Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT dans "Cadres CFDT" du 26 janvier 2007, sur la simplification du Code du travail, le CNE et le dialogue social.

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Comment concilier la sécurité des salariés et la souplesse réclamée par les entreprises, comment simplifier le Code du travail, comment lutter contre les discriminations... Le secrétaire général de la CFDT répond aux lecteurs de Courrier Cadres.
Thierry Smagghe : Comment concilier la sécurité des salariés et la souplesse réclamée par les entreprises ?
François Chérèque : Faire toute sa carrière au sein d'une même entreprise et dans le même métier est de moins en moins courant. En outre, les entreprises ont besoin de souplesse pour faire face à la concurrence. Ce besoin de flexibilité ne doit pas être synonyme de précarisation, comme trop souvent en France. Elle résulte, à nos yeux, du manque d'accompagnement des salariés lors des transitions délicates de la vie professionnelle. Comment ne pas s'inquiéter du passage difficile des jeunes à la vie active, des licenciements répétés, des changements d'entreprise, de métiers subis ou de la sortie précoce des seniors ? Il faut rentrer dans des logiques gagnant/gagnant.
Faire, par exemple, qu'un salarié ne se retrouve pas en situation d'exclusion dès lors qu'une entreprise est confrontée à un problème économique grave, sans pour autant que cette dernière soit mise elle-même en danger. Il faut réorganiser des déroulements de carrière qui donnent de la sécurité à chacun. C'est notre concept de « sécurisation des parcours professionnels », qui porte sur la formation initiale et continue, le contrat de travail, les moments de rupture, etc. La réflexion qui s'engage avec le Medef va permettre une mise à plat de tous ses sujets. C'est un préalable nécessaire avant de s'attaquer aux solutions.
Amaury Eloy : Pourquoi continuez-vous à demander l'abrogation du contrat nouvelles embauches, alors que grâce à lui 60 000 personnes ont trouvé un travail ?
F.C : Je ne crois pas que le contrat fasse l'emploi. C'est la croissance qui produit les richesses et donc l'emploi. Beaucoup d'économistes avaient prévu qu'on atteindrait assez vite 70 000 CNE, les entreprises profitant de l'effet croissance pour embaucher, mais que ces créations plafonneraient rapidement. Cela se confirme. En outre, le CNE n'est pas une solution durable pour les salariés. Ce contrat plaqué et opportuniste ne répond pas à la nécessité de construire de nouvelles carrières. Enfin un syndicat ne pourra jamais accepter qu'un salarié puisse être licencié sans motif. D'ailleurs, la France est en totale contradiction avec les normes sociales internationales ? Nous préférons regarder comment organiser ces « parcours sécurisés » en fonction des réalités économiques et sociales des entreprises, a fortiori des TPE où la création d'un emploi peut remettre en cause leur stabilité. Leur permettre de licencier sans motif n'est sûrement pas la meilleure façon d'y répondre.
T.S : Chacun s'accorde à dire que le Code du travail est complexe. Comment le simplifier sans réduire la protection des salariés ?
F.C. : Un Code du travail qui n'est plus compris par le salarié et qui exige un accompagnement juridique de plus en plus fort de nos adhérents ne permet pas une protection idéale. Les entreprises se perdent également dans le dédale de textes aux interprétations multiples. On compte 37 contrats de travail différents, y compris les contrats d'alternance et d'insertion. Les gouvernements successifs ont créé un contrat pour chaque situation particulière. C'est sans fin. Inévitablement, une entreprise ne sait plus lequel choisir. Et on finit par trouver des salariés sur un même lieu de travail avec des droits différents. La majorité actuelle, qui prêche en faveur d'une simplification du Code du travail, est celle qui a rajouté le plus de pages ces cinq dernières années... Pour éviter ces travers, les organisations patronales et salariales, les mieux placées pour connaître les besoins des entreprises et des salariés, doivent négocier les nouvelles orientations à lui donner avant de le modifier en profondeur.
François Potier : Pourquoi le dialogue social est-il difficile en France ?
F.C : Il est lié à la façon dont les relations sociales se sont construites dans notre pays, le conflit prenant toujours le pas sur le dialogue. La situation est différente à l'étranger.
