Interview de Mme Ségolène Royal, députée PS et candidate à l'élection présidentielle de 2007, sur "Canal Plus" le 22 janvier 2007, notamment sur le rythme de sa campagne électorale et les relations entre le PS et son QG de campagne.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Canal Plus

Texte intégral


LAURENCE FERRARI - L'invitée de "Dimanche+", c'est Ségolène ROYAL, présidente de la région Poitou-Charentes, députée des Deux-Sèvres et candidate bien sûr du Parti socialiste pour l'élection présidentielle. Bonjour Madame ROYAL.
SEGOLENE ROYAL - Bonjour.
LAURENCE FERRARI - On est ravi de vous recevoir.
SEGOLENE ROYAL - Merci.
LAURENCE FERRARI - Vous avez décidé de beaucoup communiquer visiblement ces derniers jours dans les médias. Est-ce qu'il y avait urgence à expliquer votre méthode aux Français ?
SEGOLENE ROYAL - D'abord si je communique, c'est que je suis invitée, merci de m'inviter. Je pense en effet que c'est important d'expliquer ce qui se passe aujourd'hui parce que je crois que la politique a besoin d'un changement profond, donc j'ai décidé une méthode différente.
LAURENCE FERRARI - Et vous pensez qu'il y avait un petit trouble dans l'opinion ou c'est juste une séquence de la campagne qui va être oubliée dans quelques jours ?
SEGOLENE ROYAL - Il y avait des interrogations et comme je veux tenir bon sur la conception que j'ai à la fois de l'exercice du pouvoir, d'une campagne présidentielle qui doit se forger et se construire avec les Français et pour eux, d'où ce travail en profondeur qui n'est pas forcément visible de l'ensemble des débats à travers tout le pays ; je veux expliquer ce que je suis en train de faire pour que cette campagne puisse monter en puissance comme je l'ai décidé et parce que c'est conforme aussi à la façon dont j'exercerai le pouvoir après...
LAURENCE FERRARI - Si vous êtes élue effectivement. Mais vous comprenez que ça ait pu perturber un peu les caciques du Parti socialiste qu'ils ne sachent pas exactement comment vous menez campagne ?
SEGOLENE ROYAL - Oui bien sûr, ça perturbe parce que c'est un changement en profondeur; je crois que c'est le changement que les Français attendent. Ils doutent dans l'efficacité des politiques, il y a une crise profonde, on l'a vu en 2002 et moi je ne veux pas que les Français doutent dans la politique. Je veux mériter cette confiance. Et puis je pense que si la France peut se retirer vers le haut, c'est parce que chaque Français va y prendre sa place et donc si je donne à chacun l'occasion de prendre la parole, de venir dans les débats - il y en aura à peu près 5.000 lorsque je prendrai la parole les 10 et 11 février prochain - à ce moment-là, ça voudra dire qu'après, cette parole qui m'aide aujourd'hui à construire, à tester les idées que j'ai déjà mises en avant, à tester les idées du projet des socialistes, ça va donner de la crédibilité ensuite à ma parole et non seulement ça donne de la crédibilité à ma parole, donc de la solidité au projet et ensuite dans la vérité de ce projet parce qu'il va dépendre de la prise de parole des Français que j'appelle massivement à venir dans les réunions qui ont lieu près de chez eux, à ce moment-là, je serai obligée de tenir ma parole et j'ai envie que les Français sachent avant de voter que ce que je dirai, sera effectivement réalisé.
LAURENCE FERRARI - Vous parliez du projet socialiste. Effectivement est-ce qu'il y a des tensions entre le PS et votre équipe de campagne ?
SEGOLENE ROYAL - Je ne le sens pas du tout de cette façon-là mais c'est vrai que dans cette mutation de la façon de faire, nous sommes dans une phase transitoire, il m'appartient donc d'expliquer pourquoi je tiens à cette phase, pourquoi je tiens à cette montée en puissance de la campagne, pourquoi je tiens à aller sur tous les territoires au contact des Français en leur donnant la parole et donc je veux entraîner tous ceux qui doutent encore à l'intérieur de mon camp sur cette façon de faire, je veux les convaincre que c'est la bonne façon de faire et que c'est cela qui nous conduira vers la victoire.
LAURENCE FERRARI - Alors il y a un sondage ce matin dans LE PARISIEN, qui dit qu'un Français sur deux estime que les relations politiques entre vous et François HOLLANDE ne sont pas claires. Est-ce que vous en tirez un enseignement ou pas ?
SEGOLENE ROYAL - Je crois que les Français n'ont que faire d'abord des vies personnelles des uns et des autres...
LAURENCE FERRARI - Relations politiques entre vous...
SEGOLENE ROYAL - Oui mais il y a un petit peu un mélange des deux ; c'est vrai que la situation est inédite ; au fond, c'est aussi la démonstration de l'égalité à laquelle les hommes et les femmes doivent s'habituer petit à petit. Voilà. Donc je crois que chacun est dans son rôle et c'est un rôle complémentaire. 60% des militants socialistes et aujourd'hui la totalité des socialistes plus les autres partis de gauche, soutiennent ma candidature, me font confiance et je ne dois pas décevoir cette confiance, je dois être à la hauteur de cette confiance et des enjeux profonds, on y reviendra tout à l'heure, qui se posent aujourd'hui dans la France contemporaine; et en même temps le Parti socialiste est un parti rassemblé et j'ai la chance de pouvoir grâce à François HOLLANDE qui a maintenu l'unité de ce parti, de m'appuyer sur une organisation politique qui est en ordre de marche et qui rassemble aussi des talents diversifiés.
LAURENCE FERRARI - Alors vous parliez du terrain, les Français disent très régulièrement leur ras-le-bol des bagarres partisanes. Leur préoccupation, c'est la diminution du pouvoir d'achat, la vie chère, l'emploi, les salaires.
L'une des équipes de "Dimanche+" s'est rendue à Behren-les Forbach en Moselle ; c'est l'une des villes les plus pauvres de France.
