Texte intégral
Q- Avec son Livre blanc publié aujourd'hui, le Medef applique la méthode S. Royal : "la démocratie participative", ai-je lu.
R- Nous avons lancé une grande consultation auprès de milliers, de dizaines de milliers de chefs d'entreprise pour élaborer et mettre par écrit la pensée des entrepreneurs français.
Q- Et vous dites que c'est la démocratie participative ?
R- C'est une méthode en tous cas délibérative et participative.
Q- Avec une différence avec S. Royal, parce que le Medef écoute les patrons pour se faire entendre des Français et elle, elle part des Français et elle remonte vers les patrons, les politiques, les syndicats. Qu'est-ce qui est préférable et le plus efficace ?
R- L'objectif de notre livre, "Besoin d'air", c'est de nous adresser au grand public. Nous souhaitons que les Français achètent notre livre et comprennent notre pensée, la cohérence de nos raisonnements et notre vision de la France.
Q- Vous dites "achètent", vous avez besoin des droits d'auteur au Medef ? Vous avez besoin de sous ?
R- Pas du tout mais c'est un livre qui est en librairie, qui est à la disposition du grand public et je les encourage à aller effectivement se le procurer.
Q- Vous allez commencer à le vendre sans doute tout à l'heure parce que vous rassemblez ce matin au Palais de Bercy 6.000 chefs d'entreprises.
R- Presque 7.000.
Q- Ils entrent en campagne, est-ce que leur état d'esprit est dès ce matin combatif ?
R- Je crois que leur état d'esprit est avant tout enthousiaste. Il y a effectivement des milliers de patrons de TPE, de petites entreprises, et de PME qui sont attendus ce matin au Palais Omnisports de Paris Bercy. Et c'est pour nous une occasion de dire aux Français que nous voulons débattre, nous voulons participer, échanger sur les grandes questions économiques, sur les grandes questions sociales. Nous avons des idées mais aussi des expériences à raconter, nous voulons témoigner de nos succès et dire ainsi aux Français : "Attention ! Le diagnostic sur l'état de notre pays est un diagnostic sévère et préoccupant, mais il y a certainement des voies et des méthodes et de ce point de vue là, ce que nous nous faisons dans nos entreprises peut aider".
Q- C'est ponctuel, c'est ce matin et puis après vous rentrez chez vous
dans vos entreprises ou ça va continuer ?
R- Ce matin, c'est un coup d'envoi, c'est le grand lancement d'un engagement des chefs d'entreprise français dans le débat politique. Et je demande, je lance un appel aux chefs d'entreprise pour qu'ils participent avec tous les moyens possibles d'aujourd'hui, là sur les blogs, sur les forums sur Internet, qu'ils aillent dans les réunions participatives des différents candidats, qu'ils aillent dans les médias, dans les médias locaux, dans les médias nationaux, pour témoigner, pour dire. Vous savez, nous les chefs d'entreprise, nous ne sommes pas éloignés de ce qui se passe dans la société, on est même au coeur de la société. On voit les problèmes, on voit les poches de pauvreté.
Q- C'est vous qui créez ou ne créez pas d'emploi, etc. Mais là, vous êtes en train de leur demander d'aller dans les meetings des différents candidats, d'aller aux débats participatifs de la candidate socialiste et d'essayer de se faire entendre ?
R- Mais bien sûr, de se faire entendre, encore une fois sans arrogance, plutôt pour témoigner de leur expérience, de ce qu'ils ont réussi à faire, d'ailleurs réussi à faire dans leur entreprise sur le plan purement économique mais aussi dans leur engagement bénévole qui est beaucoup plus important que ce qu'on dit généralement.
Q- L'économie et le social apparaissent et entrent dans la campagne. On peut dire qu'il était temps avec le chômage, les retraites, le pouvoir d'achat, comme elle dit, "La vie chère" ou la vie de plus en plus chère. "Besoin d'air", pourquoi ? Un bol d'air, un besoin 'air ?
R- Mais parce que c'est à la fois un diagnostic, on voit bien que la France est en train de se replier sur elle-même, de devenir de plus en plus chétive, de s'asphyxier. Quand on vote "Non" au traité institutionnel sur l'Europe, c'est un signe de repli. Quand on défend un modèle social qui est à bout de souffle, par définition, là aussi on s'asphyxie, donc ça c'est un diagnostic. Mais "Besoin d'air" c'est aussi une solution, il suffirait de desserrer l'étau, de se séparer d'un certain nombre de contraintes qui enserrent la société civile, ce n'est pas seulement les entreprises mais l'ensemble de la société civile qui est étouffée par un Etat interventionniste jusque dans les moindres détails.
