Interview de Mme Laurence Parisot, présidente du MEDEF, à RMC le 2 février 2007, sur la situation économique et sociale, la durée du travail et l'élection présidentielle 2007.

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Texte intégral


Q- Merci d'être avec nous ce matin. D'abord, la question que vous avez envie de poser aux auditeurs de RMC ?
R- Ecoutez, pour moi, la chose la plus importante pour notre pays aujourd'hui, c'est de faire baisser le chômage. Cela fait 25, 30 ans que nous avons un taux de chômage très élevé, je dirais même anormalement élevé. Alors je voudrais demander aux auditeurs : d'après vous, que faut-il faire pour que la France s'engage sur la voie du plein emploi, c'est-à-dire avec un taux de chômage inférieur à 5 % ?
Q- [...] Je voudrais vous poser une question d'actualité, qu'on vous a posée déjà plusieurs fois : L. Danon est présidente de la Commission Nouvelle Génération du Medef, elle est censée rapprocher les jeunes et l'entreprise. Elle était présidente du Printemps, elle est partie avec, dit-on, un peu plus de 2 millions d'euros alors qu'elle a réduit le nombre de salariés au Printemps et qu'elle a en partie bloqué les salaires. Est-ce justifiable ?
R- D'abord, sur le début de cette affaire, je tiens à dire quelque chose que je n'ai pas aimé, c'est qu'il y a des chiffres qui ont circulé qui étaient disproportionnés par rapport...
Q- Au début ?
R- Voilà, au début. L. Danon a, hier après-midi, donné la réalité des choses. Il faut bien comprendre - et je demande aux auditeurs de comprendre - que nous avons besoin de grands talents dans notre pays. Nous avons besoin de dirigeants ou de dirigeantes qui sont capables de diriger, d'amener les entreprises vers des succès. Le Printemps a triplé de valeur sous la direction de L. Danon, cela veut dire qu'elle a créé de la richesse et qu'à ce titre, je trouve qu'il est tout à fait normal qu'elle ait une rémunération élevée. Les rémunérations élevées sont justifiées quand elles sont liées - et ce lien est fondamental - avec des performances d'entreprise. Imaginons que nous décidions que non, c'est fini, il ne doit plus y avoir de rémunération élevées dans notre pays, que va-t-il se passer ? Il va se passer que tous ces talents là vont partir, à New York, à Londres, à Shanghai. Que va-t-on faire quand on aura pus ces personnalités qui ont cette capacité exceptionnelle de diriger des grands groupes ?
Q- Mais qui a créé les richesses ? Uniquement L. Danon ou aussi les salariés du Printemps alors que 84 % des salariés du printemps gagnent moins de 1.500 euros par mois ?
R- Attendez, je ne peux pas rentrer à l'intérieur de chaque dossier, je peux poser des principes généraux. Le parcours de L. Danon est un parcours tout à fait exceptionnel, elle a dirigé d'autres entreprises auparavant, donc ça veut dire qu'elle a eu une capacité à faire en sorte...Vous savez,
il y a d'autres grands magasins qui ne sont pas dans le bon état dans lequel est le Printemps aujourd'hui à Paris, et on le sait bien.
Q- Oui, mais ce bon état, on le doit à qui : à L. Danon ou aux salariés aussi ?
R- Mais à tout le monde.
Q- Mais alors et le partage des richesses ?
R- Non, mais ce n'est pas une question de partage, est-ce que si vous mettez... J'ai entendu J. Bové hier râler sur ce genre de choses.
Q- Qu'est-ce que disait J. Bové ?
R- Est-ce que J. Bové veut bien diriger des grandes entreprises et on verra ce qu'elles vont devenir ces grandes entreprises. Est-ce qu'il a les compétences et les talents pour ? Les compétences et les talents, il faut les rémunérer et je voudrais surtout, j'espère qu'il y a beaucoup de jeunes auditeurs aussi qui m'entendent. Moi je veux que ces jeunes auditeurs, qui sont peut-être en Terminale, qui vont se demander ce qu'ils vont faire plus tard, il faut qu'ils puissent se dire que s'ils font telle ou telle école, s'ils bossent dans leurs études supérieures, eh bien ils peuvent aussi faire des parcours équivalents à celui de L. Danon et un jour gagner beaucoup d'argent.
Q- Est-ce qu'il faut payer tout le monde au mérite ? Parce que là, L. Danon est payée au mérite ? Et le salarié est-il payé au mérite lui ? Non.
R- Oh, de plus en plus.
Q- De plus en plus, enfin...
R- Mais bien sûr que si et vous le savez très bien.
Q- Tout dépend des entreprises.
R- Bien sûr, il y a des variations sur les entreprises mais de plus en plus la culture entrepreneuriale dans les entreprises françaises, comme ailleurs, évolue vers un principe assez simple, qu'il y ait une part variable des bonus, des "inventives" selon différentes formes, en fonction de la qualité de ce que vous apportez en plus.
Q- Est-ce qu'il y a des limites quand même qu'on doit fixer ?
R- Comment ? Comment vous les faites ?
Q- Je ne sais pas, je pose la question.
R- Pas exemple, est-ce que je peux fixer aussi des limites sur les salaires ou les primes des footballeurs ? Selon quel critère ? Le seul critère c'est le marché, c'est le talent, le critère c'est : est-ce que je peux garder mes footballeurs en France, est-ce que je peux garder mes meilleurs chefs d'entreprises en France ?
Q- Je change de sujet. Est-ce qu'il faut supprimer les subventions versées aux entreprises : 65 milliards d'euros ?
R- Vous savez, je vais vous raconter une histoire sur ces subventions dont on parle. Pardon mais je vais faire un tout petit peu de calcul, c'est l'exercice de calcul mental du matin, si vous le permettez. Certes, il y a un rapport qui dit qu'il y a 65 milliards d'"aides" - je mets ce mot entre guillemets - qui sont versés aux entreprises. Donc cette addition, c'est vraiment une addition, comme on disait à l'école, de choux et de carottes. Dans ces 65 milliards, vous avez par exemple 2,5 milliards qui correspondent au versement de l'Etat à la SNCF ; est-ce que c'est une aide aux entreprises du secteur privé ? Je ne crois pas. Dans ces 65 milliards, vous avez aussi l'équivalent des baisses d'impôts qui ont été décidées il y a un an, sur la taxe professionnelle ; est-ce que de baisser une fiscalité c'est une aide ? Je ne crois pas non plus. Alors vous avez un paquet important, d'environ 20 milliards qui correspond, selon nous, non pas à un aide mais à une indemnisation du préjudice que nous avons subi avec les 35 heures. Nous ne la demandons pas cette aide... Si on ne nos avait pas imposé les 35 heures, nous n'aurions pas eu besoin de ces allègements de charges pour tout simplement survivre. Beaucoup de TPE - très petites entreprises - et de PME, n'auraient pas pu garder les emplois dans leurs entreprises, continuer à progresser s'il n'y avait pas eu ces allègements de charges. Mais d'une manière générale, nous ne demandons pas d'aides, nous demandons de l'air.
Q- Oui "Besoin d'air'...
R- C'est pour ça que nous avons écrit un livre qui est formidable et je recommande à tous les auditeurs de l'acheter, c'est "Besoin d'air".
Q- Alors la France prélève trop sur les entreprises, c'est ce que vous dites...
R- 280 milliards...
Q- Oui, la France légifère sans discernement, c'est ce que vous rappelez aussi, 70 lois, 50 ordonnances, 1.500 décrets en moyenne chaque année, et la France ne travaille pas assez ?
