Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur la coopération française, européenne et internationale dans la zone andine, Bogota le 3 février 1999.

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Circonstance : Voyage de M. Josselin au Venezuela et en Colombie du 1er au 4 février 1999-réunion régionale sur la coopération dans la Communauté andine à Bogota le 3 février 1999

Texte intégral

Messieurs les Ambassadeurs,
Madame et Messieurs les conseillers de coopération,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de participer moi-même à la seconde journée de vos travaux sur la coopération internationale dans la zone andine. Comme vous le savez, je représentais le gouvernement ces deux derniers jours à Caracas lors des cérémonies dinvestiture du président Chavez ; jy ai rencontré les présidents dEquateur et dUruguay. Cet après-midi et demain, je verrai les autorités colombiennes dans un cadre bilatéral ; je me rendrai également sur les lieux de la tragédie qui a détruit en quelques minutes la ville dArménia. Mais mon déplacement a aussi, dune manière que nous avons voulue illustrative, une dimension régionale et je tiens beaucoup à vous écouter sur la façon dont vous concevez notre action dans la région andine.
Les événements récents ou à venir renforcent la pertinence de la dimension régionale de ma visite.
1. Ce déplacement intervient, en effet, à quelques mois de la tenue du sommet Amérique latine-Caraïbes/Union européenne. La France souhaite que la région andine tienne toute sa place à Rio. Alors que, dans quelques semaines, Hubert Védrine se rendra dans plusieurs pays du Mercosur et au Chili, jai tenu pour ma part à souligner léquilibre auquel la France est attachée en Amérique latine, au nom de ses intérêts et de ceux de lEurope. Je lai dit à mes interlocuteurs : nous ne souhaitons pas que lattention du Sommet de Rio se concentre seulement sur les relations de lEurope avec le Mexique ou sur les enjeux dun accord commercial avec le Mercosur.
2. Ma visite sinscrit, dautre part, dans un contexte bien particulier. Dans le domaine politique, il est marqué par la signature dun accord de paix entre lEquateur et le Pérou, lélection du président Chavez avec un soutien populaire impressionnant et louverture en Colombie dun processus de paix attendue depuis plusieurs années. Dans le domaine économique et financier, je rappellerai la chute des prix du pétrole et surtout la crise financière au Brésil et le décrochage brutal du real qui ne manqueront pas davoir des conséquences sur lactivité économique de lensemble du continent, voire au-delà sur le marché mondial des capitaux et des matières premières. Sur ces questions aussi, jattends beaucoup des conclusions de votre séminaire.
3. Mais le moment est important également pour laction extérieure de la France. Il y a quelques semaines, le rapprochement des services de la Coopération et de ceux du ministère des Affaires étrangères entrait dans la réalité, avec la création de la Direction générale de la coopération internationale et du développement. Quelques jours avant mon départ, jassistais au premier Conseil interministériel de la coopération internationale et du développement, présidé par le Premier ministre. Ce Conseil a vu lannonce de mesures importantes, telles que la définition de la zone de solidarité prioritaire.
Cette actualité française a, bien sûr, des conséquences directes sur votre propre action et je souhaiterais quelles soient bien interprétées : si une frontière administrative est tombée, il ne serait pas bon de donner limpression que sy substituent de nouvelles cloisons.
Une frontière a été effacée : il y a désormais une seule direction générale à Paris, et sur le terrain, un service de coopération et daction culturelle unique directement rattaché aux ambassadeurs. Il en est ainsi désormais partout à travers le monde. Ce qui nous paraît essentiel, à Hubert Védrine et à moi-même, cest la rencontre de deux cultures administratives et leur enrichissement réciproque. Nous lavons constaté au cours des dernières semaines, les approches sont diverses et il faudra sans doute du temps au delà des changements de terminologie pour ajuster les concepts et adapter les procédures de façon à faire un atout de cette diversité. Il nous faut réussir ce métissage .
Je vous invite à y contribuer, à me faire connaître les obstacles que vous rencontrerez, à lancer toutes les idées qui permettront dharmoniser nos actions. Il va de soi que la délimitation de la zone de solidarité prioritaire, annoncée par le CICID, ne signifie pas pour autant lapparition de nouveaux cloisonnements en termes de gestion politique et administrative : quils appartiennent ou non à cette zone, les pays en développement seront traités par les mêmes services.
Je suis heureux de pouvoir évoquer cette question directement avec vous. Aucun des pays dAmérique du Sud nappartiendra probablement à la zone de solidarité prioritaire. Celle-ci a été constituée sur la base combinée de multiples critères : lhistoire, la géographie et la cohérence régionale, la communauté de langue, ou encore le niveau de revenu des pays. Elle se caractérisera par lutilisation dinstruments spécifiques. La zone de solidarité prioritaire sera, en effet, la zone de compétence principale de lAgence française de développement et le Fonds daide et de coopération y sera mobilisé pour réaliser des projets pluriannuels. Notre aide au développement sera concentrée principalement dans cette zone.
