Déclaration de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, sur la politique de l'emploi, la précarité et la pauvreté, le pouvoir d'achat et le logement, Paris le 14 décembre 2006.

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Circonstance : Conférence de l'emploi et des revenus à Paris le 14 décembre 2006

Texte intégral


Monsieur le Premier Ministre,
A l'automne 2005, la CFDT faisait le constat préoccupant du poids grandissant du coût incompressible sur le pouvoir d'achat des ménages du transport, de l'énergie, du logement, de la santé...
Elle vous alertait sur la nécessité d'une intervention forte et rapide de l'Etat sur des questions qui relèvent de sa compétence et de son pouvoir d'action. La CFDT vous demandait à ce titre la tenue d'une conférence des revenus.
Plus d'une année s'est écoulée avant que cette conférence ne se tienne et force est de constater que la dégradation du pouvoir d'achat demeure, elle s'est même accentuée.
Le CERC et l'INSEE relèvent que près de 7 millions de personnes dont 2 millions de salariés vivent aujourd'hui en France avec moins de 800 euros par mois.
Pour la CFDT, ce n'est pas seulement un constat, cette situation inacceptable est une atteinte à la dignité qu'aucun responsable en France ne peut tolérer et qui rend particulièrement choquants les discours parfois moralisateurs sur la valeur travail.
A ce scandale de la pauvreté en France, s'ajoute la perte de pouvoir d'achat progressive et moins visible d'une grande partie des salariés, en particulier de ceux qui composent ce qu'on a coutume d'appeler les classes moyennes.
Ces salariés auxquels certains voudraient faire croire, en brandissant hypocritement le chiffon rouge des 35h, qu'il suffirait que chacun choisisse de travailler plus pour gagner plus.
Qui peut-être dupe de cet artifice quand des milliers de salariés voudraient plus simplement arriver à travailler toute l'année ou attendent désespérément d'augmenter le temps partiel qui leur est imposé.
Ce sont principalement ces deux causes de sous emploi facteurs de pauvreté que relève le CERC.
N'oublions pas, lorsque nous nous réjouissons de l'augmentation du taux d'emploi des femmes qu'un grand nombre d'entre elles travaillent à temps partiel et que cela est rarement un choix.
C'est donc à juste titre que cette conférence doit porter sur les revenus et sur l'emploi.
Car il s'agit bien de mettre en lumière, à travers cette crise du pouvoir d'achat et la persistance d'un haut niveau de chômage, l'impasse d'une politique de l'emploi focalisée sur le coût du travail dont l'allégement de charges sur les bas salaires a été l'arme exclusive.
Cette politique d'allègements de charges particulièrement coûteuse, initiée pour faire face à la mondialisation mais pratiquée en aveugle, sans contrepartie et jamais évaluée, a progressivement enfermé les entreprises dans la seule recherche du maintien à tout prix de ces aides.
Elle a par voie de conséquence consigné les salariés dans une généralisation durable de salaires avoisinant le SMIC.
Faire ainsi des bas salaires, le centre de gravité des politiques publiques d'emploi a conduit à des évolutions préjudiciables aux salariés, aux entreprises et à notre économie.
En effet,
- les bas salaires s'étendent désormais à l'emploi qualifié, il s'agit d'une véritable dérive qui se traduit par le déclassement d'un grand nombre de salariés. Le sentiment de déclassement s'étend chez les jeunes qualifiés et tend à se diffuser chez les cadres.
- Les salariés sans qualification ainsi mis en concurrence avec les salariés qualifiés se sont vus encore davantage exclus des perspectives d'emploi. Une situation que confirme la persistance d'un taux de chômage élevé des non qualifiés.
- Une dérive qui a aussi pour conséquence de désinciter les entreprises à négocier les salaires, à produire l'effort de formation et de qualification hypothéquant ainsi sérieusement leur avenir et celui de leurs salariés.
- A ce déficit d'investissement dans le capital humain s'ajoute, comme le souligne le rapport du CERC, la faible place dans la valeur ajoutée des entreprises de l'investissement dans la recherche et l'innovation qui sont pourtant les principaux vecteurs de développement de notre économie.
- Enfin, cette situation constitue une grave entorse aux objectifs de Lisbonne en vue de la construction d'une économie de la connaissance sur lesquels la France s'est solennellement engagée en 2000.
De ces éléments de constat et d'analyse la CFDT retire plusieurs exigences
En premier lieu, l'exigence de mesures concrètes et urgentes qui relèvent des pouvoirs publics et répondent aux préoccupations immédiates des salariés en ce qui concerne le transport, le logement et la couverture santé complémentaire.
S'agissant du transport, beaucoup de salariés sont contraints à vivre de plus en plus éloignés de leur lieu de travail et à utiliser des moyens de transport personnels dont le coût s'est fortement accentué en quelques mois.
Nous avions demandé la mise en place d'un chèque transport qui permette aux salariés du public comme du privé, à l'instar de l'Ile de France, de percevoir une participation de l'employeur au coût du transport collectif et d'imaginer une aide forfaitaire pour ceux qui sont obligés d'utiliser leur véhicule.
Le dispositif facultatif décidé par le gouvernement ne répond ni aux besoins manifestés par les salariés, ni à l'exigence d'équité que requiert une mesure publique.
