Texte intégral
En 2007 : mal-logés ou sans-logis, vous aurez droit à des discours.
L'action d'associations comme "Les enfants de Don Quichotte" a fait bouger les choses pour les sans-logis.
Il faut certes du culot de la part de Jacques Chirac pour annoncer, dans son discours de voeux, qu'il veut inscrire "le droit au logement opposable" dans la loi. Cela fait près de douze ans qu'il est au pouvoir et pendant ce temps le nombre de mal-logés et de sans-logis n'a cessé d'augmenter sans que cela fasse bouger le président de la République ! Mais, enfin, au moins en paroles, Chirac reprend une vieille revendication des associations qui militent pour le droit au logement, demandant une loi qui obligerait les pouvoirs publics à assurer un logement à chaque citoyen sous peine de sanctions. Mais les associations sont les premières à exprimer leurs craintes que les choses en restent au slogan car, pour reprendre l'expression du responsable d'Emmaüs, "il ne suffit pas de proclamer pour le faire" .
Des lois qui assurent qu'un logement est un droit, il y en a eu dans le passé. La première du genre date de 1982, il y a un quart de siècle, avec le résultat que l'on sait. On estime aujourd'hui à 100 000 le nombre de celles et ceux qui vivent dans la rue. Mais il faut y ajouter près d'un million de personnes qui sont privées de logement personnel et qui sont hébergées par la famille ou des amis, ou vivent dans des foyers, quand ce n'est pas dans des caravanes. Et le nombre de personnes inscrites sur les listes d'attente de logement social avoisine le million et demi.
Le problème n'est pas vraiment nouveau car l'économie capitaliste n'a jamais pu assurer un logement correct à l'intégralité des classes populaires. Mais, depuis quelques années, cet état de choses s'est aggravé. Non seulement le nombre des sans-logis s'accroît sans cesse mais, parmi eux, il y a une proportion croissante de personnes qui ont un travail mais dont le salaire insuffisant ou la précarité de l'emploi font qu'aucun bailleur ne leur loue un logement.
Cela fait plusieurs années, en effet, que la spéculation immobilière fait flamber les loyers au point que des taudis qui ne méritent pas le nom de logements sont loués à des prix inabordables.
Que changera "le droit au logement opposable" promis par Chirac ? Si la mobilisation autour des sans-logis retombe, cela peut n'être qu'une promesse électorale de plus, oubliée aussitôt les élections terminées. Et quand bien même une loi serait votée dans ce sens, contre quelle autorité se retourner pour faire respecter son droit au logement ? Contre l'État ? Contre les municipalités ? Mais il y a déjà une loi qui oblige les municipalités d'une certaine taille à construire 20 % de logements sociaux ! Mais il suffit aux municipalités riches, dont Neuilly où Sarkozy a été maire, de payer une modeste amende pour préserver leurs citoyens fortunés de toute mixité avec des pauvres !
L'État pourrait, s'il le voulait, briser la spirale de la spéculation immobilière. Il devrait prendre l'initiative de construire lui-même les centaines de milliers de logements corrects et à loyer accessible qui manquent, sans en passer par les bétonneurs à la Bouygues, c'est-à-dire sans générer du profit privé pour les promoteurs. Et, quant aux terrains dont la rareté et la cherté sont invoquées par tant de municipalités riches, ce n'est pas un problème à condition de prendre les mesures coercitives qui s'imposent pour réquisitionner les terrains nécessaires (comme d'ailleurs les immeubles inhabités du genre de celui occupé depuis peu à Paris par l'association Droit au logement).
Mais, pour cela, il faudrait être prêt à marcher sur quelques privilèges et être capable d'appliquer une mesure en faveur des démunis avec la même détermination et la même célérité que lorsqu'il s'agit de favoriser les riches.
Bien que Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy rivalisent pour promettre un logement pour tous, il serait naïf de les croire sur parole.