Est-ce à dire que lAmérique latine nest pas une priorité et que la France ne marquera pas sa solidarité vis-à-vis de ces pays ? Nullement et jaimerais vous en convaincre, en souhaitant que vous fassiez de même auprès des autorités de vos pays. La France continuera à disposer de nombreux instruments de coopération dans la zone andine : enveloppes de coopération culturelle, scientifique et technique, fonds détude (FASEP), traitement de la dette, aide humanitaire, aide alimentaire. Cest ainsi quen Amérique centrale, en disposant de ces instruments, elle a su récemment montrer son expertise dans le domaine humanitaire et sa générosité en matière dannulation de dettes dans les pays affectés par le passage du cyclone Mitch. Au Brésil aussi, lorsque lhorizon économique et financier sest assombri, elle a fait preuve de solidarité en participant à leffort financier global de soutien à ce pays.
Dans la région andine, notre aide bilatérale naura donc pas vocation à engager des montants financiers importants. Notre soutien continuera à prendre la forme dappuis dans le cadre multilatéral et européen. Appui financier par la participation au programme européen PVD-ALA. Appui politique en soutenant des mesures qui visent à promouvoir, entre autres, le développement des pays les moins avancés et des pays les plus endettés, mais aussi en sattachant à influencer les politiques de ces institutions. Jy reviendrai.
Au total, il ne saurait y avoir deux approches de la solidarité et de la lutte contre la pauvreté, deux façons de prendre en compte le développement durable ou encore deux concepts de coopération culturelle, en dehors et dans la zone de solidarité prioritaire. Les instruments peuvent être différents, leur maîtrise sans doute moins directe et moins immédiatement perceptible au niveau multilatéral que bilatéral, mais les enjeux du développement et de la coopération y sont les mêmes pour la France. Cest le choix que vous avons fait en dessinant lorganigramme de la DGCID. Il serait paradoxal, au moment où nous constatons chaque jour les effets immédiats de la mondialisation - et le continent latino-américain en est une parfaite illustration - de créer de nouvelles barrières dans notre politique de coopération.
Comment, dans ce contexte, avec les instruments dont vous êtes dotés et compte tenu des contraintes financières, élaborer une politique de coopération dans vos pays respectifs ?
Jaimerais développer avec vous quelques pistes de réflexion. De façon générale, la Communauté andine regroupe des pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire. Il nous faut veiller à y promouvoir limage et les intérêts de la France, ce qui suppose notamment une politique de solidarité. Je distinguerai le canal bilatéral, le niveau sous-régional et laide européenne et multilatérale.
Le canal bilatéral, tout dabord. Dans le choix de notre propre approche, il ne faut pas opposer politique dinfluence et politique daide au développement ; il ne serait pas bon de privilégier exclusivement la logique dinfluence au détriment de la coopération pour le développement. Sommes-nous capables de mener des actions de formation, de transfert de technologie, de recherche appliquée qui tiennent compte des besoins de toute une frange de la population, en matière déducation et de santé, par exemple ? Dans une région où le niveau du revenu par habitant est encore faible, nous devons nous poser la question du développement de ces pays et de ladaptation de notre message, voire parfois de nos programmes, à cette situation. Notre logique dinfluence peut être mise au service du développement et notre présence participera également de notre désir de contribuer à ce que ces pays sengagent sur le chemin de la croissance. Nous pouvons faire valoir en ce sens que le développement est de moins en moins en moins perçu comme une politique de projets : la discipline de la politique macro-économique, lassainissement de lenvironnement institutionnel, la bonne gestion des affaires publiques, les capacités de management apparaissent comme un préalable à leffectivité des projets de développement. Mais nous devons aussi nous interroger sur les moyens de mieux prendre en compte les impératifs sociaux et de lutte contre la pauvreté dans nos programmes, par exemple en formant les cadres de haut niveau de la santé et de léducation ou en aidant à la mise en place de politiques sociales... Cest une priorité dans des pays marqués par la dualité des sociétés. Il ne serait pas acceptable que nos projets viennent accroître les écarts de richesse.
Je vous encourage, dans cet esprit, à mettre en valeur les nouvelles formes de coopération. Je pense en particulier à la coopération décentralisée ; une mission directement rattachée au directeur général de la Coopération internationale et du développement a ainsi été établie, en vue notamment de faciliter les contacts entre les collectivités locales françaises et les postes. Je souligne également que cette région, dont la biodiversité est particulièrement riche, bénéficie des projets du Fonds français pour lenvironnement mondial.
