Entretien de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, avec le quotidien chinois "Wen Hui Bao", notamment sur la coopération militaire franco-chinoises, la question du nucléaire iranien et sur les relations franco-américaines, à Pékin le 19 mars 2007.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déplacement au Japon, en République de Corée et en Chine, du 15 au 19 mars 2007

Média : Le Quotidien de Shanghaï Wen Hui Bao - Wen Hui Bao

Texte intégral

Q - Depuis l'établissement du "partenariat global de long terme pour le XXIème siècle" entre la France et la Chine en 1997, comment décririez-vous les relations militaires actuelles entre les deux pays ? En êtes-vous satisfaite ? Et quelles sont les perspectives de ces coopérations dans le contexte de l'élection présidentielle française ?
R - La coopération militaire entre la France et la Chine ne cesse de s'amplifier tant par la volonté française que chinoise. Elle se caractérise par des échanges de haut niveau entre chefs d'état-major, par l'amplification de notre coopération technique et par la qualité de nos consultations stratégiques.
L'objectif de la relation militaire franco-chinoise est de bâtir une relation de confiance qui se nourrit aujourd'hui de ces contacts à haut niveau mais également sur le plan opérationnel par le développement de formations et d'exercices communs. Il existe, sans conteste, une grande facilité de dialogue entre nos deux pays.
Le partenariat entre la France et la Chine repose sur un esprit de responsabilité collective que nous développons dans le cadre de notre partenariat stratégique global et que nous portons ensemble dans les enceintes internationales. Je voudrais, à cet égard, saluer l'engagement de la Chine dans le cadre de la FINUL renforcée.
Notre dialogue doit encore se développer, sur les opérations de maintien de la paix, sur la mise en oeuvre du programme RECAMP et, plus généralement, sur la coopération et le développement en faveur de l'Afrique.
Q - On sait que vous voyagez beaucoup dans le monde entier. Et en Chine aussi. Quel est le but de cette visite en Chine ? Avez-vous un message du candidat présidentiel de l'UMP à passer aux autorités chinoises ?
R - Comme je vous l'ai dit précédemment, je suis intimement persuadée que les efforts accomplis par nos deux pays ont permis d'établir un véritable modèle de relation de partenariat stratégique. Des relations bilatérales ne peuvent se développer que si elles se font dans un climat de confiance et de respect mutuel. De même, il est important de multiplier les échanges. C'est pourquoi je souhaite encourager les relations franco-chinoises en matière de Défense. J'ai toutes les raisons de penser que ces relations se poursuivront à venir.
Q - Nous savons tous que le président Chirac demande à ses partenaires européens la fin de l'embargo des armes contre la Chine, et vous-même avez exprimé à plusieurs reprises la même position. Où en sommes-nous sur ce dossier aujourd'hui ? Si, comme certains l'ont prévu, la levée de l'embargo était peu probable pendant les six prochains mois, estimez-vous que le nouveau président français, élu en mai, maintiendra la même position que le président Chirac ?
R - Effectivement, la France plaide, au sein de l'Union européenne, pour que cet embargo, qu'elle considère comme anachronique, soit levé. Il ne correspond ni à la réalité des relations entre l'Union européenne et la Chine, ni à celle du partenariat stratégique que nous sommes en train de bâtir. Il convient donc de continuer à travailler sur ce sujet avec nos partenaires européens, dans l'esprit des conclusions du Conseil européen de décembre 2004.
Le sujet demeure, plus que jamais, à l'ordre du jour. Cette position a été réitérée par les conclusions de la présidence du Conseil européen de décembre 2006. Le Conseil européen a alors invité la présidence allemande à faire avancer les travaux relatifs à une stratégie de l'Union européenne à l'égard de l'Asie centrale en vue de son adoption lors du Conseil européen de juin 2007.
Vous le constatez, cette question, grâce aux efforts de la France, dépasse désormais le contexte électoral français.
Q - La crise nucléaire iranienne est actuellement au centre des discutions internationales. Les six pays et l'Iran étudient et modifient à tout moment leur position pour essayer d'en sortir. Pourriez-vous nous éclaircir la position aujourd'hui de la France sur cette crise ? Et y a-t-il une coopération stratégique entre nos deux pays "de partenariat global" ? Si les Etats-Unis attaquaient l'Iran, comme beaucoup de spécialistes le prévoient, quelle sera la position de la France à votre avis ?
R - Le rapport du directeur général de l'AIEA, présenté devant le Conseil des gouverneurs de l'Agence et transmis aux 15 membres du Conseil de sécurité des Nations unies le 22 février 2007, a fait le constat que l'Iran ne remplissait pas les obligations qui lui avaient été fixées par la communauté internationale.
