Texte intégral
Q - Les élections présidentielles récentes ont montré un décalage entre la conquête du pouvoir et son exercice. Comment vous prémunissez-vous contre ce danger ?
R - Vous voulez dire que les dirigeants, une fois élus, n'ont pas tenu leurs promesses... C'est un risque que je ne courrai pas: je refuse les promesses démagogiques. Et je suis pour la cohérence de la pensée et de l'action. Aucun des engagements que je prends, aucune des orientations que je choisis n'est accidentel. Deux logiques président à tous mes choix: nous devons réformer notre démocratie malade; nous devons garder un modèle républicain dans la mondialisation. Pour cela, il faut dire la vérité, par exemple sur la dette et le déficit.
Q - Pourquoi seriez-vous plus crédible que les autres, alors que vous laissez entendre qu'en changeant le système on va tout changer ?
R - Ce que je dis depuis longtemps apparaissait comme utopique. Mais nous avons désormais sous les yeux l'exemple de l'Allemagne, où les électeurs ont obligé les deux camps à sortir de leur affrontement stérile. Pour accepter des réformes, les peuples ont besoin qu'on leur garantisse qu'elles sont non pas partisanes mais équitables.
Q - Jusqu'où résisterez-vous à la tentation de la dépense ?
R - Je refuse les promesses démagogiques. Je ne suis pas dépensier et je suis entouré de gens dont la marque de fabrique est la rigueur. Quand j'annoncerai des dépenses, ces dépenses seront maîtrisées et des économies seront faites en contrepartie. Dans les banlieues, par exemple, la question n'est pas de dépenser toujours plus sans contrôle, elle est de retrouver l'Etat dans les quartiers, qu'il s'agisse de sécurité ou de services publics. Aujourd'hui, l'Etat est totalement absent de la France qui va mal. Mais il est hyperprésent dans la France qui va bien. Je propose d'inverser ce processus.
Q - Vous citez deux qualités qui vous rendraient susceptible de mieux présider que les autres. «Je ne me résigne jamais», dites-vous. Avez-vous le monopole de la volonté ?
R - Non, bien sûr. Mais, pour une certaine idée de la République, j'ai refusé les honneurs, le pouvoir d'apparat, les ministères. J'ai accepté les difficultés de la traversée du désert, avec une poignée d'élus solides, pour défendre une idée juste. Cela, je crois, m'a rapproché des gens et a débarrassé mon regard des impatiences et de la condescendance du pouvoir.
Q - "Je sais mieux rassembler", dites-vous. Beaucoup, y compris à l'UDF, regrettent votre esprit clanique. Pourquoi sauriez-vous mieux rassembler que les autres ?
R - Rassembler, c'est mon choix, mon goût et ma nature. Et c'est nécessaire quand il s'agit de sortir un pays des grandes crises. Je suis un rassembleur par nature, et pour une raison qui me différencie de mes concurrents: je ne souhaite pas avoir tous les pouvoirs, ni pour moi-même ni pour mes proches. Eux, au contraire, veulent saisir tout le pouvoir pour eux-mêmes et pour leurs amis - et en exclure ceux qui ne pensent pas comme eux. PS ou UMP, cela fait vingt-cinq ans qu'ils disent, à l'image de Nicolas Sarkozy: «Qui n'est pas avec moi est contre moi!» Je veux travailler avec des gens compétents, même s'ils n'appartiennent pas à mon parti. C'est plus fructueux.
Q - Pour vous croire, faut-il regarder ce que vous avez fait comme ministre de l'Education nationale ?
R - Oui, bien sûr. J'ai travaillé comme ministre de l'Education avec bien des responsables, enseignants ou parents d'élèves, qui n'étaient pas politiquement de mon bord. Et ce fut une époque heureuse pour l'Education nationale. Encore aujourd'hui, presque quinze ans après, je revendique le respect des partenaires sociaux, la volonté de ne jamais les humilier, la capacité de faire partager l'inspiration des réformes. Et il y en eut ! Celle sur l'université a été approuvée alors de la droite à la gauche. Ce n'était pas de la cogestion, comme on a dit, c'était l'exercice d'une coresponsabilité.
Q - En matière sociale, quels principes vous guident ?
