Texte intégral
F. Hollande, bienvenue, bonjour.
Bonjour.
Q- La campagne prend une nouvelle tournure, plus offensive pour tous. S. Royal a dit hier qu'elle craignait, je la cite : « un trop gros risque de dispersion des F voix le 22 avril. » Vous le répétez aussi, J.-M. Ayrault aussi. Est-ce que cette hantise de 2002 est vraiment sincère ?
R- Oui, parce que le souvenir est cruel. Souvenez-vous ! 21 avril, la gauche n'est pas qualifiée, il faut voter contre l'extrême droite et pour notre adversaire dans la République. Ecoutez ! Franchement, ça mérite qu'on y revienne ! Mais il ne s'agit pas aujourd'hui dans une élection présidentielle de cette importance, de faire valoir la peur. Ce qu'il faut, c'est de proposer un vote utile pour changer le pays.
Q- Mais le vote utile est-ce que ce n'est pas un vote de la peur ?
R- Et c'est ce que S. Royal doit créer dans le pays, c'est un vote d'espérance, un vote de changement. Pourquoi voter ? Ce n'est pas simplement pour écarter un danger, pour rejeter celui-ci, pour empêcher celui-là. C'est de faire en sorte que la prochaine présidente de la République puisse, sur l'emploi, sur la protection sociale, sur la vie chère, apporter des changements quotidiens.
Q- Mais comment faire avec sur 12 candidats, 7 de gauche et dont vous avez dit vous-même, 3 trotskistes ? Est-ce que l'appel au vote utile, c'est le meilleur argument ?
R- Je pense qu'il faut savoir pourquoi on participe à une élection présidentielle. Est-ce que c'est simplement pour faire entendre son message, sa différence, et puis disparaître...
Q- Et pourquoi pas !
R- ...Et puis disparaître au soir du premier tour, en considérant qu'on a eu un beau débat, une grande discussion, une grande délibération collective, ou est-ce que c'est choisir le prochain chef de l'Etat et donc le visage de la France, et donc l'avenir de notre pays pour les cinq ans qui viennent.
Q- Ça, vous le dites au...
R- Je considère que pour la gauche, au sens le plus large du terme, mais au-delà de la gauche, je considère que nous avons à faire un choix, là, pour que cette élection présidentielle soit véritablement utile, c'est elle qui doit être utile pour notre pays, il faut qu'il y ait un choix clair entre deux projets de société.
Q- Quelques précisions, F. Hollande. Selon une rumeur, le PS aurait aidé J. Bové à obtenir ses dernières 500 signatures ?
R- J'avais posé une règle : que les élus socialistes ne parrainent que la candidate
socialiste. Cette règle a été respectée, mais...
Q- Vous en êtes sûr ?
R- ...Je n'ai rien empêché, que des élus contrairement à tout ce qui a été dit, Divers gauche, puissent donner leur parrainage. C'était leur responsabilité et leur liberté. Il n'y a eu aucune pression. Maintenant, moi, je ne me satisfais pas qu'il y ait 12 candidats. Il y en avait 16 la dernière fois, on dira que c'est un progrès. Je considère que 12 c'est trop, mais maintenant, écoutez franchement, le débat est ouvert, chacun doit faire entendre sa position et sa conception de la politique.
Q- Au passage, est-ce que c'est un hasard ? J. Bové a annoncé dès sa première déclaration en Gironde, qu'il soutiendra au deuxième tour, le candidat le mieux placé à gauche ? Il n'y a qu'à suivre son regard ?
R- Mais il l'avait déjà dit.
Q- C'est gagnant-gagnant ?
R- Il n'a pas eu besoin d'être candidat à l'élection présidentielle pour dire cette formule simple, que si l'on veut battre la droite, que si l'on veut une politique de gauche, mieux vaut qu'il y ait, en l'occurrence une candidature de gauche au second tour, et deuxièmement, que l'on vote tous au second tour pour le candidat de gauche le mieux placé. C'est de principe, qu'on appelle le désistement républicain.
Q- Est-ce vous qui avez suggéré à S. Royal l'idée de la 6ème République ?
R- C'est elle, elle l'a dit elle-même, elle veut être dans cette campagne en liberté. Nous, nous avions dit « République nouvelle », elle va jusqu'au bout. Elle dit si on veut changer la manière de faire de la politique, si on veut ériger le principe de responsabilité au coeur de la République, et je crois que c'est une nécessité aujourd'hui, on ne peut plus avoir un chef de l'Etat qui n'est responsable de rien. Donc c'est elle qui a voulu que cette République nouvelle soit une forme de 6ème République, parce que quand on met le principe de responsabilité pour le chef de l'Etat, qu'on renforce les droits du Parlement, que l'on introduit une part du proportionnelle...