REPORTAGE
LAURENCE FERRARI - Alors justement, pour l'emploi des jeune que l'on vient de voir, qu'est-ce que vous proposez ? Un droit d'accès au premier emploi...
SEGOLENE ROYAL - D'abord je voudrais dire que ce reportage est remarquable. Je crois que tout est dit, tout le sens du combat de la gauche est dit...
LAURENCE FERRARI - Mais quand ils disent droite-gauche, même combat, une fois qu'ils seront en haut de la montagne, ils tomberont la veste...
SEGOLENE ROYAL - Oui, c'est ça qu'il faut remettre debout, c'est-à-dire redonner confiance à des gens désespérés qui ont le sentiment que la politique ne sert plus à rien et ça confirme aussi la légitimité de la démarche qui est la mienne. Je crois que c'est en leur redonnant la parole et en leur redonnant la confiance et en construisant avec eux leur avenir qu'on leur donnera à nouveau envie de participer à la France qui se relève.
LAURENCE FERRARI - Mais eux se tournent vers le Front national... à 28%...
SEGOLENE ROYAL - Ils se tournent vers le Front national parce que c'est un vote de désespoir et si l'on veut transformer ce désespoir en un nouvel espoir d'avenir pour eux et pour leurs enfants, alors à ce moment-là, on doit les intégrer aux principales préoccupations qui doivent être les nôtres aujourd'hui. Et la deuxième réaction que m'inspire ce reportage, c'est que parfois on a presque honte du décalage entre la gadgétisation de la campagne électorale et les problèmes profonds que vivent aujourd'hui des millions de Français dans un pays riche, la France est un pays riche où la pauvreté s'accroît, où les inégalités se creusent, où le chômage monte et où la vie chère fait basculer dans la précarité...
LAURENCE FERRARI - Ca c'est le constat...
SEGOLENE ROYAL - Oui mais c'est un constat tragique...
LAURENCE FERRARI - Vous avez des propositions concrètes... ce droit d'accès au premier emploi, c'est formidable...
SEGOLENE ROYAL - J'y viens parce que c'est l'enjeu central de la campagne et ce que je vois dans ce reportage illustre et confirme les deux priorités qui sont les miennes en ce qui concerne la lutte contre la pauvreté, c'est le droit des jeunes à accéder au premier emploi, c'est-à-dire que plus un jeune ne doit rester au chômage au-delà de six mois en lui donnant soit un emploi tremplin comme nous le faisons déjà dans les régions, dans la région que je préside, j'ai créé 5.000 emplois tremplins pour les jeunes, sans augmenter les impôts, en faisant des économies sur les différents gaspillages. Donc je crois que ça, c'est possible à l'échelle nationale et puis la question des femmes seules, qui est une question dramatique parce que tout se déglingue, ce sont les femmes qui sont les travailleuses pauvres, c'est-à-dire cette nouvelle réalité qui est aberrante dans la France d'aujourd'hui, qui est le produit du libéralisme aussi, qui est la source de la mauvaise répartition entre le travail... entre la rémunération du travail et la rémunération du capital et donc à la fois la sécurisation des contrats de travail, la revalorisation des bas salaires, la création comme je l'ai entendu dans un des débats participatifs, dans lesquels aussi des idées nouvelles émergent, la création d'emplois parents dans les quartiers défavorisés pour que les parents retrouvent la dignité d'élever leurs enfants et donc que les enfants retrouvent le sens de l'effort pour réussir à l'école parce que tout se tient, c'est ça le coeur de l'enjeu de la France qui doit se redresser avec tout le monde.
LAURENCE FERRARI - Vous voulez leur proposer un pacte aux Français en fait ; vous voulez leur dire... un pacte avec une obligation de résultat, que la France soit plus agile et plus réactive, c'est que vous allez proposer aux Français ?
SEGOLENE ROYAL - Oui, c'est un pacte. Un pacte qui met tout le monde dans la dynamique et qui ne fait pas comme certains... comme la droite le dit - il y a une phrase terrible qui a été prononcée par Nicolas SARKOZY, il a dit "la République n'aidera pas ceux qui ne s'aident pas eux-mêmes" - moi je voudrais dire ici aux Français qui nous écoutent : la République, elle aidera tout le monde et elle aidera ceux qui n'arrivent pas à s'aider, à leur donner les conditions pour que justement ils reprennent leur vie en main. Elle ne laissera personne sur le bord du chemin parce que pour se redresser, la France a besoin de tout le monde y compris ceux qui sont provisoirement en situation de faiblesse...
LAURENCE FERRARI - On travaillera plus et donc on aura plus de pouvoir d'achat ?
SEGOLENE ROYAL - Ce n'est pas ce que je leur dis, je leur dis que chacun doit pouvoir accéder à la dignité d'un emploi et d'un salaire et non pas "débrouillez-vous avec les heures supplémentaires" qui en plus seront exonérées et donc créeront du chômage supplémentaire. Moi je veux que le pays reprenne confiance en lui-même, c'est-à-dire relancer aussi la machine économique pour qu'elle crée à nouveau du pouvoir d'achat et de la richesse et en même temps je veux mieux répartir les produits de cette richesse dans la France qui est une des premières puissances économiques du monde et qui a donc les moyens de répartir autrement les fruits de la croissance qui doit bien sûr être relancée, être motivée.
LAURENCE FERRARI - Comment ?
SEGOLENE ROYAL - Comment ? A la fois en poussant en avant les entreprises par l'innovation et par la recherche car ces investissements ont considérablement diminué au cours de ces dernières années. Donc si on investit fortement dans la formation professionnelle des jeunes que l'on vient de voir, mais aussi dans les métiers et dans les emplois du futur, par l'innovation et par la recherche. Et puis si le dialogue social est meilleur comme en Europe du Nord, cela crée de la valeur ajoutée sociale. Et puis dans les filières environnementales, l'environnement devient aujourd'hui un des piliers, un des leviers du développement économique. Et donc je crois que sur ces trois bases extrêmement solides, on peut relancer la machine économique mais aussi en retirant vers le haut ceux qui sont le plus en difficulté.
