Déclaration de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, sur la mise en place du statut du travail salarié et de la sécurité sociale professionnelle.

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Circonstance : Forum du Nouveau statut du travailleur salarié à Paris le 28 février 2007

Texte intégral


Cher(e)s ami(e)s, cher(e)s camarades,
A l'issue de ce Forum, je voudrais souligner la qualité du travail que nous venons de réaliser ensemble et saluer toutes celles et tous ceux qui ont fait le succès de cette journée qui appellera nécessairement des suites.
Je voudrais ainsi remercier les experts et universitaires présents aujourd'hui pour leurs contributions ; remercier aussi les dirigeants confédéraux de la Confédération européenne des syndicats, de la CFDT, de la CFTC et de la CGC qui ont accepté de confronter leurs réflexions aux nôtres pour relever tout ce qu'il y a de commun dans nos ambitions ; remercier enfin tous les participants issus des rangs de la CGT qui, en puisant dans leurs expériences revendicatives dans leur entreprise, leur bassin d'emploi, leur région, ont donné à ce forum la tonalité, que nous souhaitions, de « rencontres militantes ».
Que de chemin parcouru depuis que nous avons évoqué la nécessité de mettre en place, dans un pays développé comme le nôtre, un Nouveau statut du travail salarié et une sécurité sociale professionnelle.
Je me souviens encore de l'étonnement du journaliste lorsque j'ai évoqué pour la première fois cette revendication dans une émission de radio.
Je me souviens aussi de la réaction virulente du patronat dénonçant une proposition visant, selon lui, à « fonctionnariser » tous les salariés, ou celle d'observateurs stigmatisant une revendication gadget au caractère irréaliste.
Aujourd'hui, changement de décor : nombreux sont ceux qui se réfèrent à ces propositions.
Permettez moi d'y voir le résultat des efforts que nous avons déployés pour que ces revendications deviennent incontournables, même s'il y a lieu d'être lucide et de se méfier des contrefaçons.
Je disais au 48ème congrès que la sécurité sociale professionnelle et le nouveau statut du travail salarié étaient des revendications « brevetées CGT ». Je souhaitais en cela, non pas affirmer une exclusivité sur des revendications qui concernent toute la société, mais clairement signifier leur portée et le fait qu'elles s'inscrivent dans la longue tradition du mouvement ouvrier pour gagner l'émancipation des salariés.
Au moment où le patronat et la droite française s'autorisent de surprenants captages d'héritage et d'invraisemblables brouillages de repères, il me paraît essentiel de rappeler quelques étapes historiques du combat syndical.
Il fût un temps où l'idée même que les employeurs aient à payer des ouvriers pendant qu'ils ne travaillaient pas était jugée irréaliste et financièrement insupportable.
Puis vinrent les congés payés ! Il fût un temps où l'ouvrier savait, dès son plus jeune âge, qu'il n'arrêterait de travailler qu'à sa mort.
Puis vint le droit à la retraite ! Il fût un temps où les ouvriers organisaient et payaient eux-mêmes leur solidarité aux travers des caisses de secours mutuel, lorsque l'un d'entre eux était frappé par la maladie ou l'accident au travail.
Puis vint la Sécurité sociale ! Depuis le début des années 80, le patronat ne ménage pas sa peine pour revenir sur tous les droits sociaux chèrement gagnés, pour organiser le retour au « bon vieux temps », celui d'avant 1936, 45, 68, 81. Ce « bon vieux temps » où tout était possible pour les employeurs, où l'employé dépourvu de tout droit et tout statut se résume au prix qu'il coûte et où tout est fait pour que celui-ci soit le plus bas possible ! On ne nous fera pas croire que le chômage de masse, la précarité dans la vie, la marchandisation du travail, le salarié kleenex assumant seul les risques pris par des actionnaires et des fonds spéculatifs soient la modernité et la meilleure façon de vivre en société.
Si le Medef revendique haut et fort un grand bond en arrière, nous revendiquons, nous, la modernisation de la relation de travail par l'accroissement des droits individuels et collectifs des salariés. Nous voulons gagner de nouvelles conquêtes sociales de la même portée transformatrice que les congés payés, le droit à la retraite, la sécurité sociale... Voilà le sens et la portée de notre revendication d'un nouveau statut pour le travail salarié. Les salariés en ont besoin. Notre pays en a besoin.