Q- On affaiblit le président de la République.
R- ...Qu'on limite le cumul des mandats avec le mandat unique pour les parlementaires, qu'on permette qu'il y ait une démocratie participative, qu'on fasse en sorte qu'il y ait une démocratie sociale, avec des syndicats représentatifs et des accords majoritaires qui puissent être passés dans les entreprises. Oui, c'est vrai que ça change la décision...
Q- Donc ce matin, F. Hollande, le PS suit cette promesse de changer la Constitution et d'arriver à passer de la 5ème à la 6ème République. Mais la proposition de passage à la 6ème République, est-ce qu'elle n'avait pas été écartée par votre propre majorité du PS, lors du congrès du Mans, ou alors ça, c'est vieux, vieux, vieux, vieux...
R- Nous, nous avions dit que ce n'est pas un problème de chiffre, que ce qui comptait c'était le contenu de ce que nous voulions changer dans nos institutions. Dès lors que S. Royal reprend et en y ajoutant sa part de rénovation, ces grandes réformes qu'il faut faire de nos institutions, je considère qu'elle a raison d'utiliser les termes qu'elle prend. Mais je veux dire...
Q- Donc le PS la suit ?
R- Mais le PS il est mobilisé, entièrement pour le succès de S. Royal. Je vais vous dire une chose, là nous sommes dans un débat qui n'est pas simplement un débat entre le PS et sa candidate. Nous sommes dans un débat devant les Français. Il y a N. Sarkozy qui dit : « il ne faut rien changer, mais rien changer du tout, tout va bien dans nos institutions. »
Q- Ce n'est pas ce qu'il a dit hier.
R- La démocratie participative, il n'en veut pas, ce serait une perte de temps, c'est ce qu'il dit.
Q- Il a dit : « formule type de la démagogie, pas de 6ème République, c'est le retour du régime des partis, l'instabilité, pas de jurys populaires qui ressemblent à des soviets ».
R- Il rejette la démocratie participative, alors qu'on le sait, c'est un progrès pour la prise de décision, associer les citoyens. Cela ne veut pas dire écouter tous leurs points de vue, mais ça veut dire au moins prendre en compte ce qu'ils disent à un moment. Donc, là, c'est le statu quo. F. Bayrou ne parle pas de changer les institutions, lui, il veut changer la vie politique... attendez, J.-P. Elkabbach, que les choses soient claires : l'un qui ne veut rien changer dans les institutions, l'autre qui veut apparemment tout changer mais dans le régime des partis, et S. Royal qui dit, elle : « il faut en terminer avec les institutions qui quand même, ont conduit à une forme de crise morale, de crise démocratique, pour en prendre la mesure... »
Q- Ce sont les institutions ou la manière dont elles sont pratiquées ?
R- Mais les deux, mais ces institutions produisent une pratique et ça vaut pour tous les présidents de la République qui se sont succédés. Ils produisent le pouvoir personnel, ils produisent un Parlement atrophié, anémié, ils produisent des citoyens en violence contre le système. Regardez tout ce qui s'est passé depuis tant d'années, aux élections. Alors il est bien, il est nécessaire - ça ne remplace pas le contenu des politiques, bien sûr qu'il faut agir sur l'emploi, qu'il faut agir sur l'écologie... - mais il faut d'abord changer le mode de décision dans notre pays.
Q- Elle a évoqué également la création d'une Assemblée constituante, pour
fonder sa 6ème République. Est-ce que le PS était au courant ?
R- Là, il y a plusieurs hypothèses et puis il n'y en a qu'une qui est retenue par S. Royal et par nous. La seule...
Q- Oui, qui a été corrigé par J. Lang, son conseiller social et principal et qui disait : « le Parlement doit être pleinement associé à la préparation du projet révisionnel de la 6ème République, ce texte sera ensuite soumis au référendum. ». C'est ça la version définitive ce matin ?
R- La seule proposition que nous avons faite, avec S. Royal, c'est de considérer qu'il faudra faire un référendum sur les institutions à l'automne prochain. Mais il est normal que la prochaine Assemblée élue et le Sénat qui joue son rôle, puissent être consultés sur cette réforme et qu'il y ait un débat. Donc ce qu'il faut c'est aller vite, parce qu'il y a des blocages dans notre système institutionnel et notre système politique qui doivent être levés pour que la politique puisse elle-même changer.
