Texte intégral
Q - Madame Girardin, ne dit-on pas les choses telles qu'elles sont lorsque l'on indique que l'on a l'impression qu'entre Ivoiriens, l'on s'entend plutôt rapidement en quelques semaines, alors que quatre ans d'efforts intensifs, auxquels vous avez beaucoup participé, semblaient n'avoir rien résolu ?
R - C'est précisément l'aboutissement de nos efforts et je n'ai cessé de dire que l'on n'aurait jamais de sortie de crise en Côte d'Ivoire si les Ivoiriens ne prenaient pas en charge eux-mêmes leur destin.
Nous ne sommes pas là, la communauté internationale n'est pas là pour faire le travail à leur place, pour se substituer à eux, nous sommes là pour faciliter la mise en oeuvre d'un processus électoral devant aboutir à des élections démocratiques. Tout ce que nous avons fait notamment depuis près de deux ans, avec deux résolutions des Nations unies, qu'était-ce ? C'était mettre à la disposition des Ivoiriens des solutions, des outils en quelque sorte.
Q - Mais, cela n'a pas fonctionné ?
R - Nous avons essayé de faire pression sur eux, de leur expliquer que leur intérêt était de mettre en place cette Feuille de route que nous leur proposions.
Il a fallu une pression internationale, notamment la pression du président burkinabé et du président de l'Union africaine. Nous avons eu la chance d'avoir deux chefs d'Etats africains, particulièrement impliqués et bons connaisseurs du dossier, qui ont aidé les Ivoiriens à s'approprier les mesures préconisées par la communauté internationale.
Q - Mais cela ne veut pas dire qu'une fois pour toute, l'Afrique peut s'en sortir toute seule, qu'elle n'a pas forcément besoin que l'on soit toujours là. On sait que les relations ne sont pas bonnes avec le président Gbagbo et le président Chirac, c'est une anecdote, mais n'a-t-on pas pourri la situation en quelque sorte ?
R - Non. Tout d'abord, d'où viennent toutes ces résolutions des Nations unies ? Elles viennent des Africains. Ce n'est pas à New York que l'on décide de la manière dont la paix doit être organisée en Côte d'Ivoire. Le point de départ de toutes les résolutions des Nations unies au Conseil de sécurité, c'est la CEDEAO, l'Afrique occidentale qui transmet ensuite le projet de résolution à l'Union africaine qui à son tour le transmet à New York.
Quand la décision arrive à New York, le Conseil de sécurité entérine les décisions des Africains. Lorsque l'on parle de la communauté internationale, c'est avant tout la communauté africaine et tout le processus de paix qui a été imaginé par la communauté internationale a été proposé par les Africains et la France soutient les Africains qui s'impliquent dans ce dossier. Nous jouons évidemment là un rôle important car je rappelle qu'avec nos forces, sous mandat de l'ONU, nous avons pu éviter, au cours des deux dernières années, des massacres, une guerre civile et nous avons, au cours de toutes ces réunions, essayé de proposer des mesures. Aujourd'hui, les Ivoiriens s' approprient ces mesures.
Je dirai alors que c'était l'objectif que nous avions et nous sommes très heureux de voir que les Ivoiriens sont d'accord pour mettre en oeuvre cette résolution des Nations unies. L'Accord de Ouagadougou - lisez-le - c'est la mise en oeuvre de cette résolution avec des modalités pratiques et nous sommes vraiment satisfaits de voir que les deux axes belligérants sont enfin d'accord, qu'ils ont enfin retrouvé un minimum de confiance entre eux, pour mettre en oeuvre ce que la communauté internationale a préparé.
Q - Vous disiez ce matin que le désengagement de la communauté internationale pouvait commencer rapidement. Cela veut-il dire que les soldats français sont pressés de partir et dans quel délai ?
R - Cet accord prévoit, ainsi que vous venez de le dire, la suppression de la zone de confiance. Les forces de l'ONU étaient principalement situées dans cette zone. Cela veut donc dire que l'ONU va revoir le mandat de ses forces et l'Accord de Ouagadougou prévoit aussi une diminution de ces forces internationales.
Nous allons donc voir, dans le cadre de l'ONU, comment ce désengagement va s'opérer. Il n'est pas question pour nous, et ceci est clair, de prendre une décision unilatérale. Nous sommes là-bas sous mandat de l'ONU et c'est dans ce cadre que nous allons en discuter pour, en effet, tenir compte de cet accord qui vient d'intervenir.
Q - Et Laurent Gbagbo qui, malgré tout, reste au pouvoir, cet état de fait reste-t-il "en travers de la gorge" de la France ?
R - Laurent Gbagbo est au pouvoir par la volonté de la communauté internationale et c'est la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.
Q - Oui, mais il a promis des élections qui ne sont jamais arrivées, il reste au pouvoir de mois en mois, d'année en année.
R - Pourquoi ces élections n'ont-elles pas eu lieu ? Parce qu'il y a un tel blocage entre les partenaires ivoiriens qu'ils ne parvenaient pas à mettre en place la feuille de route que nous avons prévue dans le cadre de cette résolution. A partir du moment où les choses semblent se débloquer - et nous espérions depuis longtemps que ce dialogue entre les deux belligérants puisse aboutir à cette mise en oeuvre du processus électoral -, nous espérons que, maintenant, la voie est ouverte pour que des élections démocratiques puissent se tenir, le plus rapidement possible, je l'espère d'ici à la fin de l'année.