LAURENCE FERRARI - Alors justement, vous parliez du décalage entre la France riche et la France pauvre. Cette semaine, Internet a fait une nouvelle fois irruption dans la campagne électorale avec une polémique autour du patrimoine des candidats. On va regarder "Campanet" si vous le voulez bien.
JOURNALISTE - Cette semaine, Internet a encore une fois surgi dans la campagne en forçant madame ROYAL à rendre public son patrimoine. Tout était pourtant sur le web dès le printemps 2006 avec le site BELLA CIAO qui publie les infos sur la SCI LA SAPINIERE de Ségolène ROYAL et François HOLLANDE ; puis vint cette phrase prononcée sur un plateau télé...
MICHELE ALLIOT-MARIE (8/06/2006) - Vous avez une vision de la France très particulière Monsieur HOLLANDE...
FRANÇOIS HOLLANDE - Oui, je n'aime pas les riches... je n'aime pas les riches, j'en conviens...
JOURNALISTE - La vidéo de la petite phrase inonde le net et déclenche une première vague de buzz en juin qui aboutit à la création du site satirique j'aimepaslesriches.com. Mais la rumeur se cantonne alors au petit monde des blogueurs. Début janvier, la polémique est réactivée par un spam collectif ; un élu UMP répète la rumeur de fraude fiscale et tout s'emballe. François HOLLANDE porte plainte pour diffamation et madame ROYAL finit par révéler que oui, elle paie bien l'ISF et dénonce les "méthodes de racailles" de l'UMP. Dans la foulée, presque tous les autres prétendants se sont sentis obligés de dévoiler leur patrimoine.
Les présidentielles, c'est sur le web et c'est même dans le monde virtuel SECOND LIFE. Et nous avons créé un personnage "Campanet" ici à l'écran qui nous guidera dans l'univers de la politique en 3D. (...)
SEGOLENE ROYAL - Bonjour, je suis heureuse d'inaugurer le 748e comité Désir d'avenir sur SECOND LIFE.
JOURNALISTE - Eh oui, il fallait s'y attendre, les royalistes ont eux aussi créé leur section virtuelle, bâtiments écolos branchés, panneaux de propagande, débats participatifs : le "ségocialiste" se plaît dans le virtuel même si nous avons aussi rencontré des vrais militants comme ici Aziz, un vrai responsable de la ségosphère. La politique sur SECOND LIFE, c'est la web campagne en 3D et c'est le buzz de la semaine. Voilà, c'est terminé, rendez-vous dimanche prochain pour "Campanet", le bon goût de la campagne mais sur le net !
LAURENCE FERRARI - Ségolène ROYAL, vous avez parlé d'une campagne de racailles. Vous avez repris à dessein un terme de Nicolas SARKOZY ; c'était un choix ou un hasard ?
SEGOLENE ROYAL - Oui, c'était suite aux déclarations d'un député UMP qui diffusait à des millions de destinataires sur Internet l'idée que je pouvais frauder la loi fiscale et ça je pense que ces méthodes ne sont pas dignes de l'élection présidentielle et je ne me laisserai pas faire sur ce sujet...
LAURENCE FERRARI - Sur l'ISF, vous assumez le fait de payer l'impôt sur la fortune ?
SEGOLENE ROYAL - En cumulant, oui, avec celui de mon conjoint, François... Vous savez, moi je suis partie dans la vie, sans rien, j'ai eu la chance, peut-être plus de chance que d'autres, de réussir à l'école, d'accéder à un bon diplôme, ensuite de devenir ministre et parlementaire et avec les revenus de la République, c'est vrai que j'ai acheté une maison en 86 qui a aujourd'hui beaucoup plus de valeur ; et donc je paie l'impôt de solidarité et c'est normal. Et je crois que c'est un impôt, vous savez, qui est souvent très fraudé parce que les gens sous-estiment volontairement leurs biens pour ne pas le payer et moi j'ai fait faire l'évaluation par un expert comptable parce que justement je crois que c'est un impôt qui est justifié et que tous ceux qui doivent le payer, doivent le payer. J'aimerais bien que ce soit le cas pour tout le monde.
LAURENCE FERRARI - Alors vous avez eu une influence positive parce que tous les candidats à votre suite ont révélé leur patrimoine...
SEGOLENE ROYAL - Oui, de façon assez diversifiée mais je ne suis pas sûre qu'ils aient tous eu le scrupule que j'ai eu de le faire évaluer par un expert indépendant et j'espère que ce sera le cas mais je fais confiance aux journalistes d'investigation !
LAURENCE FERRARI - On se retrouve dans un instant avec Ségolène ROYAL, candidate désignée par les militants socialistes pour se présenter à l'élection présidentielle. "Caméra embarquée", c'est dans "Dimanche+". A tout de suite.
LAURENCE FERRARI - 13h16, on est en direct avec Ségolène ROYAL qui est l'invitée de "Dimanche+" au terme, allez, d'une semaine un petit peu chaude ; elle veut continuer à expliquer aux Français sa méthode pour changer la politique. Pour cela, cinq grands débats participatifs ont été organisés. Le premier a eu lieu vendredi à Roubaix. "Dimanche+" était avec elle. "Caméra embarquée" avec Ségolène ROYAL, c'est un sujet de Thierry DAGIRAL.
REPORTAGE
THIERRY DAGIRAL - C'était vendredi à Lille après le déjeuner avec Pierre MAUROY. Et on n'était pas les seuls sur le coup. Difficile d'être embarqués avec la candidate ! Dans le Nord, c'est l'image d'une rassembleuse qu'elle vient vendre. Madame ROYAL joue serré. Retour en arrière. Fâcheux début de semaine. Sacre de SARKOZY, troubles sur la fiscalité, bourde de MONTEBOURG. Au siège du PS, le moral est comme les roses du décor voulu par la candidature, à l'envers.
