Texte intégral
Q - Il y a quelques jours, vous affirmiez « bien sentir » cette campagne. Aujourd'hui, les sondages semblent indiquer un resserrement entre vous et Ségolène ROYAL. Comment « sentez-vous » la campagne aujourd'hui ?
R - J'ai toujours pensé que le scrutin serait très serré et que la campagne serait difficile. C'est souhaitable du reste qu'il y ait une vraie campagne car le précédent de 2002 ne doit surtout pas se reproduire. Les Français doivent pouvoir débattre librement sur des projets distincts ; faute de quoi la légitimité de l'action qui suivra sera toujours contestée. La leçon numéro un que l'on peut d'ores et déjà tirer de cette campagne, c'est qu'elle passionne les Français. Au moins, la démocratie en sort grandie.
Q - Vous souhaitez encourager et simplifier le recours aux heures supplémentaires. N'est-ce pas prendre le risque de nuire à l'embauche ?
R - Bien au contraire. Il faut mettre du carburant dans l'économie française et ce carburant, c'est le travail. En permettant à ceux qui ont un travail de travailler plus pour gagner davantage, nous allons libérer du pouvoir d'achat. 165 euros de plus par mois pour un salarié rémunéré au SMIC travaillant 50 mn de plus par jour, 220 euros pour un salarié rémunéré 1 300 euros, ce n'est pas rien. Ce surplus de consommation va stimuler l'activité, augmenter la croissance et, au final, créer de l'emploi. En réalité, ce que cette mesure va montrer, c'est que l'activité des uns crée le travail des autres. Il faut en finir avec le partage du travail, qui est une idée folle dont nous avons la démonstration depuis 25 ans qu'elle ne marche pas.
Q - Pensez-vous qu'il soit inévitable de reculer l'âge du départ à la retraite ?Si oui, dans quelles proportions ?
R - La loi Fillon de 2003 prévoit qu'entre 2009 et 2012, le nombre d'annuités requises pour avoir une retraite à taux plein passera de 40 à 41. Si nous respectons ce calendrier, qui me paraît raisonnable compte tenu de l'allongement de la durée de la vie, et si nous atteignons le plein emploi avant 2015, ce qui me paraît plus qu'amplement possible, l'équilibre des régimes de retraite est assuré au moins jusqu'en 2020. La priorité doit être d'atteindre le plein emploi le plus tôt possible. En revanche, l'équité commande que les régimes spéciaux de retraite soient réformés en 2008 pour tenir compte, eux aussi, de l'allongement de la durée de la vie. Naturellement, nous le ferons de manière concertée. Grâce aux économies dégagées, nous augmenterons les petites retraites et les pensions de réversion.
Q - Pouvez-vous préciser votre position sur le contrat de travail unique : y êtes-vous toujours favorable ? Serait-ce un contrat calqué sur le C.N.E. ?
R - Le contrat de travail unique est une nécessité. Il sera plus souple pour les entreprises, qui embaucheront plus vite. Il sera plus sécurisant pour les salariés, car il sera à durée indéterminée dans tous les cas de figure. Le CNE a fait les preuves de son efficacité (800 000 contrats signés), mais il présente aussi des inconvénients. Le contrat unique sera donc très différent du CNE. La période d'essai sera la même ou quasiment la même que celle du CDI. Elle ne sera donc pas de deux ans comme avec le CNE. Par ailleurs, le licenciement devra reposer, comme aujourd'hui pour le CDI, sur une cause réelle et sérieuse et devra être motivé. En revanche, à la différence du CDI, les pénalités en cas de licenciement abusif seront plafonnées pour le contrat unique et les risques de contentieux moins nombreux.
Q - Certains veulent revenir sur les 35 heures, le MEDEF réclame tout simplement l'abolition de la durée légale du travail. Quelle est votre position à ce sujet ?
R - Les 35 heures sont un acquis social pour un grand nombre de nos concitoyens. Je le respecte comme tel. Ce qui est en revanche l'inverse d'un acquis social, c'est d'empêcher ceux qui le souhaitent de travailler plus pour gagner davantage. Voilà pourquoi je propose de rémunérer 25% de plus toutes les heures supplémentaires, quelle que soit la taille de l'entreprise, et de les exonérer de toute charge sociale et fiscale. Moins chères pour les entreprises, elles seront plus payantes pour les salariés et compenseront le gel des salaires entraîné par les 35 heures.
Q - Envisagez-vous de réduire les charges payées par les entreprises ?
R - C'est indispensable. A l'heure où la circulation des capitaux est quasiment totale, notre fiscalité ne peut pas continuer à être plus dissuasive que celle des autres pays. La priorité est de réduire la fiscalité qui pèse sur le travail en la transférant notamment sur la fiscalité écologique, que je veux doubler. Je veux aussi aligner le taux de l'impôt sur les sociétés sur la moyenne des pays de l'Union européenne et réformer la taxe professionnelle tout en maintenant le principe d'un impôt local pour les entreprises.
Q - Vous avez pris position sur le droit de grève et le service minimum. Ne craignez-vous pas de « braquer » les syndicats et, à travers eux, l'électorat ouvrier ?