Q - Guillaume Soro, Premier ministre ?
R - C'est à la médiation du président Compaoré de voir comment les choses peuvent se mettre en place dans ce qu'ils ont appelé un nouveau cadre institutionnel.
Q - Serait-on pour à Paris ?
R - Paris n'a pas à intervenir dans ce type de décisions. L'accord parle d'un nouveau gouvernement et ne parle pas d'un nouveau Premier ministre.
Q - Au dernier Sommet Afrique-France où ITélé était présente, le président de la République avait promis, parce qu'on lui pose toujours la question, que la France-Afrique, cette alliance officieuse entre Paris et certains chefs d'Etats, c'était définitivement fini mais que les accords de défense seraient toujours appliqués.
Les rebelles ont-ils raison de dire à la France de se mêler de ses affaires, lorsqu'on nous accuse de soutenir le régime de M. Bozizé ?
R - Non, je crois que nous appliquons tout simplement des accords que nous avons passés avec un certain nombre de pays africains selon les termes desquels nous respectons des accords multilatéraux.
Q - Ce n'est pas l'incarnation de la France en Afrique ?
R - Non pas du tout, ceci est une vision complètement dépassée. La France-Afrique n'existe plus depuis longtemps.
Q - Mais l'armée française est là-bas ?
R - Elle est là-bas parce qu'il y a des accords de défense, des accords de coopération, des accords militaires avec certains pays africains et s'agissant de la République centrafricaine comme du Tchad, vous voyez bien que ces deux pays sont actuellement très fragilisés en raison de la crise du Darfour et il est hors de question de prendre le risque en ne respectant pas nos engagements, de déstabiliser toute cette région. Ce qui serait vraiment très grave y compris pour la République démocratique du Congo qui est en passe de sortir de plusieurs années de guerre civile et de difficultés.
Vraiment, il faut voir ces problèmes, aussi bien au Tchad qu'en Centrafrique à la lumière de la crise du Darfour et au risque d'une grande déstabilisation de toute la région. Et il est, je crois, de l'intérêt de tout le monde de l'éviter.
Q - Vous répondez en fait à la question que j'allais vous poser. Vous le disiez, Centrafrique, Tchad, Soudan, nous sommes en plein dans le coeur du cyclone du Darfour, cette guerre qui déstabilise toute la région. Nous avons reçu des images envoyées par les télévisions turques qui montrent éternellement ces camps de réfugiés. Je le rappelle, au moins 300.000 morts, deux millions et demi de déplacés, le Secrétaire général de l'ONU a encore appelé au déploiement d'une force internationale et le Tchad l'a rejetée. Au dernier Sommet Afrique-France, le président de la République avait arraché un accord au président Béchir, accord qui n'est pas appliqué pour l'instant n'est-ce pas ?
R - C'est un sujet très compliqué, il faut effectivement que toutes les énergies se mobilisent pour régler ce problème du Darfour qui est vraiment une source de grande déstabilisation pour toute l'Afrique.
Q - Mais on n'entend pas la voix de la France sur ce drame humanitaire, nous avons entendu M. Kouchner disant qu'il fallait absolument ouvrir un corridor humanitaire. C'est quand même un silence assourdissant face à cette crise ?
R - Je n'ai pas le sentiment que nous soyons silencieux, Philippe Douste-Blazy s'est rendu plusieurs fois au Darfour. Il est très présent sur ce dossier et nous ne cessons de dire que, ce qui nous paraît très grave, c'est que les organisations humanitaires commencent à ne plus pouvoir travailler dans cette zone et l'on sait à quel point ces ONG sont prêtes à rester, même dans les situations les plus dramatiques. Si aujourd'hui, elles commencent à s'en aller, c'est que vraiment, la situation est particulièrement grave.
Q - Un mot sur la Guinée, vous êtes allée, il y a quelques jours, jeudi après-midi, pour rencontrer le nouveau Premier ministre.
R - En effet, j'y suis restée quelques heures seulement pour rencontrer le nouveau Premier ministre que je connais bien.
Q - Il a été nommé ou imposé, selon l'analyse, à Lansana Conté pour calmer la crise. Cela suffira-t-il pour résoudre les affrontements très tendus et meurtriers qui se sont déroulés, un peu sous silence en Guinée Conakry depuis le mois de janvier ?
R - En effet, je suis passée en Guinée, quelques heures entre Ouagadougou et Abidjan, afin de venir soutenir le gouvernement de Lansana Kouyaté qui est un homme de consensus et qui a suscité tout de suite l'adhésion populaire.
Je peux vous assurer qu'en Guinée, la grève est maintenant suspendue. Il y a des manifestations de liesse à l'égard de cet homme qui est un diplomate chevronné et qui est vraiment l'homme de consensus que les Guinéens attendaient. Je crois vraiment que c'est quelque chose de très positif et la France a souhaité manifester tout de suite sa solidarité avec les Guinéens en apportant évidemment un soutien financier d'urgence.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 mars 2007