Entretien de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, dans le journal russe "Vremya Novostei" et avec l'Agence de presse "Interfax", sur la coopération militaire franco-russe, la France dans l'OTAN, la Défense européenne et sur le rôle des militaires français au Liban, à Moscou le 21 février 2007.

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Circonstance : Conseil de coopération franco-russe sur les questions de sécurité, à Moscou (Russie) les 20 et 21 février 2007

Média : Interfax - Vremya Novostei

Texte intégral

Q - Quelles coopérations la France et la Russie développent-elles dans le domaine militaire ? Quelles sont les perspectives de ces coopérations ?
R - La France et la Russie entretiennent de longue date une coopération de défense de qualité.
Ces dernières années, les échanges entre forces armées des deux pays ont connu de nouveaux développements. La relation de défense a bénéficié de la dynamique imprimée au plus haut niveau entre les présidents Chirac et Poutine.
Depuis 2002, le dialogue s'est approfondi, avec des résultats concrets tant pour les coopérations militaires que pour les coopérations en matière d'armement. Avec Sergueï Ivanov, nous avons développé une relation de confiance, y compris dans le cadre du Conseil de coopération pour les questions de sécurité.
Notre volonté politique d'aller de l'avant dans la relation avec la Russie se traduit par des réalisations concrètes. En 2007, les échanges d'excellente qualité qui existent entre les Marines sont appelés à se développer encore davantage. Notre travail vise à approfondir également les échanges entre les forces aériennes et les forces terrestres en matière d'interopérabilité et de capacités opérationnelles.
Le domaine des opérations de maintien de la paix est un autre thème que nous souhaitons développer dans les cadres UE-Russie et OTAN-Russie. Pour 2007, notre plan de coopération s'articule autour de deux axes : échanges en matière de réforme des armées et de formation des personnels ; retours d'expérience et exercices opérationnels dans le domaine des opérations de maintien de paix.
Q - Des projets conjoints entre la Russie et la France sont-ils possibles dans le domaine de l'aéronautique militaire (chasseur de cinquième génération, drones, avions de transport) ? Dans quels autres domaines, en dehors de l'aéronautique, la réalisation de projets conduits sur la base d'un partage des risques est-elle envisageable ?
R - Le gouvernement français attache une grande importance au développement de la coopération avec la Fédération de Russie.
Lors de notre dernière rencontre, j'ai rappelé à M. Ivanov mon souhait que cette coopération puisse se matérialiser par des travaux concrets engagés par nos services et nos industries. Si le thème de l'avion de combat de cinquième génération n'a malheureusement pas pu aboutir du fait de calendriers différents, un groupe de travail conjoint examine des propositions techniques de coopération dans les drones.
D'autres domaines de coopération sont également possibles, avec des discussions parfois très avancées. Ainsi, en matière de propulsion aérobie hypersonique, un contrat - en partie financé par la Délégation générale pour l'Armement du ministère de la Défense français - associe MBDA et Raduga. Une autre coopération a déjà démarré, dans le domaine de l'espace, et de nombreux projets sont à l'étude dans le secteur naval, domaine d'excellence de nos deux pays.
Cette énumération n'est pas exhaustive, mais témoigne des premières synergies entre nos deux pays.
Q - Paris a pris la décision d'acquérir des munitions guidées "Krasnopol M". Pensez-vous que la France pourrait accroître ses acquisitions de matériels et équipements auprès de la Russie ?
R - Le marché des obus "Krasnopol", notifié fin décembre 2005, est déjà un marché conséquent puisqu'il prévoit la fourniture de 500 munitions pour un montant de 30 millions d'euros environ.
D'autres domaines pourraient à terme déboucher sur des acquisitions : ainsi nous avons commandé une étude de définition de systèmes d'aérotransport et d'aérolargage de matériels très lourds.