La CFDT réaffirme ici l'exigence de la mise en oeuvre d'un chèque transport qui s'applique à tous.
S'agissant du logement, depuis plusieurs années son coût ne cesse d'augmenter pesant de plus en plus sur les revenus les plus faibles.
Grâce à l'action des partenaires sociaux, la mise en place d'un système de garantie du risque locatif en échange de la modération des loyers est en cours et devrait permettre de soulager le marché locatif.
Cependant, il manque aujourd'hui 900 000 logements sociaux.
Face à cette situation difficile, l'Etat doit faire respecter les décisions publiques et sanctionner les élus qui refusent de s'engager dans la construction de logements sociaux ainsi que la loi solidarité et renouvellement urbain l'exige.
De plus, dans l'attente de la construction de ces nouveaux logements sociaux, la CFDT demande un moratoire sur les loyers pour organiser notamment :
- la concentration des aides en direction des personnes dont les besoins sont criants (les jeunes, les salariés pauvres en particulier les familles monoparentales) ;
- le blocage de la hausse des loyers dans certaines zones en tension (centreville) ;
- enfin, des mesures de régulation du foncier.
S'agissant de la santé, tous les salariés ne bénéficient pas encore aujourd'hui d'une complémentaire santé : c'est le cas pour une grande partie des salariés des petites et moyennes entreprises.
Face à cette inégalité, la CFDT propose que l'Etat complète ses dispositifs d'aide à la complémentaire santé et à la prévoyance pour que tous les salariés en bénéficient dont ceux des petites et moyennes entreprises ainsi que les fonctionnaires.
S'agissant de corriger le poids de dépenses devenues incompressibles, tels que l'accès et l'utilisation des moyens modernes de communication, rendus indispensables à la recherche d'un emploi et à l'entretien des connaissances, il appartient à l'Etat de corriger les inégalités dans ce domaine et de veiller au bon fonctionnement du marché de la téléphonie. Là encore ce sont les foyers les plus modestes qui sont les plus pénalisés.
Enfin, comme le souligne le CERC, des mesures d'urgence doivent être prises pour les 190 000 jeunes qui sortent sans diplôme du système scolaire.
Ces mesures à effet immédiat sur le pouvoir d'achat doivent engager le gouvernement à maintenir sa pression et son soutien en direction des branches professionnelles sur la négociation des salaires minima et des grilles de classification.
Les premiers résultats enregistrés dans les négociations de branches sont encourageants mais demeurent largement insuffisants au regard du nombre de branches dont les grilles de salaires sont en grande partie inférieures au SMIC.
Cette exigence de progression des salaires vaut également pour l'Etat en sa qualité d'employeur. En effet, malgré la conclusion positive d'accords sur les classifications et l'action sociale, la CFDT ne peut accepter qu'accord salarial n'ait été conclu depuis près de 10 ans avec pour conséquence une stagnation voire une perte du pouvoir d'achat des fonctionnaires.
Le rattrapage permanent du SMIC, s'il est un plancher nécessaire et un niveau d'entrée possible ne peut être le seul espoir de progression salariale encore moins la perspective de toute une vie professionnelle, tel que cela est le cas aujourd'hui.
Au-delà de cette action publique qui pourrait être mise en oeuvre rapidement, les lourds constats présentés par les différents rapports appellent une réorientation profonde des politiques publiques qui permette de structurer la qualité, la quantité d'emplois et le dynamisme de notre économie.
Le réexamen des allégements de cotisations sociales patronales sur les bas salaires est incontournable.
Il est pour la CFDT une exigence.
Ces allégements se sont encore accrus en 2006 de près de 2 milliards, ils avoisinent aujourd'hui 23 mds euros.
Comme je l'ai déjà dit, ils ont des effets négatifs en termes d'orientation des créations d'emplois, des rémunérations, de spécialisation de l'économie vers des activités à faible valeur ajoutée, et d'enfermement des salariés dans des trappes à bas salaires proches du SMIC.
Pour sortir de l'inefficacité sur l'emploi du « tout allègement », la CFDT demande :
- d'une part que les allègements de cotisations soient assortis de contreparties négociées favorables à l'emploi : formation, déroulement de carrières, création ou de maintien d'emploi, ou à la recherche et l'innovation.
- d'autre part, la CFDT souhaite que les effets de ces mesures soient concrètement et régulièrement évalués.
Les mesures que la CFDT propose et sur lesquelles elle souhaite que le gouvernement s'engage dans le cadre des responsabilités qui sont les siennes, ne sauraient en effet exonérer les entreprises et le patronat de leurs responsabilités.
Les chantiers ouverts par les partenaires sociaux doivent prendre en compte les constats faits aujourd'hui, tout particulièrement ceux relatifs à la précarité et ses conséquences sur la vie des salariés.
La CFDT attend du patronat et des entreprises qu'ils apportent des réponses en matière de sécurisation des parcours professionnels et mènent des politiques d'emploi de nature à mettre un terme à cette situation qui mine la cohésion sociale et compromet la compétitivité globale de la France.Source www.gde-cfdt.com, le 15 janvier 2007