Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, à LCI le 23 mars 2007, sur la négociation avec les partenaires sociaux, le dialogue social et les 35 heures.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral


F. Chérèque bonjour.
Bonjour.
Q- Vous avez rencontré hier N. Sarkozy. Est-il toujours pour vous l'homme de la
"rupture libérale" ?
R- Le débat avec N. Sarkozy n'est pas à ce niveau là. Nous avons engagé un débat en particulier, comme nous l'avons fait avec les cinq candidats qu'on a rencontrés, sur la méthode pour gouverner, la méthode pour faire des réformes. Et ce qui me semble intéressant de notre entretien d'hier, c'est que N. Sarkozy, comme les autres candidats à la présidentielle, nous disent tous : on fera par la négociation avec les organisations syndicales.
Q- Sincérité ou ruse de campagne ?
R- Il ne faut pas négliger un fait : dans cette campagne, c'est que pendant la campagne, les députés ont voté une loi qui nous dit maintenant : il n'y aura plus de réforme dans le domaine du social sans passage par une négociation obligatoire.
Q- Alors N. Sarkozy s'engage à respecter cette loi, mais pourra t-il dans ces conditions tenir une de ses promesses, c'est-à-dire une loi sur le service minimum dans les transports en commun avant l'été ?
R- C'est justement à l'occasion de cet entretien qu'on lui a montré qu'il ne pourrait pas faire cette décision, je dirais unilatérale et que nous, nous sommes prêts, à la CFDT, sur ce sujet comme sur d'autres, à assumer notre responsabilité de négociateurs, pour faire en sorte par exemple dans les services qu'on pénalise le moins possible les usagers lorsqu'on a des conflits.
Q- En négociant vite pour qu'avant l'été le problème soit réglé, ou il faut du temps à tout dialogue social ?
R- Nous posons à tous les candidats le problème du calendrier. Une élection c'est pour cinq ans, on ne va pas précipiter les choses en un mois, donc il est nécessaire, dès le début, de se rencontrer, de se mettre d'accord sur les objectifs de réforme - sur les parcours professionnels, les problèmes de l'emploi, sur les retraites, sur la protection sociale en général - et de se faire un calendrier de négociations sur les deux premières années. C'est l'engagement de N. Sarkozy, c'est aussi l'engagement des autres candidats.
Q- Demanderez-vous rapidement l'ouverture d'une négociation sociale sur le Contrat Nouvelle Embauche que N. Sarkozy continue à défendre ?
R- Nous avons engagé avec le patronat depuis maintenant quatre mois, puisque pendant la campagne les travaux sociaux continuent, les nôtres, on fait une mise à plat des problèmes des contrats de travail - problèmes de l'assurance chômage, de cette sécurisation des parcours professionnels, c'est-à-dire l'accompagnement des salariés, toute leur carrière professionnelle - et nous espérons être prêts dès le mois de juillet si on nous demande d'ouvrir des négociations sur ces problèmes de contrat de travail, mais surtout d'accompagnement des salariés tout au long de leur carrière professionnelle.
Q- Le CNE peut être attaqué devant un tribunal classique, a décrété la justice. Qu'est-ce que ça change ?
R- Ca change quelque chose de fondamentale : le Gouvernement a voulu tourner la loi et nous empêcher de contester la validité du CNE par rapport au droit international et le tribunal de conflit entre la Cour de cassation, le conseil d'Etat a jugé qu'on pourrait demain aller au tribunal contester le CNE. C'est ce que nous allons faire. Et nous allons faire la démonstration que ce CNE est illégal.
Q- Un fonctionnaire sur deux qui part à la retraite ne sera pas remplacé, c'est l'engagement de N. Sarkozy s'il est élu président. Mathématiquement, vous avez dit, ça fait 300.000 enseignants de moins. Vous a-t-il hier convaincu du contraire ?
R- N. Sarkozy ne revient que très peu sur cette proposition.
Q- Il est embêté, il est ennuyé ?
R- Mais tout le monde est embêté, est ennuyé, et ça c'est un des problèmes de la campagne électorale. Qu'est-ce qu'on veut faire de l'Etat, et qu'est-ce qu'on veut donner comme missions aux salariés des fonctions publiques ? C'est ça qu'il doit y avoir comme débat dans la campagne électorale. Et c'est bien évidement un des sujets sur lesquels on interpelle les candidats. Pour le moment, on a très peu de réponses sur ce sujet.
Q- Travailler plus pour gagner plus, dépasser les 35 heures par des heures supplémentaires, c'est un bon système ?
R- Le problème tel que le pose la CFDT n'est pas ce problème-là. D'une part, les salariés français à l'inverse de ce qu'on pense n'ont pas une durée hebdomadaire plus basse que les autres salariés européens - quand on fait les comparaisons, on est dans la moyenne européenne - mais le problème dans notre pays, c'est que les jeunes ne travaillent pas assez, que les seniors de plus de 50 ans, 55 ans ne travaillent pas assez et qu'on a un nombre très important de salariés qui travaillent à temps partiel : en particulier, temps partiel imposé, des femmes qui souvent sont en dessous du seuil de pauvreté et c'est à ces personnes qui ne travaillent pas ou pas assez qu'il faut donner du travail plutôt que de s'acharner sur ce débat idéologique, sur la durée hebdomadaire du temps de travail.
