Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, sur "RFI" le 28 février 2007, sur les difficultés d'Airbus, la visite de Ségolène Royal dans les banlieues, et les raisons du PS de réserver les parrainages à la candidate Ségolène Royal.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q- C'est ce matin que doit être dévoilé le plan de restructuration d'Airbus, qui suscite de fortes inquiétudes, vous avez demandé hier que le Gouvernement vienne s'exprimer devant le Parlement sur la politique industrielle de la France, qu'est-ce que vous attendez de cette déclaration, ou des engagements, vous attendez que le gouvernement mette la main au porte-monnaie ?
R- Le Gouvernement ne peut pas rester spectateur par rapport à une situation très grave, il s'agit de l'avenir de l'emploi industriel en France et en Europe, là on est vraiment au coeur des grandes questions de l'avenir de nos pays dans la compétition mondiale, et vous savez bien que quand on veut développer des emplois industriels, aujourd'hui il faut être très fort en recherche, en développement, en innovation, et pour ça il faut beaucoup d'argent, il faut investir, il ne faut pas raisonner à court terme, profits à court terme. Donc en ce qui concerne Airbus, l'Etat français étant actionnaire à 15%, et par ailleurs l'actionnaire A. Lagardère va vendre la moitié de ses actions, qui va le remplacer ? C'est une question. Est-ce que c'est le Qatar, est-ce que ce sont les capitaux russes plus ou moins clairs, ou des fonds de pension, et est-ce que c'est d'un intérêt stratégique, d'un intérêt général tel, que le Gouvernement soit absent ? Non, je pense qu'il faut qu'il se mobilise, qu'il s'investisse, qu'il s'engage, en tout cas nous avons besoin d'informations, nous avons besoin de la clarté sur ce dossier qui est vraiment d'intérêt majeur. Alors il y a des entreprises qui vont disparaître, il y a des emplois qui vont être supprimés, et puis il faut beaucoup d'argent pour investir dans l'A380, dans l'A350, qui sont déterminants sur le marché mondial, je rappelle qu'il n'y a quand même que deux constructeurs, il y a Airbus et Boeing, et Boeing investit beaucoup, et est souvent aidé par l'Etat américain, et notamment en transitant par les aides à la recherche militaire, par le Pentagone, ne soyons pas naïfs. J'ai remarqué que le Gouvernement allemand avait pris ses responsabilités, quand à Daimler Chrysler l'actionnaire, s'en va, le Gouvernement fédéral a incité une banque publique, avec des banques privées, à remplacer le capital, et puis les landers également se sont engagés. Alors en France on attend, on dit rien, j'ai même vu que N. Sarkozy disait que ce n'était pas l'affaire des politiques de se mêler d'industrie, s'il s'agit de gérer les entreprises, là je suis d'accord avec lui, il ne s'agit pas de gérer l'entreprise à la place de, on ne va pas revenir au système étatique, mais en même temps, de se désintéresser de l'avenir de l'industrie en Europe, je pense que c'est une vraie faute, parce qu'à ce moment là c'est la délocalisation, c'est la désespérance qui s'installe, nous ne l'acceptons pas.
Q- S. Royal doit rencontrer A. Merkel la semaine prochaine, la chancelière allemande, est-ce que c'est pour évoquer notamment ce dossier ?
R- Elle parlera de ce dossier évidemment, elle parlera de la nécessité de relancer le couple franco-allemand qui est en panne, il faut bien le dire ; les relations humaines sont bonnes entre J. Chirac, A. Merkel, c'était le cas avec G. Schroder, mais ça ne suffit pas. L'Europe est en panne de projets politiques, depuis le "non" au référendum français et hollandais, et il faut donc des institutions qui fonctionnent à 27, mais il faut aussi des projets, et la France et l'Allemagne ne sont pas seules, mais elles ont un rôle moteur et il faut que ce moteur se remette en marche. Donc c'est de ça dont parlera S. Royal avec la chancelière allemande, et sur des choses concrètes, par exemple faire une Europe de l'énergie, faire une Europe de la recherche et de l'enseignement supérieur, c'est-à-dire des choix concrets, et puis aussi une Europe qui s'engage dans tout ce qui relève des politiques environnementales, et puis la question migratoire, vous en parliez tout à l'heure sur votre antenne. Ce sont des questions qui sont devant nous, donc il faut qu'avec la chancelière allemande on puisse discuter institutions, avec un calendrier, puisque la présidence allemande prépare la suite, et il faut que tout ça soit bouclé pour 2009. Ça veut dire que si S. Royal est élue présidente de la République elle aura une responsabilité extrêmement importante, je dirais même avec A. Merkel, une responsabilité historique de relancer le projet européen, puisque la France présidera l'Union européenne en 2008, et ça se prépare maintenant.
