Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle de 2007, à La Chaîne Info LCI le 5 février 2007, sur sa campagne électorale, ses différences avec les méthodes politiques de Nicolas Sarkozy, la position de la France sur la colonisation en Algérie et la politique de l'enseignement.

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QUESTION : 13% dans le dernier sondage TNS-Sofrès pour LCI, 4 points de hausse, un demi point devant Le Pen. Comment expliquez-vous votre forme actuelle ?
François BAYROU : Les Français attendent et cherchent une solution, un choix, une proposition qui ne soit pas celle dans laquelle on voudrait les enfermer. Et ils veulent une approche politique nouvelle. Et l'approche politique que je propose, c'est-à-dire "arrêtons la guerre éternelle entre droite et gauche" - de toute façon, sur de nombreux sujets, ils disent la même chose - "Arrêtons cet affrontement stérile et au contraire, regardons l'avenir en disant que nous allons faire travailler ensemble des gens de droite et des gens de gauche sur des solutions précises, concrètes pour le pays", cela touche les Français et c'est ce qu'ils attendaient.
QUESTION : Alors quelle est votre stratégie pour éviter l'essoufflement des dernières semaines face au vote utile de chaque camp et face à ce que les experts appellent la latéralisation du débat politique, c'est-à- dire le retour vers du droite/gauche quand on approche du scrutin ?
François BAYROU : Je ne crois pas à cela. Je pense qu'au contraire, les Français vont être de plus en plus nombreux à vouloir imposer un changement politique dans notre pays. Cela fait 25 ans qu'on a le phénomène que vous indiquez, ça fait 25 ans que ça dure, 25 ans qui sont 25 ans d'échecs redoublés pour le pays et les Français le savent très bien. Et donc quelqu'un qui leur ouvre la porte d'un autre espoir, c'est quelqu'un qui les intéresse et autour duquel ils se regroupent.
QUESTION : F. Fillon expliquait hier sur LCI que la grande coalition droite/gauche que vous appelez de vos voeux, ne pourra pas fonctionner, notamment parce que la gauche qui n'a voté aucun des textes présentés par l'UMP depuis 5 ans, ne s'y prêtera pas.
François BAYROU : Les responsables des deux partis vont vous dire, jusqu'au bout, que c'est impossible. Mais il suffit de revenir un peu en arrière. Il y a 18 mois à peine, en Allemagne, de l'autre côté du Rhin, le plus grand pays de l'Europe, les deux formations politiques de droite et de gauche expliquaient que jamais, elles ne gouverneraient ensemble, que jamais ça ne marcherait. Et puis les électeurs allemands ont dit "nous vous mettons en demeure de le faire". Et ils ont bien été obligés de céder. Il y a 18 mois qu'une grande alliance fonctionne en Allemagne sous l'autorité d'A. Merkel et c'est extraordinaire parce que les résultats aujourd'hui font ouvrir des yeux émerveillés à toute l'Europe. Voilà un pays qui était à la traîne, qui se retrouve en avance, dont vous savez qu'il fait des performances absolument remarquables. Simplement parce que les électeurs l'ont choisi. En Allemagne, ils ont la clé pour le faire avec des élections législatives. Ce n'est pas le cas en France. En France, il n'y a que l'élection présidentielle, en élisant un président qui va être mandaté par le pays pour mettre en place un gouvernement d'alliance et de rassemblement autour du redressement du pays.
QUESTION : Dans ce but-là, êtes-vous comme on le dit en contact avec D. Strauss-Kahn pour travailler, demain, avec lui ?
François BAYROU : Non, je ne ferai rien qui soit secret, sous la table, je ne ferai rien qui soit de l'ordre de la manoeuvre. La proposition, et je suis sûr d'ailleurs que ne s'y prêteraient pas les femmes et hommes que l'on cite, moi je suis certain en revanche que lorsque le pays aura dit "c'est ce que nous voulons, nous peuple souverain, nous les Français, c'est ce que nous voulons ; s'il vous plaît, pour nous sortir de cette difficulté, nous avons besoin d'avoir la garantie que vous êtes capables de trouver des solutions d'équilibre", lorsque les Français l'auront dit, à ce moment-là, nombreux seront les femmes et les hommes qui se prêteront ou qui se donneront à cet effort.
QUESTION : Quand N. Sarkozy cite Jaurès, Blum, les travailleurs, les travailleuses, vous vous dites que vous marquez des points dans son esprit ?
François BAYROU : D'abord c'est un peu drôle évidemment. On a un proverbe en Béarn que j'ai récemment inventé et qui est "ce n'est pas parce que le renard se couvre de plumes qu'on va le prendre pour une poule". Naturellement, on voit bien pourquoi le renard se couvre de plumes : c'est parce qu'il veut rentrer dans le poulailler. Mais depuis longtemps, on sait qu'il y a de grandes différences entre le renard et les poules. Cette manière de perpétuellement abandonner, au fond, les valeurs dont on se réclamait pour essayer d'aller prendre l'autre camp avec des valeurs qui ne sont pas les siennes, ça ne ressemble pas à la politique transparente.