Les promesses ne remplacent pas des logements
Suite à la promesse du gouvernement d'assurer 27000 places d'hébergement pour les sans-logis, l'association Les enfants de Don Quichotte, à l'origine du campement le long du canal Saint-Martin à Paris, a décidé de mettre fin à son action. L'objectif de cette association ayant été d'attirer l'attention et de faire bouger les choses, cela étant fait, son appel à lever les campements peut se comprendre. Cela ne signifie pas pour autant que les mesures «au cas par cas» proposées par le gouvernement se traduiront par une place pour tout le monde et dans des conditions acceptables.
Nombre de sans-logis ont déjà annoncé qu'ils ne répondront pas à l'appel tant que les promesses ne seront pas suivies de propositions concrètes. Ils ont toutes les raisons de se méfier des promesses.
L'approche des élections aidant, on a entendu ceux qui nous gouvernent, les uns après les autres, faire mine de s'émouvoir du sort de ceux qui n'ont d'autre choix que de dormir dans la rue. Sarkozy y est allé de sa promesse que, s'il est élu, personne n'en sera réduit à vivre dans la rue d'ici deux ans. Chirac a aussitôt surenchéri en annonçant dans ses voeux une loi sur «le droit au logement opposable», charabia juridique qui signifie qu'une personne qui n'a pas de logement peut se retourner contre l'autorité publique. Puis Villepin a pris le relais lors d'une conférence de presse, entouré d'une brochette de ministres visiblement contents d'eux, se félicitant mutuellement de tous les efforts qu'ils auraient faits en faveur des sans-logis ou des mal-logés.
Tous ces gens-là sont au pouvoir depuis cinq ans et, pendant ce temps, le nombre de sans-domicile n'a cessé d'augmenter sans que cela ait troublé leur sommeil.
Sur le nombre de sans-domicile, ils mentent bien sûr comme sur le reste. D'après les associations qui s'occupent des sans-logis, le nombre de ces derniers serait de l'ordre de 100 000, auxquels il faut encore ajouter celles et ceux, près d'un million, qui n'ont pas de logement à eux, qui vivent à demeure dans des campings ou qui dorment chez des parents ou des amis qui ont plus de coeur que nos gouvernants.
Dans cette économie capitaliste où seule compte la demande solvable, la partie la plus pauvre des exploités n'a jamais eu droit à autre chose qu'à des logements exigus ou insalubres, quand ce n'est pas à des taudis infects. Mais la spéculation immobilière qui dure depuis plusieurs années a encore aggravé la situation. Les prix se sont emballés et le nombre de logements à la portée d'un salaire ouvrier est de moins en moins suffisant par rapport à la demande, sans même parler de ceux, chômeurs, qui n'ont plus de salaire. Du coup, les bailleurs sont en position forte et sélectionnent parmi les demandeurs ceux qui offrent les meilleures garanties. Autant dire que les bas salaires ou les précaires n'ont aucune chance.
Autant dire, aussi, qu'il suffit d'un licenciement pour glisser dans la pauvreté, perdre son logement et ne plus en retrouver. D'après un récent sondage, 47 % des personnes interrogées craignent de se retrouver sans logement.
Il manque dans ce pays plusieurs centaines de milliers de logements sociaux. Si l'État prenait directement en charge un vaste programme de construction, en réquisitionnant les terrains nécessaires, sans en passer par les grosses entreprises de construction et sans leur verser du profit, cela pourrait se faire vite et pour pas cher. Il faut qu'une partie conséquente du budget y soit consacrée. Mais on ne peut pas tout à la fois réduire encore l'imposition des profits des entreprises, comme vient de le promettre Chirac, et consacrer les crédits nécessaires à un vaste programme de construction de logements sociaux.
Il est facile de prévoir que les promesses faites aux riches seront tenues, et que celles faites aux millions de mal-logés ou sans-logement seront largement oubliées! À moins qu'ils se rappellent violemment au bon souvenir du gouvernement qui sortira des élections de 2007 !