Q- Je remarque que vous employez le conditionnel, alors que certains candidats eux-mêmes parlent au futur, pour ce qui est de l'élection.
R- Pardon ?
Q- Je dis que vous employez le conditionnel : "Si S. Royal est élue", alors que certains candidats eux-mêmes parlent au futur.
R- Non, pourquoi je dis ça, parce que l'élection n'est pas faite et il faut respecter les électeurs qui n'ont pas tous fait encore leur choix, mais je compte bien que S. Royal soit élue présidente de la République, parce que c'est la seule qui incarne vraiment le changement dans notre pays, que les Français attendent quand même.
Q- Alors justement, à propos de la campagne, S. Royal s'est rendue hier à Clichy-sous-Bois en banlieue parisienne, où elle a signé le contrat social et citoyen du collectif A.C. Le Feu, ce qui veut dire, parce qu'on ne le dit pas assez, Association Collectif : Liberté Egalité Fraternité Ensemble Uni, elle y a reçu un bon accueil, on imagine que ça doit être assez satisfaisant quand manifestement le candidat de l'UMP, lui, semble un peu hésiter à retourner en banlieue ?
R- Ça se comprend, vous savez, il a joué la provocation, le Karcher, les racailles, ça a laissé des traces. Moi je suis maire de Nantes et je peux vous dire que dans les quartiers populaires, les grands quartiers, l'habitat social, N. Sarkozy n'a pas une grande popularité, il fait même peur à beaucoup de gens, il inquiète en tout cas, parce qu'on ne peut pas traiter les questions graves que traverse la société française aujourd'hui. On parlait tout à l'heure industrie, économie, ça passe aussi par un dialogue social et une négociation sociale rénovée, on ne peut pas traiter le problème de la crise des banlieues, qui est vraiment un problème grave de la société française, uniquement par le conflit, par la logique du coup de poing ou du poing sur la table, il faut donner de l'espoir aux gens, les responsabiliser aussi, parce que, c'est ce qu'a dit hier S. Royal : "Je ne viens pas là pour vous assister, je ne viens pas là pour faire que de la compassion, je viens là pour vous proposer un pacte, et un pacte... L'Etat prendra ses responsabilités pour investir, pour aider à la formation, l'accès à l'emploi, lutter contre les discriminations, le logement etc, mais vous avez aussi votre part à prendre, votre responsabilité à prendre". C'est, j'allais dire donnant donnant, ce sont les droits et les devoirs, donc c'est un vrai contrat qu'elle propose, mais je pense que c'est la bonne méthode, parce que si on arrive en disant, voilà, circulez, il n'y a plus rien à voir, vous allez voir ce que vous allez voir... Simplement les problèmes des banlieues, ils sont toujours là, la crise est toujours là, et je pense que c'est pour la société française un enjeu tel, que la méthode Sarkozy a montré qu'elle n'était pas la bonne.
Q- Les 500 signatures nécessaires pour se présenter à l'élection présidentielle n'ont jamais fait autant parler d'elles qu'au cours de cette campagne, est-ce que vous êtes toujours, j'allais dire d'accord avec vous-même, sur ce choix d'avoir demandé aux élus socialistes de ne pas parrainer d'autres candidats que S. Royal ?
R- Nous avons demandé aux élus socialistes d'être cohérents avec eux-mêmes et donc de signer pour leur candidate, et pour des raisons de clarté politique.
Q- Il vous faut 500 signatures, mais vous avez beaucoup plus de 500 élus.
