Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, à RMC le 31 janvier 2007, sur les chiffres du chômage, le programme des services à la personne et le contrat nouvelles embauches.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Q- Notre invité est ce matin J.-L. Borloo, ministre de l'Emploi et de la Cohésion sociale, l'homme du jour ! Bonjour J.-L. Borloo.
R- Enfin, plutôt l'homme de la nuit en l'occurrence...
Q- Pourquoi, vous vous êtes couché tard ?
R- Oui, il ne vous a pas échappé qu'il y a eu un texte historique au Sénat, cette nuit, et que j'ai quitté à 1h30 du matin. Mais on va en parler j'espère, un grand texte.
Q- Parlons du chômage, de ces chiffres, on ne va pas rentrer dans la polémique, nous, on va être sur les précisions. D'abord, avant le chômage, votre question aux auditeurs. Avez-vous une question à poser aux auditeurs ?
R- Oui.
Q- Laquelle ?
R- C'est simple : on a mis en place un plan pour les vingt métiers des services à la personne. Votre ordinateur qui est tombé en panne, la grand-mère qu'il faut aller chercher à la gare, le petit qui a la rougeole, enfin bref, problèmes d'école, de scolarité... Tout cela fonctionne avec des chèques emploi service universel que votre entreprise peut vous co-financer jusqu'à presque la moitié. Alors, il y a des grandes enseignes, comme La Poste, qui a décidé depuis quinze jours, vous allez à la poste et vous achetez une carte Genius et vous dites : "demain, j'ai besoin d'une heure à tant d'euro pour faire ça". Est-ce que les auditeurs de RMC sont allés à La Poste ou sont allés au Crédit Agricole, ou sont allés à la Caisse d'Epargne pour tester les services à la personne ? Voilà ma question.
Q- Le chômage continue à baisser, c'est incontestable. Pourquoi baisse-t-il ?
R- C'est simple, c'est parce qu'on s'occupe des gens. Parce qu'en réalité, vous savez, c'est quoi le chômage ? C'est juste quand l'offre et la demande ne se rencontrent pas. Statistiquement, la probabilité que Benoît aille travailler chez Pierre lundi matin, avec la bonne formation, au bon endroit, elle ne tombe pas sous le sens. Le chômage baisse parce qu'on a amélioré ça. Alors, qu'a-t-on fait ? Un dossier unique, un service unique, des maisons de l'emploi, on reçoit les gens tous les mois, on fait des bilans de compétences. Tout n'est pas encore absolument parfait, on a relancé l'apprentissage, 402.000 apprentis ce mois-ci - on vient de 330.000 -, les contrats de professionnalisation, les services à la personne, le bâtiment et la construction. En gros, tout ce qui dépend de nous, sans se préoccuper du baril du pétrole ou du prix de l'euro. Il n'y a aucune raison - je l'avais annoncé dans le plan de cohésion sociale il y a deux ans -, on doit réduire le chômage de 3 % uniquement sur notre organisation. Il y a des secteurs entiers qui sont sous tension, il y a des gens
qui cherchent effectivement de l'emploi, cela ne se fait pas comme ça, enlisant simplement des listes. Accueillir, recevoir, informer, aider, avoir des systèmes qui permettent de retrouver rapidement une qualification ou une formation, c'est ce qu'on appelle de la gestion de ressources humaines, tout simplement.
Q- Gaspard nous écrit : "Moi, je suis chômeur en fin de droit, on m'a demandé si je souhaitais être dispensé d'aller pointer tous les mois, j'ai accepté, car ces visites mensuelles ne servaient à rien". Voilà ce que nous dit Gaspard, "j'ai donc été radié des listes des demandeurs d'emploi". Est-ce ça existe ou pas ?
R- Non, mais non ! D'ailleurs, je vais vous dire, on nous le reproche suffisamment. Chez nos amis anglais ou nos amis allemands, vous êtes convoqué tous les quinze jours, vous devez vous expliquer sur les recherches que vous faites. La France est un pays où l'on est déclaratif. Simplement, quand on ne se réinscrit pas au bout de deux mois, cela s'appelle des radiations, vous voyez que c'est quand même un petit peu stupéfiant. Non, ce qui existe, c'est pour un certain nombre de personnes à l'ASS, de plus d'un certain âge, qui le souhaitent, on les autorise à être dispensées de recherche, ce qui n'est pas tout à fait la même chose.