En outre, il faudrait que nous puissions nous adapter à un contexte susceptible dévoluer et que nous disposions des moyens de programmation adéquats. Cela est vrai, ici comme ailleurs. Quelques exemples : la coopération engagée en Amérique Centrale ne saurait être la même avant et après le passage du cyclone Mitch ; les enveloppes prévues en Indonésie ne peuvent être réparties indifféremment dans un pays victime dun appauvrissement sans précédent. Ici même, nous devrions être en mesure de renforcer certaines de nos actions lorsquun président, élu à la suite dun formidable élan populaire au Vénézuela, demande à la France dappuyer des nouvelles priorités dans le domaine juridique par exemple. De même, est-il sans doute opportun dafficher dans notre coopération notre intention daccompagner le processus de paix en Colombie, même si les moyens demeurent modestes. Je ne doute pas que la rencontre des deux cultures administratives, que jévoquais précédemment, facilitera cet effort de souplesse dans lélaboration des projets.
· La dimension régionale de notre coopération est essentielle pour de multiples raisons. Elle permet, bien entendu, de rationaliser nos moyens et de faire bénéficier dune expertise ou dun projet une sous-région, dont les membres peuvent avoir des aspirations communes. On pensera, par exemple, à la lutte contre la drogue. Mais elle se situe au coeur de notre action économique extérieure : comme vous le savez, lEurope a pour objectif dentamer des négociations commerciales de sous-région à sous-région en vue, notamment, de promouvoir linsertion économique des pays en développement dans le commerce mondial. Ainsi, à la demande de la France particulièrement, lintégration régionale est au centre de la négociation de lUnion européenne avec les pays ACP dans le cadre du renouvellement de la Convention de Lomé. Le développement du régionalisme est un mouvement mondial, quil faut accompagner.
La communauté andine, qui apparaît institutionnellement comme un outil dintégration régionale en progrès, semble appelée à jouer un rôle de partenaire régional naturel de lUnion européenne. Je souhaite ainsi que nous accordions une attention particulière à laction du secrétariat général de la Communauté andine des nations et que nous formalisions notre relation avec cette institution. Lexistence dun conseiller de coopération régionale au sein de notre dispositif est, à ce titre, une excellente démarche. Enfin, la forte présence américaine nous invite à multiplier pour notre part les partenariats régionaux pour que lEurope reste un véritable acteur dans la sous-région. Sur ce point, je serai heureux de vous entendre aussi.
Enfin, la contribution de la France au développement de ces pays est assurée en premier lieu par laide européenne et multilatérale. Nos programmes se doivent donc dassurer une complémentarité et une subsidiarité avec laide communautaire et multilatérale. Cela minspire quatre observations :
· laffichage de la contribution de lEurope à laide publique au développement et de celle de la France au sein de lUnion européenne et des organisations multilatérales est un impératif. LUnion européenne (Etats membres et Commission) est le premier bailleur de fonds de la communauté andine. Elle fournit 60% de laide publique au développement, devançant largement le Japon (19%) et les Etats-Unis (14%). Qui le sait ? Un observateur extérieur nest-il pas persuadé que les Américains sont en tête ? Il nous faut continuer également à afficher à hauteur de 18% la participation de la France au financement de ces actions de coopération. Dans la communauté andine, la France apporte 165 millions de francs par an à travers lUnion.
· le suivi des politiques de la Commission et des organisations multilatérales doit par ailleurs sexercer. Vous savez limportance que le gouvernement accorde à une meilleure prise en compte du modèle européen, ce que lon appelle parfois le modèle social de marché, dans le cadre des programmes communautaires et surtout ceux des institutions de Bretton Woods.
· le suivi peut sexercer aussi sur les procédures et les projets : il est important que les postes - services culturels et commerciaux - sattachent à suivre lélaboration des projets en amont, en liaison aussi étroite que possible avec la délégation de la Commission ainsi quavec les autorités locales.
A Bruxelles, les pays membres ont, comme vous le savez, mis à lordre du jour la question de la gestion de laide au développement. Lévaluation des programmes régionaux communautaires aura lieu cette année. La France a proposé des orientations que jai moi-même présentées lors du Conseil développement en novembre dernier : déconcentration des compétences, possibilité de délégation à un Etat-membre pour la conduite dun programme ou dun projet, renforcement de la coordination entre la Commission et les Etats membres...
· enfin, les cofinancements constituent un levier utile dans un cadre budgétaire contraint. A ce titre, la contribution du ministère des Affaires étrangères au Fonds fiduciaire français à la Banque interaméricaine de développement constitue la première pierre dune construction à poursuivre. Lobjectif de ce fonds est de faire valoir lexpertise des administrations françaises et de favoriser linsertion dopérateurs français dans la définition des projets.
Ce sont là quelques orientations que je soumets à votre réflexion. Elles concernent votre action, celle du sous-continent mais aussi sur de nombreux points lapproche et les procédures de la DGCID. Nous pouvons étendre cette discussion bien entendu à votre coopération spécifique dans le domaine culturel, scientifique et technique et à vos attentes vis-à-vis de la DGCID, par exemple en matière de recours à lexpertise française dans certains domaines clés. Vos réactions me seront ainsi dautant plus utiles pour consolider la vision des enjeux futurs de notre coopération internationale.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr)