Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec CCTV le 27 février 2007, sur les relations et le partenariat stratégique franco-chinois et le dossier nucléaire iranien.

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Média : China Central TV

Texte intégral

Q - Monsieur le Ministre, c'est votre première visite en Chine en tant que ministre des Affaires étrangères français, comment situez-vous ce déplacement ?
R - J'y viens d'abord en ami de la Chine. Mais aussi à la suite de la visite d'Etat que le président de la République a effectuée en octobre dernier. Je l'avais d'ailleurs accompagné. Il y avait un véritable climat de confiance et d'amitié entre nos deux pays et nos deux présidents.
Q - Nous savons que la Chine apprécie beaucoup l'attachement de la France à la politique d'une seule Chine et son soutien à la politique d'un pays, deux systèmes. Récemment les dirigeants de Taiwan ont exprimé, encore une fois, l'intention de faire réviser la Constitution pour l'indépendance de Taiwan sur le plan judiciaire. Quel est votre commentaire à ces propos ?
R - La position de la France n'a jamais changé concernant l'unité de la Chine. Nous avons actuellement des contacts, je viens de le dire, très amicaux et rien ne change de ce point de vue là.
Q - Revenons, si vous me le permettez, sur la relation sino-française. Quel est votre commentaire sur le partenariat stratégique global entre nos deux pays, et comment peuvent-ils renforcer leur dialogue stratégique face à des défis majeurs dans le monde ?
R - Le partenariat stratégique entre nos deux pays est très important. Nous y tenons beaucoup. Pourquoi ? D'abord, parce que la Chine devient un des plus grands partenaires économiques de la France. Ensuite, parce que nous sommes également très intéressés par notre implication dans la vie industrielle et universitaire, dans le secteur de la recherche de la Chine. Enfin, parce que, tant en Chine qu'en France, nos civilisations, nos cultures et notre histoire sont anciennes.
Ce goût pour les civilisations anciennes, ce goût pour le respect de l'autre nous amène, tout naturellement, vers les Chinois. Nos petites et moyennes entreprises, nos grandes entreprises, comme Airbus, Alstom dans le domaine ferroviaire, Areva dans le domaine nucléaire, sont très intéressées par des accords franco-chinois. Nous développons en permanence cette coopération.
La Chine est également membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. C'est l'occasion pour nous de travailler ensemble, récemment sur le dossier de l'Iran. Nous avons parlé de la Corée du Nord. Nous avons salué les efforts de la diplomatie chinoise et son succès sur ce dossier.
Nous sommes, dans notre travail quotidien, à la fois sur le plan économique et sur le plan politique, très proches.
Q - Vous avez parlé du nucléaire iranien, où en est le problème iranien ? Et quelle serait, d'après vous, la solution à cette crise ?
R - Nous avons une double approche. Une approche de fermeté de la part de la communauté internationale, de manière unie. Nous avons ainsi voté une résolution le 23 décembre dernier, en accord avec nos amis chinois, russes, mais aussi avec les Américains et les Britanniques. Nous avons tous voté ensemble pour dire aux Iraniens : "conformez-vous à vos engagements internationaux, conformez-vous à ce que nous vous demandons, suspendez les activités nucléaires sensibles à des fins non-pacifiques."
M. El Baradei, le directeur de l'AIEA, vient de faire un rapport qui montre que l'Iran n'a pas mis en oeuvre ce que la Chine, la Russie, la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis ont demandé. Nous pensons donc qu'il faut faire une deuxième résolution approfondissant les sanctions économiques et qu'il faut rester unis sur ce sujet.
La deuxième approche, c'est l'ouverture et le dialogue. Nous disons aux Iraniens : "si vous suspendez vos activités nucléaires sensibles, nous pouvons suspendre les sanctions." Je crois qu'il est important d'avoir cette politique de la main tendue, à condition que les Iraniens la prennent.