Des réunions et des contacts entre les six pays ont débuté dès le 26 février pour déterminer les prochaines étapes du processus.
La France considère qu'une nouvelle résolution doit être mise au point. Elle doit s'inscrire dans la logique de la résolution 1737 votée, à l'unanimité, le 23 décembre 2006, et doit demeurer fondée sur l'article 41 de la Charte des Nations unies qui ne prévoit pas le recours à la force. Il n'y a d'ailleurs aucun élément dans l'attitude américaine - les Etats-Unis participent activement aux réunions - qui nous laisse penser qu'une option militaire est envisagée. Notre position sur cette question est bien connue : la France écarte toute solution militaire.
Au contraire, il nous faut continuer à oeuvrer dans le sens d'une solution politique et diplomatique. Pour la France, il est indispensable que la communauté internationale maintienne son unité et sa fermeté. En effet, nous avons pu constater que, pour la première fois, les sanctions décidées et appliquées dans le cadre de la résolution 1737 ont généré en Iran un débat très important sur le bien-fondé du discours radical du président Ahmadinejad et des interrogations, au plus haut niveau, sur le coût d'une confrontation avec la communauté internationale. La Chine, en sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, a donc un rôle essentiel à jouer pour contribuer au maintien de l'unité de la communauté internationale.
En même temps, à côté de la fermeté, il faut aussi laisser ouverte la voie du dialogue, de la main tendue selon le principe de la double suspension : si les Iraniens suspendent leurs activités nucléaires sensibles, alors la communauté internationale pourra suspendre ses sanctions.
Q - La France est contre la guerre de l'Irak, et cela a suscité une "mini-crise" entre Paris et Washington pendant une courte période. Mais on se demande toujours si les divergences révélées par cette crise (la vision du monde : unipolaire ou multipolaire ; la façon de résoudre les problèmes mondiaux : unilatéralisme militaire ou coopération multilatérale ; l'environnement : attitude sur le traité de Kyoto, etc.) existent toujours ? Comment jugez-vous les relations entre les deux pays ?
R - La relation entre les Etats-Unis et la France repose sur une histoire commune. Elle est beaucoup plus dense qu'on ne l'imagine et s'est approfondie ces dernières années, malgré nos profondes divergences sur l'Irak.
La France a réaffirmé à maintes reprises qu'il ne pouvait y avoir de solution militaire en Irak. Nous constatons d'ailleurs que cette question suscite un vrai débat tant aux Etats-Unis qu'au Royaume-Uni.
Dans de nombreux domaines, la coopération entre les Etats-Unis et la France est exemplaire : qu'il s'agisse de la lutte contre le terrorisme, contre la prolifération ou des solutions que nous tentons, ensemble, d'apporter, à plusieurs crises ou conflits régionaux (Afghanistan, Haïti, Balkans, Côte d'Ivoire, Liban/Syrie). Nous travaillons ensemble, sur le terrain.
Sur l'Irak, la Communauté internationale s'est d'ailleurs retrouvée dans le cadre du processus politique fixé par la résolution 1546 et devrait manifester son soutien à l'Irak lors de la Conférence internationale en cours de préparation et dont la première étape aura lieu à Bagdad le 10 mars prochain. L'objectif de la communauté internationale doit être clairement celui du rétablissement de la pleine souveraineté de ce pays.
Au-delà, je vous dirai que les grands débats ne se résument pas à des problèmes bilatéraux entre les Etats-Unis et la France, mais sont des sujets à propos desquels l'Europe, comme bien d'autres pays dans le monde, aspirent à ce que les Etats-Unis s'engagent davantage sur la voie du multilatéralisme. C'est vrai par exemple du Protocole de Kyoto, de la Cour Pénale Internationale ou des questions du développement et de l'environnement.
Sur ces sujets, les différences d'appréciation ne sont pas des sujets d'affrontement, à condition qu'elles soient abordées en gardant à l'esprit la solidarité fondamentale qui nous rassemble et la volonté de trouver, par un dialogue amical et respectueux, des voies communes.
Q - L'Otan est entré dans une phase déterminante pour sa réforme. On se demande dans le monde, même en Asie, si son futur rôle devrait être politique et mondial, ou rester toujours comme un organe de défense européenne. Comment décrivez-vous votre nouvelle doctrine qui doit diriger l'orientation de sa réforme ?
R - Par l'ancienneté de son action dans le domaine de la sécurité et par sa composition, qui permettent de bénéficier des capacités militaires des Etats-Unis, l'OTAN demeure la garantie de protection ultime en cas d'attaque massive contre ses membres, tout en constituant également une réponse pertinente aux défis du contexte stratégique actuel, grâce à sa capacité d'action extérieure, quels que soient par ailleurs les progrès indéniables de la politique européenne de sécurité et de défense.
