Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, à France 2 le 2 mars 2007, sur le plan de restructuration d'Airbus, les consignes de vote pour l'élection présidentielle et le climat social.

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Média : France 2

Texte intégral


Q- Les syndicats restent mobilisés contre le plan de restructuration chez Airbus, il y aura une grève la semaine prochaine, est-ce que vous pensez pouvoir obtenir l'annulation de ce plan, ou est-ce que c'est un baroud d'honneur ?
R- Non, non il faut se mobiliser, on est au début d'un processus. Il y a l'annonce d'un plan, qui nécessiterait s'il était appliqué de longs mois, voire des années de mise en oeuvre. Donc nous sommes au début d'un processus et il faut que très rapidement, la mobilisation soit déjà de haut niveau pour se donner l'ambition de remettre le dossier à plat. C'est l'ambition de l'ensemble des syndicats en Europe. Vous l'avez dit, première mobilisation coordonnée en France, mardi prochain avec des arrêts de travail et des manifestations. Et de ce point de vue là, j'invite, tous ceux de la filière aéronautique, la population concernée par les sites industriels de l'aéronautique à se mobiliser aux côtés des salariés d'Airbus, c'est mardi prochain. Deuxième étape, mobilisation coordonnée dans toute l'Europe, les syndicats sont organisés en Europe pour défendre le même point de vue. De ce point de vue là, syndicats allemands, espagnols, anglais, français préparent à la mi-mars une autre mobilisation coordonnée en Europe.
Q- Mais est-ce que pour rester compétitif, Airbus ne doit pas faire des sacrifices ?
R- Airbus est compétitif et je souhaite réinsister ce matin sur le scandale que représente ce dossier, dans la mesure où nous sommes sur l'un des premiers groupes aéronautiques qui maîtrisent les technologies de pointe dans son domaine. Qui a un carnet de commandes de plus de 6 ans, il y a plus de 6 ans de travail attendu sur les carnets d'Airbus.
Q- Mais alors pourquoi la Direction supprime des emplois, ce n'est pas pour le plaisir ?
R- J'y viens, entreprise qui fait des bénéfices et qui, au motif qu'il y a un problème de trésorerie, de l'ordre de plusieurs milliards d'euros, c'est vrai, du fait de difficultés industrielles, internes, ne trouve pas d'autres moyens que de faire payer la facture aux salariés. Ne trouvez-vous pas que ce système un peu facile, dès lors qu'une entreprise fait des bénéfices, nous avons des actionnaires qui retirent des dividendes à fort niveau et dès lors qu'il y a des problèmes de trésorerie dans l'entreprise se sont les salariés qui paient la facture, au motif qu'il y a quelque chose à maintenir à tout prix, c'est le taux de rentabilité financière, le taux de dividende à reverser aux actionnaires. C'est ça qui est scandaleux, Airbus est une entreprise de pointe, qui a un carnet de commandes rempli, avec des salariés très compétents sur leur domaine et on nous annonce la suppression de plusieurs dizaines de milliers d'emplois, parce qu'il s'agit de plusieurs dizaines de milliers d'emplois, au seul motif, d'un taux de rentabilité financière.
Q- Donc, vous dites qu'il ne faut aucun licenciement, enfin aucune suppression d'emploi, puisqu'il ne s'agit pas de licenciement chez Airbus ?
R- Il y aura des licenciements, j'entends le Premier ministre dire, "nous avons l'assurance qu'il n'y aura pas de licenciement", certes, Airbus pour l'instant dit qu'il n'y aura pas de licenciement. Mais ce qui est déjà sûr, à l'image de ce que l'on vit dans la filière automobile française, c'est que chez l'ensemble des sous traitants, en cascade, les répercussions vont se traduire par des licenciements. C'est même là qu'ils vont intervenir en première étape. Et en deuxième étape, parce que là aussi nous avons l'expérience d'autres filières, c'est qu'après avoir externalisé, c'est la politique défendue par Airbus aujourd'hui, on reporte...
Q- Externaliser, cela veut dire, faire le travail ailleurs ?
R- ...sur des sous traitants, on en fait moins nous-même et on va se reporter sur des sous traitants, on va essayer de transférer une part des charges et des risques sur d'autres acteurs. On sait que l'étape d'après, c'est externalisation, sous traitance, puis délocalisation.
Q- Alors N. Sarkozy a dit qu'il voulait rencontrer les syndicats, vous allez y aller ?
