Interview de Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur, dans "Les Echos" du 9 février 2007, sur le déficit record du commerce extérieur et les mesures prises pour favoriser les exportations par les PME.

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Texte intégral

Q - Le déficit record du commerce extérieur français est-il le signe d'un affaiblissement de l'influence de la France ?
R - C'est un fait, le déficit commercial atteint en 2006 un niveau très élevé, sans doute légèrement supérieur à 29 milliards d'euros. Mais ce n'est pas un si mauvais chiffre. Nos exportations atteignent le niveau record de 390 milliards d'euros. C'est-à-dire qu'elles ont connu une hausse d'environ 9 %. Et hors énergie, l'Hexagone affiche en fait un excédent proche de 18 milliards d'euros, en amélioration par rapport à 2005.
Q - Vous minimisez le déficit commercial. C'est tout de même un handicap pour la croissance...
R - C'est une idée que l'on entend souvent mais que je ne partage pas. Je trouve le calcul des économistes un peu manichéen, puisqu'il consiste à dire que tout ce qui est importé est un manque à gagner pour l'économie. Cela se justifie sans doute comptablement et c'est d'ailleurs aussi ce que disent les experts de Bercy. Mais je trouve que cette méthode ne tient pas compte du volume des emplois créés ni de l'activité générée par les exportations. Celles-ci emploient plus de 5 millions de salariés en France ! Comment peut-on dire dans ces conditions que le commerce extérieur ne contribue pas à la croissance !
Q - N'est-il pas préoccupant que la France perde des parts de marché ?
R - Depuis dix ans, tous les pays de l'OCDE ont perdu des parts de marché du fait de l'arrivée des pays émergents, notamment de la Chine, qui est devenu le troisième exportateur mondial. J'ai la conviction, lorsque je compare le rythme de hausse des flux du commerce mondial et celui de nos exportations, que l'on est en 2006 sur des tendances proches. Et que nous sommes en position de regagner des parts de marché. Certes, mes services estiment, en analysant la demande mondiale adressée à la France, que ce n'est pas encore le cas. Mais ils constatent en même temps que nos parts de marché en volume, parmi les exportations des pays de l'OCDE, se sont stabilisés en 2006.
Q - Pourtant le nombre d'exportateurs est moindre que dans d'autres pays. Et il diminue...
R - En matière d'exportations, nous ne sommes pas des timorés. Mais il est un fait que seulement 4 % de nos PME exportent alors qu'elles sont près de 11 % en Allemagne. Je suis très fière de celles qui exportent et je constate qu'elles le font de plus en plus. Mais c'est un vrai sujet de préoccupation que de constater qu'il y a plutôt moins d'entreprises exportatrices depuis 2000, même si l'on observe une stabilisation de leur nombre en 2006. Quels sont les remèdes à apporter ? Je n'ai pas de réponse définitive. Peut-être faut-il faire en sorte que les entrepreneurs aient un modèle pour se prendre par la main. J'ai ainsi demandé à mon équipe, en collaboration avec l'administration des Douanes, de réaliser un clip vidéo pour présenter, sous forme ludique, le parcours du combattant d'une entreprise qui déciderait de se lancer à l'export. A cette occasion, j'espère que nous pourrons simplifier ce parcours pour qu'il devienne celui du battant et non pas du combattant. Il y a aussi certainement un problème de profitabilité insuffisante des PME, et il faut leur permettre de récupérer une marge financière indispensable à leur développement. Mais c'est un sujet qui dépasse le seul commerce extérieur. Le vrai enjeu du commerce extérieur se joue à l'intérieur.
Q - Quelles actions devraient être engagées ou amplifiées pour améliorer la situation ?
R - Ma priorité a été d'insuffler énergie et confiance au sein du réseau d'appui. Et cela se traduit d'ores et déjà dans les chiffres. Les missions économiques, Ubifrance et l'Afii, ont toutes des contrats d'objectifs qui ont été largement dépassés, et ce malgré des moyens en diminution (baisse de 5,9 % des effectifs et de 8 % des crédits de fonctionnement) : collectivement, nous avons su faire mieux avec moins. Maintenant il faut poursuivre sans relâche les efforts et peut-être faut-il désormais organiser de manière plus cohérente l'action économique à l'international de l'Etat. Pourquoi, par exemple, ne pas rassembler sous une même bannière l'aide française au développement, le soutien aux exportations et l'encouragement aux investissements étrangers ? Sur le fond, je suis persuadée que notre approche statistique n'est pas la bonne : l'attention se focalise sur le chiffre mensuel du commerce extérieur, qui ne prend en compte que les marchandises. Le plus important n'est plus celui-là mais l'indicateur de la balance des paiements, qui mesure les échanges de services ainsi que le tourisme.
Q - A l'horizon de quinze ans, à quoi ressemblera, selon vous, notre commerce extérieur ?
R - On exportera sans doute deux catégories de choses. D'une part, notre savoir-faire dans des domaines tels que la formation, l'éducation ou l'encadrement. Et d'autre part, des biens qui réussiront à associer une technologie à une marque ou un savoir-faire enraciné dans un terroir. Cela ne veut pas dire bien sûr que nous n'exporteront plus de biens industriels, mais cela sera évidemment de plus en plus difficile pour des produits sans avantage comparatif. La quatrième génération des réacteurs nucléaires ou un futur Airbus font partie de ces produits qui, selon moi, associeront technologie, enracinement et excellence.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 février 2007