Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, sur "LCI" le 8 mars 2007, sur son opposition au projet présidentiel de François Bayrou, l'autorisation de l'euthanasie active ainsi que sur le licenciement par consentement mutuel.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q- 24 % selon l'Institut CSA, 21 % pour BVA : F. Bayrou se rapproche de S. Royal. Avez-vous peur d'un 21 avril bis ?
R- C'est le risque de non choix de cette élection présidentielle, parce qu'en 1995, il y a eu la tromperie Chirac qui devait réduire la fracture sociale et on a eu la politique d'A. Juppé, qui a été rejetée par les Français en 1997, et puis après en 2002, c'est le non choix, ce n'est pas le choix
entre deux projets de société. Et là, je ne souhaite pas que la France, qui est en difficulté aujourd'hui, qui est en crise économique, sociale, politique et morale et qui a perdu de son influence, on le voit après le référendum, je reviens d'Allemagne, on voit bien qu'on est dans une situation difficile, la France a besoin de clarté.
Q- C'est ce que fait Bayrou, c'est le choix aussi de l'Union nationale qu'il propose, droite et gauche, les hommes et les femmes de bonne volonté ?
R- Bonne volonté bien sûr, sur un projet. Lorsqu'il y a un Gouvernement et une majorité, il faut s'associer, les forces vives du pays. Mais là, il s'agit de réunir une majorité politique pour mettre en oeuvre un projet et je pense que pour ça on a besoin d'une clarté. Dans tous les pays d'Europe, il y a toujours eu confrontation entre les projets de la droite et les projets de la gauche, partout. Qu'il y ait après des coalitions, c'est autre chose. Là, F. Bayrou nous ramène en quelque sorte très loin en arrière avec la période de la IVème République, le plus petit dénominateur commun, ce n'est pas ça dont la France a besoin.
Q- Et s'il se qualifiait quand même pour le second tour, plutôt que Sarkozy, est-ce que ce ne serait pas mieux pour vous de faire une alliance PS-UDF ?
R- Il faut la clarté, soyons très précis sur ce point. Quand F. Bayrou dit : "Je veux prendre les meilleurs à la droite et à la gauche", il n'y a pas de socialistes qui vont se prêter à cette combinaison parce qu'on a déjà connu ça dans le passé et c'est la paralysie. Je pense que si F. Bayrou gagnait, la France serait en crise et moi je n'ai pas envie que ce soient les extrêmes qui profitent ce cette confusion des genres, des non choix ou que cela se passe dans la rue. Parce que vous savez, pour changer en profondeur, sur la protection sociale, pour la garantie de notre système rénové, sur le droit du travail, sur la relance de l'économie, sur l'école, vous croyez que ça peut se faire comme ça par une espèce de consensus mou ? Non, cela peut se faire aussi pour remettre en mouvement, par exemple la démocratie sociale, donc par la négociation. Mais pour ça, il faut un pouvoir politique qui soit clair, qui soit capable de fixer les objectifs et en même temps, qui remet en mouvement la société. C'est le pacte que propose S. Royal, ça c'est clair, c'est un contrat avec les Français. Mais pour ça, il faut une majorité claire. Et donc F. Bayrou oublie quand même une chose : c'est qu'il y a l'élection présidentielle et que juste après, il y a l'élection législative. Alors quelle majorité ?Franchement, ce n'est pas sérieux et cela conduirait la France dans le mur alors qu'on a besoin justement d'un sursaut, on a besoin d'une vision et on a aussi besoin de remettre en mouvement la démocratie qui est en panne dans notre pays.
Q- S. Royal avait bousculé le vieux socialisme, le parti, dans la primaire, est-ce qu'elle n'a pas eu tort de rappeler les éléphants et de redevenir peut-être classiquement socialiste ?
R- Elle n'est pas redevenue classiquement socialiste, elle est socialiste du 21ème siècle. Qu'elle rassemble son parti et sa famille, c'est la moindre des choses et c'est le signe qu'elle a voulu donner. Mais en même temps, vous savez, d'abord si on élisait une femme à la présidence de la République - et je ne le dis pas seulement parce que nous sommes le 8 mars -, ça ce serait le signe d'un vrai changement et ça serait un bond en avant de la société française. Et je crois que c'est la meilleure garantie du changement, parce qu'au fond des choses, les Français veulent le changement. Et s'il y a ce doute qui s'exprime un peu dans les sondages, c'est parce qu'il y a une hésitation des Français : est-ce que tel ou tel candidat va vraiment promettre le changement ? Et donc, tout le défi qui est le nôtre et celui de S. Royal avec son pacte présidentiel, c'est de convaincre les Français qu'avec elle, le changement sera profond et pas seulement sur les programmes mais aussi sur la façon de faire. Elle l'a montré par les débats participatifs, elle l'a montré par la manière dont elle a été désignée par les socialistes. Et donc ce qu'elle a fait là, c'est une garantie pour l'avenir. Il y a deux mots résument son pacte : c'est solidarité et responsabilité. Solidarité pour la société, pour que l'ascenseur social se remette en marche. Et en même temps, le citoyen a quelque chose à faire et c'est aussi son devoir de responsabilité et c'est en quelque sorte les droits et les devoirs, c'est ce que j'appelle le pacte, le contrat avec les Français.
Q- Elle veut rassembler la famille socialiste. Mais hier, D. Strauss- Kahn se moque encore de la "bravitude", Jospin dit qu'il veut garder une part modeste dans la campagne, C. Allègre dit dans un
livre qu'elle est "dévorée d'ambition"... Il y a un peu de déloyauté dans vos rangs, non ? Il y a une machine à perdre, certains souhaitent la défaite ?