Q- A combien estimez-vous le potentiel de croissance en France ?
R- Vous souvenez-vous que dans les années 60, la croissance de la France était supérieure à 5 % et qu'elle était même supérieure à celle des Etats- Unis...
Q- Le monde était différent, vous le savez aussi bien que moi.
R- Oui bien sûr, mais ça veut dire aussi qu'il y a un talent, qu'il y a un génie français qui s'exprime dans bien des occasions. Pensons aux conditions de déploiement de ce talent, de ce génie français et c'est pour ça que nous avons besoin d'air.
Q- A combien estimez-vous le potentiel de croissance en France le jour où on apprend que la Chine va dépasser les 10 % et que l'année prochaine, si ça continue, elle peut être la troisième grande puissance mondiale ?
R- Cela fait très longtemps que nous n'avons pas été capables d'accrocher les 3 % et encore moins les 4 % alors que je pense qu'ils sont tout à fait atteignables. De même qu'est tout à a fait atteignable un objectif de plein emploi. Je suis très étonnée de voir, dans cette campagne électorale, qu'on parle si peu du chômage alors que beaucoup des pays qui nous entourent ont réussi à baisser significativement le chômage ces dernières années. Moi je crois qu'on peut se donner non seulement des objectifs de croissance mais un objectif de taux de chômage inférieur à 5 %.
Q- Mais vous avez noté qu'on ne dit pas "le chômage", on dit "l'emploi", on dit "le travail". Le travail devient une valeur à la mode même si on emploie des styles différents pour le dire.
R- C'est une excellente nouvelle, j'apprécie beaucoup que trois des principaux candidats à l'élection présidentielle cherchent à revaloriser le travail.
Q- Sur les heures supplémentaires, dit N. Sarkozy, les salariés ne paieront pas d'impôts supplémentaires et vos entreprises ne paieront pas de charges. C'est bien ?
R- Oui, c'est une voie tout à fait intéressante. Ceci dit, la chose qui serait vraiment utile, c'est de supprimer en France le concept de durée légale du travail. Et de permettre aux partenaires sociaux de négocier branche par branche, ou entreprise par entreprise, la durée du travail qui est optimum pour ce secteur d'activités, pour ce type d'organisation, pour cette circonstance économique.
Q- Mais de votre part, n'est-ce pas un combat vain, parce que vous l'avez dit, vous avez vu comment on vous a répondu, vous avez même pris à parti T. Breton. Aujourd'hui, aucun de vos amis dans la campagne ne promet de supprimer les 35 heures ?
R- Ce n'est pas un combat vain et vous voyez, quand je dis "besoin d'air", ça veut dire aussi "ouvrons les fenêtres de la France, ouvrons ses portes et regardons ce qui se passe ailleurs". On nous parle souvent par exemple du modèle suédois. Savez-vous qu'en Suède, il n'y a pas de durée légale et la durée du travail est déterminée selon les principes que je viens de recommander.
Q- Mais il y a d'autres droits sociaux et des difficultés mises aux chefs d'entreprises pour licencier...
R- N'y a-t-il pas une certaine arrogance française à penser qu'on va pouvoir produire autant voire mieux que la plupart des pays qui nous entourent, sans parler de l'Asie, en travaillant moins ?
Q- L'inspection des Finances révèle qu'en 2005, les entreprises ont reçu 65 milliards d'aides publiques : aides fiscales, dépenses budgétaires, allègements des charges... Le confirmez-vous ?
R- Alors, à l'inverse, à peu près à la même époque, les entreprises versaient à l'état plus de 280 milliards en prélèvements obligatoires de toutes sortes. Dans les 60 milliards dont vous parlez - 65 milliards - il y a 20 milliards qu'il faut mettre de côté, qui sont liés aux 35 heures et ces 20 milliards sont tout simplement un dédommagement du préjudice que les entreprises et le monde du travail ont subi avec les 35 heures. Si je déduis ces 20 milliards, il reste 40 milliards dont des choses qui ne sont certainement des aides directes mais des prêts, des cautions, etc.
Q- Cela veut dire que s'il n'y a pas une loi ou si on assouplit les 35 heures, vous rendrez ou vous remboursez une partie des 65
milliards ?
R- On peut mais en plusieurs années envisager, à condition qu'il n'y ait plus de durée légale du travail, que nous puissions déterminer encore une fois, avec les syndicats de salariés, la durée optimum, on pourrait envisager des systèmes différents, mais vos savez ce système d'aide dont vous parlez, c'est un système de rustines. Tout ceci veut dire une chose : il faut réformer profondément notre fiscalité et le système de financement de la protection sociale.
