Texte intégral
(...)
Q - Sur les propos du président au sujet du dossier nucléaire iranien
R - Moi, je vais vous dire ce que je pense. La parole de la France n'a pas changé. C'est une des affaires les plus dangereuses du monde. D'abord, évidemment pour la politique étrangère de la France, mais aussi pour la stabilité du monde. Le président Chirac a une voix qui est extrêmement respectée, on peut être d'accord ou pas avec lui, mais on respecte sa voix, en particulier en 2003 lorsqu'il a dit qu'il ne fallait pas aller en Irak. Aujourd'hui, y compris, aux Etats-Unis, on comprend maintenant qu'il avait raison.
Sur l'Iran, nous sommes fermes : si l'Iran continue ses activités nucléaires sensibles, nous continuerons les sanctions que nous avons votées avec les Russes, les Chinois, les Américains, les Britanniques, avec l'ensemble de la communauté internationale. Nous sommes fermes parce que nous ne voulons pas que les Iraniens aient autre chose, en termes de nucléaire, que du nucléaire pacifique à des fins civiles. C'est clair.
Q - Alors, pourquoi a-t-il dit cela à ces journalistes ?
R - Il répond à des journalistes à propos de la Conférence sur l'Environnement. On lui pose une question sur l'Iran. Il estime - et c'est tout à son honneur que d'avoir justement ce scrupule - que sa réaction n'est pas complète. Il fait une deuxième interview et il dit exactement ce que je viens de vous dire : la France n'a pas changé de position. Pourquoi ? Parce que, depuis le début, nous ne voulons qu'une chose, c'est travailler avec nos partenaires européens, l'ensemble de la communauté internationale avec les Américains, les Russes et les Chinois. Il ne nous est jamais arrivé de parler seuls aux Iraniens...
Q - Mais, Monsieur le Ministre, certains disent que c'est le fond de sa pensée...
R - Je suis aujourd'hui le chef de la diplomatie française. Je travaille sous sa responsabilité, je vous donne la position de la France, officielle.
Q - Mais on dit "off" des choses parfois...
R - Donc, vous ne me croyez pas...
Q - Mais si, je vous crois, je vous écoute... mais je suis là pour vous questionner.
R - Dans la politique internationale et dans la politique tout court, il n'y a qu'une seule chose qui compte : ce sont les actes. Au Conseil de sécurité des Nations unies, le 23 décembre dernier, il y avait un vote - abstention, pour ou contre. Nous avons voté pour les sanctions. Et je vais même vous dire mieux : le 31 juillet de cette année, nous présidions le Conseil de sécurité des Nations unies, et c'est sous notre présidence que nous avons pris la décision des sanctions.
A l'inverse, il faut dialoguer. Et c'est là où le président Chirac est important et c'est là où la France est importante. Nous ne sommes pas comme certains, par exemple les Américains qui ne veulent toujours que des sanctions. Nous voulons aussi tendre la main en disant aux Iraniens : si vous suspendez les activités nucléaires sensibles, nous, nous suspendons les sanctions. C'est la voix de la France, cette voix d'équilibre entre les Russes et les Chinois d'un côté qui veulent moins de sanctions, les Américains qui en veulent plus. Nous sommes ce point d'équilibre. Que ce point d'équilibre continue ! La voix de la France, elle est nécessaire aujourd'hui dans le monde.
Q - Vous avez vu ce qu'a dit Jack Lang :" la grave faute commise par Jacques Chirac est impardonnable" dit-il "qu'aurait-on dit de Ségolène Royal si elle avait commis cette très grave faute diplomatique, cette très grave faute en termes de sécurité nucléaire mondiale ?"
R - C'est intéressant, parce que Ségolène Royal s'est exprimée sur le sujet, d'abord lors du débat entre socialistes, ensuite en tant que candidate aux élections présidentielles en disant : "La meilleure solution pour que l'Iran n'ait pas un jour la bombe atomique, c'est de ne pas lui laisser faire...
Q - ... aller sur le terrain du nucléaire civil...