R- Il faut avoir un peu d'humour quand même, puisque D. Strauss-Kahn
était invité à une sorte de conférence des avocats où on fait des bons
mots...
Q- Un concours d'éloquence ?
R- Un concours d'éloquence donc franchement ce n'est pas ça l'essentiel. L'essentiel vous savez, c'est ce qui est dit par L. Jospin et D. Strauss- Kahn dans le journal Le Monde sur le dossier industriel Airbus-EADS.
Q- Personne ne joue la défaite ?
R- Et la manière dont nous voulons prendre ce dossier, si nous gagnons les élections parce que le problème de l'industrie en France et en Europe il est devant nous. Il y a Airbus, il y a Alcatel, il y a la défense des emplois et pour ça il faut être offensif, et pour ça il faut que l'Etat prenne ses responsabilités, en investissant dans la recherche, dans l'innovation mais aussi en soutenant les PME, dans les régions. Parce que c'est ça qui nous manque, c'est une économie forte et sur ça, je n'entends pas vraiment de propositions de la part de nos adversaires de droite ou du centre sur ces sujets qui sont essentiels pour l'avenir de la France.
O. Besancenot en appelle solennellement à F. Hollande : "Il y a des pressions, levez les pressions" dit-il. Le Conseil constitutionnel reconnaît que ça ne se passe pas très bien avec les maires. Dites-vous ce matin aux maires de France : "Allez-y, signez pour les candidats, pour les plus petits" ?
R- Mais ils sont libres de leurs signatures et ils prennent leurs responsabilités. En ce qui concerne les socialistes, les adhérents du Parti socialiste qui sont élus qui ont reçu un mandat, ils signent pour leur candidate, ça c'est normal. Mais après vous savez, cela fait quand même quelques milliers d'élus socialistes qui peuvent signer pour S. Royal, il y a 47.000 élus en France qui ont la possibilité de signer. Alors ils peuvent le faire en toute liberté, personne ne fait de pression sur eux. J'ai noté que N. Sarkozy lui, lance un appel aux élus de l'UMP pour signer pour J.-M. Le Pen. Je ne sais pas ce que ça cache derrière, comme stratégie ou tactique politique électorale, cela m'inquiète un peu.
Q- Vous, c'est : pas de consignes, liberté ?
R- Bien sûr, je peux vous donner mon témoignage personnel, dans ma circonscription, il y a un maire qui est Divers gauche et qui a signé pour D. Voynet et qui en même temps appelle à voter pour S. Royal. Mais je ne lui ai fait aucun reproche, il est totalement libre de son choix.
Q- Craignez-vous que les électeurs des couches populaires en veuillent à S. Royal pour ces histoires d'impôt sur la fortune sous-estimé ?
R- Je ne pense pas, je pense que S. Royal a été la première à publier son patrimoine, d'ailleurs je note qu'aucun des autres candidats ne l'a fait clairement. Mais moi je ne rentrerai pas dans cette polémique parce que je trouve que ça dégrade le niveau de la politique, cela profite aux extrêmes, cela dégoûte les gens. Parce que le feuilleton du patrimoine, un jour c'est Sarkozy, un jour c'est S. Royal, la semaine prochaine ce sera qui ? Je pense que le Canard enchaîné a annoncé le feuilleton mais c'est son droit. Moi je suis pour la transparence, mais en même temps jen'ai jamais utilisé ces thèmes là pour convaincre les citoyens de mes projets politiques. Je pense que ce n'est pas ça qu'il faut faire. Donc les Français attendent qu'on leur dise comment on va traiter les problèmes qu'ils rencontrent et préparer l'avenir de la France.
Q- Faut-il autoriser l'euthanasie active, comme le demandent 2.000 soignants dans un manifeste ?
R- Ces soignants partent d'un constat : de la difficulté et même le drame que certains patients et leurs familles rencontrent face à des maladies totalement incurables. Ils révèlent cette souffrance à la fois physique et morale. Simplement, il y a eu une loi qui a été votée il y a peu de temps à l'Assemblée nationale, la loi Leonetti, mais qui est le fruit d'un travail je dirais de tous les parlementaires. Il arrive parfois que bien qu'il y ait la droite, bien qu'il y ait la gauche, on soit capables de traiter les problèmes. Donc il ne faut pas avoir peur de la droite et de la gauche. Et là, ce texte existe, cette loi existe et elle est à peine appliquée. Moi je demanderai une évaluation de cette loi avant de dire qu'il faut en faire une autre et je pense que d'ailleurs cela pourrait être une règle générale : à chaque fois qu'il y a un problème, il ne fait pas tout de suite voter une nouvelle loi. Analysons les lois déjà votées, évaluons-les, voir s'il faut les corriger ou en faire de nouvelles complètement.
Q- Licenciement par consentement mutuel salarié-employeur avec l'allocation chômage pour l'emploi licencié, N. Sarkozy se rallie à la séparabilité du Medef, que répondez-vous ?
R- Je pense que cela n'est pas acceptable. Cela peut apparaître comme quelque chose de simple et de banal, mais cela veut dire que le salarié sera tout seul par rapport à son employeur. Alors je crois qu'il faut des protections collectives, notamment dans les branches, il faut des conventions collectives qui font que le salarié ne se trouve pas tout seul et démuni. C'est pour ça que nous proposons une grande négociation sur les parcours professionnels, ce que nous appelons la sécurité sociale professionnelle qui ne sera pas décrétée, mais qui sera négociée et qui j'espère fera l'objet d'un accord entre les partenaires sociaux avec la garantie de l'Etat.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 9 mars 2009