Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT à Europe 1 le 6 février 2007, sur la campagne électorale et les programmes des différents partis politiques, le dialogue social et les retraites.

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Média : Europe 1

Texte intégral


Q- Dans la campagne qui s'engage, voici l'oeil du syndicat. Bonjour F. Chérèque.
R- Bonjour.
Q- Est-ce qu'elle vous convient la campagne ?
R- On parle plus des problèmes concrets des salariés et des Français, je pense que c'est une bonne chose, ce n'était pas le cas à d'autres campagnes, mais à vouloir trop parler peut-être des problèmes concrets des salariés, on va trop sur les recettes, les petites recettes parfois, et on ne parle pas assez du sens et de la France dans dix ans. Par exemple, on parle d'augmenter les salaires, on ne dit pas comment on va améliorer l'économie dans notre pays.
Q- Qu'est-ce qui leur manque ?
R- Il leur manque, enfin, il nous manque, puisque c'est une élection présidentielle, il nous manque une vision pour la France : quelle est la France de dans 10 ans, parce que c'est ça qu'on prépare, la France pour nos enfants ? Qu'est-ce qu'on va faire pour que l'économie marche mieux, l'investissement dans la recherche, dans le développement, dans l'innovation, la place de l'Europe. Par exemple, hier, on n'a pas parlé une seule fois de l'Europe, on a parlé du monde et de l'Iran en fin d'émission, c'est-à-dire qu'un président de la République, ce n'est pas seulement le problème du pouvoir d'achat, même si c'est un problème important, c'est aussi la France.
Q- F. Chérèque, vous les avez tous prévenus : surtout pas de promesses miracles, pas de démagogie. Pour le moment, qui vous convainc ?
R- Personne pour le moment, personne. Je pense qu'il faut aller plus loin parce que la meilleure façon de convaincre, c'est d'avoir une vraie confrontation, et pour le moment on ne l'a pas, on est sur des programmes qui s'affinent et on n'est pas sur les confrontations entre les candidats.
Q- On va revenir sur les programmes. La politique c'est leur affaire, mais vous montrez bien que vous êtes, vous aussi, là, pour leur rappeler que vous êtes concerné. Mais qu'est-ce que vous attendez d'eux ?
R- On attend justement d'une part qu'ils parlent des problèmes concrets, c'est ce que j'ai dit - l'emploi, les salaires, le pouvoir d'achat, l'avenir de la France dans l'Europe - mais surtout on leur demande, et c'est la question qu'on va leur poser, des problèmes de méthode. On va leur proposer, la CFDT, de construire un pacte social. Qu'est-ce que c'est un pacte social ? C'est une rencontre des partenaires sociaux, du monde associatif et du futur candidat, ou de l'élu, quand il sera élu, pour faire un diagnostic commun de ce qui se passe et de décider qu'est-ce qu'on change et comment on le change.
Q- Mais vous voyez, vous en êtes encore au diagnostic. Les mesures à prendre, vous direz, ce n'est pas à nous, mais on verra ça tout à l'heure. Après demain, 8 février, les fonctionnaires et tous leurs syndicats vont manifester, vont être en grève, probablement une manière de se rappeler au bon souvenir des candidats et du gouvernement Villepin. Vous y serez. Qu'est-ce que vous attendez, là, des candidats, ou du Gouvernement ?
R- On attend tout simplement... vous savez, on n'a pas eu d'accord salarial dans la fonction publique depuis 1999, on n'imagine pas une entreprise sans accord salarial pendant 8 ans, donc déjà ce problème-là. Et puis, on parle des fonctionnaires uniquement [sous l'aspect, ndlr] "ils sont trop nombreux", "ils coûtent trop cher", "ils ne font pas assez de travail". Donc bien évidemment on a besoin des candidats qu'ils nous disent quelle est leur vision pour l'Etat demain, c'est-à-dire qu'est-ce qu'ils attendent de l'Etat et de la fonction publique, et ensuite quel type de fonctionnaires ils veulent.
Q- Donc, quand un candidat vous dit, comme N. Sarkozy hier : moins de fonctionnaires mais mieux formés, mieux payés, vous vous marrez ou vous dites il a peut-être raison ?