R- Oui, N. Sarkozy a d'abord dit : Airbus c'est une affaire des actionnaires, et puis après il a du réfléchir, se rendre compte que l'émotion vis à vis d'un dossier pareil était très importante, en France, en Allemagne, dans toute l'Europe. Airbus a été présenté par les chefs d'état eux-mêmes, comme une vitrine européenne et maintenant on nous dit, eh bien la vitrine européenne c'est celle là. Donc il a du réfléchir et maintenant montrer qu'il faut peut-être discuter avec les syndicats, je crois...
Q- Vous irez discuter ?
R- Je crois que tout le monde a conscience que nous sommes en campagne électorale.
Q- Alors justement, à propos de campagne électorale, vous allez distribuer un million et demi de tracts pour inciter les Français à aller voter, mais vous ne donnez aucune consigne de vote, pourquoi ?
R- Eh bien c'est une position qui n'est pas originale en tout cas depuis de nombreuses années, nous ne donnons pas de consigne de vote, ce qui ne nous empêche pas d'intervenir, de nous exprimer sur l'importance des enjeux, sur l'importance de ce rendez-vous. Nous invitons les salariés à continuer de se mobiliser dans plusieurs secteurs, sur le pouvoir d'achat, sur l'emploi. On a évoqué Airbus, il y a aussi Alcatel/Lucent. Autre action européenne, je l'annonce, le 15 mars : l'ensemble des salariés sont invités à se mobiliser, là aussi de manière coordonnée en Europe, donc dans cette période, nous invitons à continuer, à poursuivre, à amplifier les mobilisations à s'intéresser et à intervenir dans la campagne. Et nous donnons aussi une part d'analyse sur ce que sont les programmes des uns et des autres.
Q- Alors justement, vous ne donnez pas de consigne de vote, mais vous dites par exemple qu'il y a des candidats qui remettent en cause le droit de grève, vous visez qui ?
R- Eh bien notre responsabilité c'est aussi de dire, lorsque nous sommes en total désaccord avec les intentions d'un certain nombre de candidats.
Q- Alors, vous êtes en total désaccord avec qui, avec quel candidat ?
R- Nous sommes en désaccord avec toute politique qui se proposerait de continuer, voire d'amplifier ce qui est fait ces dernières années. La déréglementation, la flexibilité, ce qui pèse sur le pouvoir d'achat, toute politique qui favorise plutôt les revenus du capital, à l'égard des revenus du travail.
Q- Et ça c'est qui, c'est N. Sarkozy par exemple ?
R- Eh bien il fait partie des candidats,
Q- On a l'impression que vous ne voulez pas dire, qu'il ne faut pas voter pour N. Sarkozy, que c'est ce que vous pensez, mais que vous ne voulez pas le dire ?
R- Eh bien tout ce qui est sûr, c'est que moi, je ne le ferai pas, mais les adhérents de la CGT sont libres de leur vote. Il est un fait qu'il fait partie, comme d'autres candidats, par exemple de ceux qui annoncent, ses intentions que très rapidement de s'attaquer au droit de grève, au droit de représentation syndicale dans notre pays et là, on n'est pas sur le débat économique et social classique. Lorsque l'on touche à des libertés fondamentales qui sont régies par la Constitution française, il est de notre responsabilité d'organisation syndicale de dire : attention, danger, halte-là, là on prend une mauvaise direction.
Q- Autrement dit, vous ne dites pas pour qui il faut voter, mais vous dites pour qui,il ne faut pas voter.
R- Nous disons aussi, ce sur quoi nous ne sommes pas d'accord et sur les risques que pourrait avoir la mise en place d'un Gouvernement, a priori, beaucoup plus favorable aux thèses du Medef qu'à l'approche et aux revendications des syndicats.
Q- Sur un autre sujet, Réseau Ferré de France, le réseau qui gère les lignes de chemin de fer a annoncé qu'il allait confier au privé la construction de la ligne TGV Tours-Bordeaux, qu'est-ce que vous en pensez ?
R- Ecoutez, je n'ai pas eu le temps de regarder plus précisément ce dossier là. En réaction spontanée, je dirais que cela me semble être à la fois représentatif de pouvoirs publics ayant de moins en moins de capacités à investir dans les domaines publics - y compris dans le domaine d'infrastructures. Et puis on a là un montage qui me fait penser aussi à ce qui a pu être fait de l'autre côté de la Manche, dans une volonté de segmenter le réseau, éventuellement en vue de segmenter l'activité ferroviaire, voire de la privatiser par petits bouts. Et j'imagine naturellement que notre fédération des cheminots va être très attentive aux conséquences de cette mesure.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 mars 2007