R - J'ai deux lignes directrices. D'abord, à chacun sa chance, et même sa seconde chance. Je ne veux pas de la société des castes et des diplômes acquis avant d'avoir 20 ans et qui vous protègent pour toute la vie. Ensuite, nous ne laisserons tomber personne. Chacun peut connaître une période sans emploi, mais ce chômage ne doit pas être une inactivité. En revanche, il ne doit pas y avoir de minimum social sans forte incitation à une contrepartie d'engagement au service de la société. J'organiserai la démocratie sociale en obligeant à la négociation des partenaires sociaux avant le vote de la loi, et en réhabilitant le Conseil économique et social. L'Etat ne sera ainsi plus le seul décideur: il aura face à lui une société civile légitime.
Q - Votre démarche ne semble pas convaincre les catégories sociales les plus modestes...
R - Le vote populaire me rejoindra, parce que je suis issu du peuple. Parmi les principaux candidats, je suis le seul qui ait, dans sa vie, travaillé de ses mains. Les gens sentent qui vous êtes. Je suis respectueux de ce qu'ils sont. Je ne cherche pas des boucs émissaires, ni les immigrés, ni ceux qu'on accuse de ne pas se lever le matin. Je sais que beaucoup d'entre eux aimeraient se lever le matin, travailler comme les autres et avoir une situation reconnue. Je ne prends pas les chômeurs pour des fainéants.
Q - Concrètement, que proposez-vous en matière d'emploi ?
R - Que toute entreprise puisse créer deux emplois sans charges sociales (sauf 10% au titre de la retraite). Aujourd'hui, il y a un gisement considérable, puisque 98% des entreprises emploient moins de 10 personnes. L'autre mesure, c'est la hausse de la rémunération des heures supplémentaires au-delà des 35 heures: actuellement, ces heures sont injustement sous-payées dans les entreprises de moins de 20 salariés (la prime n'est que de 10%, contre 25% dans celles de plus de 20 salariés). Je trouve cette différence injuste, la rémunération insuffisante, et je proposerai aux partenaires sociaux un pas en avant: 35% de prime pour toute heure supplémentaire quelle que soit la taille de l'entreprise. Mais sans que cela lui coûte. J'allégerai donc les charges sociales de ces heures sup' du montant de la prime: elles reviendront ainsi, pour l'entreprise, au même prix que l'heure normale. Si le nombre d'heures supplémentaires augmente de 35%, le système s'autofinancera. L'économie, ce n'est pas de la mécanique, c'est de la dynamique, comme une campagne électorale: quand ça se met à marcher, ça marche encore plus vite qu'on ne l'espérait.
Q - Faut-il alléger la législation du travail ?
R - Le contrat de travail normal devrait être le CDI. Avec un cadre d'ordre public édicté par la loi, et le reste décidé par les partenaires sociaux. En tout cas, je ne prendrai pas le CNE comme modèle, parce que pouvoir licencier pendant deux ans sans explication est très choquant. En revanche, il faut apporter une réponse aux craintes des employeurs de petites entreprises qui se sentent désavantagés devant les prud'hommes. Les grandes, elles, ont des DRH et peuvent recourir à des avocats. J'aborderai cette question avec les syndicats.
Q - Que ferez-vous du CNE ?
R - Respectons la loi, qui prévoit une évaluation au bout de deux ans.
Q - Vous affirmez souvent que le financement de la protection sociale pénalise trop l'emploi. Allez-vous le réformer ?
R - La création des deux emplois sans charges est une réponse immédiate et un test grandeur nature pour traiter cette grande question. Je sais bien que les charges sociales devront être acquittées de toute façon, mais est-il normal d'imposer plus de charges à ceux qui créent de l'emploi qu'à ceux qui en suppriment? Je pense que les sociétés de l'avenir trouveront d'autres bases que le travail pour assumer le coût de la santé.
Q - La TVA sociale, par exemple ?
R - Beaucoup de mes amis, en particulier Jean Arthuis, y sont très favorables. Mais c'est un basculement très important. Je suggère qu'on observe ce que cela donne en Allemagne, puisque le gouvernement d'Angela Merkel vient de décider d'augmenter de 3 points la TVA, dont 1 point pour alléger les charges.
Q - TVA sociale, CSG: faut-il, comme en Allemagne, augmenter aussi ces impôts pour réduire les déficits ?
R - Je ne crois pas que l'on puisse augmenter les impôts dans un pays qui est déjà le recordman du monde des prélèvements obligatoires. Je ne crois pas non plus qu'on puisse les baisser massivement avec le déficit qui est le nôtre. Il faut stabiliser les prélèvements et travailler sur le seul sujet qui compte: comment mieux dépenser et alléger notre dépense publique?