R- Je souris parce qu'il nous dit "on ne remplacera pas la moitié des fonctionnaires qui partent à la retraite". C'est impossible, il parle des fonctionnaires de l'Etat, il ne prend pas les territoriaux ni les hospitaliers. La moitié des fonctionnaires de l'Etat ce sont des enseignants. Imaginons dans les 10 ans qui viennent, supprimer 25% des enseignants - c'est la proposition qu'on fait- ce n'est pas possible. On sait très bien qu'on a besoin d'enseignants, peut-être pas tous là où ils sont, mais surtout supprimer 25% des enseignants c'est quelque chose d'impossible.
Q- Vous m'avez dit un jour sur Europe 1 : "nous ne donnerons pas de consigne de vote". Mais est-ce que pendant la campagne, la revendication continue ?
R- D'une part, la revendication continue, les démarches temps social ne sont pas coordonnées avec le temps politique, mais surtout nous avons engagé un travail important entre partenaires sociaux, avec le Medef, sur le problème du contrat de travail, sur le problème de l'assurance chômage, de telle façon que nous sachions dans les mois qui viennent ce que l'on peut changer, pour les chômeurs, pour les salariés qui sont en précarité, et qu'on puisse rentrer dans les négociations, c'est notre travail de syndicalistes.
Q- D'accord, mais vous voulez le savoir avant l'élection présidentielle et l'élection législative ?
R- Là, pour le coup, les calendriers sont bien coordonnés. On sait très bien, et tous les candidats le disent : "il va falloir faire quelque chose pour les chômeurs, faire quelque chose sur le problème de la précarité et du contrat de travail". J'espère qu'à la fin de ce travail, nous serons en capacité de faire des propositions pour changer concrètement la situation des salariés dans les entreprises.
Q- Est-ce que vous donnerez une médaille CFDT à tout candidat ou toute candidate, F. Chérèque, qui promettra les vraies mesures, même impopulaires, pour réduire la dette ?
R- C'est un élément central. Dans notre congrès, les militants, la CFDT, ont dit c'est vraiment central, mais pour parler de la dette, il faut parler de l'Etat. On ne peut pas parler de la dette uniquement comme ça, c'est-à- dire, quelles que soient les propositions des candidats, ce qu'on attend d'eux c'est qu'ils nous disent quel est le rôle de l'Etat dans la cohésion sociale, qu'est-ce qu'on attend des fonctionnaires. Est-ce qu'on a besoin de plus d'enseignants, plus de policiers, plus de personnels dans la justice ? Quelle est l'activité que l'on propose aux citoyens pour leur rendre service ? Et ensuite, on débattra des moyens qu'il faut, du nombre de fonctionnaires et bien évidemment on parlera de la dette.
Q- Surtout que la dette augmente de 2.000 euros par seconde, mais il faut aller vite. S. Royal, on le saura dimanche le 11 février ; N. Sarkozy on sait, on l'a vu hier, et vous l'avez vu sur TF1 face à 100 français. D'abord, est-ce que vous lui avez trouvé du fond et des nerfs ?
R- Alors, tout d'abord c'est une émission très difficile et il s'en est plutôt bien sorti ; il a répondu, je dirais, à tout. Mais à vouloir répondre à tout, je pense que par moments, il a dressé un tableau, même si on a des difficultés dans notre pays, trop négatif. J'ai des exemples. Je crois qu'on ne peut pas faire dans parfois l'à peu près. Quelques exemples. Il nous dit : " les retraités sont de plus en plus pauvres ". C'est faux, c'est faux. On a des problèmes avec les retraités les plus pauvres, mais les retraités sont la catégorie sociale dont le pouvoir d'achat s'est le plus amélioré depuis 20 ans.
Q- Mais vous avez entendu le retraité qui se plaignait ?
R- Oui, mais c'est un retraité qui était dans les basses retraites, mais globalement le problème des retraités n'est pas significatif sur une personne. Il nous dit : " il n'y a pas de politique familiale au premier enfant ". C'est faux, on est le seul pays en Europe où on a un quotidien familial qui réduit les impôts pour tous les Français dès le premier enfant. Autre exemple. Il nous dit : " les classes moyennes ne peuvent plus s'acheter de maison ". Enfin, quand même ! Je veux bien qu'il y ait
un problème de logements, le problème des classes moyennes aujourd'hui c'est qu'ils vont de plus en plus loin dans les banlieues pour habiter, mais ils achètent des maisons.
Q- Donc vous le trouvez trop noir ?
R- Je trouve que face aux difficultés des Français, on n'a pas intérêt, dans le débat politique, de noircir le tableau. Le tableau est suffisamment difficile comme ça, pour trouver des solutions. Un autre exemple, il nous a dit : " le SMIC c'est la moitié des Français ". Ce n'est pas vrai, il y a 17% des Français au SMIC. Donc vous voyez, il y a un problème...
