Texte intégral
A mon tour, je me satisfais naturellement de ce rendez-vous. Je ne dirai pas commémoration, parce qu'un anniversaire comme celui-là ne doit pas être, de mon point de vue, qu'une commémoration. Ce n'est pas d'ailleurs dans cet état d'esprit-là que vous le faites, et c'est tant mieux.
Quelques mots sur l'histoire des Instituts.
Je serai relativement bref puisque, vous l'imaginez bien, je n'ai pas été un témoin direct de cette période et surtout pas un acteur aussi essentiel que Monsieur David. Je voudrais, d'une certaine manière aussi, le remercier pour son choix osé. Mes prédécesseurs l'ont fait avant moi. Après que d'autres dirigeants de la CGT aient hésité longtemps sur l'opportunité de se lancer peut-être dans ce qu'ils qualifiaient, eux-mêmes à l'époque, un peu d'aventure ou d'aventurisme. Il l'a évoqué à demi-mot, mais peut-être qu'il y reviendra et les publications y font référence.
Il y avait plusieurs handicaps pour cette ambition du point de vue de notre organisation. Sans doute la perception que pouvait avoir la CGT de l'époque, du monde universitaire tout simplement. Envisager une démarche de coopération avec l'université, c'était déjà mettre un pied quelque part dans l'inconnu. C'était la première réticence.
Il y en avait une autre, il faut bien le reconnaître, c'est qu'il n'y avait absolument pas de raison que la CGT soit traitée sur un pied d'égalité avec d'autres partenaires syndicaux. A ce moment-là c'était absolument inenvisageable ! Je ne sais pas si tout le monde a forcément bien évolué à ce propos depuis. Mais enfin c'est un autre débat, on n'y reviendra pas aujourd'hui.
Trente ans après, c'est Henri Krasucki qui, d'une certaine manière, tirait un premier bilan d'une expérience de plusieurs décennies pour, à son tour, affirmer le rôle des Instituts et surtout, considérer et affirmer la nécessité du développement de leur activité. Je crois que, dès lors, il y a eu une montée en puissance de participation, d'engagement. Les aspects économiques ont naturellement pesé aussi sur l'activité des Instituts. Ils n'exercent pas, chacun peut en convenir, dans un cadre plus large. Les contraintes pèsent, y compris sur les aspects matériels et financiers.
Mais, en tout cas, l'idée de créer des Instituts dans les régions qui en étaient dépourvues a fait consensus. La création de l'Institut de Toulouse a déjà été évoquée.
Je crois que nous sommes - je reprendrai un terme déjà utilisé - dans un partenariat que je qualifierai, pour ma part, de loyal. En tout cas, c'est le diagnostic que nous faisons et, à partir de cette base, il convient donc de réfléchir sur l'avenir.
Pour l'anecdote, par deux fois j'ai pu bénéficier d'un stage dans un Institut du travail : l'un à Strasbourg et l'autre à Sceaux. Impossible de dire si l'on peut trouver là une origine aux responsabilités actuelles qui sont les miennes.
Quelques réflexions à voix haute, si vous le permettez, sur l'avenir pour essayer, à partir de cet acquis, de réfléchir au développement.
La première : Il se trouve que nous nous rencontrons 48 heures après que le Président de la République ait fait un discours devant le Conseil Economique et Social sur la modernisation du dialogue social pour « placer les partenaires sociaux au coeur de l'élaboration des normes sociales ». C'est forcément quelque chose de très important puisque nous n'étions pas habitués à de telles déclarations de la part du Président de la République. Placer les partenaires sociaux au coeur de l'élaboration des normes sociales, sous-entendu, il ne faut surtout pas faire comme ce qui a été fait pour le CPE.
Alors naturellement, il faut que l'on vérifie que les actes soient conformes au discours, Mais dès lors que le Président reconnaît que les partenaires sociaux (dont les organisations syndicales de salariés) ont, je le cite, « une connaissance et une expertise incomparables des réalités sociales », il n'y a pas lieu de bouder cette reconnaissance, dont personne ne peut imaginer qu'elle est circonstancielle, pour s'appuyer plutôt sur elle afin de créer les conditions pour que cette expertise dont on dit la reconnaître, soit à la fois mieux reconnue, mieux entretenue et avoir les moyens de son propre développement.
Mieux reconnue dans le processus de négociation et de concertation et là nous savons qu'il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Mais, à partir de cette déclaration sans précédent de la part du Président de la République, je suis personnellement assez convaincu que Monsieur Larcher, dès demain matin, va se précipiter devant vous pour préciser comment, par quelle pratique et par quels moyens, cette reconnaissance de l'expertise va se traduire rapidement dans les faits.