Q- Vous aviez reçu F. Bayrou le 12 mars. Vous avait-il semblé plus compatible avec les idées et la philosophie de la CFDT ?
R- Notre débat, ce n'est pas de dire "ce candidat est plus compatible..."
Q- Mais votre sensation.
R- Non, non, non, je crois que nous, nous n'avons pas à entrer dans ce débat partisan, d'ailleurs les adhérents, les militants de la CFDT apprécient la démarche que nous avons d'aller rencontrer les candidats, mais surtout nous demandent de rester neutres. Notre rôle, ce n'est pas de faire un signe vis-à-vis de tel ou tel candidat, mais c'est de les interroger sur les préoccupations des salariés.
Q- Mais l'union, la réunion au Gouvernement des meilleurs de droite et des meilleurs de gauche, comme le propose Bayrou, c'est une bonne solution pour la CFDT, pour réformer ?
R- Mais nous, notre débat, on est dans un premier tour, on veut avoir un débat sur les programmes politiques. On constate que les responsables politiques pour une fois et c'est l'inverse de ce qui s'est passé en 2002, parlent des préoccupations des salariés, c'est une bonne chose, et on voudrait qu'ils aillent un peu plus loin et qu'ils nous expliquent comment on va relancer l'économie en France, comment on va créer des emplois. Est-ce qu'on va investir dans la recherche, dans le développement pour créer des emplois de demain ? C'est ça notre préoccupation d'aujourd'hui. Après, les combinaisons entre les partis ne nous regardent pas.
Q- S. Royal veut financer les retraites par un fonds de pension collectif, public. Cela vous tente, c'est une bonne idée ?
R- Nous sommes sur, un : les retraites par répartition ; c'est le travail qui finance les retraites, ceux qui travaillent qui financent les retraites de ceux qui sont retraités. Ensuite, on a certains avantages qui sont des avantages de politique familiale, des situations particulières, en particulier des femmes qui ont des carrières qui ne sont pas complètes, il faut qu'on réfléchisse à d'autres financements pour financer ces parties-là dans la retraite. Fonds de pension collectif, qu'est-ce que ça veut dire ? On est contre le principe des fonds de pension. Nous, on veut assurer, je dirais un système de retraite qui garantisse un financement dans l'avenir. On a vu que les fonds de pension dans certains pays, en particulier anglo-saxons, ils s'écroulaient. Quand la bourse s'écroulait, c'était les retraites qui s'écroulaient.
Q- Une action nationale est prévue à la SNCF pour après l'élection, à l'initiative de la CGT et de la CFTC. La CFDT se joindra-t-elle à ce mouvement ?
R- Nos militants de la CFDT ne se sont pas prononcés sur cette action, on ne se prononce pas dans une action, quand on n'a pas le motif de cette action, sinon c'est une action...
Q- C'est pour les salaires.
R- Dans les dernières actions de la SNCF, la CFDT s'est engagé dans la grève, elle
vient de signer un accord salarial. Donc pour le moment, il n'y a pas de raison de
décider aujourd'hui une action.
Q- Pourquoi aucun conflit social ne prend dans cette campagne électorale ?
R- Parce que les salariés savent très bien que les conflits sociaux, en particulier dans ces services publics, ont une vision d'abord politique. Les gens attendent des responsables politiques - maintenant on est dans le temps de la décision politique - donc ils attendent ces décisions politiques. Mais vous savez, des conflits sociaux, on en a, on en a à Alcatel, on en a à Airbus. Quand il s'agit de défendre l'emploi, bien évidement les salariés avec la CFDT particulièrement se mobilisent.
Q- L'Europe fête ce week-end les 50 ans du traité de Rome. J. Delors propose de faire revoter les Français sur la Constitution rejetée le 29 mais 2005 mais en y ajoutant un protocole social. Est-ce une bonne idée ?
R- Le protocole social, il existe ; il y a la charte des droits fondamentaux. Mais je crois qu'aujourd'hui il n'est pas de décider si on fait revoter les Français, il faut d'abord faire repartir l'Europe, c'est-à-dire faire en sorte que les pays travaillent ensemble.
Q- Comment on fait ?
R- Alors je fais remarquer que les personnes qui nous ont appelé à voter non, aujourd'hui on ne les entend plus. Ils ont mis l'Europe en panne et ils n'en parlent plus. Alors comment on fait ? Je pense que d'abord il faut donner des règles de fonctionnement, fonctionner à 27, on a des règles de fonctionnement à 15. Donc il faut passer des règles de fonctionnement à 27 et il faut se donner des objectifs, des objectifs concrets pour les citoyens, pour les salariés. Le problème de l'environnement : on ne réglera pas le problème de l'environnement tout seul ; programme d'environnement sur l'énergie, européen ; des programmes d'investissement dans la recherche : faire en sorte qu'on crée ; Airbus, le problème d'Airbus, on ne pourra pas le solutionner au niveau français, ni au niveau allemand, il faut le solutionner au niveau européen. Donc se donner des objectifs concrets.
Q- Il faudra faire revoter les Français quand on aura ces objectifs ?
R- Mais il faut d'abord faire fonctionner les pays entre eux, ensuite bien évidement se donner des objectifs concrets et travailler sur un nouveau Traité, et, à un moment ou à un autre, il faudra décider si on fait voter les Français, mais ce n'est pas le problème aujourd'hui.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 23 mars 2007