Q- Donc 2.092.000 chercheurs d'emploi - je préfère toujours "chercheur d'emploi" - fin décembre. Ces 2.092.000 chercheurs d'emploi doivent être immédiatement disponibles et ils doivent chercher un CDI à temps plein, c'est ça ?
R- Non, ils ne doivent pas chercher un CDI à temps plein, ce sont dans les définitions du Bureau international du travail, des gens qui sont disponibles pour un travail.
Q- Si j'ai travaillé plus de 78 heures dans le mois, est-ce que je suis considéré comme chômeur ou pas ? Est-ce que je suis dans les chiffres ou pas, dans les statistiques ?
R- A plus de 78 heures - c'est-à-dire deux fois plus que nos amis anglais - vous êtes, vous pouvez décider que votre femme peut travailler 78 heures et ne pas être demandeur d'emploi.
Q- A plus de 78 heures, je ne suis pas chômeur, je ne suis pas considéré comme chômeur ?
R- Si, vous êtes en catégorie 2.
Q- Catégorie 2...
R- Voilà. La France est un pays qui dit...
Q- Il y a huit catégories en France.
R- C'est de l'information, c'est la moindre des choses qu'on informe. Il y a450.000 personnes qui sont en formation professionnelle. Alors, il y a deux façons de dire : ou c'est très, très bien que des gens soient en formation professionnelle - vous pouvez aujourd'hui quitter RMC et aller en formation professionnelle pour aller faire de la presse écrite, et puis avoir un job à la sortie -, ou vous pouvez dire que ce n'est pas bien de former les gens, si on les forme, il doit y avoir un loup derrière. Il y quand même un problème de mentalité ! Vous savez, vingt-trois mois de suite de bonnes nouvelles, quelque part, cela cache quelque chose, surtout en période électorale.
Q- Vous pensez que la France n'aime pas les bonnes nouvelles, si je comprends bien ?
R- Cela ne vous a pas échappé qu'il y avait un peu de dépression. Alors, une fois qu'on a dit tout ça, il ne reste pas moins vrai qu'il y a toujours deux millions de demandeurs d'emploi. Et je le dis à vos auditeurs qu'à 8,6 %, on est encore à un taux élevé, on est d'un point supérieur à la moyenne européenne. Au rythme où nous allons, nous serons les bons élèves de la classe dans un an et demi.
Q- Jusqu'où peut-on aller en France ?
R- On peut aller à 4-4,5 %, ce qui est le point de friction, 4,5-5 %. Mais ontinuons ce qu'on fait actuellement. Vous savez, ce n'est pas une science mystérieuse, il s'agit juste de se donner les moyens d'organisation quand on sait que des secteurs baissent en activité et qu'on forme un peu moins pour ceux-là. Regardez, ce mois-ci, les offres d'emploi ANPE pour les services à la personne - on a lancé ici même le programme il y a deux ans...
Q- Oui, je me souviens...
R- ...Services à la personne : +26 % d'offres ce mois-ci, +26 % ! La construction et le logement, et si l'on construit un logement, il y a maçon mais il y a aussi architecte, installation en plasturgie, génie du fluide, génie climatique, notariat, il y a plein de métiers autour ! On est en croissance massive. Donc, la France est un pays qui a un vrai besoin de main d'oeuvre. On est plutôt dans une crise du recrutement que dans un chômage de masse. Il n'en reste pas moins vrai qu'il y a des secteurs géographiques ou des secteurs territoriaux où l'on est plus enkysté. Ça, c'est une réalité.
Q- Bien, soyons dans le concret toujours, regardons un peu ce que nous disent les candidats à la présidentielle. N. Sarkozy veut s'inspirer du CNE pour élaborer un contrat de travail unique. Danger ou bonne idée ?
R- S'inspirer, non....
Q- Attendez, je vais vous dire...
R- Mais je sais ce qu'il a dit, je sais ce qu'a dit X. Bertrand...
