Texte intégral
Q - Nous accueillons ce soir le ministre des Affaires étrangères. Philippe Douste-Blazy, bonsoir. Merci beaucoup d'être avec nous sur ce plateau. Vous venez de publier ce livre "Des affaires pas si étrangères" chez Odile Jacob. Vous y racontez votre expérience au Quai d'Orsay, près de deux ans à la tête de la diplomatie française puisque vous avez été nommé peu de temps après le référendum sur la Constitution européenne au printemps 2005. Avec vous, nous allons très largement évoquer l'actualité au Moyen-Orient et l'action de la France dans cette région du monde. Et puis on va se réserver un peu de temps pour plonger dans le petit dictionnaire de géopolitique à l'usage des nouvelles générations que vous proposez, là aussi, dans votre livre.
La 43ème Conférence mondiale sur la Sécurité qui réunit jusqu'à ce soir les principaux dirigeants internationaux à Munich. Un moment a retenu particulièrement l'attention, ce sont les propos tenus hier par Vladimir Poutine sur la politique américaine.
Deuxième information, cela se passe en Côte d'Ivoire où un diplomate français qui travaillait pour l'Union européenne a été retrouvé assassiné mercredi dans sa villa d'Abidjan.
Troisième et dernière information, le départ pour New York de l'écrivain turc, Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature qui a quitté la Turquie la semaine dernière. A l'origine de cette décision, les menaces qui pèsent sur sa sécurité.
Philippe Douste-Blazy, c'est à vous. Retenir une information et la commenter.
R - Vous vous en doutez, sans aucun doute, évidemment, Vladimir Poutine qui parle des Américains. Ce qui m'a le plus frappé dans cette allocution c'est lorsqu'il dit : "à la limite, si on continue comme cela, où est la légitimité de la communauté internationale ?". Donc, l'unilatéralisme des Américains aujourd'hui aboutit au questionnement en général de la communauté internationale : si les Américains font exactement ce qu'ils veulent sans passer par l'ONU, il y aura un problème de représentativité de la communauté internationale. C'est un sujet majeur.
Pour moi, l'élément fondamental de cette année passée, c'est que quelques jours avant l'Assemblée générale des Nations unies qui, comme chaque année, réunit les chefs d'Etat et de gouvernement à New York, à La Havane à Cuba se tenait un sommet réunissant M. Ahmadinejad, M. Chavez, et des pays non-alignés. Tant que c'était Davos, où il y avait des chefs d'entreprise, des philosophes, des intellectuels, et d'un autre côté Porto Alegre où il y avait des altermondialistes, des intellectuels, des philosophes aussi, tout allait très bien. Ce sont des débats très intéressants mais c'était quand même moins significatif. Là, ce sont des chefs d'Etat et de gouvernement, des chefs d'armée qui se sont réunis comme s'il s'agissait d'un défi. Il faut faire attention et réfléchir, très vite, à la représentativité de l'Organisation des Nations unies, et à sa réforme - éventuellement au niveau du Conseil de sécurité - pour que plus jamais une seule nation, fût-elle la plus puissante, ne se croie le seul maître du jeu.
Q - Pour autant, vous seriez allé à employer des termes aussi forts que ceux employés par Vladimir Poutine : "force déstabilisatrice", "puissance déstabilisatrice"...
R - Evidemment, non. Nous pensons que les Américains, sont des amis, des alliés. Nous travaillons avec eux. Je travaille avec Condoleezza Rice tous les jours sur le Moyen-Orient. Nous avons voté ensemble la résolution 1701 sur la guerre du Liban, le 11 août à New York. La question n'est pas là.
Je suis très frappé par les déclarations d'un certain nombre de chefs d'Etat, comme celles du président Poutine qui dit très clairement, aujourd'hui, qu'il faut revenir au multilatéralisme. Je pense qu'il est très important que la France soit à la tête du combat pour le multilatéralisme.
(...)
Q - Philippe Douste-Blazy, d'abord une réaction sur les propos du jour du président iranien. Il se dit prêt à la négociation sur le nucléaire, mais sans suspension de l'enrichissement d'uranium.