Les pays d'Europe du Nord ont développé un syndicalisme de services, où les représentants des salariés, outre leur rôle de négociation, distribuent des services sociaux forts. En Allemagne, après la Libération, ou en Espagne après la chute du Franquisme, les gouvernements ont décidé de reconstruire leurs pays sur un pacte social laissant une large place à la négociation entre employeurs et syndicats de salariés. La France est quasiment le seul pays en Europe qui n'a pas pris cette voie. Il serait bon de l'essayer puisqu'elle a fait ses preuves.
Samuel Thomas : Les discriminations n'ont jamais été aussi bien diagnostiquées et recensées, comment les faire reculer efficacement ?
F.C. : Nous faisons comme vous, de longue date, le constat du racisme dans l'entreprise, sujet longtemps tabou. Aujourd'hui, la prise de conscience est forte. Nous avons signé avec presque toutes les autres organisations un accord prévoyant la création d'un comité de la diversité dans les entreprises de plus de 50 salariés qui travaillera sur les problèmes de recrutement et de diversité, avec des méthodes, des formations, l'assignation d'objectifs, des évaluations et des contrôles. Ces comités choisiront d'utiliser ou non le CV anonyme. Partagés sur son usage, les syndicats ne souhaitaient pas son introduction sans accord d'entreprise préalable. Même au nom du pragmatisme, c'est un échec d'aboutir à devoir cacher son nom et son origine pour être embauché. Enfin, nous ne sommes pas favorables aux quotas car les entreprises peuvent, comme c'est encore trop le cas pour les handicapés, préférer s'acquitter de sanctions financières plutôt que de changer leurs pratiques d'embauche.
S.T : Afin de mesurer le taux de discrimination, certains proposent de recenser anonymement dans les entreprises les différentes catégories de populations en fonction de leurs origines, comme en Grande-Bretagne. Est-ce pour vous une avancée ?
F.C. : La Grande Bretagne a effectivement poussé la logique assez loin dans un mythe de reconnaissance des minorités et des différences ethniques. Mais ce modèle communautariste a ses limites : l'éclatement entre ethnies et communautés, ce qui n'est pas compatible avec notre conception de la République. Nous pensons que la mesure de la diversité doit relever de la négociation entre l'employeur et les syndicats, ce qui est plus proche de ce que nous sommes. Et la démarche doit être transparente et contrôlée par la Commission nationale informatique et libertés (Cnil). En tout état de cause, si une entreprise veut connaître l'origine de ses salariés, elle doit le faire en fonction de leur nationalité d'origine ou celle de leurs parents, non sur des caractéristiques ethniques.
F.P. : Comment expliquez-vous le sentiment défaitiste en France à un moment où il faudrait aller de l'avant ?
F.C : Votre question renvoie au sentiment justifié, de déclassement de précarisation d'une partie des salariés français, en particulier issus des classes moyennes, mais aussi des plus fragiles, les moins qualifiés. Les raisons de ce problème sont profondes. Les politiques publiques menées dans notre pays depuis quinze ans ont favorisé les allégements de charges sur les bas salaires, donc les emplois non qualifiés. Dans le même temps, l'effort en faveur de l'enseignement supérieur et de la recherche a été insuffisant. Du coup, les entreprises n'ont pas misé sur l'élévation des qualifications, donc de l'emploi. Nous le payons aujourd'hui.
F.P. : Quelles sont vos attentes vis-à-vis de la nouvelle majorité présidentielle ?
F.C : Il faut bien sûr prendre des mesures immédiates de redistribution en faveur des personnes les plus en difficulté, améliorer le pouvoir d'achat, sécuriser les parcours, traiter la question de l'emploi des jeunes, du maintien en activité des seniors, lutter contre les discriminations, etc. Pour aller plus loin à moyen et long terme, il faut aussi parler, sans tabous, de création de richesse et avoir un vrai débat pour favoriser l'investissement, la recherche et l'innovation. C'est une façon de créer du pouvoir d'achat pour demain. Ces questions de fond sont, à mon sens, insuffisamment présentes dans la campagne.Source http://www.cfdt.fr, le 30 janvier 2007