Q- Ils n'ont pas dit tout à fait la même chose d'ailleurs, mais enfin...
R- Il va m'en parler et une fois qu'il m'en aura parlé précisément, je vous répondrai précisément. Vous savez, moi je ne commente pas les commentaires.
Q- Mais non, attendez, il se déclare, il dit. Je vous dis ce qu'il a dit... !
R- Montrez-moi votre fiche !
Q- Attendez...
R- Les dépêches, je les connais !
Q- Mais ce n'est pas une dépêche !
R- Allez-y, monsieur Bourdin, allez, à table !
Q- Alors, " Inspiré du contrat "nouvelles embauches", CNE, réservé aux entreprises de moins de 25 salariés, ce contrat unique permettrait de sortir du dilemme de contrat à durée déterminée, contrat à durée indéterminée en faisant en sorte que les droits des salariés se renforcent au fur et à mesure qu'ils ont de l'ancienneté dans le contrat" ; alors ?
Vous voyez, quand vous dites toute votre phrase, ça va beaucoup mieux. [...] Le CNE, il a cette caractéristique qui est effectivement que vos droits progressent avec le temps, droit à la garantie pour un logement, droit à la formation, droit aux indemnités. Donc c'est ce qu'il veut dire et de ce point de vue-là, c'est une bonne méthode. D'ailleurs, tout le monde est à peu près d'accord là-dessus. Ce qui est vrai, c'est qu'on a en France des systèmes qui sont tellement rigides que du coup, on multiplie les contrats, notamment précaires, et qu'on ne peut pas avoir la crème et le beurre.
Q- Sur la période d'essai, il va falloir qu'il précise des choses.
R- C'est pour ça que je vous demandais de bien lire votre texte.
Q- Est-ce que vous attendez des précisions ?
R- C'est bien pour ça que je vous demandais de bien lire votre texte parce que je
vois qu'on ne parle pas de ça. Je pense sincèrement qu'on ne peut pas avoir,
qu'on ne peut pas étendre la logique de la période d'essai du CNE à toutes les
conditions. Le CNE a été fait, et est toujours fait pour les toutes petites
entreprises. Lorsque vous êtes seul et que vous décidez de recruter un
compagnon, le saut dans l'inconnu est absolument considérable dans ce
genre...
Q- Donc, vous dites à votre candidat "attention" ?
R- Oui, bien sûr, je lui dis "attention". Mais d'ailleurs, il n'a pas besoin de moi
pour savoir qu'il faut faire attention.
Q- C'est votre candidat, ça y est ?
R- C'est en tous les cas le candidat de l'UMP et en ce qui concerne le Parti radical, qui se réunit dans trois semaines, le suspense n'est pas à son comble, pour tout vous dire. Néanmoins, il y a un certain nombre de sujets sur lesquels nous avons notre identité et sur lesquels nous...
Q- ...Qu'est-ce que vous allez lui demander, justement, à votre candidat ?
R- Je ne vais pas lui demander, parce qu'on n'est pas dans une vieille monarchie, et je ne suis pas un sujet qui va quémander des sébiles. Je vous donne un exemple simple...
Q- Allez-y !
R- On se fait plaisir en France avec 80 % d'une classe d'âge qui a le bac, en gros, ça veut dire quoi ? Que les 20 %, on s'en tape ? Moi, je souhaite qu'il y ait 100 % de qualifiés. Il y a 195.000 jeunes aujourd'hui qui sortent des mailles du filet, pour lequel le système de l'Education nationale n'est pas forcément le plus adapté, on a plein d'autres filières de formations - formation professionnelle, formation continue, apprentissage, etc., écoles, moyennes écoles, grandes écoles, fluidité entre les universités et les grandes écoles. Je souhaite que l'ensemble des partenaires se mettent autour de la table et qu'on se donne deux ans pour entrer dans un pays à 100 % de qualifiés. Voilà, par exemple, un chantier sur lequel je souhaite que nous avancions rapidement.