Malheureusement, je ne serai pas là demain matin. Mais, s'il s'avère que si ce n'était pas tout à fait le cas, je compte sur vous pour m'en prévenir et nous aviserons de la meilleure attitude à avoir à ce moment-là.
Les formations et recherches dans lesquelles peuvent s'impliquer les militants syndicaux participent à cet objectif de reconnaissance à la fois des compétences et de l'expertise. Naturellement, la place des Instituts est irremplaçable - cela a été évoqué - et je crois que la période est révolue où nous pouvions considérer que ces formations pouvaient être en concurrence, entre celles dispensées par les organisations syndicales elles-mêmes et celles dispensées par les Instituts.
Deuxième réflexion, c'est concernant l'enjeu de la formation plus globale.
L'accès à la formation est naturellement un enjeu pour acquérir une pleine citoyenneté, un enjeu pour l'activité professionnelle, pour son émancipation personnelle, l'émancipation aussi du collectif de salariés. Il est encore des syndicats dans le monde dont l'une des priorités consiste à participer à donner accès à l'apprentissage de la lecture et de l'écriture aux salariés comme moyen incontournable d'émancipation. Parce que pour revendiquer, ne serait-ce que défendre ses droits, encore faut-il les connaître. Et avant de prétendre en acquérir de nouveaux, encore faut-il avoir les éléments de base nous permettant de savoir sur quel socle on fait reposer cette revendication.
Bien évidemment il ne s'agit pas de nous renvoyer dans le contexte de pays qui, du point de vue de la reconnaissance du fait syndical, sont très éloignés de nous. Mais c'est pour dire combien l'histoire du mouvement syndical a mis en avant, à chacune de ces étapes, la nécessité de la formation, de l'information. Et pas dans une vision étroite où il ne conviendrait que de transmettre des savoirs acquis.
Nous sommes en tant que syndicalistes, comme tout le monde, confrontés à ce que d'aucuns appellent la société de la connaissance, confrontés à ce que nous revendiquons tous : une formation tout au long de la vie. Il n'y a, à mon avis, absolument aucune raison qu'à cette revendication globale nous ne sachions pas y accoler une formation peut-être tout au long de la vie aussi pour les militants syndicaux.
Il n'y a donc aucune raison de faire une exception à propos de la formation syndicale dans la perception de l'enjeu global de la formation.
De ce point de vue-là, enseignement et recherche ne sont pas inconciliables.
Vous évoquiez quelques contradictions, parfois quelques tensions. Les syndicalistes eux-mêmes doivent accepter de se mettre en recherche de solutions, de revendications adaptées à des situations pour lesquelles ils n'étaient pas forcément préparés ou, en tous cas, à des situations qu'ils n'ont pas forcément choisies.
Pour y répondre, il ne suffit pas toujours de regarder dans ce qui a été déjà élaboré ou écrit par les prédécesseurs ou les expériences passées. Cela ne consiste pas naturellement à considérer que tout ce qui a pu être fait auparavant est inutile, loin s'en faut. On trouve en permanence dans nos expériences syndicales, dans notre histoire syndicale, toujours des éléments instructifs pour mener son activité d'aujourd'hui. Mais en même temps, il y a des défis nouveaux posés aux syndicalistes et c'est donc une nécessité syndicale que d'accepter de se mettre aussi dans une posture de recherche qui peut, dans ce cas-là, être ouverte à des partenariats aussi avec des professionnels pour essayer de trouver des réponses.
Cet enjeu de formation est aussi un facteur déterminant pour le fonctionnement du syndicat lui-même. C'est la raison qui nous a amenés, pour ce qui nous concerne, à placer l'enjeu de la formation syndicale en très bonne place dans un document qui s'appelle « la Charte de la vie syndicale » qui est une orientation sur les modes de fonctionnement de notre organisation.
Troisième réflexion, s'agissant de l'avenir, on affirme dans cette période vouloir rapprocher l'enseignement, l'éducation nationale du monde de l'entreprise et l'université, d'ailleurs, n'échappe pas à cette réflexion. C'est un sujet qui suscite polémique, notamment parce que certains acteurs et singulièrement le MEDEF - personne ne comprendrait que je ne dise pas un mot à propos du MEDEF - aspirent à un glissement de l'Education nationale comme instrument seulement des besoins de l'entreprise, mais l'entreprise sous-entendue dans sa partie employeur. Or l'entreprise, nous ne cesserons de le répéter, ce n'est pas que les employeurs, les propriétaires de l'entreprise, c'est aussi les salariés.
