Texte intégral
Q - Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?
R - Pour montrer à quel point les Affaires étrangères ont des conséquences concrètes sur la vie quotidienne des Français. Etant un homme politique avec un parcours d'élu local puis de responsable gouvernemental, j'ai souhaité faire partager ce sentiment.
Q - Vous devriez quitter ce ministère bientôt. Quel regard portez-vous sur les critiques qui vous ont été faites et quelle réponse souhaitez-vous apporter aujourd'hui ?
R - Il y a des actions dans ce livre qui sont les meilleures réponses. C'est vrai qu'au début, le fait de ne pas être diplomate - j'ai envie de dire "du sérail" - a pu questionner un certain nombre de personnes. Aujourd'hui, tout cela est derrière nous.
Q - On avait dit de vous "le ministre des affaires qui lui sont étrangères." Le choix du titre est-il en rapport ?
R - Non, c'est uniquement parce que ces affaires ne doivent pas être étrangères au grand débat électoral qui s'annonce en France. Et j'ai trouvé intéressant aussi, de dire que ce n'était pas si étranger à quelqu'un qui n'était pas diplomate de formation. Il est bon d'avoir un oeil neuf sur des sujets de politique étrangère, qui intéressent tous les Français. Il est sain de ne pas laisser ce type de domaine aux seuls spécialistes.
Q - A propos, vous critiquez férocement, sans le nommer, quelqu'un qui entre dans cette description dans votre livre...
R - C'est un message qui s'adresse à ceux qui auraient pu dire des choses et qui ne les disent plus aujourd'hui.
Q - Dans votre "petit dictionnaire de géopolitique à l'usage des nouvelles générations", vous faites un court chapitre sur René Char et cette citation "à te regarder, ils s'habitueront". C'est une façon de répondre à tout cela ?
R - Non, cela ne s'applique pas à moi. C'est juste que je trouve que c'est une belle formule pour définir la voie du bonheur à celui ou celle qui pourrait en douter.
Q - Votre nomination avait été accueillie froidement par les diplomates. Pensez-vous les avoir convaincus à l'issue de ces (presque) deux années ?
R - Il faut leur demander à eux. Mais aujourd'hui, l'ambiance est excellente dans la maison. On avait une approche souvent commune, parfois différente, et donc complémentaire. Mais moi aussi, j'ai changé.
Q - Pendant ces deux ans, vous avez placé l'humanitaire et la santé au premier plan, avec notamment UNITAID...
R - Il ne s'agit pas d'humanitaire mais de politique internationale. Pour éviter que la fracture Nord-Sud ne s'aggrave avec la mondialisation, il fallait une idée concrète pour faciliter l'accès aux médicaments pour ceux qui en sont privés. UNITAID permet de vendre des médicaments dix fois moins chers aux pays les plus pauvres. C'est le moyen, pour la première fois, d'aborder la notion de la mondialisation équitable.
Q - Vous souhaitiez le ministère de l'Intérieur ou de l'Economie. Vous avez eu celui des Affaires étrangères. Qu'avez-vous appris à ce poste ?
R - Non ! J'ai souhaité servir mon pays dans ce ministère. Ensuite, il faut se rendre compte que lorsqu'on est français, on est citoyen d'un pays qui est un des seuls au monde à être membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, membre du G8, et qui joue un rôle majeur dans l'Union européenne. Donc être responsable politique français aujourd'hui, c'est compter aussi dans le monde. Peu de gens aujourd'hui s'en rendent compte. Ce qui m'a le plus intéressé, c'est de voir que la vision du président Chirac sur le dialogue des civilisations, l'aide au développement et les problèmes d'environnement est un discours en avance sur notre temps. Parce qu'on voit bien aujourd'hui que de certains néo-conservateurs à certains intégristes, le risque est fort de nous attirer vers des chocs de civilisations, qui sont en fait des chocs de l'ignorance.
Q - Vous soulignez que le temps de la diplomatie est plus lent que celui de la politique. L'avez-vous subi ?
R - La diplomatie est une leçon d'humilité. Il faut prendre le temps de comprendre la position des autres, la respecter, l'intégrer. C'est une réalité que j'ai vite appréhendée. C'est accepter un certain nombre de choses, en imposer d'autres, tout cela pour faire des textes parfois courts, mais qui vont jouer un rôle très important pour notre pays. Ca, je l'ai appris.
Q - Dans votre livre, vous décrivez les diplomates comme "discrets et disciplinés", qui s'expriment peu par "devoir de réserve" et "peur de déplaire". Vous semblez aussi déplorer l'image "élitiste" du Quai d'Orsay. Revendiquez-vous une façon différente de faire de la diplomatie ?
R - La diplomatie c'est l'art de pouvoir éviter le conflit. Il y a donc un prix à payer pour cela. Mais il est normal aussi de pouvoir affirmer une vision, montrer un cap politique. Car ce n'est que de la politique. C'est défendre une certaine idée de notre pays, et parfois il ne faut pas toujours le faire de manière onctueuse.
Q - Justement, vous n'aviez pas été très onctueux avec l'Iran quand vous avez déclaré qu'il avait un "programme nucléaire clandestin"...
R - Je comprends d'autant moins que cela ait posé problème et choqué que le directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Mohamed El Baradei, l'a dit lui-même.
Q - Mais il n'a jamais parlé aussi crûment de programme "clandestin".
R - Il est allé plus loin : il a même parlé de programme nucléaire iranien qui serait "à des fins non pacifiques".
Q - On vous a reproché de ne parler aucune langue étrangère. Avez-vous appris l'anglais, depuis votre nomination en mai 2005 ?
R - Je parle anglais. Mais il m'arrive très fréquemment, comme la plupart de mes collègues étrangers, que sur des discussions excessivement importantes et des textes techniques, je fasse appel à un traducteur. Do you want to speak english with me ?Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 février 2007