R - Pour nous, la négociation passe par la suspension des activités nucléaires sensibles. C'est ce que dit la résolution 1737, votée le 23 décembre dernier, à l'unanimité des membres du Conseil de sécurité.
Q - ... y compris la Russie et la Chine...
R - ... la Russie, la Chine, les Américains, les Britanniques et la France, les cinq membres permanents du Conseil, et les autres.
Pourquoi ? Parce qu'il faut montrer une fermeté absolue sur ce sujet. Vous l'avez très bien dit dans votre reportage : s'il y a - comme le dit d'ailleurs le directeur de l'AIEA, M. El Baradeï - une évolution du dossier nucléaire iranien et balistique à des fins non-pacifiques, alors c'est un problème de prolifération dans l'ensemble de la région qui se posera, et ce sera un danger absolu pour la planète.
Nous sommes donc tout à fait décidés - la France n'a pas changé de position sur cette question - à des sanctions, sauf si les Iraniens décident d'une suspension de leurs activités nucléaires sensibles. Alors dans ce cas, nous suspendrons le processus de sanctions.
Q - Donc, pour vous, l'enrichissement de l'uranium, c'est un signe que les Iraniens vont vers un nucléaire militaire ?
R - Ce qu'a proposé le président Ahmadinejad ce matin, c'est la poursuite de l'activité des centrifugeuses. Donc, si c'est le cas, il y a une poursuite de l'activité nucléaire iranienne à des fins qui ne sont pas nécessairement pacifiques. Nous avons demandé d'ailleurs à l'AIEA de contrôler, d'évaluer en permanence, de nous faire un rapport très vite. Car sinon, les sanctions continueront. Pour l'Iran, c'est soit l'isolement, soit la négociation. Qu'il le sache.
Q - Mais vous dites que les sanctions continueront. Est-ce qu'elles sont efficaces, ces sanctions ? Puisque, de fait, l'Iran continue, on a envie de dire à "narguer" la communauté internationale...
R - Alexandre Adler doit le savoir aussi bien que moi. Il y a depuis maintenant 15 jours, trois semaines, en Iran, un vrai débat. Il y a très longtemps qu'il n'y a pas eu un débat de ce type dans ce pays. Moi, j'ai fait un "chat" sur Internet, sur le site "Roozonline", avec des étudiants iraniens - c'est une société ouverte par ailleurs - je leur ai dit : "Attention, M. Ahmadinejad vous isole en traitant ainsi le dossier nucléaire..."
Q - ... Ca, c'est le résultat des sanctions pour vous, le fait qu'il y ait des sanctions... ?
R - ... Les sanctions économiques d'un côté, et un gros point d'interrogation des investisseurs du monde entier vis-à-vis de l'Iran. N'oubliez pas que l'Iran est un peuple de commerçants - c'est une vieille civilisation très raffinée, tout à fait particulière, mais, en même temps, ce sont des commerçants. Et donc, si l'isolement prévaut, à mon avis il y a un risque majeur. On l'a vu d'ailleurs aux dernières élections municipales : qui a perdu les élections municipales de Téhéran ? C'est le président Ahmadinejad. Qui aujourd'hui remet en cause son discours ? C'est l'ancien président Rafsandjani, M. Khatami et même le Guide suprême.
(Intervention d'Alexandre Adler)
R - Il faut quand même être très prudent lorsqu'il dit négocier. En réalité, il ne faut pas montrer aux Iraniens qu'on veut les punir, car nous avons toujours souhaité - c'est ce qu'on fait d'ailleurs - tendre la main, mais à une condition : qu'ils suspendent les activités nucléaires sensibles.
Q - C'est-à-dire parler avec eux ? C'est-à-dire parler avec l'Iran ?
R - Tous nos partenaires parlent avec l'Iran. Mais sur le dossier nucléaire iranien, nous parlons tous ensemble, de manière extrêmement unie. On ne se divise pas.
