Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec Europe 1 le 5 février 2007, notamment sur les enfants soldats, le nucléaire iranien, la Chine en Afrique, les relations franco-algériennes, et la diplomatie française.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q - Cette semaine, les menaces augmentent et prennent plusieurs formes. Mais d'abord, cette conférence que vous co-présidez, quelle en est pour vous l'intérêt et à quoi voulez-vous aboutir ?
R - Il y a véritablement un crime contre l'humanité. 250.000 enfants sont aujourd'hui envoyés par les dictateurs sur des champs de mines pour savoir si leurs milices, leurs armées, peuvent ou non passer. En outre, il y a des esclaves sexuels dans ces armées. C'est effrayant, c'est un crime contre l'humanité. Et un enfant de la guerre est perdu pour la paix et pour la croissance.
Il faut donc arrêter. Nous avons décidé, avec la présidente de l'UNICEF, de faire cette première grande journée mondiale contre l'utilisation des enfants soldats en édictant les principes de Paris. Il y a déjà une liste noire de 12 pays à l'ONU. Il faut que ceux qui font cela sachent qu'ils ne vont pas passer à travers les mailles du filet.
Q - Mais vous pensez aussi au Royaume-Uni ? C'est d'une autre nature mais il y a une polémique au Royaume-Uni aujourd'hui. Le gouvernement Blair aurait envoyé des moins de 18 ans combattre, peut-être 15 jours, 20 jours, un mois, en Irak ?
R - C'est la question de l'âge dans lequel on rentre dans les écoles de guerre. Et là aussi c'est un combat, pas uniquement personnel. Nous sommes plusieurs pays dans le monde à penser que, même dans les grandes démocraties, fussent aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, il ne faut pas que les enfants puissent entrer dans les écoles militaires avant l'âge de la majorité.
Q - Vous condamnez donc ce qu'a fait Tony Blair ?
R - Non, c'est un système. Ils ne sont pas allés sur le front. La question est de savoir si on peut être soldat avant la majorité. Je pense que c'est absolument impossible.
Q - Des attentats ont encore eu lieu en Irak, hier et aujourd'hui. Vous doutez de la nouvelle stratégie de Georges Bush qui s'apprête à envoyer 22.000 soldats en renfort en Irak ? Comment l'empêcher de s'enfermer dans de telles erreurs ?
R - Il ne peut pas y avoir de solution militaire en Irak, il ne peut y avoir qu'un processus politique. Cela veut dire un processus inclusif qui va permettre d'inclure toutes les parties de la société : politique, ethniques, mais également de la société civile. Que faut-il leur demander ? Qu'ils partagent à la fois le pouvoir autour de M. Al-Maliki, le Premier ministre irakien, mais aussi les ressources naturelles. Il n'y a aucune raison que les ressources pétrolières aillent à certains et pas à d'autres.
Q - Oui et, pour l'instant, les Américains restent et envoient des renforts.
R - Depuis l'élection américaine, Georges Bush a décidé de poursuivre exactement la même logique puisque nous avons aujourd'hui les même chiffres, en terme de soldats américains, qu'en 2005. Nous pensons qu'il ne peut pas y avoir de solution uniquement militaire. La seule solution, encore une fois, est politique.
Q - Les Américains continuent de croire que la France accepte que l'Iran soit doté un jour de l'arme nucléaire. La dissuasion découragerait de l'utiliser. Qu'y a-t-il de vrai ?
R - Nous n'avons jamais changé de position sur l'Iran. Nous pensons qu'il est hors de question que l'Iran puisse poursuivre son programme d'activités nucléaires à des fins non pacifiques. Pour la première fois, avec l'ensemble de la communauté internationale, nous avons voté des sanctions, de manière concrète, le 23 décembre, au Conseil de sécurité des Nations unies : on commence par des sanctions économiques, c'est le chapitre VII de la Charte des Nations unies. La France défend une position équilibrée entre les Américains, qui veulent toujours des sanctions un peu plus fortes, et les Russes et les Chinois, qui veulent des sanctions un peu moins fortes. Nous sommes parvenus à l'unité de la communauté internationale.
Q - Ce mois-ci, les Nations unies vont préciser la forme de sanctions à utiliser contre l'Iran. Dans quel cas la France accepterait des sanctions militaires ?
R - D'abord, on commence par les sanctions économiques.
Q - Dans quel cas accepteriez-vous des sanctions militaires ?
R - Je crois au multilatéralisme. C'est le directeur général de l'AIEA, M. El Baradei, prix Nobel de la paix qui va nous dire - sachant que les inspecteurs qu'il a envoyés, il y a quelques jours, ont été refoulés par l'Iran -, si les contrôles qu'il fait permettent de dire que les programmes nucléaire et balistique iraniens ont des fins non pacifiques. Il y aura un rapport au Conseil de sécurité et, en notre âme et conscience, nous verrons ce que nous ferons.
Q - Le président de la République voulait que la France renoue, même seule, le dialogue avec l'Iran. Vous deviez même aller à Téhéran. Il paraît, que dissuadé par les Etats alliés, M. Chirac a renoncé. Etait-ce une mauvaise idée d'y aller ?
R - Cela ne s'est pas du tout passé comme cela. Il faut savoir qu'il y a, d'un côté, le dossier nucléaire iranien, au sujet duquel nous sommes très fermes. Nous avons toujours dit aux Iraniens : "Si vous suspendez votre programme, on peut suspendre nos sanctions", mais ce sont eux qui doivent commencer. Nous avons donc un dialogue ferme, équilibré avec une volonté de dialogue.