Q - La France serait-elle prête à exporter des armements en Russie si les forces armées russes exprimaient le souhait d'acquérir des matériels de fabrication française ?
R - La France est évidemment prête à répondre à des besoins de matériels au profit des forces armées russes. D'ailleurs, de nombreux équipements sont déjà présents sur certains systèmes russes vendus à l'exportation, notamment dans le domaine de l'aéronautique (équipements de MIG 29 et de SU 30), et contribuent ainsi à valoriser les technologies russes et françaises.
Q - Comment la France voit-elle son rôle au sein de l'OTAN ?
R - La France est un membre important de l'OTAN. Elle est le troisième contributeur budgétaire et le quatrième en hommes aux opérations de l'Alliance. Elle s'est investie dans la réflexion sur les évolutions de l'Alliance. Elle est un acteur important de la Force de réaction rapide (NRF) Sa voix est entendue et écoutée à l'OTAN. Elle a pu parfois être critiquée mais la valeur de son engagement dans l'action et de son approche sur les théâtres a toujours été reconnue.
Q - La France considère-t-elle que l'Europe doit aspirer à une défense plus indépendante, plus autonome, et moins dépendante des Etats-Unis ? Si tel est le cas, quels pourraient être les mécanismes concrets susceptibles de permettre une évolution dans ce sens ?
R - La défense ne se délègue pas. Chaque pays assume la pleine responsabilité de sa propre défense, à la mesure de ses moyens et eu égard aux menaces potentielles. Il s'agit d'une responsabilité exigeante, nécessitant une vision à long terme. L'histoire de France prouve que nous avons su consentir l'effort nécessaire. Pour autant, elle ne peut faire abstraction de la proximité et de la communauté d'intérêt de ses voisins européens, de ses alliés, notamment transatlantiques, et de ses nombreux amis de par le monde. C'est pourquoi la politique de défense de la France est très explicitement fondée sur une politique d'alliance, notamment à travers la Politique européenne de sécurité et de défense, qui a vocation à fédérer et à dynamiser les actions européennes. La PESD compte à son actif 17 missions, dont deux opérations militaires en République Démocratique du Congo, une opération en Bosnie et une en ex-République yougoslave de Macédoine. Parmi ses autres réalisations, notons aussi les groupements tactiques 1500, déployables en moins de 15 jours ; la Force de gendarmerie européenne et l'Agence de défense et d'armement, dont le travail permet une mise en commun dans le domaine de l'armement et de la recherche.
Q - La France joue un rôle leader dans le cadre de la mission de l'ONU au Liban. Quels ont été les succès de cette mission, et quelles sont les perspectives ?
R - La France a des relations étroites et anciennes avec le Liban, elle poursuit depuis l'été dernier des efforts diplomatiques, financiers et militaires très importants pour créer les conditions d'un dialogue entre toutes les parties et aider le Liban à se redresser.
La France continuera à soutenir activement le processus de rétablissement de la souveraineté intégrale du Liban. Elle appuie toute initiative du gouvernement légitime de Fouad Siniora issu d'élections démocratiques destinée à rétablir le dialogue entre toutes les parties libanaises.
La FINUL, renforcée par la résolution 1701 s'acquitte depuis août 2006 de manière satisfaisante de son mandat en appui au déploiement des forces armées libanaises. Elle contribue considérablement à la consolidation de la cessation des hostilités, au rétablissement du contrôle des autorités libanaises sur l'ensemble de leur territoire et à la stabilisation de la zone frontalière avec Israël. La France, deuxième contributeur à la FINUL, a particulièrement veillé à donner à cette Force les moyens d'accomplir son mandat, en la dotant de règles d'engagement robustes qui lui permettent aussi d'assurer au mieux sa protection. Nous aidons l'armée nationale libanaise.
La poursuite du processus de résolution de la crise régionale exige cependant que toutes les parties au conflit, y compris naturellement la Syrie et Israël, respectent les exigences formulées par la communauté internationale.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 février 2007