Les éloges funèbres ne coûtent rien
La mort de l'abbé Pierre suscite, à juste titre, une grande émotion dans l'opinion. Sincère dans les classes populaires, quelque peu hypocrite parmi ceux, députés, ministres, présidents de ceci ou de cela, qui dirigent le pays, tel Chirac affirmant que «l'abbé Pierre représentera toujours l'esprit de révolution contre la misère», Villepin déclarant qu'il a été «une force d'indignation capable de faire bouger les coeurs et les consciences», ou Sarkozy prétendant que «sa foi nous a entraînés sur les chemins de la bonté et de l'action».
Mais qu'ont fait ces politiciens, ou leurs prédécesseurs, pour lutter contre le scandale que dénonçait l'abbé Pierre ?
Il y a plus d'un demi-siècle qu'il a, en 1954, hurlé contre le fait que, lors de cet hiver terrible, des miséreux mouraient dans la rue, en particulier à Paris.
Cinquante-trois ans plus tard, rien n'a changé pour les sans-abri.
Il y en a toujours qui vivent et meurent dans la rue et les Enfants de Don Quichotte, à défaut d'être ceux de l'abbé Pierre, sont obligés par tous les moyens qu'ils peuvent trouver d'attirer l'attention des pouvoirs publics et celle de l'opinion sur ces drames, en espérant faire ainsi pression sur ceux qui gouvernent. Tout comme l'abbé Pierre, ils ont réussi à faire bouger, un tout petit peu, les choses, mais pas fondamentalement, la preuve en est.
Le problème est qu'on n'a pas cassé la machine qui fabrique des pauvres et des sans-logis. On en reloge, pas beaucoup, d'un côté et, à l'autre bout, on en jette à la rue un peu plus chaque jour.
La fondation de l'abbé Pierre estimait qu'il y avait après-guerre 2000 sans-logis à Paris. Un demi-siècle plus tard, il y en a 10000, soit cinq fois plus.
Son combat n'était pas dirigé contre le système économique. Nul ne peut le lui reprocher, car il s'est dévoué pour panser les plaies autant qu'il le pouvait.
Mais c'est cette machine à fabriquer des sans-logis qu'il faut détruire. Et c'est pourquoi je dénonce ceux qui ont dirigé le pays, les politiques et les maîtres de l'économie, pendant ce demi-siècle.
En 1954, la droite était au pouvoir. Deux ans après, la gauche y venait à son tour, mais rien n'a changé.
Depuis 1946, le gouvernement avait dépensé des millions pour mener la sale guerre d'Indochine et, ensuite, pour tenter d'empêcher le Maroc et la Tunisie d'accéder à l'indépendance. En 1954 débutait une autre sale guerre, celle d'Algérie, que le gouvernement socialiste de Guy Mollet s'efforça d'aggraver en y envoyant ceux qu'on a appelés les «rappelés», ces jeunes à peine libérés du service militaire qui ont dû réendosser l'uniforme pour jouer les forces de répression au Maghreb.
Alors, il n'y avait pas assez d'argent pour loger les sans-logis.
Mais ceux qui dirigent le pays ont su en trouver pour créer la «force de frappe», et dépensent toujours des fortunes pour construire un nouveau sous-marin (2,4 milliards d'euros) et un nouveau porte-avions nucléaires. Et pour se défendre contre qui ? Aucun État ne menace la France qui, elle, soutient militairement nombre de dictateurs africains, comme en Côte-d'Ivoire ou au Tchad.
Aucun des gouvernements français successifs n'a eu la volonté de dégager des fonds pour loger tous ceux que la mécanique économique jetait à la rue, ni pour l'enrayer en s'en prenant à ceux qui possèdent et dirigent l'économie.
L'abbé Pierre fut un prêtre qui s'en prenait peut-être moins au diable qu'à la misère. C'est en quoi je le juge comme un homme digne, même s'il était loin de partager mes opinions politiques et sociales.
Mais ce que je condamne, c'est tous ceux qui, aujourd'hui, versent des larmes hypocrites sur sa dépouille et qui, pendant des années, n'ont pas été avares de bonnes paroles, mais rien que de bonnes paroles, à son propos. Ceux qui disent aujourd'hui qu'on a perdu «un homme de coeur», qui dirigent le pays au plus haut niveau et sont responsables à bien des titres de la misère et des maux qu'il combattait. Eux n'ont ni coeur ni entrailles.