De l'autre côté, il y a un autre dossier au sujet duquel l'Iran est concerné, c'est celui de la région. Il ne vous a pas échappé que nous avons 1.600 hommes dans la région, au sein de la FINUL, au Liban-Sud.
Q - Mais vous deviez y aller ou pas ?
R - Il n'a pas été question de cela. Nous n'avons jamais cessé d'entretenir des relations avec l'Iran, comme d'ailleurs les Allemands, les Espagnols ou d'autres. Il est normal que je rencontre régulièrement des responsables iraniens, mais à une condition, leur demander de suspendre les activités nucléaires sensibles. Par ailleurs, nous avons toujours dit que les propos sur Israël de M. Ahmadinejad, le président iranien, étaient inacceptables et choquants. Pire encore, la conférence sur l'holocauste qu'il a tenue récemment.
Q - Quand y allez-vous ?
R - Ce n'est absolument pas d'actualité.
Q - L'Afrique, elle échappe à la France et à l'Europe. Le président chinois Hu Jintao est en train de visiter, à partir d'aujourd'hui, huit pays africains. La Chine a investi dans le pétrole, les mines. Elle construit et développe les échanges. Est-ce la Chine qui s'installe désormais en Afrique à la place de toute l'Europe ?
R - Il est sûr que la Chine est omniprésente en Afrique aujourd'hui. L'Afrique, c'est la jeunesse du monde. L'Afrique, c'est cinq pour cent de croissance. C'est le début de quelque chose. On n'arrête pas de parler de l'Afrique de manière compassionnelle. Non, l'Afrique, c'est un espoir extraordinaire, à une condition : c'est que l'on arrête de puiser dans ses ressources. Nous l'avons fait dans le passé. Maintenant il faut que l'on arrête.
Prenez l'exemple du Darfour. Le Darfour, c'est une situation totalement dramatique aujourd'hui. C'est non seulement une crise humanitaire, avec 300.000 morts et 2.500.000 réfugiés, mais c'est aussi une crise politique majeure. Il y a là d'énormes ressources pétrolières, et là aussi, on retombe sur des problèmes politiques. Là encore, il faut que l'Union européenne puisse être capable de faire entendre sa voix.
Q - Pendant ce temps, les Chinois peuvent tranquillement progresser et s'installer.
R - C'est un sujet que nous verrons avec eux.
Q - Monsieur Douste-Blazy, vous traitez souvent du Maghreb et de l'Algérie. A Alger, hier, après une heure et demie d'entretien avec le président Bouteflika, Jack Lang a souhaité que la France reconnaisse les crimes de la colonisation en Algérie de 1830 à 1962. Il y a, dit-il, un devoir de réparation historique au regard de l'Algérie.
R - Méfions-nous de la mauvaise conscience et de la repentance permanente. Tout cela est lié au raidissement de la mémoire qui est un souvenir nécessairement douloureux de la colonisation. Et permettez-moi de le dire et de le dire à Jack Lang et à Mme Royal, alors que nous sommes dans cette campagne présidentielle : 74 % des Algériens ont moins de 25 ans. Il faudrait maintenant tourner une page, parvenir à regarder l'Algérie comme un partenaire d'égal à égal, ni au-dessous, ni au-dessus. Il va y avoir 95 milliards de dollars de privatisation dans les trois ou quatre années qui viennent. Vous comprenez donc bien que les Américains, les Britanniques, les Espagnols et les autres sont présents, mais les Français n'arrêtent pas de battre leur coulpe.
Q - Ministre des Affaires étrangères depuis deux ans, vous avez estimé nécessaire de témoigner, vous qui faites au moins deux voyages par semaine. Le titre de votre livre publié chez Odile Jacob, c'est : "Des affaires pas si étrangères". Pas si étrangères à qui, à vous ?
R - Non, d'abord au débat électoral actuel. Je pense que si les candidats aux élections présidentielles donnaient leur avis exact sur les relations transatlantiques, sur l'Iran, sur l'Irak, sur tous les sujets que nous avons abordés...
Q - Mais ils vont le faire et ils le font déjà.
R - Oui, c'est très important mais il faudrait le faire un peu plus. Je crois que pour les Français il serait important de comprendre quels sont les grands enjeux. Sachez que l'Inde va compter un milliard 700 millions de personnes en 2050 et qu'il y aura en Inde 20 % d'ingénieurs, de chercheurs et d'universitaires.
Q - Vous dites vous-même que l'on a ironisé sur votre angélisme ou votre prétention ou votre incompétence. C'est-à-dire que, comme Cyrano, Philippe Douste-Blazy, on n'est jamais mieux servi que par soi-même ?
R - Oui, c'est un clin d'oeil. Comme je ne suis pas diplomate de carrière, on a dit parfois au début que cela pouvait m'être étranger. J'en ai donc fait ce titre. Et je suis content de pouvoir travailler maintenant dans une maison, en grande confiance, avec ses directeurs, ses diplomates au service de mon pays.
Q - Vous dites que la France réussit à être utile et que depuis quelques temps, elle ne donne plus de leçons. Quand en-a-t-elle donné la dernière fois ?
R - C'est bien de pouvoir donner aussi des leçons, ce n'est pas péjoratif. Je pense que la France est au rendez-vous de valeurs. Le président Chirac l'a montré à plusieurs reprises. On respecte la souveraineté des pays, l'indépendance, l'unité nationale, le droit des pays à décider d'eux-mêmes. C'est ce que le président a fait à propos de l'Irak et je crois que cela a beaucoup marqué. Oui, la voix de la France agace parfois, mais elle est toujours respectée.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 février 2007