QUESTION : Est-ce qu'il n'est pas rentré, N. Sarkozy, dans votre poulailler en vous prenant de plus en plus d'élus ? On annonce qu'A. Santini pourrait le rejoindre après C. Blanc la semaine dernière.
François BAYROU : Je ne crois pas cela. Vous voyez, c'est exactement la politique... ce serait, si c'était vrai, la politique comme on n'en veut plus. Vous avez expliqué que de plus en plus nombreux, les Français se regroupaient autour de moi. Ils se regroupent autour de moi parce que l'approche qui est la mienne est une approche d'une absolue loyauté. Je ne cherche pas à aller dévoyer des élus. Je présente devant les Français une approche politique dans laquelle je dis "si vous votez pour moi, je composerai un Gouvernement qui réunira des compétences, des femmes et des hommes issus des deux camps traditionnellement opposés de la politique française". C'est extrêmement différent. Vous imaginez d'un côté la manoeuvre, les pressions de toute nature qui font qu'on voudrait prendre des élus contre leur conviction. Et de l'autre côté, une démarche qui au contraire dit "gardez vos convictions, soyez qui vous êtes, venez avec votre identité et nous allons travailler ensemble parce que la France, c'est des gens de droite, des gens du centre et des gens de gauche. Et il est important que toutes ces sensibilités du pays se regroupent".
QUESTION : Diriez-vous comme N. Sarkozy que l'école est en faillite ?
François BAYROU : Non l'école n'est pas en faillite. Et faire perpétuellement le procès de l'école, c'est d'une certaine manière participer à son abaissement. L'école n'est pas en faillite mais on ne peut pas demander à l'école de résoudre tous les problèmes de la société française sans lui donner la confiance et les moyens de cet effort. Et donc pour ma part, il y aura toujours la double composante dans la politique pour l'école que je présenterai : affirmation de confiance et de soutien, premièrement, avec les moyens qui vont avec et, deuxièmement, définition d'exigences nouvelles pour que l'école permette l'égalité des chances qui est la clé du pacte républicain français.
QUESTION : Confiance et soutien avec les moyens, ça ne donne pas un peu la cogestion qu'on vous a reprochée quand vous étiez ministre de l'Education ?
François BAYROU : Personne ne résoudra les problèmes de l'Education nationale s'il n'est pas capable d'avoir la confiance et l'adhésion des enseignants, des parents d'élèves et des élèves. On a besoin des trois. Et ceci exige en effet un effort de compréhension de ceux qu'on a en face de soi et pas cet effort d'humiliation ou pas cet agissement d'humiliation qu'on connaît si souvent.
QUESTION : J. Lang, à Alger, a suggéré que la France reconnaisse les crimes qu'elle a commis en Algérie depuis la colonisation de 1830. C'est une bonne démarche, vous partagez son avis ?
François BAYROU : Non. Je pense que chaque fois qu'on essaie d'instruire le procès en injuriant ou en insultant ceux qui ont donné une grande part de leur vie et toute leur vie et plusieurs générations à un effort dont je rappelle qu'après tout, il était l'effort de la République et spécialement de la gauche - parce que vous savez à quel point Jules Ferry, par exemple, a été de ceux qui ont porté cette vision de la colonisation - chaque fois qu'on fait ça, on creuse à nouveau les blessures du pays. Et pour ma part, ce n'est pas la vision qui est la mienne. Il y a eu trop de victimes à la fois des Français en Algérie et puis des Harkis et puis aussi des immigrés qui sont perpétuellement en train de porter le poids de tout ça. Il y a eu trop de victimes pour qu'on s'exprime en ces termes-là. Je pense que c'est une grave imprudence.
QUESTION : Si vous étiez un des Français anonymes invités ce soir sur TF1 pour la première de l'émission " J'ai une question à vous poser ", quelle question poseriez-vous à N. Sarkozy ?
François BAYROU : D'abord je ne pose pas de question à N. Sarkozy, ça c'est votre métier. Mais je sais une chose : on ne peut pas accumuler les promesses non financées comme on est en train de le faire dans la campagne électorale, sur ces deux bords. Ce sont des dizaines et des dizaines de milliards d'euros qu'on promet de dépenser dans un pays où la dette et le déficit écrasent perpétuellement notre capacité d'action. Et ceci pour moi, est une des choses les plus menaçantes et regrettables dans la campagne électorale que nous sommes en train de vivre. Je me suis juré de toujours parler du déficit et de la dette et je n'entrerai pas dans le piège de ceux qui multiplient les dizaines de milliards d'euros de promesses. Une nouvelle fois, c'est fait pour duper les gens ; les promesses n'engagent que ceux qui les reçoivent, dit-on, disait-on. En tous cas, moi je n'accepte pas cet écrasement des Français sous les promesses électorales.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 février 2007