L'action d'associations comme "Les enfants de Don Quichotte" a fait bouger les choses pour les sans-logis.
Il faut certes du culot de la part de Jacques Chirac pour annoncer, dans son discours de voeux, qu'il veut inscrire "le droit au logement opposable" dans la loi. Cela fait près de douze ans qu'il est au pouvoir et pendant ce temps le nombre de mal-logés et de sans-logis n'a cessé d'augmenter sans que cela fasse bouger le président de la République ! Mais, enfin, au moins en paroles, Chirac reprend une vieille revendication des associations qui militent pour le droit au logement, demandant une loi qui obligerait les pouvoirs publics à assurer un logement à chaque citoyen sous peine de sanctions. Mais les associations sont les premières à exprimer leurs craintes que les choses en restent au slogan car, pour reprendre l'expression du responsable d'Emmaüs, "il ne suffit pas de proclamer pour le faire" .
Des lois qui assurent qu'un logement est un droit, il y en a eu dans le passé. La première du genre date de 1982, il y a un quart de siècle, avec le résultat que l'on sait. On estime aujourd'hui à 100 000 le nombre de celles et ceux qui vivent dans la rue. Mais il faut y ajouter près d'un million de personnes qui sont privées de logement personnel et qui sont hébergées par la famille ou des amis, ou vivent dans des foyers, quand ce n'est pas dans des caravanes. Et le nombre de personnes inscrites sur les listes d'attente de logement social avoisine le million et demi.
Le problème n'est pas vraiment nouveau car l'économie capitaliste n'a jamais pu assurer un logement correct à l'intégralité des classes populaires. Mais, depuis quelques années, cet état de choses s'est aggravé. Non seulement le nombre des sans-logis s'accroît sans cesse mais, parmi eux, il y a une proportion croissante de personnes qui ont un travail mais dont le salaire insuffisant ou la précarité de l'emploi font qu'aucun bailleur ne leur loue un logement.
Cela fait plusieurs années, en effet, que la spéculation immobilière fait flamber les loyers au point que des taudis qui ne méritent pas le nom de logements sont loués à des prix inabordables.
Que changera "le droit au logement opposable" promis par Chirac ? Si la mobilisation autour des sans-logis retombe, cela peut n'être qu'une promesse électorale de plus, oubliée aussitôt les élections terminées. Et quand bien même une loi serait votée dans ce sens, contre quelle autorité se retourner pour faire respecter son droit au logement ? Contre l'État ? Contre les municipalités ? Mais il y a déjà une loi qui oblige les municipalités d'une certaine taille à construire 20 % de logements sociaux ! Mais il suffit aux municipalités riches, dont Neuilly où Sarkozy a été maire, de payer une modeste amende pour préserver leurs citoyens fortunés de toute mixité avec des pauvres !
L'État pourrait, s'il le voulait, briser la spirale de la spéculation immobilière. Il devrait prendre l'initiative de construire lui-même les centaines de milliers de logements corrects et à loyer accessible qui manquent, sans en passer par les bétonneurs à la Bouygues, c'est-à-dire sans générer du profit privé pour les promoteurs. Et, quant aux terrains dont la rareté et la cherté sont invoquées par tant de municipalités riches, ce n'est pas un problème à condition de prendre les mesures coercitives qui s'imposent pour réquisitionner les terrains nécessaires (comme d'ailleurs les immeubles inhabités du genre de celui occupé depuis peu à Paris par l'association Droit au logement).
Mais, pour cela, il faudrait être prêt à marcher sur quelques privilèges et être capable d'appliquer une mesure en faveur des démunis avec la même détermination et la même célérité que lorsqu'il s'agit de favoriser les riches.
Bien que Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy rivalisent pour promettre un logement pour tous, il serait naïf de les croire sur parole.