SEGOLENE ROYAL - C'est toujours un peu mouvementé, les campagnes électorales, voilà...
THIERRY DAGIRAL - Est-ce qu'il y a du doute en ce moment en vous ?
SEGOLENE ROYAL - Non, il n'y a pas de doute. Il n'y a pas de doute mais j'observe quand même ce qui est dit. Vous savez, je suis quelqu'un qui est souple, en même temps qui écoute et je sais que parce que ma méthode est nouvelle, elle peut un peu dérouter. Même si aujourd'hui, certains rechignent, ricanent ou se moquent de moi, il faut aussi qu'un certain nombre d'hommes acceptent l'autorité différente d'une femme, ça ce n'est pas forcément facile et il va bien falloir qu'ils s'y habituent !
THIERRY DAGIRAL - Retour à Lille vendredi après la séance photos avec MAUROY. Planning chargé, timing très précis. Le bus des journalistes nous emmène vers le prochain rendez-vous avec Martine AUBRY, le maire de Lille. Les deux femmes se sont souvent affrontées mais devant les caméras, rien ne doit transparaître. Départ pour une visite des quartiers réhabilités de Lille et là, on est dans le bus des élus, à côté de la patronne, entre pression et impressions de campagne à trois mois du premier tour.
SEGOLENE ROYAL - J'ai toujours pensé de toute façon que rien n'était acquis d'avance et qu'il fallait conquérir la confiance des Français et après la légitimité de la parole politique. En plus je suis une femme, donc il y a aussi une observation beaucoup plus aiguë qui se porte sur moi je crois et donc je veux être à la hauteur de cette exigence et je ne veux pas décevoir.
THIERRY DAGIRAL - Vous arrivez à jouer votre rôle de mère ? Comment vous vous organisez?
SEGOLENE ROYAL - D'abord j'ai trois enfants majeurs sur quatre, donc j'ai connu des époques beaucoup plus difficiles pour concilier la politique et la vie de famille.
THIERRY DAGIRAL - Vous passez du temps au téléphone avec eux ?
SEGOLENE ROYAL - Oui bien sûr. Le téléphone portable a bouleversé positivement ma vie de ce point de vue. Mais je les laisse aussi tranquilles, ils sont majeurs, donc je ne suis pas non plus trop intrusive.
THIERRY DAGIRAL - Arrivés à destination, le ballet médiatique peut reprendre.
SEGOLENE ROYAL - On va y aller. Pour visiter le quartier, ça ne va pas être simple.
THIERRY DAGIRAL - Ségolène ROYAL ou l'histoire d'une ambition. 1988, la conseillère de MITTERRAND est parachutée dans les Deux-Sèvres, terre de gauche ; elle devient députée. Première interview télé.
JOURNALISTE - On dit de vous que vous êtes une bourgeoise parisienne parachutée dans une terre rurale.
SEGOLENE ROYAL - Parisienne, non, puisque je suis vosgienne. Bourgeoise, je ne crois pas. Je suis la quatrième d'une famille de huit enfants, j'ai perdu mon père précocement, ce qui fait que j'ai fait mes études avec une bourse.
THIERRY DAGIRAL - Ministre à trois reprises : environnement, enseignement, puis famille. A son actif entre autres une loi sur le recyclage des déchets, la lutte contre les violences scolaires et la pilule du lendemain dans les lycées. 2004, élue président de la région Poitou-Charentes, tout devient alors possible. Novembre 2006, elle est la candidate des socialistes, la première femme présidentiable. A la mairie de Roubaix, le marathon continue. Dix minutes avec les salariés de l'usine SUBLISTATIC. Dépôt de bilan, liquidation judiciaire, les actionnaires sont partis avec le magot : 223 salariés sur le carreau.
SEGOLENE ROYAL - Si la région vous aide à reprendre l'entreprise, en trouvant un dirigeant, un cadre, est-ce que vous pensez que l'usine peut continuer ?
SALARIE - Ah oui tout à fait.
SEGOLENE ROYAL - En tout cas bravo de rester unis... protégez l'outil de travail... Bon courage alors !
SALARIE - Et on vous soutient dans votre campagne !
SEGOLENE ROYAL - C'est gentil !
THIERRY DAGIRAL - Derrière la porte, on s'impatiente déjà. Le prochain rendez-vous attend. Dans la salle d'à côté, ce sont tous les candidats socialistes du Nord aux législatives qui viennent pour la séance photos...
THIERRY DAGIRAL - C'est comme ça à chaque déplacement ?
SEGOLENE ROYAL - Oui...
THIERRY DAGIRAL - LANG, DELEBARRE, DELANOË, ce soir c'est meeting à Roubaix: débat participatif doit-on dire à "Ségoland". Deux heures sur le logement et la salle est à deux pas.
- Avant le meeting, qu'est-ce que vous avez fait ? Vous vous êtes changée, préparée ? Vous avez relu un discours...
SEGOLENE ROYAL - Oui j'ai relu mes notes...
THIERRY DAGIRAL - Ah! Vous avez des notes ?! Il y a de la pression ou pas, sur un débat participatif où il y a beaucoup de médias ?
SEGOLENE ROYAL - Un débat participatif, on est porté parce qu'il y a des prises de parole avant, il y a d'autres intervenants... c'est une thématique précise...
THIERRY DAGIRAL - Ce qu'elle ne dit pas, c'est qu'elle joue gros ce soir ; elle doit reprendre la main dans son camp mais aussi dans l'opinion. Deux heures de débat, de promesse devant un public acquis. Retour à Paris, il est presque minuit. Ce week-end, le marathon médiatique continue : convaincre, toujours garder la main tout sourire...
-Derrière le sourire, il y a une femme froide ou cassante ?
SEGOLENE ROYAL - Non je ne crois pas. Je crois qu'il y a une femme qui sait faire preuve de fermeté quand c'est nécessaire...