R -... aller sur le terrain du nucléaire civil." Alors, cela, ce n'est pas une bourde, ce n'est pas une erreur, c'est quelque chose qu'elle assume. Donc, je la respecte totalement et je la crois lorsqu'elle dit cela. Je trouve cela très grave ; ce serait le seul chef d'Etat, si elle était élue, à être contre le Traité de non-prolifération. C'est quelque chose d'inouï, parce que si on ne donne pas le droit - je dis bien le droit - aux Iraniens d'avoir de l'électricité par l'énergie nucléaire, alors évidemment, ils ...
Q - Oui, mais ça...
R - Non, mais c'est important. Vous me lancez sur M. Lang et Mme Royal. Je pense qu'elle a fait là non pas une erreur. A mon avis c'est beaucoup plus qu'une erreur, c'est quelque chose qui est impossible : ne pas donner le droit au nucléaire civil aux pays qui en ont besoin. Je vous rappelle aujourd'hui qu'il y a 188 pays qui ont signé ce traité, qui font du nucléaire civil. Mais parce qu'ils ont signé ce traité, ils ne font pas la bombe atomique.
(...)
Q - Revenons sur la politique internationale. Vous avez essayé de travailler dans une maison - je cite votre livre - "tout en ayant le sentiment de ne pas en avoir la légitimité aux yeux de ceux qui en font partie". A la fin, supposée, de votre séjour au Quai d'Orsay, vous sentez-vous un peu plus légitime ?
R - Je vous l'ai dit, je ne suis pas énarque, je ne suis pas diplomate de carrière. Et, en même temps, aujourd'hui, je dois dire que l'équipe que j'anime est une équipe extrêmement soudée. Je crois qu'en effet la guerre du Liban au mois d'août y est pour beaucoup, tout comme, peut-être, ce que nous avons créé. Parce que nous avons fait, tous ensemble, au Quai d'Orsay, avec cette magnifique idée de Jacques Chirac, UNITAID pour trouver des financements nouveaux. Le XXIème siècle va être en effet marqué par une seule chose, ce fossé béant qui existe entre les pays du Nord de plus en plus riches et les pays du Sud de plus en plus pauvres, en dehors de l'Inde, de la Chine et du Brésil. Que fait-on demain ? Car cette humiliation, cette colère est en train de s'emparer de tous ces pauvres, de ces damnés de la terre qu'on laisse, de manière égoïste, "crever" - parce que c'est le mot - du sida, de la tuberculose ou d'autre chose. Mais, au bout du compte, c'est évidemment une émigration vers le Nord de dizaines, pour ne pas dire de centaines de millions de personnes. Et évidemment, c'est le terrorisme qui nous guette.
Je suis heureux qu'on ait pu avoir l'idée de cette centrale d'achat de médicaments.
Q - Ca, c'est votre oeuvre d'avoir concilié les Affaires étrangères, l'humanitaire, la solidarité, la santé, c'est cela dont vous êtes fier ?
R - Sauf que je suis heureux de voir que le Quai d'Orsay et les diplomates comprennent que ce n'est pas une question humanitaire, ni une question de santé, ni une question uniquement éthique ou morale : c'est de la politique internationale.
Q - C'est la vraie politique, c'est ça ?
R - C'est la vraie politique internationale.
Q - On ne peut pas faire de la vraie politique étrangère si on ne s'occupe pas de cela maintenant ?
R - Evidemment, parce que les plus grandes écoles de terrorisme aujourd'hui vont se trouver dans la bande sahélienne. Car ce ne sont pas des lois qui vont régler les problèmes de l'émigration. Donc, oui, je suis très heureux de dire que, grâce UNITAID - avec la Fondation Gates, avec la Fondation Clinton qui sont présentes dans ce conseil d'administration que je préside aujourd'hui au niveau mondial - 200.000 enfants dans le Sud ont droit à la trithérapie ou à des antibiotiques qui ont été découverts en 1954 chez nous et auxquels ils n'ont pas accès aujourd'hui.
Qu'un enfant meure toutes les 30 secondes de paludisme, cela c'est de la politique internationale, ce n'est pas de l'humanitaire. Car sinon, quand vous avez un enfant qui meure, bien évidemment vous allez faire 4000 kilomètres pour aller chercher le médicament qui peut le sauver.
Q - Quand je suis venu vous voir jeudi, vous m'avez parlé de votre plus grand regret en temps que ministre des Affaires étrangères.
(Reportage, interview :
Q - Quel est le plus grand regret que vous aurez ?