Les promesses ne remplacent pas des logements
Suite à la promesse du gouvernement d'assurer 27000 places d'hébergement pour les sans-logis, l'association Les enfants de Don Quichotte, à l'origine du campement le long du canal Saint-Martin à Paris, a décidé de mettre fin à son action. L'objectif de cette association ayant été d'attirer l'attention et de faire bouger les choses, cela étant fait, son appel à lever les campements peut se comprendre. Cela ne signifie pas pour autant que les mesures «au cas par cas» proposées par le gouvernement se traduiront par une place pour tout le monde et dans des conditions acceptables.
Nombre de sans-logis ont déjà annoncé qu'ils ne répondront pas à l'appel tant que les promesses ne seront pas suivies de propositions concrètes. Ils ont toutes les raisons de se méfier des promesses.
L'approche des élections aidant, on a entendu ceux qui nous gouvernent, les uns après les autres, faire mine de s'émouvoir du sort de ceux qui n'ont d'autre choix que de dormir dans la rue. Sarkozy y est allé de sa promesse que, s'il est élu, personne n'en sera réduit à vivre dans la rue d'ici deux ans. Chirac a aussitôt surenchéri en annonçant dans ses voeux une loi sur «le droit au logement opposable», charabia juridique qui signifie qu'une personne qui n'a pas de logement peut se retourner contre l'autorité publique. Puis Villepin a pris le relais lors d'une conférence de presse, entouré d'une brochette de ministres visiblement contents d'eux, se félicitant mutuellement de tous les efforts qu'ils auraient faits en faveur des sans-logis ou des mal-logés.
Tous ces gens-là sont au pouvoir depuis cinq ans et, pendant ce temps, le nombre de sans-domicile n'a cessé d'augmenter sans que cela ait troublé leur sommeil.
Sur le nombre de sans-domicile, ils mentent bien sûr comme sur le reste. D'après les associations qui s'occupent des sans-logis, le nombre de ces derniers serait de l'ordre de 100 000, auxquels il faut encore ajouter celles et ceux, près d'un million, qui n'ont pas de logement à eux, qui vivent à demeure dans des campings ou qui dorment chez des parents ou des amis qui ont plus de coeur que nos gouvernants.
Dans cette économie capitaliste où seule compte la demande solvable, la partie la plus pauvre des exploités n'a jamais eu droit à autre chose qu'à des logements exigus ou insalubres, quand ce n'est pas à des taudis infects. Mais la spéculation immobilière qui dure depuis plusieurs années a encore aggravé la situation. Les prix se sont emballés et le nombre de logements à la portée d'un salaire ouvrier est de moins en moins suffisant par rapport à la demande, sans même parler de ceux, chômeurs, qui n'ont plus de salaire. Du coup, les bailleurs sont en position forte et sélectionnent parmi les demandeurs ceux qui offrent les meilleures garanties. Autant dire que les bas salaires ou les précaires n'ont aucune chance.
Autant dire, aussi, qu'il suffit d'un licenciement pour glisser dans la pauvreté, perdre son logement et ne plus en retrouver. D'après un récent sondage, 47 % des personnes interrogées craignent de se retrouver sans logement.
Il manque dans ce pays plusieurs centaines de milliers de logements sociaux. Si l'État prenait directement en charge un vaste programme de construction, en réquisitionnant les terrains nécessaires, sans en passer par les grosses entreprises de construction et sans leur verser du profit, cela pourrait se faire vite et pour pas cher. Il faut qu'une partie conséquente du budget y soit consacrée. Mais on ne peut pas tout à la fois réduire encore l'imposition des profits des entreprises, comme vient de le promettre Chirac, et consacrer les crédits nécessaires à un vaste programme de construction de logements sociaux.
Il est facile de prévoir que les promesses faites aux riches seront tenues, et que celles faites aux millions de mal-logés ou sans-logement seront largement oubliées! À moins qu'ils se rappellent violemment au bon souvenir du gouvernement qui sortira des élections de 2007 !
Les éloges funèbres ne coûtent rien
La mort de l'abbé Pierre suscite, à juste titre, une grande émotion dans l'opinion. Sincère dans les classes populaires, quelque peu hypocrite parmi ceux, députés, ministres, présidents de ceci ou de cela, qui dirigent le pays, tel Chirac affirmant que «l'abbé Pierre représentera toujours l'esprit de révolution contre la misère», Villepin déclarant qu'il a été «une force d'indignation capable de faire bouger les coeurs et les consciences», ou Sarkozy prétendant que «sa foi nous a entraînés sur les chemins de la bonté et de l'action».