THIERRY DAGIRAL - Ambitieuse?
SEGOLENE ROYAL - Voilà... ça dépend comment on exerce l'ambition ; ça peut être ou une qualité ou un défaut...
THIERRY DAGIRAL - Il paraît que vous pensiez à la présidentielle déjà en 94.
SEGOLENE ROYAL - Attendez, on se calme là...
THIERRY DAGIRAL - C'est ma dernière question...
SEGOLENE ROYAL - Je ne sais pas... je ne sais pas... vous savez, je crois que l'élection présidentielle n'est pas un gadget...
LAURENCE FERRARI - Ce n'est pas un gadget. Je vous ai vu sourire au moment des archives de 1988. Est-ce que vous étiez plus idéaliste à l'époque, vous aviez plus d'illusions qu'aujourd'hui ?
SEGOLENE ROYAL - Je crois que j'ai gardé mon idéal et ma capacité de révolte en particulier contre les injustices, les accidents de la vie, les inégalités qui se creusent... je vais vous dire quelle est la principale injustice aujourd'hui, elle est entre les gens qui maîtrisent leur futur, leur destin, qui savent que leurs enfants vont à peu près bien réussir à l'école, avoir un métier, avoir un toit et puis ceux qui n'arrivent pas à imaginer même parfois la fin de la semaine et encore moins l'avenir de leurs enfants et donc je crois que la gauche et que l'Etat et que la puissance publique que je veux incarner, donnera à chacun... mettra en place les conditions pour que chacun puisse mieux choisir sa vie et maîtriser son destin. Ce n'est pas comme je l'ai entendu dire, l'assistanat, au contraire ; c'est mettre en place les conditions... les services publics, les conditions de réussite scolaire, les conditions d'accès à un toit durable, la lutte contre la précarité, la hausse des bas salaires qui vont permettre à tous ces hommes et à ces femmes que je rencontre tous les jours sur le terrain, dans les débats participatifs et souvent je voudrais le dire sans caméra et sans photographe parce que c'est vrai qu'il y a une espèce de pression, on l'a vu, médiatique...
LAURENCE FERRARI - Mais il y a des moments où vous êtes toute seule avec les gens...
SEGOLENE ROYAL - Où je suis toute seule, où j'ai un contact direct et c'est cette énergie là qui me nourrit et qui me fera porter avec passion et avec cette capacité de révolte intacte la volonté de changer en profondeur ce qui se passe aujourd'hui en France et la façon dont elle est tirée vers le bas.
LAURENCE FERRARI - Il y a certains témoignages qui doivent vous prendre à la gorge, je pense notamment à cette jeune femme qui s'est exprimée lors de votre passage à Roubaix à propos des violences conjugales, on va l'écouter.
INTERVENANTE - Je voudrais savoir ce que tu vas faire pour les femmes qui se barrent en pleine nuit avec des enfants, l'abribus sous la pluie parce qu'après on revient toujours avec notre mari parce qu'on n'a pas de travail, on n'a pas de logement... Tout ce que je voudrais, moi, c'est qu'une fois que tu es passée, tu t'occupes bien de nous, que tu n'ailles pas qu'au Liban, en Chine et tout, que tu t'occupes vraiment des problèmes des Français quoi !
LAURENCE FERRARI - Quand vous entendez cela, vous avez de l'émotion, de la rage ?
SEGOLENE ROYAL - Ah oui c'est à la fois de la rage, de l'émotion, c'est aussi la preuve qu'il se passe quelque chose dans ces débats et vous voyez, quand j'entends des mots qui dénigrent cette façon de faire, voilà la preuve du contraire parce que pour qu'une femme ait comme ça le courage de se lever devant deux mille personnes, de raconter sa souffrance, son angoisse... cette voix-là... jamais je ne l'oublierai. Et donc quand je vais faire une réforme en profondeur pour que les femmes battues puissent rester à leur domicile et que ce soit le conjoint violent qui en soit écarté et qui soit soigné éventuellement parce que là aussi il faut peut-être les remettre debout, ces hommes qui frappent leur femme souvent parce qu'eux-mêmes enfants ils ont vu leur père taper leur mère et donc si on veut mettre fin à cette spirale de la violence et de la brutalité, alors il va falloir en effet faire une réforme...
LAURENCE FERRARI - Il y a une loi qui existe, Madame ROYAL...
SEGOLENE ROYAL - Qui n'est pas appliquée...
LAURENCE FERRARI - Qui prévoit exactement ça, l'éloignement du conjoint violent du domicile...
SEGOLENE ROYAL - La preuve, c'est que ce n'est pas fait.
LAURENCE FERRARI - Mais votre loi, elle changera quoi dans les domiciles ?
SEGOLENE ROYAL - Elle changera par la formation des policiers, elle changera parce qu'il y aura une intervention efficace et que l'homme sera obligé de quitter le domicile...
LAURENCE FERRARI - Mais est-ce que les femmes auront plus le courage d'appeler la police ? Parce que vous êtes une femme, vous pensez que ça va leur donner ce courage-là ?
SEGOLENE ROYAL - En tout cas je pense que les femmes, celles qui sont les plus écrasées, celles qui subissent les violences et les inégalités salariales, celles qui sont les travailleuses pauvres comme on l'a vu tout à l'heure, oui, je pense que les femmes vont redresser la tête. Et je leur dirai "avec vous, nous allons redresser la tête"...
LAURENCE FERRARI - Vous comptez sur ce vote féminin ? Vous pensez que les femmes vont voter pour vous parce que vous êtes une femme ?