Q- Les dirigeants du PS et vous-même, F. Hollande, invitez à plusieurs reprises les centristes de F. Bayrou à rejoindre S. Royal, votre candidate au deuxième tour. Vous le confirmez ?
R- Pour l'instant, nous sommes dans une bataille de premier tour, et je vais le rappeler : pour être au second tour, il faut être dans les deux premiers au premier tour. Vous allez me dire, mais c'est une évidence ! Il faut la rappeler, je ne suis pas là pour faire des extrapolations sur ce qui va se passer après le premier tour. Je suis là pour que S. Royal soit la plus haute possible au premier tour. Je vais dire maintenant un mot de monsieur Bayrou. J'entends qu'il veut, aujourd'hui, se comparer à J. Chirac...
Q- Il le dit au Parisien : « il y a des ressemblances entre le J. Chirac et 95 et moi ». Et il propose de créer un ministère de la Nouvelle société, comme J. Chaban-Delmas autrefois et John Kennedy.
R- Reprenons ces deux points : si véritablement la rénovation de la vie politique c'est de revenir à ce qu'a été la mystification de J. Chirac en 1995, dans une certaine mesure, F. Bayrou, nous a fait un aveu. Ce qu'il veut faire, c'est le coup - parce que c'était un coup - de J. Chirac, qui, en 1995 faisait croire qu'il n'était pas de droite, qu'il y avait même un candidat plus à droite que lui, il s'appelait E. Balladur, qui à l'époque d'ailleurs, était soutenu par F. Bayrou et Sarkozy. Eh bien, donc F. Bayrou, en a tiré la leçon qu'il fallait faire comme J. Chirac, en 1995 : faire croire qu'il n'était pas de droite, surgir et puis, là, écarter la gauche et pouvoir gouverner comme J. Chirac, le pays avec un parti qui ne serait plus l'UMP, mais serait l'UDF. Eh bien, cette façon de faire, là encore, de la politique, pour nous, doit être dénoncée. Une mystification vient d'apparaître. Le second point, vous me parlez d'un grand ministère. Ecoutez ! Franchement, c'est une mode maintenant qui les touche tous à droite. Voilà que N. Sarkozy fait un ministère de l'immigration et de l'Identité nationale - je ne vais pas y revenir, chacun sait ce qu'il faut en penser, y compris dans son camp. Et puis voilà que F. Bayrou, lui, nous fait un ministère de la Nouvelle société. Là aussi, c'est neuf ! J. Chaban-Delmas, avez-vous dit, 1969 ! Mais qu'est-ce qu'il nous met dans ce grand ministère ? Rendez-vous compte ! Les personnes âgées, il en faut des politiques pour les personnes âgées, les jeunes dans le même ministère et puis on y mettrait aussi Internet, je ne vois pas ce qu'Internet vient faire avec les personnes âgées et les jeunes...
Q- Parce qu'elles l'utilisent ?
R- Sans doute, sans doute, et puis...
Q- Elles l'utilisent.
R- Et puis, on y mettrait aussi les femmes, il n'y a pas de raison, et puis je me demande pourquoi on n'y mettrait pas les enfants et puis...
Q- Ça c'est de la polémique, c'est facile la polémique, mais vous ne répondez pas à la question.
R- Ce n'est pas de la polémique, on est sur des questions de fond, pour les élections présidentielles.
Q- Sur le fond, les électeurs centristes au deuxième tour, vous avez votre candidate, qu'est-ce que vous en faites ? Est-ce que vous leur demandez...
R- Vous pensez que c'est une question de fond, vous, de savoir ce que vont aller faire les électeurs centristes...
Q- Ah ben, pour gagner !
R- Ce que je vais faire, ce que S. Royal va faire si elle est au second tour, car il faut être au second tour, elle va appeler tous les électeurs qui veulent changer dans notre pays, qui veulent se retrouver sur le pacte présidentiel qu'elle a proposé de voter pour elle. On ne va pas simplement dire qu'il ne faut pas voter Sarkozy, si ça doit être Sarkozy, ou de ne pas voter Bayrou. L'intérêt d'une élection présidentielle, c'est de voter pour, c'est de voter pour une nouvelle politique, pour le changement, pour une nouvelle règle du jeu. C'est ça l'intérêt de la politique.
Q- F. Hollande, il y a toutes les hypothèses, mais si par malheur pour vous, c'est F. Bayrou qui est en tête, est-ce que vous êtes prêt à rejoindre éventuellement ce qu'il représente ?