Mais qu'ont fait ces politiciens, ou leurs prédécesseurs, pour lutter contre le scandale que dénonçait l'abbé Pierre ?
Il y a plus d'un demi-siècle qu'il a, en 1954, hurlé contre le fait que, lors de cet hiver terrible, des miséreux mouraient dans la rue, en particulier à Paris.
Cinquante-trois ans plus tard, rien n'a changé pour les sans-abri.
Il y en a toujours qui vivent et meurent dans la rue et les Enfants de Don Quichotte, à défaut d'être ceux de l'abbé Pierre, sont obligés par tous les moyens qu'ils peuvent trouver d'attirer l'attention des pouvoirs publics et celle de l'opinion sur ces drames, en espérant faire ainsi pression sur ceux qui gouvernent. Tout comme l'abbé Pierre, ils ont réussi à faire bouger, un tout petit peu, les choses, mais pas fondamentalement, la preuve en est.
Le problème est qu'on n'a pas cassé la machine qui fabrique des pauvres et des sans-logis. On en reloge, pas beaucoup, d'un côté et, à l'autre bout, on en jette à la rue un peu plus chaque jour.
La fondation de l'abbé Pierre estimait qu'il y avait après-guerre 2000 sans-logis à Paris. Un demi-siècle plus tard, il y en a 10000, soit cinq fois plus.
Son combat n'était pas dirigé contre le système économique. Nul ne peut le lui reprocher, car il s'est dévoué pour panser les plaies autant qu'il le pouvait.
Mais c'est cette machine à fabriquer des sans-logis qu'il faut détruire. Et c'est pourquoi je dénonce ceux qui ont dirigé le pays, les politiques et les maîtres de l'économie, pendant ce demi-siècle.
En 1954, la droite était au pouvoir. Deux ans après, la gauche y venait à son tour, mais rien n'a changé.
Depuis 1946, le gouvernement avait dépensé des millions pour mener la sale guerre d'Indochine et, ensuite, pour tenter d'empêcher le Maroc et la Tunisie d'accéder à l'indépendance. En 1954 débutait une autre sale guerre, celle d'Algérie, que le gouvernement socialiste de Guy Mollet s'efforça d'aggraver en y envoyant ceux qu'on a appelés les «rappelés», ces jeunes à peine libérés du service militaire qui ont dû réendosser l'uniforme pour jouer les forces de répression au Maghreb.
Alors, il n'y avait pas assez d'argent pour loger les sans-logis.
Mais ceux qui dirigent le pays ont su en trouver pour créer la «force de frappe», et dépensent toujours des fortunes pour construire un nouveau sous-marin (2,4 milliards d'euros) et un nouveau porte-avions nucléaires. Et pour se défendre contre qui ? Aucun État ne menace la France qui, elle, soutient militairement nombre de dictateurs africains, comme en Côte-d'Ivoire ou au Tchad.
Aucun des gouvernements français successifs n'a eu la volonté de dégager des fonds pour loger tous ceux que la mécanique économique jetait à la rue, ni pour l'enrayer en s'en prenant à ceux qui possèdent et dirigent l'économie.
L'abbé Pierre fut un prêtre qui s'en prenait peut-être moins au diable qu'à la misère. C'est en quoi je le juge comme un homme digne, même s'il était loin de partager mes opinions politiques et sociales.
Mais ce que je condamne, c'est tous ceux qui, aujourd'hui, versent des larmes hypocrites sur sa dépouille et qui, pendant des années, n'ont pas été avares de bonnes paroles, mais rien que de bonnes paroles, à son propos. Ceux qui disent aujourd'hui qu'on a perdu «un homme de coeur», qui dirigent le pays au plus haut niveau et sont responsables à bien des titres de la misère et des maux qu'il combattait. Eux n'ont ni coeur ni entrailles.