R- C'est possible, mais je pense que la dernière élection présidentielle a montré qu'on était dans la confusion la plus totale, qu'au deuxième tour de l'élection présidentielle, après la dispersion des votes du premier tour, les Français n'ont pas choisi entre deux projets, et que si on veut aller dans la même direction, alors jouons à ce petit jeu. Nous ne voulons pas la confusion, nous voulons la clarté et aujourd'hui on fait tout pour que la confusion s'installe dans les esprits, Le Pen n'est même plus à l'extrême droite, il n'est même plus xénophobe, il est francophile, Sarkozy n'est pas de droite mais il est de France, et puis en ce qui concerne F. Bayrou, il n'est ni de droite ni de gauche. Vous croyez que c'est avec ça que les Français vont pouvoir choisir ? La seule candidate qui incarne le changement c'est S. Royal, il faut qu'elle fasse le meilleur score possible au premier tour, pour qu'une dynamique se crée, et pour que la victoire soit possible. C'est pour ça que je disais tout à l'heure, je parlais au conditionnel, il faut que chacun fasse face à ses responsabilités. Si les Français veulent choisir entre deux projets de société, il faut leur en donner les moyens.
Q- Vous souhaitez réduire l'offre au fond ?
R- Ce n'est pas seulement réduire l'offre, c'est, je répète, la nécessité de la clarté politique. Quand moi par exemple, qui suis maire, ou député, je peux signer pour un candidat, si je vais signer pour J. Bové, ou Besancenot, ou M.-G. Buffet, qui n'en a peut-être pas besoin, et qu'en même temps je fais campagne pour S. Royal, croyez-vous que mes électeurs vont bien comprendre exactement ce que je fais ? Ils vont y voir une espèce de manoeuvre, une espèce de tactique. Parce que je me souviens qu'en 2002, certains socialistes avaient signé pour Besancenot parce qu'on leur avait dit, il vaut mieux que Besancenot fasse plus de voix, comme ça Laguillier en fera moins, et puis au deuxième tour ces voix se reporteront sur nous. Qu'est-ce que ça a donné ? Cela a donné Le Pen au deuxième tour. Moi je n'ai pas envie de revivre ça d'une façon ou d'une autre.
Q- Mais ce que disent les petits candidats, qui ont du mal à les obtenir, c'est que parrainer ça ne veut pas dire adhérer, que c'est juste une forme de l'expression démocratique.
R- C'est vrai, mais peut-être qu'il faut réfléchir pour l'avenir à un autre système
qui pourrait être basé sur le nombre de voix obtenues par les différentes
formations politiques, qui auraient ainsi la possibilité de présenter un candidat.
Q- ... directement qualifié pour le premier tour.
R- Par exemple, je ne sais pas, un parti politique qui a réussi à obtenir dans des élections générales 3, 4, 5% des voix, ça ne serait pas illogique qu'il puisse présenter un candidat à l'élection présidentielle, ça ne serait pas dans un système de parrainage, mais au moins il y aurait quand même une référence. Autrement, s'il n'y a pas de référence, ça veut dire que n'importe qui peut se présenter, y compris des farfelus comme N. Miguet, ce qui me paraît quand même assez scandaleux.
Q- Vous avez les clés, en quelque sorte, pour les signatures de D. Voynet ?
R- Ce n'est pas le sujet, franchement ce n'est pas le sujet.
Q- Vous avez quand même les clés ?
R- Mais, écoutez, je n'ai pas les clés de...
Q- Pour J. Bové aussi, vous n'allez pas ouvrir ?
R- Ecoutez, je vais vous dire une chose, ce qui est important c'est quand on est candidat à l'élection présidentielle, et que ce soit les Verts ou les autres formations politiques, il faut faire la preuve qu'on est capable d'occuper un espace politique, et ce n'est pas une faveur qu'on vous donne parce que vous faites 0,5 ou 1% des voix, pour vous présenter. Quand on a vraiment une influence politique, parce qu'on a convaincu une partie de l'électorat, il y a une dynamique qui se crée, et à ce moment là la question de la signature ne se posera pas, ces candidats n'auront pas de difficultés à convaincre les maires d'avoir les signatures, je crois que c'est ça la vraie question. Que représentent-ils réellement ? Moi je vais vous dire, le dernier mot que je dirais, c'est qu'aujourd'hui les Français ne veulent pas se retrouver piégés comme en 2002, qu'ils veulent vraiment choisir entre deux projets de société, c'est vraiment extrêmement important. Il faut les y aider, et si on commence par la confusion autour des candidatures, je crois qu'on n'aura pas fait une oeuvre utile. La France est en panne de projets, la France perd confiance en elle-même, alors qu'elle a d'énormes atouts, il faut l'y aider, ce rendez-vous de l'élection présidentielle cette année est un rendez-vous très important pour l'avenir de notre pays, il ne faut pas le rater.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 février 2007