R- Ecoutez, franchement ! Je viens de décrire que F. Bayrou n'était qu'une variante de la droite, je viens de dire qu'il y avait une part de mystification et vous croyez qu'aujourd'hui, je vais, même si j'ai beaucoup d'amitiés pour vous, à votre micro, dire que je vais choisir tel ou tel. Je suis là pour que notre pays change, qu'il ne soit pas victime d'un nouveau malentendu démocratique, d'une nouvelle mystification...
Q- D'accord !
R- Il faut un véritable choix.
Q- Vous êtes le numéro un du PS...
R- Je vous le confirme.
Q- Vous êtes en meeting de votre côté, vous, vous donnez d'ailleurs à fond.Quand S. Royal déclare qu'elle faut reprendre toute sa liberté, jusqu'où elle peut aller par rapport au PS, par rapport à vous-même ?
R- Je l'ai dit, l'appui du PS, il lui est donné...
Q- Elle peut en faire à sa tête ?
R- Mais elle a fait un pacte présidentiel, qui est pour beaucoup des idées qui avaient été émises par le Parti socialiste. Elle en a ajouté d'autres, elle les présente comme elle l'entend, elle donne sa vision de la France et de l'Europe - n'oublions pas l'Europe dans cette élection. Et elle le fait en liberté, parce qu'une élection présidentielle c'est ainsi : avant que nous changions les institutions, c'est un rapport direct avec les Français. C'est donc une part de conviction, qu'elle doit avoir elle-même et elle a raison de prendre sa liberté.
Q- C'est probablement ce que va faire dans quelques jours, dans quelques heures, N. Sarkozy...
R- Ah ! Bon, parce qu'il n'est pas libre pour l'instant ?
Q- Non, non, non, mais vous allez avoir bientôt...
R- Parce qu'il est ministre de l'Intérieur ! C'est vrai que ce n'est pas sa faute, vous savez, on l'oblige à être ministre de l'Intérieur, on le contraint. C'est J. Chirac qui lui demande tous les jours de rester. Vous l'avez sans doute compris.
Q- Il va le libérer.
R- Il va le libérer !
Q- C'est imminent. Vous aurez ce que vous voulez.
R- Vous avez une information que je n'ai pas. Mais je crois comprendre quand même - parce qu'il y tient tellement, à rester ministre de l'intérieur - qu'il va faire le dernier voyage, là, comme ministre de l'Intérieur et comme candidat, je ne l'oublie pas, aux Antilles dans quelques jours. Mais il n'y aurait pas eu plus de dignité quand même, à se dire : voilà, dans quelques jours, je ne serai plus ministre de l'Intérieur, pourquoi ne pas démissionner tout de suite. Mais non, jusqu'au bout, utiliser les moyens de l'Etat pour faire campagne. C'est tellement simple.
Q- Il va à son propre rythme.
R- Mais ce n'est pas un rythme que je considère comme conforme à l'idée que je me fais d'une démocratie impartiale.
Q- Dernière question, le président de la République, J. Chirac, termine son mandat, il va l'achever dans deux mois et comme disait F. MItterrand, le dernier matin du dernier jour, comment vous appréciez cette fin de parcours ?
R- Ecoutez, on a toujours du respect pour les fins de parcours. Mais le problème c'est tout le parcours. Et je n'ai pas envie pour mon pays, de connaître le malentendu qui a eu lieu en 1995 : un Président qui se fait élire sur le thème de la "fracture sociale" et laisse des inégalités se creuser. Je n'ai pas envie pour mon pays, comme en 2002, d'avoir un non choix, ou un faux choix, simplement sauver la République, ce qui parfois peut être l'essentiel. J'ai envie d'une présidence active, d'une présidence responsable, d'une présidence impartiale. Quand je vois la somme des nominations qui se font là, dans les derniers jours comme vous dites, là, dans les derniers instants, où on nomme un proche ici au Conseil Constitutionnel, un autre au Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, un autre encore à la Caisse Des Dépôts et combien d'autres encore, dans les sociétés autoroutières ou autres, où on case ses amis... Belle image de la République ! C'est aussi ça qu'il faudra changer.
Q- Bonne journée ! Je vous souhaite une bonne journée remplie de meetings et
de paroles qui comptent.
R- Je vous la souhaite aussi.
Q- Dimanche, notez-le, invité du « Grand rendez-vous » le président de l'UMP
et le candidat N. Sarkozy.
R- Ah ! Il ne sera peut-être plus ministre de l'Intérieur alors !
Voilà !