Texte intégral
Q - Brigitte Girardin, bonjour, vous êtes ministre de la Coopération, alors vous dites : nous n'allons pas abandonner l'Afrique, certes, qu'est-ce que cela veut dire ?
R - Cela veut dire, vous savez que nous avons un combat depuis de longues années sous l'impulsion du président Chirac pour faire comprendre que l'Afrique est un continent qui est au coeur de l'équilibre mondial. Et c'est vrai que, pendant des années, ce continent est resté à l'écart de la mondialisation et peu de gens s'en préoccupaient. Nous, nous avons une relation ancienne, historique, affective avec ce continent. Et sous l'impulsion du président Chirac, nous avons mis le sujet africain à l'ordre du jour du G8. Nous avons fait en sorte que l'ONU puisse se saisir de ce dossier complexe et aujourd'hui tout le monde reconnaît, toute la communauté internationale a bien compris qu'on ne réglera pas nos propres problèmes. Qu'il s'agisse de l'immigration clandestine, qu'il s'agisse des pandémies, qu'il s'agisse de la lutte pour préserver l'environnement. On ne réglera aucun de ces problèmes mondiaux sans développer l'Afrique. Et ça c'est nouveau comme prise de conscience et je crois que la France a beaucoup oeuvré pour ça. La France connaît bien l'Afrique, la France est le défenseur de l'Afrique, depuis de longues années. Le sommet qui va se réunir à Cannes - dont c'est la 24ème édition -, s'il était inutile et critiquable, ne ferait pas l'objet d'imitation. Qu'est-ce qu'on voit en ce moment...
Q - Et pourtant c'est critiqué, on va y revenir. Quand vous dites, nous n'allons pas abandonner l'Afrique, cela veut dire, pas abandonner les Africains ou pas abandonner l'Afrique à d'autres - parce qu'il y a des intérêts géostratégiques aussi.
R - Non, mais pas du tout.
Q - Si, si, il y en a.
R - Je crois que, là aussi, le monde a évolué, l'Afrique a évolué, la France a évolué. On a, avec tous ces pays là, un vrai partenariat. On ne défend pas des intérêts économiques en Afrique. Surtout on veut développer ce continent, mais on ne veut pas le faire seul, mais en partenariat avec d'autres bailleurs de fonds. Et vous savez, l'époque où on plantait le drapeau français sur un projet, en disant : "on va y aller, on va financer ce projet à 100 %", cette époque est révolue. Les défis, l'ampleur des problèmes est telle que si on veut réussir, si on veut être efficace, il faut s'y mettre à plusieurs et il faut se coordonner et il faut, vraiment, entraîner les autres. Nous entraînons l'Europe. L'Europe est le premier bailleur de fonds de l'Afrique et c'est une très bonne chose.
Q - Oui, alors le discours ne convainc pas complètement, puisqu'il y a par exemple un contre-sommet organisé en ce moment. Est-ce que vous ne pensez pas qu'effectivement, pour répondre au message du contre-sommet, il serait temps de changer la nature de la relation que la France entretient avec l'Afrique noire ?
R - Nous avons complètement changé la nature de nos liens, nous avons complètement réformé notre système de coopération, nous ne décidons pas à la place des Africains de ce que nous allons financer en Afrique. Nous nous inscrivons dans leur stratégie nationale de développement. Nous veillons à ce que toutes nos actions soient non pas, une aide liée, mais une aide conditionnée par les efforts qui sont faits, par exemple, en matière de bonne gouvernance. Parce que tout le monde a compris maintenant qu'il n'y aura pas de développement sans une bonne gouvernance, sans Etat de droit dans des pays qui sortent de conflits, qui sortent de crise. Donc notre action c'est aussi ça, c'est soutenir des réformes de la justice, de la police, c'est soutenir la lutte contre la corruption. Parce que n'oublions pas aussi que la corruption est une conséquence de la pauvreté. Quand vous avez une fonction publique complètement corrompue dans un Etat africain, il faut savoir pourquoi. Quand vous avez des fonctionnaires qui ne sont plus payés depuis six mois et qui ont des familles à élever, des enfants à élever, on voit très bien ce que comporte la lutte contre la corruption. C'est aussi une lutte de chaque instant contre la pauvreté.
Q - Mais il y a des soutiens politiques. Quand Eyadema succède à son père en 2005 avec l'appui de la France, il y a des critiques là.
R - Notre action, consiste surtout à soutenir les populations dans leur développement. Nous n'allons pas pénaliser deux fois des populations parce que leurs dirigeants sont critiquables. Je crois que, dans notre effort, il y a vraiment cet appui à la bonne gouvernance, que nous faisons au niveau européen, et aussi dans le cadre de la Banque mondiale, et qui commence à porter ses fruits. Mais, vous savez, on a eu beaucoup de discussions entre bailleurs de fonds pour savoir ce qu'il fallait faire quand, dans un pays, des dirigeants peuvent être critiquables au niveau de la démocratie ou de la gouvernance. Eh bien, nous avons pris le parti de défendre les populations et de favoriser leur développement, parce que nous n'avons pas le droit de pénaliser deux fois ces populations en suspendant toute aide.
Q - Bon, le temps presse, concernant maintenant l'efficacité d'une présence de la France, la Côte d'Ivoire par exemple. L'opération Licorne coûte 250 millions de dollars par an, pourquoi faire au bout du compte ? Est-ce que les Ivoiriens vont mieux aujourd'hui ?
R - Ecoutez, notre force Licorne d'abord a évité des massacres et la guerre civile. Et que fait Licorne, même actuellement, au moment où notre coopération est forcément réduite, en raison de cette crise ? Ce sont des actions humanitaires essentielles. Grâce à Licorne, on soigne les gens, on refait des écoles, on amène l'eau dans les villages et c'est en raison des actions que mène la France, que la population ivoirienne est attachée à notre pays. Moi, je constate, chaque fois que je vais en Côte d'Ivoire, que les Ivoiriens ont une demande de France qui est très forte et qu'ils ont gardé une relation affective avec nous qui est absolument extraordinaire. Et c'est aussi grâce à nos forces armées qui font un travail tout à fait essentiel et notamment dans le secteur humanitaire.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 février 2007