Nous avons aujourd'hui, lors de ce Forum, avancé sur le contenu que nous voulons donner à ce nouveau statut, à cette nouvelle histoire de la relation de travail que nous voulons inventer. Nous avons échangé sur la nature et le contenu des droits transférables d'une entreprise à une autre et opposables à tout employeur dont devraient bénéficier tous les salariés. Nous avons évoqué des principes, notamment le caractère interprofessionnel de ces droits et leur assise sur des mutualisations territoriales ou professionnelles. Nous avons évoqué la méthode qui consiste à articuler mobilisation et négociation. Nous retenons l'élaboration collective plutôt que la définition, en comités restreints, d'un prêt-à-porter.
Je voudrais seulement insister sur un point : nous revendiquons un nouveau statut pour le travail salarié parce que nous voulons insérer de la liberté, de la sécurité et de la solidarité dans le travail.
Il n'y a pas de liberté pour le travailleur dans la précarité.
Mais, soyons clair, l'enjeu ne se résume pas dans un donnant donnant, autrement dit un peu de gestion sociale pour une flexibilité généralisée du travail.
C'est dans cette approche minimaliste que l'on voudrait nous enfermer sous le vocable de « flexsécurité » ou de « flexisécurité ».
Le prochain congrès de la Confédération européenne des syndicats sera d'ailleurs l'occasion de préciser les exigences du mouvement syndical européen en la matière.
Prenons le cas concret d'Airbus, qui fait l'actualité comme chacun sait.
Voilà un groupe aéronautique de premier plan, dont le carnet de commandes est rempli pour plus de 6 années, qui fait des bénéfices dans un domaine de hautes technologies, présenté par plusieurs chefs d'Etats comme une vitrine mondiale, et qui annonce un plan de restructurations drastique à l'échelle internationale dont l'une des conséquences est la fermeture ou la vente d'usines et la suppression de près de 10 000 postes et bien plus encore dans le réseau des entreprises sous-traitantes.
Les informations ont été confirmées aujourd'hui au Comité d'entreprise européen.
C'est un énorme gâchis industriel, technologique et humain.
Lorsque l'on sait que l'unique motivation de ce plan est l'exigence d'un plus grand taux de rentabilité financière pour les actionnaires, la bataille syndicale ne peut se cantonner à rendre le scandale socialement supportable.
La bataille syndicale ne peut opposer salariés français, allemands, espagnols ou anglais.
Je le redis, on ne peut laisser le monde des affaires s'occuper des affaires du monde ! A juste titre, un journal économique pose ce matin, à propos d'Airbus, la question : « Comment expliquer que ce qui est négociable avec les actionnaires, ne l'est pas avec les syndicats ? ».
Les salariés d'Airbus, et tous ceux qui dépendent de ses activités, ont un droit légitime à intervenir sur le bien-fondé de tels choix.
La CGT continuera d'apporter son plein soutien dans les initiatives de mobilisation locales et coordonnées entre les syndicats en Europe.
Je note que ceux qui nous expliquent que l'actionnaire doit être le seul décideur, sont ceux-là mêmes qui inscrivent une remise en cause du droit de grève et de liberté syndicale dans leur programme.
Lorsque nous revendiquons un nouveau statut du travail salarié, nous le faisons parce que c'est l'intérêt des salariés et parce que c'est aussi la condition d'une nouvelle efficacité économique reposant sur leur propre intervention.
Cette nouvelle efficacité passe par la reconnaissance de la place centrale de l'être humain, de ses connaissances, de ses savoirs faire, de sa créativité dans le travail. Libérer l'initiative pour mieux répondre aux besoins sociaux et aux exigences scientifiques et technologiques est indispensable et impose de dépasser la notion de travail subordonné qui caractérise encore le contrat de travail actuel.
Il est évident que le nouveau statut du travail salarié, la sécurité sociale professionnelle rendent les entreprises co-responsables des conditions sociales faites aux salariés et, en particulier, les grandes entreprises donneuses d'ordre à l'égard de leur réseau de sous-traitants.
Nous constatons tous que les questions sociales, celles liées au « travail » sont présentes dans le débat public, dans les expressions politiques à l'occasion de la campagne électorale. Nous n'allons pas nous en plaindre. Cela doit permettre aux citoyens de se forger une opinion, de faire la clarté sur les analyses et les choix en présence à la veille d'échéances politiques importantes.
En tant qu'organisation syndicale, en tant que confédération générale du TRAVAIL, on nous accordera d'avoir une opinion et une certaine expertise sur le travail.