R - C'est le fait de ne pas arriver actuellement à voir des Palestiniens s'entendre autour de Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne, et voir cette guerre civile qui existe entre le Fatah et le Hamas. Nous avons aidé, nous avons cru depuis le début à ces accords d'Oslo, à l'esprit d'Oslo, à ces deux Etats viables vivant côte à côte, avec la sécurité pour Israël, la paix pour les Palestiniens. Eh bien je suis extrêmement meurtri que l'Union européenne, la France bien sûr, mais l'Union européenne n'arrive pas à imposer sa voix.)
Q - A propos de la réponse du Ministre sur la question du nucléaire iranien
R - Pierre Moscovici, vous êtes restés cinq ans au ministère des Affaires étrangères. Vous savez ce qu'est le multilatéralisme et le Conseil de sécurité des Nations unies. Au Conseil de sécurité des Nations unies, le 23 décembre dernier, on devait voter pour ou contre des sanctions contre l'Iran. Des sanctions ce n'est pas rien en diplomatie. Nous avons écrit ce texte avec es Allemands et les Britanniques - vous ne pouvez pas dire que les Britanniques tergiversent avec l'Iran, ce n'est pas vrai . Je l'ai fait avec Mme Rice et nous l'avons fait avec les Chinois et avec les Russes. Nous avons voté ces sanctions. Donc, il n'est absolument pas question de faire croire des choses fausses aux Français qui nous écoutent : nous sommes très fermes avec les Iraniens.
J'ai trouvé inacceptable et choquant ce qu'a pu dire M. Ahmadinejad, le président iranien, sur Israël, qui a osé dire qu'il fallait faire une croix sur ce pays. Je trouve inacceptable que mon homologue iranien, M. Mottaki, ministre des Affaires étrangères, ait ouvert le Colloque sur l'Holocauste comme si on disait que tout cela n'avait pas existé. Tout cela est effrayant. Nous l'avons dit.
Il n'empêche, Pierre Moscovici, vous connaissez trop la vie diplomatique, pour ne pas savoir s'il y a des sanctions d'un côté, qu'à un moment donné, il faut essayer de tout faire pour éviter qu'il y ait une guerre. Parce que c'est notre métier de diplomate, à vous comme à moi, de tout faire, pour cela. La diplomatie c'est essayer d'éviter la guerre pour notre pays d'abord et pour le monde ensuite.
Eh bien, qu'a dit le président Chirac ? Il a parlé d'une "double suspension". Suspendez les activités nucléaires sensibles, vous, les Iraniens. Une fois que vous les aurez suspendues, alors nous, nous allons suspendre les sanctions. Cela, c'est la voix de la France.
Q - Monsieur le Ministre, comment est-ce que vous répondez (inaudible) (à ceux qui disent) qu'on ne peut pas discuter, au fond, avec ces Iraniens, ce sont des "fous de Dieu" ? Est-ce qu'ils croient à la vertu de la dissuasion dite classique ? Est-ce que c'est possible ?
R - Nous sommes tout à fait d'accord, les uns comme les autres. Je crois qu'en France il n'y a pas une personne, je l'espère, qui puisse penser qu'on va laisser les Iraniens faire une activité nucléaire qui ne soit pas à des fins pacifiques.
La question est de savoir comment faire pour les faire changer d'avis. Nous pensons que la seule solution- et les Américains pensent aussi que la seule solution-est de les isoler. Comment isole-t-on les Iraniens ? En y allant militairement ? Certainement pas. La solution militaire, Monsieur Moscovici, ne fonctionnera pas.
A partir du moment où ce n'est pas la solution militaire, c'est donc la solution diplomatique, il n'y en a pas une autre. Si c'est la solution diplomatique, il faut donc les isoler d'abord sur le plan économique.
Eh bien, depuis 20 jours, il y a une nouveauté en Iran. Il y a un débat qui s'est installé entre, d'un côté le président iranien Ahmadinejad et, de l'autre, l'ancien président Rafsandjani, l'ancien président Khatami, le guide suprême M. Khamenei qui commencent à dire : "M. Ahmadinejad commence peut-être à avoir une politique un peu dangereuse".
Donc, il faut isoler progressivement les Iraniens.
(...)
