie extraordinaire politique française qui dit que maintenant on est dans une phase d'inflation très élevée, qui n'est pas du tout vraie. Donc si on regarde les statistiques officielles c'est absolument le cas qu'on vit avec un taux d'inflation très bas historiquement. En même temps, c'est vrai que les salaires n'ont pas progressé non plus mais cette augmentation du coût de la vie a été inventée par les hommes et les femmes politiques, monsieur SARKOZY, madame ROYAL aussi, et pour créer vraiment une atmosphère de panique et où on peut critiquer la Banque centrale européenne, l'euro, tout le monde, et ce n'est pas vrai, c'est de la démagogie pure et simple avant les élections. Et c'est extraordinaire qu'avec cette campagne de démagogie on trouve première place, c'est exactement ça, je suis navré franchement.
Ulysse GOSSET - Christine LAGARDE...
Christine LAGARDE - Peter a raison de dire qu'en ce qui concerne l'inflation en tout cas il y a une très, très grande maîtrise de l'inflation. Le chariot à 100 euros qui a été mis en place comme instrument de mesure par Thierry BRETON au début de l'année 2006 a augmenté de 0,91 euros en un an. Donc c'est très, très peu de chose. Et parler de cet espèce de notion de la vie chère, c'est vrai que c'est un peu flatter la bête dans le sens du poil.
Peter GUMBEL - Et c'est extraordinaire que le gouvernement même, vos collègues ne disent pas " attention, la réalité c'est que nous n'avons vraiment pas d'inflation ", ils disent le contraire, monsieur de VILLEPIN dit " oh peut-être que les statistiques ne sont pas exactement ça, il faut faire un nouveau index, etc. ". Donc c'est ça que je comprends mal pourquoi en tant que gouvernement vous ne dites pas " attention, ce n'est pas vrai " ?
Ulysse GOSSET - Christine LAGARDE...
Christine LAGARDE - Je crois que nous en tout cas à l'Economie on l'a dit, on l'a redit, avec la mise en place de ce chariot à 100 euros et du fait qu'il a très, très peu augmenté en un an. Ceci dit, moi je voudrais tout de même ajouter qu'en ce qui concerne la politique monétaire je crois qu'il serait souhaitable qu'on puisse y inclure la perspective de croissance de nos économies et pas seulement de lutte contre l'inflation, ce qui est aujourd'hui la feuille de route de monsieur TRICHET. Je ne suis pas en train de tirer sur la Banque centrale européenne, je dis simplement que la croissance est aussi un des facteurs salutaires d'une feuille de route d'une banque européenne légèrement réformée.
Ulysse GOSSET - Un dernier mot, Christine LAGARDE, puisque nous sommes en début d'année, vos voeux pour le commerce extérieur et pour la France en 2007 ?
Christine LAGARDE - Le voeu que les entreprises aient confiance en elles et que tous ensemble fondant notre force sur cette confiance partagée nous donnions à la France le rang qui est le sien.
Ulysse GOSSET - Vous allez à Davos cette année ?
Christine LAGARDE - Oui.
Ulysse GOSSET - Et ça sera quoi, ça se passera mieux que la dernière fois ?
Christine LAGARDE - On va faire tout ce qu'on peut pour que ça se passe mieux et on va essayer d'être collectif. J'ai rassemblé les entreprises, nous allons nous retrouver juste avant de partir pour être un peu tous sur la même ligne.
Ulysse GOSSET - Merci Christine LAGARDE, merci Peter GUMBEL.