Q- Ils auraient tous intérêt à écouter les leaders syndicaux, comme vous, comme B. Thibault, allez les voir et dites-leur...
R- Non mais attendez, on va les voir, mais je pense que ça c'est un élément important. Ce que je demande aux candidats c'est de parler bien évidemment des problèmes des Français et des problèmes des salariés, mais qu'ils parlent tels qu'ils sont, avec les problèmes tels qu'ils sont il y en a suffisamment pour ne pas en rajouter.
Q- Dans deux semaines, on verra la candidate socialiste, sans doute, dans le même exercice. Mais le 11 février, c'est-à-dire dimanche, c'est une grande date pour le PS, pour la gauche, est-ce que vous souhaitez, vous, que le programme présidentiel de la candidate socialiste ressemble au projet du PS ou qu'il s'en éloigne ?
R- Tout d'abord il faut son programme. Si elle veut être président de la République, il faut qu'elle nous propose ses propositions. Et puis sur certains sujets du programme du PS, je pense qu'elle peut s'en éloigner parce qu'il y a certains sujets qui ne vont pas à la CFDT, dans le programme du Parti socialiste.
Q- Mais vous savez pour le moment où elle va et ce qu'elle veut ?
R- On verra le 11, c'est une des difficultés de la campagne aujourd'hui, mais on voit bien cette semaine que tout s'accélère et je pense que la semaine prochaine, on sera sur des choses plus concrètes.
Q- Elle a déjà donné des indications. Les principaux candidats veulent la croissance, avec des méthodes différentes, le plein emploi, dit S. Royal, moins de 5% de chômage en 5 ans. Est-ce que la France, là, peut réaliser à son tour ce que d'autres pays ont réussi ?
R- Oui, mais pour ça et c'est là qu'on va interpeller les candidats, mais qu'est-ce qu'ils veulent en terme de croissance, c'est-à-dire qu'est-ce qu'ils vont investir, dans la recherche, dans l'innovation, dans la formation ? On sait très bien qu'un des grands handicaps en France, c'est le niveau de formation : 190.000 jeunes qui sortent du système scolaire sans formation. Quelles sont les propositions concrètes ? Et là, quels que soient les candidats, on ne les a pas.
Q- Quand vous dites "190.000 jeunes qui sortent sans qualification", est-ce que c'est un jugement que vous faites aussi sur le système éducatif français ?
R- Bien évidemment. On voit bien qu'il faut aussi... il ne suffit pas de dire aux enseignants "vous êtes trop nombreux", ou "vous ne travaillez pas assez", encore faut-il nous dire quelle doit être l'organisation du système scolaire demain !
Q- Oui, et que chacun soit meilleur. Tous font aussi du travail une forte valeur. Quand N. Sarkozy déclare, comme hier : qui veut travailler plus doit pouvoir travailler et gagner plus, et qu'il faut exonérer les charges sur les heures supplémentaires, qu'est-ce qu'il faut pour que la CFDT le croit possible ?
R- Tout d'abord le travail, la valeur travail, c'est un sujet qui nous intéresse bien évidemment, mais ça commence, la valeur travail, par donner du travail à tout le monde. Et là, sur ce point des heures supplémentaires, on est en désaccord avec monsieur Sarkozy. Faire croire aux salariés qu'ils pourront choisir eux-mêmes, tout seuls dans leur entreprise, de faire des heures supplémentaires ou pas, c'est faux, c'est leur mentir, on sait très bien que ça ne marche pas comme ça.
Q- Ça dépend de l'employeur.
R- Ça dépend de l'employeur...
Q- ...Mais il faut que l'employeur s'engage.
R- Mais attendez ! Cela ne dépend pas que de l'employeur, ça dépend de l'économie. Pour pouvoir faire des heures supplémentaires, il faut que l'économie reparte ! Et là, c'est là qu'on attend les candidats, qu'ils nous disent comment ils vont faire repartir cette économie.
Q- Mais F. Chérèque, la France est le pays développé où le taux de chômage est le plus élevé, disent les économistes. Et il est aussi pourtant celui où par habitant, dans une année, on travaille le moins. C'est une coïncidence ou une malédiction ?