La France est aujourd'hui un membre important de l'OTAN, y compris en ce qui concerne les opérations en Afghanistan et au Kosovo.
Sur la nature de l'Alliance atlantique et sur les principes politiques devant orienter son action, la France considère que l'OTAN doit fondamentalement demeurer centrée sur sa fonction d'alliance militaire. De récentes expériences ont prouvé qu'elle n'était pas pleinement adaptée à une gamme de missions plus large, comme l'assistance humanitaire ou des opérations de reconstruction.
L'OTAN ne doit pas se substituer à d'autres organisations, qui ont clairement des compétences dans le domaine civil, ni prétendre concurrencer l'ONU, alors qu'elle n'en a pas la légitimité. S'agissant d'un élargissement de l'Alliance à des pays situés hors de la zone euro-atlantique, la France a toujours mis en garde contre les risques d'une organisation de sécurité qui s'érigerait en représentante des valeurs du monde occidental et qui ne pourrait que susciter des réactions négatives de la part d'autres pays, notamment dans le monde arabo-musulman.
En revanche, nous considérons que la contribution de certains pays alliés à des opérations de l'OTAN est envisageable et souhaitable au cas par cas.
Q - La présence militaire française en Afghanistan est-elle, selon vous, encore nécessaire aujourd'hui ? Pourquoi et quels sont ses rôles principaux ? Confirmez-vous les informations dans la presse selon lesquelles la principale tâche des troupes spéciales françaises, est de rattraper Ben Laden ? Pourquoi n'arrive-t-on toujours pas à l'arrêter ?
R - La France consent un effort militaire important en Afghanistan. Elle assure actuellement le commandement de la région de Kaboul. Au total, 2.000 militaires participent aux opérations menées en Afghanistan.
Cependant, sur le long terme, il ne peut y avoir de solution purement militaire en Afghanistan. La FIAS est une force de stabilisation, en appui des autorités afghanes, qui doit favoriser l'effort de reconstruction. Au-delà même de la force militaire, une amélioration rapide des conditions de vie des populations est indispensable. Il me paraît également essentiel de concentrer nos efforts sur les problèmes de drogue qui existent en Afghanistan en contribuant au financement de cultures de substitution.
Il y a encore beaucoup à faire pour améliorer la coordination de la stratégie d'ensemble, civile et militaire, de la communauté internationale.
La France a décidé, début 2007, le retrait de ses forces spéciales d'Afghanistan. Ce retrait se fait au profit d'un soutien accru à la formation de l'armée afghane.
Les Forces spéciales ont largement contribué à la lutte contre le terrorisme. Elles ont accompli efficacement et courageusement leur mission.
Q - Depuis le "non" au référendum sur le projet de constitution européenne, l'Union européenne est en panne. Estimez-vous toujours que la défense commune des Européens soit possible dans le contexte actuel ?
R - L'Europe, c'est le progrès constant de la paix et de la démocratie. C'est l'histoire de crises toujours surmontées et dépassées. Ceci n'a pas été remis en question par le "non" au référendum qui nous incite au contraire à repenser le projet européen pour restaurer le lien de confiance entre l'Europe et ses citoyens.
Nous y travaillons dans trois directions : d'abord l'Europe des projets, pour que les Européens voient une Europe concrète et engagée sur les grandes questions d'avenir : l'énergie, la recherche et l'innovation, l'immigration ; ensuite la construction d'une Europe politique forte, capable d'assumer ses responsabilités internationales au service de la paix et qui constitue un élément essentiel de l'équilibre mondial ; enfin, la réforme des institutions, indispensables dans une Europe à vingt-sept. Cette ambition, la France continue à l'incarner comme le montre son engagement. Nous y travaillons avec l'Allemagne et nos partenaires afin d'obtenir des résultats dès 2007 - 2008.
L'Europe de la Défense est le domaine qui obtient le plus de soutiens à travers l'Union européenne. Elle doit contribuer à raviver la confiance et l'action en Europe. La politique européenne de sécurité et de défense a acquis une crédibilité opérationnelle indéniable grâce à ses interventions en Macédoine, en République démocratique du Congo et en Bosnie. Elle s'est dotée d'instruments opérationnels qui vont lui permettre d'accroître ses capacités à mener de futures opérations au-delà de l'Europe. Il nous faut valoriser cet élan. Le besoin de sécurité, l'envie de paix sur notre continent, sont à l'origine de la création de l'Union européenne. L'Europe de la Défense les fait avancer.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 mars 2007