C'est donc dans une vision très réductrice que l'on aspire à un rapprochement de l'Education nationale, dans ce cadre-là des universités, du monde de l'entreprise. Dès lors que les Instituts ont cette spécificité irremplaçable d'être par leur activité, une fenêtre - la fenêtre en quelque sorte du monde universitaire sur le monde du travail - loin d'amoindrir sa place, au contraire, cette aspiration au rapprochement donne à mon avis plus d'arguments encore au poids que doivent représenter les Instituts dans le dispositif d'ensemble.
Alors très rapidement quelques pistes de travail :
- sans doute réfléchir à de nouveaux thèmes de stages. Il y a de nouveaux enjeux. N'hésitons pas à actualiser, comme nous l'avons déjà fait par le passé, la grille des enseignements en vérifiant qu'ils correspondent à des besoins, qu'il s'agisse d'enseignements ou aussi de phases de recherche.
- Dès lors que l'on revendique une formation plus permanente, plus soutenue, y compris tout au long de la vie, n'est-ce pas le moment de préconiser la possibilité d'avoir des enseignements de longue durée ou qui sachent articuler formules en alternance avec périodes en université, avec périodes de pratique syndicale, dans différents milieux, à différentes responsabilités pour que, là aussi, les expériences soient multiples et enrichissantes pour les organisations.
- L'hypothèse de sessions de formation inter syndicales qui soient communes à différents responsables syndicaux quelle que soit leur appartenance syndicale.
Je sais bien que cela ne fait pas encore consensus. Ce n'est pas aberrant compte tenu du paysage syndical qui est le nôtre, qui a beaucoup évolué et qui continuera d'évoluer. Je me dis que les trois Confédérations syndicales plus engagées dans la vie des Instituts sont membres de la Confédération Européenne des Syndicats.
Nous sommes à quelques jours d'un Congrès d'une nouvelle Internationale syndicale où nos trois Confédérations vont être parmi les organisations fondatrices. Ce qui représente un événement. Enfin une prise de conscience très large internationale existe face au constat que la division du mouvement syndical a très largement été préjudiciable à l'efficacité du rapport de forces, en tout cas s'agissant de la part revenant aux salariés.
Bien sûr, s'il y a plusieurs organisations syndicales, c'est bien qu'il y a des différences. Nous en faisions le point hier avec mes homologues qui étaient présents à l'occasion d'un autre anniversaire, celui du Centenaire de la Charte d'Amiens.
Effectivement, depuis ce temps-là, le paysage syndical français a beaucoup évolué. Pas forcément en bien d'ailleurs. Chacun reconnaissant que la Charte avait représenté un des piliers majeurs de référence pour le syndicalisme français, avec une certaine résonance internationale, beaucoup ont retenu de ce document qu'il s'était efforcé de rappeler l'exigence d'indépendance du mouvement syndical à l'égard des partis politiques. Certes, c'était une réaffirmation qui était contenue dans le document. Mais la Charte disait aussi bien d'autres choses. Notamment elle affirmait ce qui a été intitulé « la double besogne ». C'est-à-dire la responsabilité du mouvement syndical de défendre à la fois des revendications matérielles et morales immédiates, de répondre aux revendications pour améliorer les conditions de vie et de travail des salariés et, dans le même temps et le même mouvement, de promouvoir l'action pour un changement radical de société. Tout cela était dit en des termes que l'on n'utiliserait pas aujourd'hui, mais je crois que le sens et la démarche sont tout à fait pertinents. Et cela a été la base trouvée pour faire consensus entre ceux que l'on qualifiait à l'époque de réformistes et ceux que l'on qualifiait à l'époque de révolutionnaires.
Sur cette base historique - dont chacun convient qu'elle n'est pas complètement dépassée - si nous acceptions que sur quelques fondamentaux les militants syndicaux, qui agissent très souvent ensemble dans les entreprises ou les branches professionnelles, puissent aussi, ensemble en formation, confronter leurs différentes approches de mêmes cas, de mêmes situations, cela participerait peut-être davantage à consolider le mouvement syndical français qui en a besoin.
C'est dire, à partir de ces quelques considérations, que pour moi cet anniversaire est à la fois une occasion de voir le chemin parcouru et aussi d'envisager le chemin qui se dessine. Vous l'aurez compris pour ce qui me concerne, c'est donc avec optimisme que j'envisage le développement des activités des Instituts avec un partenariat syndical et en tout cas avec le partenariat de la CGT.Source www.formationsyndicale.cgt.fr, le 10 janvier 2007