Q- Toujours votre candidat : il nous parle des heures supplémentaires et nous dit qu'il serait bien que ces heures supplémentaires ne soient pas soumises à impôt. J'ai vu la remarque de F. Chérèque, de la CFDT, qui dit, " C'est bien marrant tout ça, mais les entreprises ont des possibilités de faire des heures supplémentaires. Pourquoi ne le font-elles pas ? Parce qu'elles n'ont pas d'heures supplémentaires à offrir". Qu'en pensez-vous ?
R- Je pense que d'une manière générale, taxer l'emploi comme on le fait, en gros si le patron de RMC veut vous donner une augmentation, on commence par en récupérer 80 % ou que vous n'avez pas dans votre poche ou qu'il paie en charges. C'est une des raisons du blocage de la négociation salariale, une des raisons du blocage. Si entre le chef d'entreprise et le salarié, 90 %, 100 % de l'augmentation était vraiment efficace, c'est-à-dire que le chef d'entreprise aurait vraiment le sentiment que cela améliore les conditions de vie de son salarié, on débloquerait un peu ces négociations collectives ou même ces négociations individuelles. Donc il faut moins taxer l'emploi d'une manière générale, pas seulement les heures supplémentaires, mais on peut évidemment commencer par les heures supplémentaires. Il y a des salariés, dans certaines entreprises et dans certaines conditions, qui veulent évidemment travailler plus. Cette vieille idée, il y a quelques années, où l'on a mis les inspections du travail pour aller vérifier que des jeunes gens de 27 ou 28 ans, dans des labos, qui devaient téléphoner à des copains à Chicago pour aller travailler, qu'on leur interdisait de travailler plus de 35 heures, avouez quand même que, Dieu merci, l'ensemble de nos compatriotes ont fait du chemin, d'ailleurs, vous et moi compris. Donc, vraiment, cette idée, elle est pertinente.
Q- Dernière chose, puisque nous sommes toujours sur le même sujet : les candidats, les uns et les autres, brandissent des exemples à l'étranger. La Grande-Bretagne est à l'honneur depuis hier avec N. Sarkozy, la Grande-Bretagne avait déjà été à l'honneur avec S. Royal il y a quelque temps ou avec D. Strauss-Kahn ; on nous brandit l'exemple suédois. La grande différence, c'est que les deux pays ont un taux de chômage très bas avec vraiment deux choix de société bien différents. En Suède, les charges sur les entreprises sont très lourdes, elles sont très légères en Grande-Bretagne et finalement, on aboutit au même résultat.
R- Vous savez pourquoi ?
Q- Non, justement.
R- Eh bien je vais vous dire. L'exemple est parfait parce qu'on adore, nous, nos débats théoriques. Dans les deux cas, il y a un truc qui existe, c'est la maison de l'emploi, c'est-à-dire que dans ces deux pays, ce que l'on est en train de faire ici, les maisons d'emploi, des job centres, c'est-à-dire des endroits où l'on dit, "Bonjour, monsieur, madame, c'est quoi vos compétences ? On va faire des bilans complémentaires, vous allez avoir une attestation et on va vous accompagner dans le nouveau métier, et puis on se revoit dans quinze jours...". Et puis autour de la table, il y a la formation professionnelle, l'orientation, le suivi de la demande d'emploi, l'indemnité, tout est autour de la table ! Nous, on avait un système absurde : vous avez les Assedic d'un côté, vous avez l'ANPE, la formation professionnelle région, la formation professionnelle chambre professionnelle, apprentissage chambre des métiers, chambre de commerce... Enfin un pays de dingue, comme si la personne était coupable dans sa tête ou dans son corps en différentes prestations ! Nous organisons les maisons de l'emploi, c'est la principale raison de la baisse du chômage en France. N'allez pas chercher des grands sujets macro-économiques, n'écoutez pas tous les experts en tout genre qui se trompent depuis vingt-cinq ans, le vrai sujet c'est au même endroit ou en réseau la gestion des ressources humaines.
Q- On se disperse en France, on l'a bien compris. Remarquez, on se disperse en nombre d'élus aussi, avec les communes, les communautés de communes, les départements, les conseils généraux, les conseils régionaux...
R- Ne m'en parlez pas !
Q- ...Les députés, les sénateurs... Vous êtes d'accord ?
R- Ne m'en parlez pas, oh ! là, là !Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 1er février 2007