Q - Mais sur la situation actuelle et sur la perspective de dialogue, on a parlé il y a quelques semaines de l'envoi d'un émissaire, peut-être vous, sur place. Est-ce que cela n'est plus du tout d'actualité ?
R - Ce n'est pas d'actualité. Il y a deux dossiers : il y a le dossier nucléaire iranien, je vous l'ai dit, et c'est M. Solana qui, au nom de la communauté internationale, parlait avec M. Laridjani, qui est en charge du dossier nucléaire iranien.
Et puis, il y a l'Iran dans la région. Je vous rappelle que l'Iran a quelques connexions avec le Hezbollah ou avec la Syrie. Il faut rappeler qu'il y a 1.600 jeunes hommes français qui sont au Sud-Liban, dans le cadre de la FINUL. Il est tout à fait normal que nous parlions à tous les pays de la région...
Q - ... Mais, justement, on dit beaucoup que le fait qu'il y ait des soldats français présents au Sud-Liban, Paris est un peut inquiet pour leur sécurité ou, en tout cas, prend en compte dans ses raisonnements, la sécurité des soldats. Pour dire les choses un peu schématiquement : la crainte d'un attentat iranien, par Hezbollah interposé. C'est-à-dire : on calme le jeu avec l'Iran parce qu'il y a des soldats français sur le terrain au Sud-Liban qui peuvent être la cible du Hezbollah, éventuellement piloté par Téhéran. Qu'est-ce que vous répondez à cela ?
R - D'abord, c'est l'honneur de la France que de tout faire pour qu'il n'y ait aucun incident vis-à-vis de nos jeunes soldats. Ensuite, ce sont des militaires, ils sont là pour servir, et servir notre pays. Servir notre pays, cela veut dire servir ses valeurs. Quelles sont nos valeurs ? Nous ne voulons qu'il y ait une activité nucléaire iranienne à des fins non-pacifiques. C'est la raison pour laquelle, en politique, en politique internationale en particulier, il n'y a qu'une seule chose qui compte, ce sont les actes : le 23 décembre dernier nous avons voté pour la première fois des sanctions contre l'Iran.
Q - Au sujet de la Syrie
R - Vous ne pouvez parler à un pays si vous n'avez pas confiance dans les autorités de ce pays. Nous n'avons pas confiance dans les autorités de la Syrie tant que - comme l'a dit Alexandre Adler - la Syrie ne coopère pas de manière pleine et entière à la commission d'enquête internationale dont le juge Brammertz dirige aujourd'hui les travaux.
Q - Pour dire les choses franchement : vous faites plus confiance à la direction iranienne qu'à la direction syrienne ?
R - Ce n'est pas une question de palmarès. Nous sommes tout à fait fermes vis-à-vis des Iraniens et nous leur demandons de suspendre leurs activités nucléaires sensibles.
Q - Nous allons poursuivre ce tour d'horizon régional et dire bien sûr un mot de la situation en Irak. On vous a vu cette semaine évoquer la perspective d'un retrait ou, en tout cas, le souhait d'un retrait des troupes étrangères d'ici 2008. Vous maintenez ? Vous pouvez nous expliquer pourquoi ?
R - Aujourd'hui, la politique américaine en Irak, c'est un triple aveuglement. Un aveuglement vis-à-vis des objectifs : l'intervention avait, a priori, pour objectif de détruire des armes de destruction massive et il n'y en avait pas. Un aveuglement sur les moyens : il s'agissait de moyens donnés pour renverser le régime, mais pas des moyens nécessaires pour stabiliser le pays et y édifier un Etat de droit. Il aurait fallu beaucoup plus de soldats.
Q - Ca, c'était 2003. Mais pour aujourd'hui...
R - ... Il faut un horizon. Un horizon à 2008 de retrait des troupes étrangères et, en même temps, au fur et à mesure qu'il y a un retrait des troupes étrangères, essentiellement américaines et britanniques, un Etat de droit doit se mettre en place, un Etat souverain irakien, avec une police et une justice, une santé publique qui fonctionnent. Bref, il faut que le gouvernement de M. Al-Maliki puisse non seulement réunir ceux qui se trouvent, aujourd'hui, dans son gouvernement, mais aussi tous ceux qui n'y sont pas. Il faut également que les différents postes gouvernementaux soient attribués à toutes les composantes de la société civile et politique, et que les ressources pétrolières puissent être équitablement distribuées.