Pour nous, il ne s'agit pas d'invoquer, comme il est à la mode, la restauration de la « valeur travail » associée à des discours culpabilisateurs sur le mérite, l'effort, l'abnégation et le dévouement au service exclusif de l'employeur, nous voulons organiser le changement « dans » le travail.
Le Figaro Magazine, qui n'est pas un journal syndical, vient de publier une enquête auprès des patrons. Elle met en évidence que 95 % d'entre eux jugent leurs salariés efficaces et 83 % d'entre eux jugent leurs salariés impliqués dans leur travail.
Les problèmes ne se situent pas de ce côté-là.
Nous voulons redonner au travail, qui a toujours oscillé entre liberté et servitude, son rôle émancipateur en renforçant les aspects démocratiques et protecteurs de la relation de travail au détriment des logiques marchandes et contractuelles.
Aujourd'hui, pour reprendre une expression connue, « notre société a mal à son travail ».
Certains - trop nombreux - souffrent d'en être privés, quand d'autres souffrent d'en avoir de trop et le paient de leur santé voire de leur vie. Dans un pays développé comme le nôtre :
1- on dénombre plus de 7 millions de pauvres dont 3,2 millions de travailleurs pauvres,
2- la moitié des salariés gagnent moins de 1500 euros nets par mois et 6 millions moins de 700 euros,
3- 30% des salariés sont dans un emploi précaire qu'ils - et surtout elles - n'ont accepté que faute de mieux,
4- plusieurs millions de personnes sont mal logées, voire - l'actualité nous le rappelle - sans domicile fixe....
Je ne développerai pas sur les conséquences sur la protection sociale, la santé, les retraites, l'absence de perspectives offertes à la jeunesse.
Cette situation est insupportable, y remédier constitue le vrai défi des prochaines années.
Il y a urgence. Les dernières années n'ont pas seulement été des années de perdues dans la lutte contre les bas salaires et le chômage de masse qui touche notre pays depuis plus de vingt ans, elles ont été des années de remise en cause des droits des salariés, de mise en pièces du Code du travail, de régression sociale. La relation de travail a été déstabilisée par le développement de la flexibilité et l'explosion de la précarité, le CNE en est un triste exemple.
Il est désormais possible pour un employeur, en France, de licencier sans avoir aucun motif sérieux à présenter au salarié. Nous ne pouvons nous accommoder de cette situation.
Les salariés n'ont pas la mémoire courte : la période est faste pour les actionnaires, elle est par contre très douloureuses pour eux. La majorité politique sortante en porte une responsabilité et son candidat n'esquivera pas cette part du bilan.
Cher(e)s ami(e)s, cher(e)s camarades, la CGT, comme nous l'avons décidé à notre dernier congrès, est présente dans les débats qui s'intensifient en relation avec les élections en France. Elle entend le faire en tant qu'organisation syndicale à partir de ses revendications et en ayant en perspective l'intérêt des salariés de notre pays et une ambition sociale pour l'Europe. Demain, notre Commission exécutive confédérale précisera la forme et le contenu de nos interventions pour ces échéances.
D'ores et déjà, je peux cependant affirmer que nos travaux d'aujourd'hui sont autant d'exigences revendicatives qui interpellent tous les candidats.
Je le dis solennellement, les salariés n'attendent pas qu'on leur échange un baril de revendications contre deux barils de poudre de perlin pinpin, ils veulent des engagements qui seront tenus et notamment celui d'engager le plus rapidement des négociations entre tous les acteurs pour ouvrir le processus vers une véritable sécurité sociale professionnelle pour toutes et tous.
Force est de constater qu'il n'y a pas une réelle volonté du côté du Medef de s'inscrire dans une telle perspective.
En tout état de cause, et quel que soit le résultat des prochaines échéances, la CGT assurera sa responsabilité d'organisation syndicale. Nous savons d'expérience, que ni la sécurité sociale professionnelle, ni aucune des autres exigences que nous formulerons dans les jours prochains, ne tomberont toutes faites dans l'escarcelle des salariés. La mobilisation, en appui des négociations, sera indispensable.
L'avenir de notre pays ne se fera pas sans les salariés et sans un syndicalisme reconnu, écouté et renforcé, sans un syndicalisme plus uni.
La journée d'aujourd'hui, consacrée à la bataille du syndicalisme pour moderniser la relation de travail salarié et l'émancipation du monde du travail marque une étape : celle de la conquête de nouveaux droits sociaux. Elle donne toute son actualité à la devise historique de la CGT « bien-être, liberté, solidarité ».source http://www.cgt.fr, le 2 mars 2007