Propos recueillis par Corinne Lhaïk et Eric Mandonnetsource http://www.bayrou.fr, le 12 février 2007
R - Vous voulez dire que les dirigeants, une fois élus, n'ont pas tenu leurs promesses... C'est un risque que je ne courrai pas: je refuse les promesses démagogiques. Et je suis pour la cohérence de la pensée et de l'action. Aucun des engagements que je prends, aucune des orientations que je choisis n'est accidentel. Deux logiques président à tous mes choix: nous devons réformer notre démocratie malade; nous devons garder un modèle républicain dans la mondialisation. Pour cela, il faut dire la vérité, par exemple sur la dette et le déficit.
Q - Pourquoi seriez-vous plus crédible que les autres, alors que vous laissez entendre qu'en changeant le système on va tout changer ?
R - Ce que je dis depuis longtemps apparaissait comme utopique. Mais nous avons désormais sous les yeux l'exemple de l'Allemagne, où les électeurs ont obligé les deux camps à sortir de leur affrontement stérile. Pour accepter des réformes, les peuples ont besoin qu'on leur garantisse qu'elles sont non pas partisanes mais équitables.
Q - Jusqu'où résisterez-vous à la tentation de la dépense ?
R - Je refuse les promesses démagogiques. Je ne suis pas dépensier et je suis entouré de gens dont la marque de fabrique est la rigueur. Quand j'annoncerai des dépenses, ces dépenses seront maîtrisées et des économies seront faites en contrepartie. Dans les banlieues, par exemple, la question n'est pas de dépenser toujours plus sans contrôle, elle est de retrouver l'Etat dans les quartiers, qu'il s'agisse de sécurité ou de services publics. Aujourd'hui, l'Etat est totalement absent de la France qui va mal. Mais il est hyperprésent dans la France qui va bien. Je propose d'inverser ce processus.
Q - Vous citez deux qualités qui vous rendraient susceptible de mieux présider que les autres. «Je ne me résigne jamais», dites-vous. Avez-vous le monopole de la volonté ?
R - Non, bien sûr. Mais, pour une certaine idée de la République, j'ai refusé les honneurs, le pouvoir d'apparat, les ministères. J'ai accepté les difficultés de la traversée du désert, avec une poignée d'élus solides, pour défendre une idée juste. Cela, je crois, m'a rapproché des gens et a débarrassé mon regard des impatiences et de la condescendance du pouvoir.
Q - "Je sais mieux rassembler", dites-vous. Beaucoup, y compris à l'UDF, regrettent votre esprit clanique. Pourquoi sauriez-vous mieux rassembler que les autres ?
R - Rassembler, c'est mon choix, mon goût et ma nature. Et c'est nécessaire quand il s'agit de sortir un pays des grandes crises. Je suis un rassembleur par nature, et pour une raison qui me différencie de mes concurrents: je ne souhaite pas avoir tous les pouvoirs, ni pour moi-même ni pour mes proches. Eux, au contraire, veulent saisir tout le pouvoir pour eux-mêmes et pour leurs amis - et en exclure ceux qui ne pensent pas comme eux. PS ou UMP, cela fait vingt-cinq ans qu'ils disent, à l'image de Nicolas Sarkozy: «Qui n'est pas avec moi est contre moi!» Je veux travailler avec des gens compétents, même s'ils n'appartiennent pas à mon parti. C'est plus fructueux.
Q - Pour vous croire, faut-il regarder ce que vous avez fait comme ministre de l'Education nationale ?
R - Oui, bien sûr. J'ai travaillé comme ministre de l'Education avec bien des responsables, enseignants ou parents d'élèves, qui n'étaient pas politiquement de mon bord. Et ce fut une époque heureuse pour l'Education nationale. Encore aujourd'hui, presque quinze ans après, je revendique le respect des partenaires sociaux, la volonté de ne jamais les humilier, la capacité de faire partager l'inspiration des réformes. Et il y en eut ! Celle sur l'université a été approuvée alors de la droite à la gauche. Ce n'était pas de la cogestion, comme on a dit, c'était l'exercice d'une coresponsabilité.
Q - En matière sociale, quels principes vous guident ?
R - J'ai deux lignes directrices. D'abord, à chacun sa chance, et même sa seconde chance. Je ne veux pas de la société des castes et des diplômes acquis avant d'avoir 20 ans et qui vous protègent pour toute la vie. Ensuite, nous ne laisserons tomber personne. Chacun peut connaître une période sans emploi, mais ce chômage ne doit pas être une inactivité. En revanche, il ne doit pas y avoir de minimum social sans forte incitation à une contrepartie d'engagement au service de la société. J'organiserai la démocratie sociale en obligeant à la négociation des partenaires sociaux avant le vote de la loi, et en réhabilitant le Conseil économique et social. L'Etat ne sera ainsi plus le seul décideur: il aura face à lui une société civile légitime.
