Tribune de Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur, dans "La Tribune" le 9 février 2007, sur le déficit du commerce extérieur en lien avec la hausse du coût du pétrole.

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Ce matin, je présente les résultats du commerce extérieur de la France pour 2006. J'entends déjà les discours alarmistes qui accompagneront cet exercice, dans lesquels je discerne un déclinisme latent. Pourtant la situation est loin d'être mauvaise. 2006 est notre meilleure année à l'export depuis 2000 avec une progression de 9 % environ. Notre solde industriel s'améliore : nos exportations industrielles croissent plus vite que nos importations, et ce dans toutes les branches à l'exception de l'automobile. Les ventes d'Airbus, qui a livré l'an dernier un nombre record d'avions, y ont contribué mais elles ne représentent que 4 % de nos exportations. Enfin, l'agroalimentaire, qui marquait le pas depuis 2000, est reparti à la hausse (+ 6,6 %), notamment grâce aux vins et spiritueux. L'agroalimentaire est aujourd'hui notre premier excédent commercial (8,8 milliards d'euros).
Objectifs fixés fin 2005 atteints. L'initiative "Cap Export" que j'ai lancée il y a dix-huit mois contribue à ces résultats encourageants. Face au constat que notre commerce restait trop tourné vers nos voisins européens, nous avons concentré nos moyens publics sur les pays à forte croissance. En 2006, nos exportations ont été dynamiques vis-à-vis des grands pays émergents (40 % sur la Chine, + 35 % sur l'Inde ou + 42 % sur la Russie). Sur la Chine et la Russie, nous progressons plus que l'Allemagne et l'Italie. Tous les objectifs fixés fin 2005 ont été atteints et dépassés. Cet effort, Ubifrance et les missions économiques l'ont conduit avec des moyens et des effectifs en baisse, grâce à un effort de rationalisation et de gains de productivité sans équivalent. La dégradation de notre balance commerciale en 2006, déficit supérieur de près de 6 milliards par rapport à 2005, s'explique intégralement par la hausse historique du coût du pétrole. Notre facture énergétique a augmenté de 9 milliards d'euros pour atteindre le niveau record de 46 milliards. A facture énergétique inchangée entre 2005 et 2006, le déficit se contracte et, hors énergie, notre solde commercial est positif et s'améliore même.
Autre problème structurel souvent commenté, la faiblesse de notre tissu d'entreprises exportatrices, en particulier des PME. Avec la labellisation de plus de 260 opérations collectives de promotion par Ubifrance, l'augmentation du crédit d'impôt export pour les entreprises qui se regroupent, le recrutement de près de 4.500 jeunes "volontaires internationaux en entreprise", la création d'une nouvelle garantie des crédits de préfinancement pour les PME, un régime d'exonération fiscale encourageant les missions à l'étranger des cadres, Cap Export aura aidé à stabiliser, en 2006, le nombre d'exportateurs qui baissait depuis 2000 et les aura incités à jouer collectif à l'international.
Absorber le choc des 35 heures. La France a néanmoins perdu des parts de marché. Depuis dix ans, tous les pays de l'OCDE en ont fait autant du fait de l'arrivée des pays émergents, de la Chine en particulier, devenue troisième exportateur mondial. Mais en 2002, 2003, 2004 se sont ajoutées en France des pertes de parts de marché dont la cause principale est l'érosion manifeste de la profitabilité des entreprises et en particulier des PME. Depuis mi-2005, heureusement, notre part de marché par rapport aux autres pays de l'OCDE se stabilise. N'est-ce pas là le temps qu'il aura fallu à nos entreprises pour absorber le choc des 35 heures, occupées qu'elles étaient à mettre en place le dispositif et à comprimer leurs marges pour maintenir leurs prix ? Ce manque de moyens ne leur a pas permis d'être aussi innovantes et aussi agressives à l'étranger qu'elles l'auraient souhaité. Mais le solde de la balance commerciale est-il un bon indicateur de la santé économique de notre pays ? Comment peut-on tirer des conclusions hâtives sur notre compétitivité et la place de la France dans la mondialisation avec un indicateur qui ne nous dit rien sur les services, quand ils représentent 70 % de notre PIB, et rien sur les investissements, quand on se classe au troisième rang mondial pour les attirer et au deuxième rang pour les effectuer à l'étranger ?
Ministre du Commerce extérieur, cela ne veut plus dire grand-chose. Ministre des échanges, sous toutes leurs formes, voilà le sujet. C'est d'ailleurs comme cela que nos partenaires se définissent. Il faudra aussi revoir l'indicateur à l'heure où on sent bien que la performance et la plus forte contribution à la valeur ajoutée résident dans l'immatériel. Alors, c'est vrai, chacun sait que l'Allemagne fait mieux que nous à l'exportation. On connaît les efforts d'ajustement entrepris outre-Rhin depuis quelques années, non seulement pour finir d'absorber le coût de la réunification mais aussi pour adapter son économie aux nouveaux enjeux : allongement du temps de travail, déverrouillage du marché du travail et amélioration du service public de l'emploi, réduction des coûts de production, la mobilisation de toutes les entreprises à l'international. Non seulement cela ne m'étonne pas... mais cela m'inspire !