Aujourd'hui, l'Iran est devant un choix stratégique : soit l'isolement total vis-à-vis de la communauté internationale, soit la suspension des activités nucléaires sensibles et la négociation.
Q - La Chine a organisé l'année dernière le Forum sur la coopération Chine-Afrique. La France a été récemment pays hôte d'un sommet France-Afrique. Dans quelle mesure la Chine et la France pourront-elles monter une coopération en matière d'aide au développement de l'Afrique, et quels seraient les champs d'action ?
R - Les champs d'action sont considérables et nous sommes très heureux de voir que la Chine aide l'Afrique. Car nous aimons l'Afrique et tous ceux qui aiment l'Afrique sont contents de voir que d'autres aident l'Afrique.
Je voudrais saluer l'action de la Chine envers l'Afrique. Je voudrais dire aussi que c'est l'occasion pour la Chine, comme pour la France, de renforcer la gouvernance des pays africains, avec plus de démocratie, moins de corruption, la diminution de la dette, en liaison avec le FMI et la Banque mondiale. Ce sont des sujets intéressants, importants, et je salue les efforts de la Chine.
Mais il y a une chose que je demanderai aux autorités chinoises : c'est de nous suivre dans UNITAID. On prend un euro par billet d'avion. Chaque fois qu'un Français prend l'avion, on prend un petit euro, ce n'est pas grand chose. Mais on fait pareil dans 30 pays dans le monde et on souhaiterait que le 31ème pays à le faire soit la Chine. Parce que l'on voit bien que le XXIème siècle va être le siècle de tous les dangers si, en raison de la mondialisation, tous les pays riches deviennent toujours plus riches et les pays pauvres toujours aussi pauvres.
Ce fossé entre les pays riches et les pays pauvres ne peut pas continuer. Je sais que la Chine est intéressée par la solidarité Sud-Sud. Eh bien UNITAID, c'est cela. On prend un euro, ou une unité de monnaie chinoise par billet d'avion, et cela est assez indolore pour celui qui prend l'avion. Le voyageur ne s'en rend même pas compte. La contribution perçue va dans une caisse mondiale, à l'Organisation mondiale de la Santé par exemple. Et avec cette somme, on achète des médicaments que les pays pauvres ne peuvent pas acheter. C'est une belle entreprise. J'aimerais beaucoup que la Chine puisse participer à ce beau projet qui est une démarche citoyenne du monde entier pour une mondialisation solidaire, une mondialisation équitable.
L'argent n'est pas une fin en soi. Gagner plus d'argent n'est pas une fin en soi. Car quand on gagne de l'argent, il faut aussi le partager un petit peu avec les plus pauvres.
Q - Une dernière question sur votre visite en Chine. Est-ce que vous avez cette fois un projet particulier à promouvoir pour la coopération entre les deux pays ?
R - Nous avons de nombreux échanges d'étudiants, de chercheurs à mettre en oeuvre. Je vais venir avec une équipe du Canceropole de Toulouse. Je suis le président de l'agglomération du grand Toulouse, ville du Sud-Ouest de la France. Nous faisons à Toulouse le plus grand centre de lutte contre le cancer en Europe. Je vais venir avec des chercheurs de nano, de biotechnologie. Je voudrais qu'il y ait un jumelage avec justement le centre de biotechnologie de Pékin.
Ma visite aujourd'hui s'inscrit dans la continuité des relations entre nos deux pays définies par le président de la République et le président Hu Jintao, dans la Déclaration franco-chinoise du 26 octobre 2007 pour "Construire ensemble un monde plus sûr, plus prospère et plus harmonieux".
Nous parlerons de tous les sujets avec les autorités chinoises. Comme je viens de le souligner, nous aborderons avec le Premier ministre Wen Jiabao et le ministre des Affaires étrangères Li Zhaoxing les grands dossiers mondiaux, notre coopération bilatérale et les enjeux de santé mondiale. De ce point de vue, je vais appeler l'attention de mes interlocuteurs chinois sur la nécessité d'une implication de la Chine à UNITAID. Je crois fermement que la Chine doit pouvoir y tenir toute sa place.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 février 2007