Q - Je voudrais d'abord que vous réfléchissiez d'abord à ce que vous appelez la "bourde" de Ségolène Royal. Est-ce que c'est au même niveau ?
R - Les sanctions économiques, c'est la première étape. Ensuite, il y a une montée dans les sanctions économiques- vous connaissez les chapitres de la Charte des Nations unies. Donc, cela commence par des sanctions économiques. C'est le chapitre VII, c'est ce qui s'est passé. Le recours au chapitre VII, c'est le président Chirac qui l'a décidé au nom de la France.
Donc, ne nous faites pas croire qu'il n'est pas ferme. Il l'est.
Sur le plan du nucléaire civil - on vient de sortir de deux jours d'une conférence mondiale sur l'environnement -, que fait-on ? La température est en train d'augmenter sur la planète, c'est du jamais vu, 14, 5 degrés de moyenne cette année. Pourquoi ? Parce qu'il y a une industrialisation galopante des nouveaux pays du Sud, mais aussi des Etats-Unis qui pensent pas à la pollution. Le Protocole de Kyoto n'est pas signé par beaucoup de gens. Résultat : il y a évidemment beaucoup de pollution. La seule solution, c'est le nucléaire civil.
Et dont, que l'Iran ait droit au nucléaire civil, c'est absolument fondamental pour lui. Mais il a signé le Traité de non-prolifération. Ce Traité de non-prolifération pose problème, évidemment puisqu'il y a de nombreux pays qui l'ont signé et qui font quand même un peu plus, c'est-à-dire du nucléaire à des fins non-pacifiques.
La question qui est posée : si jamais on refusait à l'Iran ce droit au nucléaire civil, comme Ségolène Royal l'a proposé, eh bien il sortirait du système multilatéral, il sortirait de l'AIEA, il ferait exactement ce qu'il voudrait. Aujourd'hui, 188 pays ont signé le Traité de non-prolifération et ne font pas la bombe atomique.
Q - A propos du Traité de non-prolifération.
R - Le problème, c'est que le traité de non-prolifération est nécessaire. Il est nécessaire à la marche du monde. Il faut probablement le faire évoluer...
(...)./.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 février 2007
Q - Sur les propos du président au sujet du dossier nucléaire iranien
R - Moi, je vais vous dire ce que je pense. La parole de la France n'a pas changé. C'est une des affaires les plus dangereuses du monde. D'abord, évidemment pour la politique étrangère de la France, mais aussi pour la stabilité du monde. Le président Chirac a une voix qui est extrêmement respectée, on peut être d'accord ou pas avec lui, mais on respecte sa voix, en particulier en 2003 lorsqu'il a dit qu'il ne fallait pas aller en Irak. Aujourd'hui, y compris, aux Etats-Unis, on comprend maintenant qu'il avait raison.
Sur l'Iran, nous sommes fermes : si l'Iran continue ses activités nucléaires sensibles, nous continuerons les sanctions que nous avons votées avec les Russes, les Chinois, les Américains, les Britanniques, avec l'ensemble de la communauté internationale. Nous sommes fermes parce que nous ne voulons pas que les Iraniens aient autre chose, en termes de nucléaire, que du nucléaire pacifique à des fins civiles. C'est clair.
Q - Alors, pourquoi a-t-il dit cela à ces journalistes ?
R - Il répond à des journalistes à propos de la Conférence sur l'Environnement. On lui pose une question sur l'Iran. Il estime - et c'est tout à son honneur que d'avoir justement ce scrupule - que sa réaction n'est pas complète. Il fait une deuxième interview et il dit exactement ce que je viens de vous dire : la France n'a pas changé de position. Pourquoi ? Parce que, depuis le début, nous ne voulons qu'une chose, c'est travailler avec nos partenaires européens, l'ensemble de la communauté internationale avec les Américains, les Russes et les Chinois. Il ne nous est jamais arrivé de parler seuls aux Iraniens...
Q - Mais, Monsieur le Ministre, certains disent que c'est le fond de sa pensée...
R - Je suis aujourd'hui le chef de la diplomatie française. Je travaille sous sa responsabilité, je vous donne la position de la France, officielle.
Q - Mais on dit "off" des choses parfois...
R - Donc, vous ne me croyez pas...