Q- C'est drôle "les rustines" mais qui dépassent le budget de l'Education et deux fois le budget de la Défense. Mais enfin, bon !
R- Je vous rappelle qu'il faut que vous mettiez en face de ces 60 milliards, 280 milliards que versent les entreprises françaises alors que par exemple les entreprises anglaises ne versent que 120 milliards !
Q- Avant-hier, S. Royal évoquait ici les délocalisations. Elle disait : "Le remède c'est de voter une loi pour interdire ou bloquer la délocalisation des marques.
R- "Eh bien je crois que cela démontre tout simplement que parfois les candidats sont très éloignés de la réalité de l'entreprise, de la réalité économique tout court. Qu'est-ce que ça veut dire ? Imaginons qu'on n'interdise effectivement à une entreprise dont le design, le marketing, la logistique est en France mais dont la fabrication se fait par sous-traitance en Chine. On lui dit : "mais vous ne pouvez plus sur vos produits mettre "made in France", vous mettez "made in China". Pendant ce temps-là, l'entreprise allemande, elle, écrira toujours "made in Germany" et donc l'entreprise française va perdre de la clientèle, va perdre du chiffre d'affaires. Ce sont des raisonnements qui donnent l'illusion de faire plaisir à court terme mais qui sont très dangereux à moyen terme.
Q- S. Royal a dit hier dans l'Allier : "La protection de l'environnement es incompatible avec le libéralisme et la loi du marché". Est-ce qu'elle n'a pas raison ?
R- Je crois que c'est exactement le contraire. Vous savez, nous avons réuni il y a quelques semaines, 300 chefs d'entreprise dans l'auditorium du Medef pour regarder le film d'A. Gore, "Une vérité qui dérange". Et nous avons débattu ensuite avec Y. Artus Bertrand. Tous les chefs d'entreprises sont au contraire conscients, d'accord sur le diagnostic, conscients de l'urgence et du danger et ce qu'il faut faire aujourd'hui c'est, ensemble, pas à pas, prendre les orientations qu'il faut.
Q- Qu'est-ce qu'elle a en plus S. Royal ? Qu'est-ce qui lui manque, pour vous pour le Medef ? Parce qu'au début, vous avez été séduite par S. Royal et peut-être aujourd'hui encore ?
R- Non, on ne peut pas dire des choses comme ça, je crois qu'il était tout à fait intéressant de remarquer l'originalité de sa démarche, dans l'engagement de sa campagne électorale. La question qui se pose c'est : S. Royal peut elle transformer le public qu'elle est en train de se créer en programme opérationnel ?
Q- C'est ça qui lui manque ? Et alors, Sarkozy, qu'a-t-il en plus, que lui manque-t-il ?
R- Vous me parlez de quel point de vue ? Pour les entreprises ou d'une manière générale ?
Q- D'une manière générale, comme candidat, vu par L. Parisot ?
R- Ecoutez je crois que N. Sarkozy a vraiment des qualités de chercher à obtenir des résultats dans tout ce qu'il entreprend et en cela, il est certainement très proche de l'esprit entrepreneurial, la recherche du résultat. Maintenant, on sait très bien que historiquement en France, un candidat de droite court toujours un danger qui est celui de la division de son camp.
Q- Et F. Bayrou, qu'a-t-il en plus, que lui manque-t-il ?
R- Je trouve que F. Bayrou a une ambition tout à fait intéressante et respectable qui est celle de vouloir dépasser le clivage gauche/droite. Et de ce point de vue là, je trouve que pour les entrepreneurs, c'est une approche tout à fait intéressante car ce qu'il faut absolument éviter - c'est vital pour l'avenir de notre pays - c'est que l'entreprise soit le champ de bataille d'un affrontement gauche/droite.
Q- Mais entre nous, comme la logique et la tradition c'est que les entrepreneurs choisissent la droite, il n'y a pas tellement de suspense ?
R- La question ne se pose par du tout en ces termes pour le moment, en tout cas. Ce que nous voulons, c'est apporter nos idées, nos expériences, nous voulons les confronter à celles des candidats, nous voulons être dans la mêlée, et après on verra.
Q- Mais vous allez jusqu'au bout comme ça ? Parce que ce serait la première fois que jusqu'au moment de l'élection, le patronat serait actif et interviendrait dans la campagne.
R- Je crois que l'ensemble de notre pays aspire à un débat sincère et approfondi et je ne vois pas pourquoi les chefs d'entreprise ne feraient pas partie de ceux qui veulent échanger jusqu'au bout.
Q- Mais jusqu'au bout, jusqu'au dernier moment de la campagne ?
R- Oui, jusqu'au bout.
C'est une première.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 25 janvier 2007