SEGOLENE ROYAL - Je ne fais pas de communautarisme même avec les femmes parce que je crois que si les femmes se portent mieux, c'est la société toute entière qui va mieux et quand dans un pays comme la France, il y a ce chiffre épouvantable : une femme sur trois aujourd'hui est assassinée sous les coups de son conjoint, là dans la France dans laquelle nous vivons, et que ce chiffre-là, et que ces crimes-là ne sont même pas évoqués dans les médias tellement ça fait partie de la quotidienneté, c'est un combat quand même majeur parce que quand il y a de la violence conjugale au foyer, ce sont les enfants aussi qui sont victimes, qui non seulement vont reproduire cette violence mais qui en plus vont échouer à l'école parce qu'on ne peut pas vivre dans un tel climat épouvantable de tension et de violence et derrière réussir à l'école et donc si on règle la question des violences, des insécurités, tout se tient...
LAURENCE FERRARI - Tous les gouvernements sont d'accord là-dessus...
SEGOLENE ROYAL - Je ne crois pas... je ne crois pas qu'aucun homme n'ait mis en avant ce sujet-là...
LAURENCE FERRARI - Parce que ce sont des hommes...
SEGOLENE ROYAL - Oui, parce que trop longtemps ces sujets ont été considérés comme secondaires, comme subalternes. Moi je crois qu'ils sont au contraire au centre de l'exigence politique de justice et au centre des combats qu'il y a à conduire et tout se tient : des familles bien sécurisées font des enfants bien sécurisés à l'école, qui auront le sens de l'effort ; un emploi sécurisé sera un emploi aussi où les salariés sont plus motivés dans leur travail et ce n'est pas comme la droite libérale le dit l'insécurité ou la précarité qui fait de l'efficacité économique. Je crois tout le contraire, c'est quand les gens sont debout, au clair avec les règles de la société et qu'ils ont le sentiment que les mêmes règles s'appliquent à tous et qu'on cesse de parler de l'égalité des chances abstraitement mais qu'il faut la réaliser concrètement en donnant les moyens et la preuve de cette égalité au quotidien et en particulier dans l'éducation de son enfant et dans la réussite scolaire de son enfant et dans l'accès des jeunes à l'emploi, à ce moment-là la société se remet debout et chacun à sa place participe à ce mouvement et à cet espoir collectif.
LAURENCE FERRARI - D'accord. Alors à Roubaix, il n'y avait pas que des témoignages difficiles, il y avait aussi l'Union des socialistes ; pour la première fois, on a vu à vos côtés Martine AUBRY, monsieur DELANOË ; c'était important cette union des socialistes autour de vous ?
SEGOLENE ROYAL - Oui, je pense qu'il est même temps que tous les socialistes qui n'ont pas voté pour moi dans la campagne interne se rassemblent, se mobilisent...
LAURENCE FERRARI - Vous pensez à Lionel JOSPIN, Laurent FABIUS... Dominique STRAUSS-KAHN ?
SEGOLENE ROYAL - Tout le monde est bienvenu. C'est ça aussi qui fait l'originalité de la gauche, c'est qu'il y a une diversité, des talents... qu'on ne pense pas forcément tous la même chose...
LAURENCE FERRARI - Vous avez besoin de Lionel JOSPIN ?
SEGOLENE ROYAL - J'ai besoin de tout le monde. Je veux que tout le monde fasse ces débats participatifs partout sur le territoire et j'irai encore pendant trois semaines dans l'ensemble des territoires, des régions, des villes, des campagnes, recueillir tout ce qui s'est dit dans ces débats et c'est dans ce mouvement profond des Français, de la société qui va se mettre en mouvement, je serai la candidate des gens sans voix, du peuple sans voix auquel je donne aujourd'hui la parole. Qu'ils la prennent, qu'ils viennent pousser aussi leur cri de révolte, d'exaspération mais aussi qu'ils viennent porter leurs projets et leurs espoirs, je suis avec eux quand ils souffrent et je suis avec eux lorsqu'ils ont des projets et des espoirs...
LAURENCE FERRARI - Et vous avez besoin de tout le monde...
SEGOLENE ROYAL - J'ai besoin de tout le monde...
LAURENCE FERRARI - Y compris... vos adversaires malheureux que vous...
SEGOLENE ROYAL - Et même de ceux...
LAURENCE FERRARI - ... n'avez pas vraiment appelés très vite, vous regrettez d'avoir un peu snobé Laurent FABIUS et Dominique STRAUSS-KAHN ?
SEGOLENE ROYAL - Mais tout le monde est à égalité, voilà, tout le monde est à égalité, l'est-à-dire tout le monde aujourd'hui doit être à l'écoute des citoyens et m'aider à porter la parole des Français. Et notamment de ceux qui n'ont jamais la voix au chapitre, qui n'ont jamais le droit de ne rien dire, que l'on découvre uniquement pendant les campagnes électorales. Et c'est ceux-là que je veux... sur lesquels je veux m'appuyer pour porter ce projet, et demain pour tenir parole, c'est la crédibilité, c'est la profondeur de mon projet. Et vous verrez, vous serez surprise, et vous verrez que les socialistes ne regretteront pas de m'avoir écoutée, qu'ils fassent ce que je leur demande et je les conduirai à la victoire. Non pas ma victoire à moi, mais la victoire pour un pays qui a envie d'un désir d'avenir et de se redresser avec tout le monde...
LAURENCE FERRARI - Vous allez...
SEGOLENE ROYAL - Et sans laisser les plus faibles ou les plus lents sur le bord du chemin, comme le propose la droite libérale.
LAURENCE FERRARI - Vous allez prendre contact avec Laurent FABIUS, il va avoir une mission comme Dominique STRAUSS-KAHN sur la fiscalité ?
SEGOLENE ROYAL - Mais si Laurent FABIUS organise ses débats participatifs dans sa région, je serai à ses côtés.
LAURENCE FERRARI - D'accord, parfait. Comment est-ce que ça se passe concrètement entre vos deux équipes, il y en a une qui est au PS, au siège du parti socialiste rue de Solférino, il y en a une autre qui est votre QG à vous avec votre garde rapprochée, comment ça travaille ensemble ? Est-ce que ce n'est pas un peu compliqué ?
SEGOLENE ROYAL - Je crois qu'au contraire, j'ai fait le choix de faire en sorte (pour des raisons aussi de simplicité de fonctionnement) que le siège de la campagne soit au parti socialiste. Et d'ailleurs le Conseil politique, c'est le Conseil du parti qui se réunit toutes les semaines le mardi soir, c'est le bureau national. Et puis, au lieu d'aller déménager loin, j'ai pris une antenne comme avait fait François MITTERRAND en 1981, il s'était installé dans une antenne à côté du parti socialiste pour être au calme, pour recevoir celui-ci ou celle-là, pour travailler en effet avec un petit staff rapproché qui gère l'agenda, les déplacements, etc. Donc c'est... je crois que c'est...
LAURENCE FERRARI - Et le premier secrétaire, il vient au QG de campagne...
SEGOLENE ROYAL - Bien sûr...
LAURENCE FERRARI - Il fait des aller-retour ?
SEGOLENE ROYAL - Mais le QG de campagne qui va être ouvert dès lundi à la population, avec un café Internet où tous les citoyens pourront venir, ceux qui n'ont pas Internet chez eux, qu'ils viennent, on va en plus leur apprendre à aller sur Internet. Et donc, c'est un siège qui est ouvert. J'ai vu tout à l'heure que les roses avaient la tête en bas, c'est parce qu'à la fin de la campagne elles auront la tête en haut...
LAURENCE FERRARI - Ah ! Elles vont se redresser au dernier moment.
SEGOLENE ROYAL - Voilà.
LAURENCE FERRARI - Très bien. Il y a quelque chose qui nous surprend, on a beaucoup parlé de la bourde d'Arnaud MONTEBOURG, dans le même temps... c'était anecdotique, dans le même temps il y a Georges FRECHE qui n'est pas sanctionné par le parti après ses déclarations sur les joueurs noirs dans l'équipe de France de football. Est-ce qu'il n'y a pas deux poids deux mesures ?
SEGOLENE ROYAL - Si, je désapprouve le fait que Georges FRECHE n'ait pas été suspendu plus tôt, mais la procédure suit son cours.
LAURENCE FERRARI - Vous voulez qu'il soit exclu ?
SEGOLENE ROYAL - Oui, parce que je pense que ses propos sont inacceptables et humiliants pour ceux qui les ont subis.
LAURENCE FERRARI - Pas d'attaque personnelle, c'est ce que vous avez dit aussi à Arnaud MONTEBOURG ?
SEGOLENE ROYAL - Oui, je crois que cette règle-là, si je ne l'applique pas à mes propres amis, elle ne sera pas crédible, voilà. Donc, il y a des dérapages qui ne doivent pas être acceptés, et en même temps Arnaud a beaucoup de talent, et donc il est bien sûr intégré à mon équipe de campagne.
LAURENCE FERRARI - Comment est-ce que vous vivez personnellement toutes ces attaques, qui ne font que commencer puisque la campagne démarre ? Les journaux qui annoncent votre séparation, Le PARISIEN qui ce matin dit " est-ce un vrai couple, le couple ROYAL-HOLLANDE ", comment vous faites avec ça ?
SEGOLENE ROYAL - J'avais dit au moment de mon investiture que je voulais qu'on laisse ma famille tranquille, donc c'est vrai qu'il y a une exhibition qui est due au système médiatique actuel, les photos volées cet été, tout se vend, tout s'achète dans cette société de consommation qui nous touche aussi. Et donc je lutte, je lutte parce que... et on l'a vu pendant toute cette émission, l'écart entre la gadgétisation de la politique, la façon dont...
LAURENCE FERRARI - Et la réalité.
SEGOLENE ROYAL - Et la réalité, et l'attente désespérée de millions de Français, et l'enjeu considérable de l'élection présidentielle, du choix, de la bataille qui va s'engager. Elle ne me fait pas peur cette bataille, parce que je sais que je porte des valeurs profondes qui correspondent aux aspirations de la France d'aujourd'hui...
LAURENCE FERRARI - Alors vous voulez...
SEGOLENE ROYAL - Et que je réussirai à remettre cette France en mouvement et à lui donner un désir d'avenir. Et j'ai hâte du moment de la confrontation du projet...
LAURENCE FERRARI - Avec Nicolas SARKOZY d'accord. Vous voulez préserver votre famille, mais en même temps votre fils Thomas HOLLANDE s'implique vraiment...
SEGOLENE ROYAL - Oui.
LAURENCE FERRARI - Ecoutez ce qu'il a dit, il y a quelques jours.
THOMAS HOLLANDE, RESPONSABLE " SEGOSPHERE " - Si on voulait revenir sur juste ce qu'il a dit politiquement, je trouve... je ne suis pas du tout d'accord avec lui. Je pense que d'abord, le premier secrétaire du parti socialiste est avec toi dans cette campagne pour rassembler le parti et le mettre en ordre de marche dans cette campagne, je pense que c'est un avantage exceptionnel et que c'est sûrement pas un inconvénient.
LAURENCE FERRARI - Quand vous entendez votre fils voler au secours de son père...
SEGOLENE ROYAL - C'est bien.
LAURENCE FERRARI - Vous êtes fière, inquiète parce qu'il se lance politique ?
SEGOLENE ROYAL - ...Je suis fière qu'il se soit engagé dans ce mouvement " SEGOSPHERE ", qui ouvre aussi des débats sur le site, mais aussi il fait des réunions avec toute cette bande de jeunes à travers tout le territoire. Je ne lui ai rien demandé à mon fils, les autres enfants aussi me soutiennent à leur façon, et c'est une...
LAURENCE FERRARI - Vous n'avez pas peur pour lui, qu'il prenne des coups lui aussi ?
SEGOLENE ROYAL - Si, si, mais en même temps il est majeur et c'est lui qui s'engage. Je crois qu'il a la tête sur les épaules, et je voudrais dire que c'est aussi une joie profonde pour une mère, qui n'a pas toujours été là dans cette difficile conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle, de constater que j'ai quand même transmis les valeurs profondes auxquelles je tiens, et que même mes enfants... à cet âge, on est souvent en rébellion ou en opposition, et le fait qu'ils adhèrent, qu'ils donnent de leur temps, de leur énergie, c'est pour moi quelque chose d'extraordinaire.
LAURENCE FERRARI - Vous laissez parler votre émotion...
SEGOLENE ROYAL - Oui.
LAURENCE FERRARI - C'est rare dans cette campagne, on vous a vue plutôt rigide, c'est la campagne qui le veut. Lors du congrès de l'UMP, Nicolas SARKOZY lui a carrément dit qu'il avait changé, et qu'il voulait complètement offrir une autre image. On va l'écouter, vous allez nous dire ce que vous en pensez.
NICOLAS SARKOZY, MINISTRE DE L'INTERIEUR - J'ai parfaitement compris que si on veut être président, président de la République, il faut parler à tous les Français, absolument à tous les Français. Pour être candidat, il faut accepter d'intégrer toute son expérience, toutes ses épreuves, toutes ses joies, toutes ses peines, et puis en faire la synthèse. Et je sais très bien... vous savez que pour moi, rien n'est fait...
LAURENCE FERRARI - Voilà, Nicolas SARKOZY qui veut paraître moins inquiétant, plus rassurant par rapport aux Français, vous adhérez ?
SEGOLENE ROYAL - Moi, je ne veux pas faire de commentaire direct parce que je respecte aussi mes adversaires politiques. La seule question que l'on peut se poser, mais que l'on se poserait pour tout un chacun : est-ce que quelqu'un qui dit " j'ai changé " moins de 100 jours avant le 1er tour de l'élection présidentielle, est-ce que c'est crédible, est-ce que ça n'est pas inquiétant ? Si on change tous les 100 jours, qu'est-ce que cela peut donner ? Si on abandonne brutalement les concepts précédents, il n'y a plus la rupture, on passe à la synthèse. Moi, je n'ai pas changé au sens où les valeurs qui m'inspirent sont toujours les mêmes. Elles évoluent en fonction de l'évolution de la société, mais elles sont toujours ancrées dans ce à quoi je crois. C'est-à-dire je pense qu'il faut mettre fin au désordre des choses et mettre en place de l'ordre juste, c'est-à-dire des règles communes à tous dans les valeurs familiales, dans les valeurs éducatives, dans la lutte contre la précarité au travail, dans la réconciliation de tous avec tous, et non pas de tous contre tous. Et ces valeurs-là, elles vont se nourrir des propositions des Français, des propositions que j'ai déjà mises en débat, mais elles seront cohérentes avec ces valeurs structurantes et rassurantes.
LAURENCE FERRARI - Un dernier mot Madame ROYAL de vos voyages à l'étranger, vous avez fait un voyage au Proche-Orient et puis un voyage en Chine. On a parlé d'échec ici en France, qu'est-ce que vous avez appris en Chine ?
SEGOLENE ROYAL - Beaucoup de choses.
LAURENCE FERRARI - Sur la justice chinoise ?
SEGOLENE ROYAL - Oui, je suis intervenue pour la défense des droits des prisonniers...
LAURENCE FERRARI - Vous la trouvez bien...
SEGOLENE ROYAL - Journalistes et des prisonniers...
LAURENCE FERRARI - Vous la trouvez efficace la justice chinoise ?
SEGOLENE ROYAL - Là aussi, mes propos ont été disons ramassés. Quand j'ai parlé de la justice sur ce sujet, je parlais de la justice commerciale, et j'incitais les entreprises à se battre davantage en Chine qu'elles ne le font aujourd'hui. Ce que j'ai appris en Chine c'est que la France, qui paraît un petit pays par rapport à ce continent émergent, est vue de la Chine comme un grand pays qui a quelque chose à dire au niveau des valeurs, mais qui a aussi un marché à conquérir. Pour lutter contre les délocalisations, il faut que les entreprises soient motivées, et elles peuvent l'être si la puissance publique les aide à investir, à innover, à conquérir des marchés en Chine, pour qu'en retour il y ait des emplois qui soient crées en France. Et ce que j'ai dit, c'est " n'ayons pas peur de la Chine, ça peut être une nouvelle frontière ". La Chine va évoluer, il va y avoir les Jeux Olympiques, et donc les droits de l'homme, les droits de la personne humaine vont aussi progresser, parce qu'il y aura des milliers de journalistes auxquels on ne pourra plus rien cacher.
LAURENCE FERRARI - En même temps, il y aura toujours la peine de mort, 1.170 condamnés à mort...
SEGOLENE ROYAL - Mais non parce que la Chine...
LAURENCE FERRARI - L'an dernier en Chine.
SEGOLENE ROYAL - Oui, mais il faut que ça cesse, et la Chine s'est engagée à signer aussi les conventions internationales. Et donc, il faut maintenir la pression sur ce pays pour qu'elle le fasse...
LAURENCE FERRARI - Merci beaucoup...
SEGOLENE ROYAL - Et qu'en effet, les libertés y progressent. Et je crois que la France doit y prendre toute sa place.
LAURENCE FERRARI - Merci Madame ROYAL, on va se quitter sur ces petites phrases, ces chuchotements, ces rumeurs que l'on entend parfois au détour des couloirs, c'est parti pour les off de campagne.
LAURENCE FERRARI - Madame ROYAL, vous voulez changer la politique, est-ce que vous habiterez à l'Elysée si vous êtes élue ?
SEGOLENE ROYAL - Sans doute oui, mais en même temps vous savez, il faut être souple. Donc, j'ai aussi encore des enfants chez moi, et donc voilà, il faut concilier vie familiale et vie professionnelle. Mais je crois qu'il faut à un moment en effet être toute entière dans son engagement, mais en restant équilibrée et bien structurée avec son conjoint et ses enfants.
LAURENCE FERRARI - Merci beaucoup Madame ROYAL d'être venue dans DIMANCHE+source http://www.desirsdavenir.org, le 22 janvier 2007