Q - Mais si, je vous crois, je vous écoute... mais je suis là pour vous questionner.
R - Dans la politique internationale et dans la politique tout court, il n'y a qu'une seule chose qui compte : ce sont les actes. Au Conseil de sécurité des Nations unies, le 23 décembre dernier, il y avait un vote - abstention, pour ou contre. Nous avons voté pour les sanctions. Et je vais même vous dire mieux : le 31 juillet de cette année, nous présidions le Conseil de sécurité des Nations unies, et c'est sous notre présidence que nous avons pris la décision des sanctions.
A l'inverse, il faut dialoguer. Et c'est là où le président Chirac est important et c'est là où la France est importante. Nous ne sommes pas comme certains, par exemple les Américains qui ne veulent toujours que des sanctions. Nous voulons aussi tendre la main en disant aux Iraniens : si vous suspendez les activités nucléaires sensibles, nous, nous suspendons les sanctions. C'est la voix de la France, cette voix d'équilibre entre les Russes et les Chinois d'un côté qui veulent moins de sanctions, les Américains qui en veulent plus. Nous sommes ce point d'équilibre. Que ce point d'équilibre continue ! La voix de la France, elle est nécessaire aujourd'hui dans le monde.
Q - Vous avez vu ce qu'a dit Jack Lang :" la grave faute commise par Jacques Chirac est impardonnable" dit-il "qu'aurait-on dit de Ségolène Royal si elle avait commis cette très grave faute diplomatique, cette très grave faute en termes de sécurité nucléaire mondiale ?"
R - C'est intéressant, parce que Ségolène Royal s'est exprimée sur le sujet, d'abord lors du débat entre socialistes, ensuite en tant que candidate aux élections présidentielles en disant : "La meilleure solution pour que l'Iran n'ait pas un jour la bombe atomique, c'est de ne pas lui laisser faire...
Q - ... aller sur le terrain du nucléaire civil...
R -... aller sur le terrain du nucléaire civil." Alors, cela, ce n'est pas une bourde, ce n'est pas une erreur, c'est quelque chose qu'elle assume. Donc, je la respecte totalement et je la crois lorsqu'elle dit cela. Je trouve cela très grave ; ce serait le seul chef d'Etat, si elle était élue, à être contre le Traité de non-prolifération. C'est quelque chose d'inouï, parce que si on ne donne pas le droit - je dis bien le droit - aux Iraniens d'avoir de l'électricité par l'énergie nucléaire, alors évidemment, ils ...
Q - Oui, mais ça...
R - Non, mais c'est important. Vous me lancez sur M. Lang et Mme Royal. Je pense qu'elle a fait là non pas une erreur. A mon avis c'est beaucoup plus qu'une erreur, c'est quelque chose qui est impossible : ne pas donner le droit au nucléaire civil aux pays qui en ont besoin. Je vous rappelle aujourd'hui qu'il y a 188 pays qui ont signé ce traité, qui font du nucléaire civil. Mais parce qu'ils ont signé ce traité, ils ne font pas la bombe atomique.
(...)
Q - Revenons sur la politique internationale. Vous avez essayé de travailler dans une maison - je cite votre livre - "tout en ayant le sentiment de ne pas en avoir la légitimité aux yeux de ceux qui en font partie". A la fin, supposée, de votre séjour au Quai d'Orsay, vous sentez-vous un peu plus légitime ?
R - Je vous l'ai dit, je ne suis pas énarque, je ne suis pas diplomate de carrière. Et, en même temps, aujourd'hui, je dois dire que l'équipe que j'anime est une équipe extrêmement soudée. Je crois qu'en effet la guerre du Liban au mois d'août y est pour beaucoup, tout comme, peut-être, ce que nous avons créé. Parce que nous avons fait, tous ensemble, au Quai d'Orsay, avec cette magnifique idée de Jacques Chirac, UNITAID pour trouver des financements nouveaux. Le XXIème siècle va être en effet marqué par une seule chose, ce fossé béant qui existe entre les pays du Nord de plus en plus riches et les pays du Sud de plus en plus pauvres, en dehors de l'Inde, de la Chine et du Brésil. Que fait-on demain ? Car cette humiliation, cette colère est en train de s'emparer de tous ces pauvres, de ces damnés de la terre qu'on laisse, de manière égoïste, "crever" - parce que c'est le mot - du sida, de la tuberculose ou d'autre chose. Mais, au bout du compte, c'est évidemment une émigration vers le Nord de dizaines, pour ne pas dire de centaines de millions de personnes. Et évidemment, c'est le terrorisme qui nous guette.