La démocratie ne se transporte pas dans des fourgons militaires.
Q - Sur la stratégie américaine en Irak.
R - C'est ce qui me surprend le plus. Après cette élection perdue, M. Bush continue la même stratégie, qui est une stratégie militaire. Or, on sait très bien qu'il ne peut pas y avoir de solution militaire en Irak. Et, avec ces 21.000 hommes supplémentaires, il revient à l'effectif de janvier 2005. Je pense que c'est le troisième aveuglement dont je parlais tout à l'heure, celui d'un objectif purement militaire.
Q - On évoque la situation entre Israéliens et Palestiniens. Il y a eu des heurts vendredi sur l'Esplanade des Mosquées, Mont du Temple à Jérusalem, lieu à la fois hautement symbolique et sacré. Votre réaction de ministre des Affaires étrangères français sur cette situation ? C'est toujours aussi explosif à Jérusalem. Et, dans le même temps, à La Mecque, c'est un autre sujet, mais entre nationalistes et islamistes palestiniens, les deux parties trouvent une sorte d'accord.
R - L'élément essentiel, c'est La Mecque, avec la médiation saoudienne dont nous avons salué la réussite. Nous pensons que c'est une très bonne chose que Fatah et Hamas se soient entendus pour mettre en place un gouvernement d'union nationale. J'espère qu'il pourra se constituer le plus vite possible. Le Hamas sera minoritaire, mais implicitement, ce gouvernement reconnaît Israël puisqu'il reconnaît les Accords d'Oslo.
Si c'est le cas, il faudra pouvoir coopérer avec ce gouvernement. Nous sommes attachés aux principes du Quartet, c'est-à-dire : la reconnaissance d'Israël par tous les Palestiniens, je dis bien "tous les Palestiniens", l'arrêt de la violence et la reconnaissance des Accords d'Oslo. Et je pense que l'Union européenne doit pouvoir jouer son rôle, un rôle spécifique, qui serait, je dirais, au rendez-vous des Accords d'Oslo, de la sécurité d'Israël, et de la terre pour les Palestiniens.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 février 2007
La 43ème Conférence mondiale sur la Sécurité qui réunit jusqu'à ce soir les principaux dirigeants internationaux à Munich. Un moment a retenu particulièrement l'attention, ce sont les propos tenus hier par Vladimir Poutine sur la politique américaine.
Deuxième information, cela se passe en Côte d'Ivoire où un diplomate français qui travaillait pour l'Union européenne a été retrouvé assassiné mercredi dans sa villa d'Abidjan.
Troisième et dernière information, le départ pour New York de l'écrivain turc, Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature qui a quitté la Turquie la semaine dernière. A l'origine de cette décision, les menaces qui pèsent sur sa sécurité.
Philippe Douste-Blazy, c'est à vous. Retenir une information et la commenter.
R - Vous vous en doutez, sans aucun doute, évidemment, Vladimir Poutine qui parle des Américains. Ce qui m'a le plus frappé dans cette allocution c'est lorsqu'il dit : "à la limite, si on continue comme cela, où est la légitimité de la communauté internationale ?". Donc, l'unilatéralisme des Américains aujourd'hui aboutit au questionnement en général de la communauté internationale : si les Américains font exactement ce qu'ils veulent sans passer par l'ONU, il y aura un problème de représentativité de la communauté internationale. C'est un sujet majeur.