Q - Votre démarche ne semble pas convaincre les catégories sociales les plus modestes...
R - Le vote populaire me rejoindra, parce que je suis issu du peuple. Parmi les principaux candidats, je suis le seul qui ait, dans sa vie, travaillé de ses mains. Les gens sentent qui vous êtes. Je suis respectueux de ce qu'ils sont. Je ne cherche pas des boucs émissaires, ni les immigrés, ni ceux qu'on accuse de ne pas se lever le matin. Je sais que beaucoup d'entre eux aimeraient se lever le matin, travailler comme les autres et avoir une situation reconnue. Je ne prends pas les chômeurs pour des fainéants.
Q - Concrètement, que proposez-vous en matière d'emploi ?
R - Que toute entreprise puisse créer deux emplois sans charges sociales (sauf 10% au titre de la retraite). Aujourd'hui, il y a un gisement considérable, puisque 98% des entreprises emploient moins de 10 personnes. L'autre mesure, c'est la hausse de la rémunération des heures supplémentaires au-delà des 35 heures: actuellement, ces heures sont injustement sous-payées dans les entreprises de moins de 20 salariés (la prime n'est que de 10%, contre 25% dans celles de plus de 20 salariés). Je trouve cette différence injuste, la rémunération insuffisante, et je proposerai aux partenaires sociaux un pas en avant: 35% de prime pour toute heure supplémentaire quelle que soit la taille de l'entreprise. Mais sans que cela lui coûte. J'allégerai donc les charges sociales de ces heures sup' du montant de la prime: elles reviendront ainsi, pour l'entreprise, au même prix que l'heure normale. Si le nombre d'heures supplémentaires augmente de 35%, le système s'autofinancera. L'économie, ce n'est pas de la mécanique, c'est de la dynamique, comme une campagne électorale: quand ça se met à marcher, ça marche encore plus vite qu'on ne l'espérait.
Q - Faut-il alléger la législation du travail ?
R - Le contrat de travail normal devrait être le CDI. Avec un cadre d'ordre public édicté par la loi, et le reste décidé par les partenaires sociaux. En tout cas, je ne prendrai pas le CNE comme modèle, parce que pouvoir licencier pendant deux ans sans explication est très choquant. En revanche, il faut apporter une réponse aux craintes des employeurs de petites entreprises qui se sentent désavantagés devant les prud'hommes. Les grandes, elles, ont des DRH et peuvent recourir à des avocats. J'aborderai cette question avec les syndicats.
Q - Que ferez-vous du CNE ?
R - Respectons la loi, qui prévoit une évaluation au bout de deux ans.
Q - Vous affirmez souvent que le financement de la protection sociale pénalise trop l'emploi. Allez-vous le réformer ?
R - La création des deux emplois sans charges est une réponse immédiate et un test grandeur nature pour traiter cette grande question. Je sais bien que les charges sociales devront être acquittées de toute façon, mais est-il normal d'imposer plus de charges à ceux qui créent de l'emploi qu'à ceux qui en suppriment? Je pense que les sociétés de l'avenir trouveront d'autres bases que le travail pour assumer le coût de la santé.
Q - La TVA sociale, par exemple ?
R - Beaucoup de mes amis, en particulier Jean Arthuis, y sont très favorables. Mais c'est un basculement très important. Je suggère qu'on observe ce que cela donne en Allemagne, puisque le gouvernement d'Angela Merkel vient de décider d'augmenter de 3 points la TVA, dont 1 point pour alléger les charges.
Q - TVA sociale, CSG: faut-il, comme en Allemagne, augmenter aussi ces impôts pour réduire les déficits ?
R - Je ne crois pas que l'on puisse augmenter les impôts dans un pays qui est déjà le recordman du monde des prélèvements obligatoires. Je ne crois pas non plus qu'on puisse les baisser massivement avec le déficit qui est le nôtre. Il faut stabiliser les prélèvements et travailler sur le seul sujet qui compte: comment mieux dépenser et alléger notre dépense publique?
Propos recueillis par Corinne Lhaïk et Eric Mandonnetsource http://www.bayrou.fr, le 12 février 2007