R- Mais, la coïncidence, sur le fait que les Français travaillent moins et que les autres, je suis d'accord. Mais ils travaillent moins, tout d'abord... tous les temps partiels imposés, dont 80% sont des femmes, qui veulent travailler plus, on ne leur explique pas comment elles vont faire. Et puis le vrai problème en France, c'est le travail des jeunes et le travail des seniors. Si les jeunes travaillaient plus, les seniors travaillaient plus, le problème des 35 heures ne serait plus un problème sur le temps de travail des Français.
Q- Le CNE, le Contrat nouvelle embauche, 800.000 contrats ont été signés et en 2006...
R- Non, ce n'est pas vrai... je ne suis pas d'accord.
Q- En 2006, on estime ces emplois créés entre 50.000, et D. de Villepin dit 240.000. On le supprime ou on le maintient ?
R- Non, mais attendez, comment vous pouvez dire dans la même phrase qu'il y a 800.000 emplois qui ont été signés et que ça a créé 50.000 emplois ? Il en manque 750.000, ils sont passés où ?
Q- Ou 200, ou 240.000.
R- Non, parce que les chiffres, je suis désolé, ces chiffres ce sont des intentions d'embauche, donc on n'a aucune preuve de la vérification que ce sont des emplois réels.
Q- Donc on le supprime ou on le maintient ? Ou on l'aménage ?
R- Nous sommes dans un travail avec le patronat, sur le problème des contrats de travail, notre objectif c'est de trouver d'autres solutions que cette précarité, et tous les candidats aujourd'hui le disent, y compris à droite, monsieur Sarkozy - en tous cas son porte-parole le dit - : on ne peut plus avoir de contrats, on ne justifie pas le licenciement.
Q- Est-ce que vous êtes favorable, F. Chérèque, comme l'écrivent S. Royal et son conseiller B. Rebelle, pour réduire d'ici à dix ans l'électricité d'origine nucléaire à 50 ?
R- Cela nous semble un objectif difficilement atteignable. Ceci dit, il faut qu'on se pose plus en France le problème des énergies renouvelables, on a là aussi un déficit dans ces énergies par rapport aux autres pays. Mais ça ne passera pas, je crois, par une suppression du nucléaire, comme d'autres pays ont voulu le faire, par exemple en Allemagne, et on voit bien que la solution c'est le nucléaire d'un côté et un complément en énergies renouvelables.
Q- Un mot sur les retraites. En 2008, est prévu un rendez-vous sur la réforme des retraites, vous y avez participé. Si la candidate PS l'abroge, qu'est-ce qu'il faut faire sur la réforme, et d'autre part, N. Sarkozy dit qu'il faut réformer, je vais vite, les régimes spéciaux. On les garde ? On les fait évoluer ? On fait un régime commun ? Qu'est-ce qu'on fait ?
R- Tout d'abord la candidate PS n'abrogera pas, je vous le dis, je ne suis pas dans les petits papiers de la candidate PS, mais je suis sûr qu'ils ne le feront pas puisqu'ils ne peuvent pas le faire...
Q- C'est-à-dire ? Comment ça ?
R- Parce que, bien évidemment, on ne va pas revenir à 37,5 ans de cotisations pour les fonctionnaires et 40 ans pour les autres, il faut dire la vérité aux gens, c'est ce qu'on attend dans la campagne. On ne va pas faire en sorte que ceux qui ont commencé à travailler jeunes re-cotisent à nouveau 46 ans, alors qu'on a baissé leur temps de travail. Donc on ne reviendra pas sur cette réforme, donc il faudra la compléter...
Q- Mais pourtant, ils le disent.
R- C'est pour ça que je vous disais tout à l'heure, sur certains points du programme socialiste, on attend que la candidate s'en détache, parce qu'il y a des propositions qui ne sont pas faisables.
Q- Un dernier mot. Vous réclamez des candidats. En contrepartie, qu'est-ce que donne la CFDT pour soutenir même des réformes impopulaires et nécessaires ?
R- Ecoutez, on a fait la démonstration ces dernières années, mais nous donnons notre capacité de nous engager, sur des réformes qui sont justes, pour réduire les inégalités, et pour assurer aux futures générations un système social tel que l'on a. Le pire qu'on ait à faire actuellement, que l'on fait actuellement, c'est qu'on ne prévoit pas l'avenir, et c'est un des problèmes du débat dans la campagne électorale, l'avenir de notre pays passe bien évidemment par certaines réformes du système social, pour réduire les inégalités, lutter contre la pauvreté et assurer un avenir à nos enfants.
Merci F. Chérèque.
Merci.
J'ai l'impression qu'on va vous entendre beaucoup pendant la
campagne.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 9 février 2007