Pour moi, l'élément fondamental de cette année passée, c'est que quelques jours avant l'Assemblée générale des Nations unies qui, comme chaque année, réunit les chefs d'Etat et de gouvernement à New York, à La Havane à Cuba se tenait un sommet réunissant M. Ahmadinejad, M. Chavez, et des pays non-alignés. Tant que c'était Davos, où il y avait des chefs d'entreprise, des philosophes, des intellectuels, et d'un autre côté Porto Alegre où il y avait des altermondialistes, des intellectuels, des philosophes aussi, tout allait très bien. Ce sont des débats très intéressants mais c'était quand même moins significatif. Là, ce sont des chefs d'Etat et de gouvernement, des chefs d'armée qui se sont réunis comme s'il s'agissait d'un défi. Il faut faire attention et réfléchir, très vite, à la représentativité de l'Organisation des Nations unies, et à sa réforme - éventuellement au niveau du Conseil de sécurité - pour que plus jamais une seule nation, fût-elle la plus puissante, ne se croie le seul maître du jeu.
Q - Pour autant, vous seriez allé à employer des termes aussi forts que ceux employés par Vladimir Poutine : "force déstabilisatrice", "puissance déstabilisatrice"...
R - Evidemment, non. Nous pensons que les Américains, sont des amis, des alliés. Nous travaillons avec eux. Je travaille avec Condoleezza Rice tous les jours sur le Moyen-Orient. Nous avons voté ensemble la résolution 1701 sur la guerre du Liban, le 11 août à New York. La question n'est pas là.
Je suis très frappé par les déclarations d'un certain nombre de chefs d'Etat, comme celles du président Poutine qui dit très clairement, aujourd'hui, qu'il faut revenir au multilatéralisme. Je pense qu'il est très important que la France soit à la tête du combat pour le multilatéralisme.
(...)
Q - Philippe Douste-Blazy, d'abord une réaction sur les propos du jour du président iranien. Il se dit prêt à la négociation sur le nucléaire, mais sans suspension de l'enrichissement d'uranium.
R - Pour nous, la négociation passe par la suspension des activités nucléaires sensibles. C'est ce que dit la résolution 1737, votée le 23 décembre dernier, à l'unanimité des membres du Conseil de sécurité.
Q - ... y compris la Russie et la Chine...
R - ... la Russie, la Chine, les Américains, les Britanniques et la France, les cinq membres permanents du Conseil, et les autres.
Pourquoi ? Parce qu'il faut montrer une fermeté absolue sur ce sujet. Vous l'avez très bien dit dans votre reportage : s'il y a - comme le dit d'ailleurs le directeur de l'AIEA, M. El Baradeï - une évolution du dossier nucléaire iranien et balistique à des fins non-pacifiques, alors c'est un problème de prolifération dans l'ensemble de la région qui se posera, et ce sera un danger absolu pour la planète.
Nous sommes donc tout à fait décidés - la France n'a pas changé de position sur cette question - à des sanctions, sauf si les Iraniens décident d'une suspension de leurs activités nucléaires sensibles. Alors dans ce cas, nous suspendrons le processus de sanctions.
Q - Donc, pour vous, l'enrichissement de l'uranium, c'est un signe que les Iraniens vont vers un nucléaire militaire ?
R - Ce qu'a proposé le président Ahmadinejad ce matin, c'est la poursuite de l'activité des centrifugeuses. Donc, si c'est le cas, il y a une poursuite de l'activité nucléaire iranienne à des fins qui ne sont pas nécessairement pacifiques. Nous avons demandé d'ailleurs à l'AIEA de contrôler, d'évaluer en permanence, de nous faire un rapport très vite. Car sinon, les sanctions continueront. Pour l'Iran, c'est soit l'isolement, soit la négociation. Qu'il le sache.
Q - Mais vous dites que les sanctions continueront. Est-ce qu'elles sont efficaces, ces sanctions ? Puisque, de fait, l'Iran continue, on a envie de dire à "narguer" la communauté internationale...
R - Alexandre Adler doit le savoir aussi bien que moi. Il y a depuis maintenant 15 jours, trois semaines, en Iran, un vrai débat. Il y a très longtemps qu'il n'y a pas eu un débat de ce type dans ce pays. Moi, j'ai fait un "chat" sur Internet, sur le site "Roozonline", avec des étudiants iraniens - c'est une société ouverte par ailleurs - je leur ai dit : "Attention, M. Ahmadinejad vous isole en traitant ainsi le dossier nucléaire..."