Je suis heureux qu'on ait pu avoir l'idée de cette centrale d'achat de médicaments.
Q - Ca, c'est votre oeuvre d'avoir concilié les Affaires étrangères, l'humanitaire, la solidarité, la santé, c'est cela dont vous êtes fier ?
R - Sauf que je suis heureux de voir que le Quai d'Orsay et les diplomates comprennent que ce n'est pas une question humanitaire, ni une question de santé, ni une question uniquement éthique ou morale : c'est de la politique internationale.
Q - C'est la vraie politique, c'est ça ?
R - C'est la vraie politique internationale.
Q - On ne peut pas faire de la vraie politique étrangère si on ne s'occupe pas de cela maintenant ?
R - Evidemment, parce que les plus grandes écoles de terrorisme aujourd'hui vont se trouver dans la bande sahélienne. Car ce ne sont pas des lois qui vont régler les problèmes de l'émigration. Donc, oui, je suis très heureux de dire que, grâce UNITAID - avec la Fondation Gates, avec la Fondation Clinton qui sont présentes dans ce conseil d'administration que je préside aujourd'hui au niveau mondial - 200.000 enfants dans le Sud ont droit à la trithérapie ou à des antibiotiques qui ont été découverts en 1954 chez nous et auxquels ils n'ont pas accès aujourd'hui.
Qu'un enfant meure toutes les 30 secondes de paludisme, cela c'est de la politique internationale, ce n'est pas de l'humanitaire. Car sinon, quand vous avez un enfant qui meure, bien évidemment vous allez faire 4000 kilomètres pour aller chercher le médicament qui peut le sauver.
Q - Quand je suis venu vous voir jeudi, vous m'avez parlé de votre plus grand regret en temps que ministre des Affaires étrangères.
(Reportage, interview :
Q - Quel est le plus grand regret que vous aurez ?
R - C'est le fait de ne pas arriver actuellement à voir des Palestiniens s'entendre autour de Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne, et voir cette guerre civile qui existe entre le Fatah et le Hamas. Nous avons aidé, nous avons cru depuis le début à ces accords d'Oslo, à l'esprit d'Oslo, à ces deux Etats viables vivant côte à côte, avec la sécurité pour Israël, la paix pour les Palestiniens. Eh bien je suis extrêmement meurtri que l'Union européenne, la France bien sûr, mais l'Union européenne n'arrive pas à imposer sa voix.)
Q - A propos de la réponse du Ministre sur la question du nucléaire iranien
R - Pierre Moscovici, vous êtes restés cinq ans au ministère des Affaires étrangères. Vous savez ce qu'est le multilatéralisme et le Conseil de sécurité des Nations unies. Au Conseil de sécurité des Nations unies, le 23 décembre dernier, on devait voter pour ou contre des sanctions contre l'Iran. Des sanctions ce n'est pas rien en diplomatie. Nous avons écrit ce texte avec es Allemands et les Britanniques - vous ne pouvez pas dire que les Britanniques tergiversent avec l'Iran, ce n'est pas vrai . Je l'ai fait avec Mme Rice et nous l'avons fait avec les Chinois et avec les Russes. Nous avons voté ces sanctions. Donc, il n'est absolument pas question de faire croire des choses fausses aux Français qui nous écoutent : nous sommes très fermes avec les Iraniens.
J'ai trouvé inacceptable et choquant ce qu'a pu dire M. Ahmadinejad, le président iranien, sur Israël, qui a osé dire qu'il fallait faire une croix sur ce pays. Je trouve inacceptable que mon homologue iranien, M. Mottaki, ministre des Affaires étrangères, ait ouvert le Colloque sur l'Holocauste comme si on disait que tout cela n'avait pas existé. Tout cela est effrayant. Nous l'avons dit.