R- Oui mais quand je dis que la France ne travaille pas assez, je fais référence à beaucoup de choses très différentes. Il y a la question de la durée du travail mais pas simplement. La France ne travaille pas assez, ça veut dire aussi qu'il y a un taux de chômage trop élevé. Si nous avions un taux d'activité beaucoup plus élevé, beaucoup plus distribué aux différents âges de la population, c'est-à-dire chez les jeunes et chez les seniors, nous produirions tous collectivement une quantité de travail supérieure et donc nous aurions plus de croissance et donc nous créerions plus de richesses. C'est pour cela que j'ai posé cette question aux auditeurs, que la question de la baisse du chômage est pour moi la question centrale. Je regrette que les candidats à l'élection présidentielle ne nous disent pas clairement : "Voilà ma stratégie pour faire baisser le chômage, voilà ce que je préconise pour que dans cinq ans, on soit à moins de 5 % de chômage".
Q- Est-ce que vous allez vous engager vraiment dans la campagne ? Franchement, est-ce que le Medef prendra position ? Est-ce que le Medef appellera à voter pour Untel ou Unetelle ?
R- Non, le Medef ne prend pas position mais le Medef vient sur des grands radios comme RMC Info pour dire : "Voilà les débats qu'il faut avoir, voilà les sujets sur lesquels il faut échanger des idées et faisons en sorte qu'il y ait des vraies controverses mais de manière positive.
Q- Puisqu'on parle, on va parler concret : temps de travail, vous dites que la France ne travaille pas assez parce qu'il y a beaucoup trop de chômage et parce que nous sommes dans le carcan des 35 heures. Vous dites qu'il faut faire voler tout cela en éclat, si j'ai bien compris, 35 heures, 39 heures. Vous rappelez qu'en Europe, la loi dit : 48 heures par semaine.
R- Oui mais quand vous dites qu'il faut faire voler tout cela en éclat, vous donnez l'impression qu'on veut tout casser. Ce n'est pas ça, on dit qu'il suffit de bouger quelques paramètres.
Q- Lesquels, allez-y.
R- Prenons justement le cas de la durée du travail. Imaginons qu'en France, on supprime le concept de durée légale du travail, cela veut dire : faisons en sorte que ça ne soit plus la loi qui donne la durée légale une fois pour toute, pour tout le monde et quelles que soient les circonstances. Pourquoi ne pas décider comme dans la plupart des pays européens, notamment comme en Suède, puisque plusieurs candidats font référence au modèle suédois...
Q- On a deux modèles maintenant : les Anglais et les Suédois. Alors que le taux de chômage est aussi bas en Suède qu'en Angleterre avec des systèmes totalement différents, les charges d'entreprises sont très lourdes en Suède et très peu lourdes en Angleterre.
R- Non, pardon, en Suède les charges sur les entreprises sont moins lourdes qu'en France par exemple.
Q- Pas loin, pas loin.
R- Les prélèvements obligatoires d'une manière générale sont lourds mais sur les entreprises, beaucoup moins. En tout cas ce que nous préconisons, c'est que la durée du travail soit définie d'un commun accord entre patronat et syndicats par secteur d'activité, voire par branche. Parce que - je suis sûr que tout le monde comprendra ça bien facilement - il est évident que le meilleur optimum de temps de travail n'est pas le même dans chaque entreprise. Selon son organisation, selon son métier, selon sa spécificité, selon la conjoncture de l'entreprise, il y a des cas où peut-être qu'il faut travailler un petit peu plus parce qu'on est dans un passage difficile, ou d'autres cas où on vient de trouver une invention technologique qui permet de gagner.
Q- Donc qui décide : la branche professionnelle, l'entreprise elle-même ?
R- Cela peut être l'entreprise elle-même s'il peut y avoir un accord entre le patronat et les représentants du personnel.
Q- Sur la durée du travail ?
R- Moi je ne préconise pas que tout le monde repasse à 39 heures. Pas du tout. Je dis que l'optimum peut dans certains cas être à 35 heures et continuer à 35, dans d'autres cas à 36, dans d'autres cas à 36,5. Mais il y a quand même une arrogance française à considérer que nous serions les seuls au monde à pouvoir continuer à produire des richesses en travaillant moins que tout le monde.
[...]Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 février 2007