R - Je crois que ce qui braque l'électorat ouvrier, c'est la dévalorisation du travail telle qu'elle a été méticuleusement mise en oeuvre depuis 25 ans, et plus particulièrement depuis les 35 heures qui ont gelé les salaires sans créer d'emplois. Je ne me suis jamais senti autant en phase avec mes compatriotes qu'en allant dans les usines, au contact du monde ouvrier. Responsable politique ou ouvrier, employé ou cadre, agriculteur ou commerçant, enseignant ou infirmière, c'est la même communion dans l'ardeur, dans l'engagement, dans la satisfaction de la mission accomplie, dès lors qu'on y met le goût de l'effort et du travail. Voilà pourquoi j'ai mis le travail au coeur de mon projet présidentiel. La France traverse une crise morale du travail, créée par le nivellement, l'égalitarisme, l'assistanat. L'urgence est de valoriser à nouveau l'effort, le mérite, la prise de risque.
Q - Les universités sont dans une situation dramatique. Quelles seraient les actions prioritaires à mettre en oeuvre dans ce domaine ?
R - Nos universités rencontrent trois problèmes. D'abord, le manque de moyens, qui les empêche de donner les meilleures conditions de travail à nos enseignants et à nos chercheurs et d'attirer les meilleurs talents étrangers ; ensuite, l'insuffisance de l'orientation des étudiants qui conduit des dizaines de milliers de jeunes à s'inscrire dans des filières qu'ils n'ont aucune chance de réussir ; enfin, l'absence d'autonomie des universités qui les empêche de choisir les filières les plus en phase avec les besoins de la société et de l'économie et de se battre avec les mêmes armes que les autres dans la compétition mondiale des établissements d'enseignement supérieur. Si je suis élu président de la République, la réforme de l'enseignement supérieur sera une priorité majeure. J'augmenterai de 50% le budget de l'enseignement supérieur au cours du quinquennat. Dès l'autonome 2007, je proposerai aux universités volontaires un statut d'autonomie. Elles pourront choisir leurs filières, choisir leurs enseignants et les rémunérer comme elles l'entendent, utiliser leur patrimoine, passer des partenariats avec des entreprises. Elles auront plus de liberté et seront donc plus à même de rivaliser avec leurs concurrentes étrangères. Les universités qui auront choisi ce statut d'autonomie bénéficieront de moyens renforcés. Enfin, je considère qu'il est de la responsabilité de l'Etat de cesser de laisser des jeunes s'engouffrer dans des filières dans lesquelles ils n'ont aucune chance de réussir ou d'aboutir à un emploi. Chaque filière universitaire devra faire la preuve de ses capacités à conduire ses étudiants vers l'emploi, et le financement public des filières dépendra du résultat de ces évaluations. Dans le courant de leur année de terminale, les jeunes recevront des informations précises sur les filières qu'ils veulent entreprendre afin d'être incités à choisir une voie dans laquelle ils ont des chances de réussir et une quasi certitude d'obtenir un emploi.
Q - Votre programme est ambitieux, mais pensez-vous que la France a les moyens économiques de vos ambitions ?
R - Evidemment. Mon programme n'est nullement coûteux. Il consiste à réorienter 5% de dépenses publiques actuellement inutiles vers des dépenses d'avenir. Qui peut croire que les pouvoirs publics n'ont pas une marge de 5% d'économies aisément réalisables pour financer les vraies priorités qui construiront l'avenir de notre pays ?
Q - Craignez-vous la possibilité d'une alliance PS-UDF ?
R - Mon rôle n'est pas de craindre telle ou telle configuration politique. Il est de convaincre les Français que dans un monde qui bouge de plus en plus vite, la France doit changer de rythme. La France doit entreprendre les réformes dont elle a besoin, sans en avoir peur, car c'est à cette condition qu'elle restera la France de toujours, celle que nous aimons. Or, à supposer que l'alliance PS-UDF puisse se faire à l'avantage de calculs électoraux temporaires, elle condamnerait notre pays à l'immobilisme. Sur des sujets tels que les 35 heures, l'augmentation du SMIC, ou les droits de succession, le PS et l'UDF n'ont aucun point d'accord. Ils ne peuvent donc pas gouverner ensemble au-delà d'une alliance de façade qui durerait quelques semaines. Voilà pourquoi je combats cette perspective : parce qu'elle est exactement ce dont la France, à mes yeux, n'a pas besoin.
Q - Comment gérez-vous le fait d'être probablement à la fois le candidat le plus aimé et le plus détesté des français ?
R - Si ce que vous dites est vrai, c'est que je suis celui qui laisse le moins indifférent ; disons que je m'efforce de ramener une partie de cette attention vers la spécificité de mon projet.
Q - Besançon, capitale régionale, peine à attirer les grandes entreprises. Quelles solutions pourriez-vous apporter pour favoriser le développement de ces villes qui sont à la fois capitales régionales et villes moyennes ?
R - Je suis persuadé qu'il faut s'engager sans état d'âme dans les politiques nécessaires pour préserver l'équilibre de nos capitales régionales. La France est un vaste pays, composé de territoires différents. Si nous ne veillons pas aujourd'hui à leur développement harmonieux, ce sont nos grandes métropoles qui en souffriront demain. Plusieurs atouts sont à mobiliser. L'Europe, d'abord, qui permet de créer des solidarités, des réseaux, des zones d'influence entre métropoles régionales par-delà les frontières. Les transports, ensuite. Nous devons aller vers des transports plus propres, notamment routiers grâce à la recherche d'énergies propres dans le domaine des transports, mais leur développement est indispensable à notre vitalité économique et à notre équilibre territorial. Les pôles de compétitivité, enfin, qui permettent de créer de l'intelligence, de la science, de l'économie de la connaissance en de multiples points du territoire.
source http://www.u-m-p.org, le 20 mars 2007