Il n'empêche, Pierre Moscovici, vous connaissez trop la vie diplomatique, pour ne pas savoir s'il y a des sanctions d'un côté, qu'à un moment donné, il faut essayer de tout faire pour éviter qu'il y ait une guerre. Parce que c'est notre métier de diplomate, à vous comme à moi, de tout faire, pour cela. La diplomatie c'est essayer d'éviter la guerre pour notre pays d'abord et pour le monde ensuite.
Eh bien, qu'a dit le président Chirac ? Il a parlé d'une "double suspension". Suspendez les activités nucléaires sensibles, vous, les Iraniens. Une fois que vous les aurez suspendues, alors nous, nous allons suspendre les sanctions. Cela, c'est la voix de la France.
Q - Monsieur le Ministre, comment est-ce que vous répondez (inaudible) (à ceux qui disent) qu'on ne peut pas discuter, au fond, avec ces Iraniens, ce sont des "fous de Dieu" ? Est-ce qu'ils croient à la vertu de la dissuasion dite classique ? Est-ce que c'est possible ?
R - Nous sommes tout à fait d'accord, les uns comme les autres. Je crois qu'en France il n'y a pas une personne, je l'espère, qui puisse penser qu'on va laisser les Iraniens faire une activité nucléaire qui ne soit pas à des fins pacifiques.
La question est de savoir comment faire pour les faire changer d'avis. Nous pensons que la seule solution- et les Américains pensent aussi que la seule solution-est de les isoler. Comment isole-t-on les Iraniens ? En y allant militairement ? Certainement pas. La solution militaire, Monsieur Moscovici, ne fonctionnera pas.
A partir du moment où ce n'est pas la solution militaire, c'est donc la solution diplomatique, il n'y en a pas une autre. Si c'est la solution diplomatique, il faut donc les isoler d'abord sur le plan économique.
Eh bien, depuis 20 jours, il y a une nouveauté en Iran. Il y a un débat qui s'est installé entre, d'un côté le président iranien Ahmadinejad et, de l'autre, l'ancien président Rafsandjani, l'ancien président Khatami, le guide suprême M. Khamenei qui commencent à dire : "M. Ahmadinejad commence peut-être à avoir une politique un peu dangereuse".
Donc, il faut isoler progressivement les Iraniens.
(...)
Q - Je voudrais d'abord que vous réfléchissiez d'abord à ce que vous appelez la "bourde" de Ségolène Royal. Est-ce que c'est au même niveau ?
R - Les sanctions économiques, c'est la première étape. Ensuite, il y a une montée dans les sanctions économiques- vous connaissez les chapitres de la Charte des Nations unies. Donc, cela commence par des sanctions économiques. C'est le chapitre VII, c'est ce qui s'est passé. Le recours au chapitre VII, c'est le président Chirac qui l'a décidé au nom de la France.
Donc, ne nous faites pas croire qu'il n'est pas ferme. Il l'est.
Sur le plan du nucléaire civil - on vient de sortir de deux jours d'une conférence mondiale sur l'environnement -, que fait-on ? La température est en train d'augmenter sur la planète, c'est du jamais vu, 14, 5 degrés de moyenne cette année. Pourquoi ? Parce qu'il y a une industrialisation galopante des nouveaux pays du Sud, mais aussi des Etats-Unis qui pensent pas à la pollution. Le Protocole de Kyoto n'est pas signé par beaucoup de gens. Résultat : il y a évidemment beaucoup de pollution. La seule solution, c'est le nucléaire civil.
Et dont, que l'Iran ait droit au nucléaire civil, c'est absolument fondamental pour lui. Mais il a signé le Traité de non-prolifération. Ce Traité de non-prolifération pose problème, évidemment puisqu'il y a de nombreux pays qui l'ont signé et qui font quand même un peu plus, c'est-à-dire du nucléaire à des fins non-pacifiques.
La question qui est posée : si jamais on refusait à l'Iran ce droit au nucléaire civil, comme Ségolène Royal l'a proposé, eh bien il sortirait du système multilatéral, il sortirait de l'AIEA, il ferait exactement ce qu'il voudrait. Aujourd'hui, 188 pays ont signé le Traité de non-prolifération et ne font pas la bombe atomique.
Q - A propos du Traité de non-prolifération.
R - Le problème, c'est que le traité de non-prolifération est nécessaire. Il est nécessaire à la marche du monde. Il faut probablement le faire évoluer...
(...)./.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 février 2007