Q - ... Ca, c'est le résultat des sanctions pour vous, le fait qu'il y ait des sanctions... ?
R - ... Les sanctions économiques d'un côté, et un gros point d'interrogation des investisseurs du monde entier vis-à-vis de l'Iran. N'oubliez pas que l'Iran est un peuple de commerçants - c'est une vieille civilisation très raffinée, tout à fait particulière, mais, en même temps, ce sont des commerçants. Et donc, si l'isolement prévaut, à mon avis il y a un risque majeur. On l'a vu d'ailleurs aux dernières élections municipales : qui a perdu les élections municipales de Téhéran ? C'est le président Ahmadinejad. Qui aujourd'hui remet en cause son discours ? C'est l'ancien président Rafsandjani, M. Khatami et même le Guide suprême.
(Intervention d'Alexandre Adler)
R - Il faut quand même être très prudent lorsqu'il dit négocier. En réalité, il ne faut pas montrer aux Iraniens qu'on veut les punir, car nous avons toujours souhaité - c'est ce qu'on fait d'ailleurs - tendre la main, mais à une condition : qu'ils suspendent les activités nucléaires sensibles.
Q - C'est-à-dire parler avec eux ? C'est-à-dire parler avec l'Iran ?
R - Tous nos partenaires parlent avec l'Iran. Mais sur le dossier nucléaire iranien, nous parlons tous ensemble, de manière extrêmement unie. On ne se divise pas.
Q - Mais sur la situation actuelle et sur la perspective de dialogue, on a parlé il y a quelques semaines de l'envoi d'un émissaire, peut-être vous, sur place. Est-ce que cela n'est plus du tout d'actualité ?
R - Ce n'est pas d'actualité. Il y a deux dossiers : il y a le dossier nucléaire iranien, je vous l'ai dit, et c'est M. Solana qui, au nom de la communauté internationale, parlait avec M. Laridjani, qui est en charge du dossier nucléaire iranien.
Et puis, il y a l'Iran dans la région. Je vous rappelle que l'Iran a quelques connexions avec le Hezbollah ou avec la Syrie. Il faut rappeler qu'il y a 1.600 jeunes hommes français qui sont au Sud-Liban, dans le cadre de la FINUL. Il est tout à fait normal que nous parlions à tous les pays de la région...
Q - ... Mais, justement, on dit beaucoup que le fait qu'il y ait des soldats français présents au Sud-Liban, Paris est un peut inquiet pour leur sécurité ou, en tout cas, prend en compte dans ses raisonnements, la sécurité des soldats. Pour dire les choses un peu schématiquement : la crainte d'un attentat iranien, par Hezbollah interposé. C'est-à-dire : on calme le jeu avec l'Iran parce qu'il y a des soldats français sur le terrain au Sud-Liban qui peuvent être la cible du Hezbollah, éventuellement piloté par Téhéran. Qu'est-ce que vous répondez à cela ?
R - D'abord, c'est l'honneur de la France que de tout faire pour qu'il n'y ait aucun incident vis-à-vis de nos jeunes soldats. Ensuite, ce sont des militaires, ils sont là pour servir, et servir notre pays. Servir notre pays, cela veut dire servir ses valeurs. Quelles sont nos valeurs ? Nous ne voulons qu'il y ait une activité nucléaire iranienne à des fins non-pacifiques. C'est la raison pour laquelle, en politique, en politique internationale en particulier, il n'y a qu'une seule chose qui compte, ce sont les actes : le 23 décembre dernier nous avons voté pour la première fois des sanctions contre l'Iran.
Q - Au sujet de la Syrie
R - Vous ne pouvez parler à un pays si vous n'avez pas confiance dans les autorités de ce pays. Nous n'avons pas confiance dans les autorités de la Syrie tant que - comme l'a dit Alexandre Adler - la Syrie ne coopère pas de manière pleine et entière à la commission d'enquête internationale dont le juge Brammertz dirige aujourd'hui les travaux.
Q - Pour dire les choses franchement : vous faites plus confiance à la direction iranienne qu'à la direction syrienne ?
R - Ce n'est pas une question de palmarès. Nous sommes tout à fait fermes vis-à-vis des Iraniens et nous leur demandons de suspendre leurs activités nucléaires sensibles.
Q - Nous allons poursuivre ce tour d'horizon régional et dire bien sûr un mot de la situation en Irak. On vous a vu cette semaine évoquer la perspective d'un retrait ou, en tout cas, le souhait d'un retrait des troupes étrangères d'ici 2008. Vous maintenez ? Vous pouvez nous expliquer pourquoi ?
R - Aujourd'hui, la politique américaine en Irak, c'est un triple aveuglement. Un aveuglement vis-à-vis des objectifs : l'intervention avait, a priori, pour objectif de détruire des armes de destruction massive et il n'y en avait pas. Un aveuglement sur les moyens : il s'agissait de moyens donnés pour renverser le régime, mais pas des moyens nécessaires pour stabiliser le pays et y édifier un Etat de droit. Il aurait fallu beaucoup plus de soldats.
Q - Ca, c'était 2003. Mais pour aujourd'hui...
R - ... Il faut un horizon. Un horizon à 2008 de retrait des troupes étrangères et, en même temps, au fur et à mesure qu'il y a un retrait des troupes étrangères, essentiellement américaines et britanniques, un Etat de droit doit se mettre en place, un Etat souverain irakien, avec une police et une justice, une santé publique qui fonctionnent. Bref, il faut que le gouvernement de M. Al-Maliki puisse non seulement réunir ceux qui se trouvent, aujourd'hui, dans son gouvernement, mais aussi tous ceux qui n'y sont pas. Il faut également que les différents postes gouvernementaux soient attribués à toutes les composantes de la société civile et politique, et que les ressources pétrolières puissent être équitablement distribuées.
La démocratie ne se transporte pas dans des fourgons militaires.
Q - Sur la stratégie américaine en Irak.
R - C'est ce qui me surprend le plus. Après cette élection perdue, M. Bush continue la même stratégie, qui est une stratégie militaire. Or, on sait très bien qu'il ne peut pas y avoir de solution militaire en Irak. Et, avec ces 21.000 hommes supplémentaires, il revient à l'effectif de janvier 2005. Je pense que c'est le troisième aveuglement dont je parlais tout à l'heure, celui d'un objectif purement militaire.
Q - On évoque la situation entre Israéliens et Palestiniens. Il y a eu des heurts vendredi sur l'Esplanade des Mosquées, Mont du Temple à Jérusalem, lieu à la fois hautement symbolique et sacré. Votre réaction de ministre des Affaires étrangères français sur cette situation ? C'est toujours aussi explosif à Jérusalem. Et, dans le même temps, à La Mecque, c'est un autre sujet, mais entre nationalistes et islamistes palestiniens, les deux parties trouvent une sorte d'accord.
R - L'élément essentiel, c'est La Mecque, avec la médiation saoudienne dont nous avons salué la réussite. Nous pensons que c'est une très bonne chose que Fatah et Hamas se soient entendus pour mettre en place un gouvernement d'union nationale. J'espère qu'il pourra se constituer le plus vite possible. Le Hamas sera minoritaire, mais implicitement, ce gouvernement reconnaît Israël puisqu'il reconnaît les Accords d'Oslo.
Si c'est le cas, il faudra pouvoir coopérer avec ce gouvernement. Nous sommes attachés aux principes du Quartet, c'est-à-dire : la reconnaissance d'Israël par tous les Palestiniens, je dis bien "tous les Palestiniens", l'arrêt de la violence et la reconnaissance des Accords d'Oslo. Et je pense que l'Union européenne doit pouvoir jouer son rôle, un rôle spécifique, qui serait, je dirais, au rendez-vous des Accords d'Oslo, de la sécurité d'Israël, et de la terre pour les Palestiniens.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 février 2007