Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, dans "Les Echos" du 6 mars 2007, sur le plan de restructuration d'Airbus, la campagne présidentielle et le SMIC.

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Q- Les syndicats mènent une journée d'action, aujourd'hui, pour protester contre le plan social d'Airbus. Qu'en attendez-vous ?
R - Il n'est pas normal que l'un des fleurons de la technologie européenne supprime 10 000 postes en 4 ans alors que son carnet de commandes est rempli pour plusieurs années. Nous entendons protester contre la logique financière du groupe, qui vise à satisfaire les actionnaires plutôt qu'à développer un véritable projet industriel. Pour une entreprise qui prétend être la vitrine de la construction européenne, c'est un mauvais signal. Pas la peine de s'interroger sur la crise du projet politique européen ! D'autant que les difficultés d'Airbus ne sont pas insurmontables. Il s'agit de problèmes temporaires de trésorerie, couplés au retard de construction de l'A380 et à la surévaluation de l'euro dans un marché calé sur le dollar.
Q - Des syndicats ont estimé qu'avec 4.300 suppressions de postes, la France avait été désavantagée par rapport à l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Espagne. Partagez-vous cette opinion ?
R - Il n'est pas question pour la CGT que les syndicats français se mettent en concurrence avec leurs homologues étrangers. Quel que soit leur pays, le sort des salariés d'Airbus est étroitement lié et nous perdrions beaucoup à défendre des visions étroites et sans avenir des intérêts nationaux. Nous sommes aujourd'hui dans une phase de rationalisation et d'externalisation. Comme dans l'automobile la prochaine étape risque d'être la délocalisation vers des pays de la zone dollar. Les répercussions du plan social d'Airbus sont beaucoup plus importantes que les 10 000 suppressions de postes prévues sur 4 ans. Pour les sous-traitants, dont certains dépendent à 80 % d'Airbus, ce sont plusieurs dizaines de milliers d'emplois qui sont en jeu. Lorsque la direction d'Airbus s'engage à ce qu'il n'y ait pas de licenciements secs, à aucun moment elle ne pense aux sous-traitants.
Q - Ségolène Royal, François Bayrou et Nicolas Sarkozy ont, chacun, rencontré les syndicats d'Airbus. Sont-ils dans leur rôle ?
R - Ils sont dans leur rôle de candidats à la présidentielle. Les hautes technologies sont censées être l'avenir de l'industrie en Europe, les candidats sont soucieux de montrer que leur discours n'est pas du vent. Il leur reste à le prouver.
Q - Ségolène Royal propose que les régions puissent entrer dans le capital d'EADS. Est-ce une bonne solution ?
R - C'est déjà le cas en Allemagne et cela n'offusque personne. Aux Etats-Unis, Boeing se développe et se protège grâce aux fonds publics. Nous devons avoir les mêmes moyens de nous défendre, non pas pour relever le bénéfice des actionnaires mais pour améliorer le plan industriel du groupe. Cela nécessite une recapitalisation du groupe par les pouvoirs publics nationaux et régionaux. Cela passe aussi par une intervention de l'Europe que Jacques Barrot, commissaire européen aux transports, vient de refuser. Ce genre d'attitude ne peut qu'approfondir le divorce entre les citoyens européens et les représentants politiques de l'Union.
Q - Vous regrettez que l'Etat modifie le code du Travail sans consulter les syndicats. Mais au vu des derniers accords, les partenaires sociaux semblent incapables de proposer des mesures novatrices...
R - La CGT a de nombreuses propositions, comme par exemple la Sécurité sociale professionnelle, mais ni l'Etat ni le MEDEF n'ont jusqu'à présent accepté de négocier ces revendications interprofessionnelles. J'ajoute que dans le patronat, le MEDEF impose sa vision, alors que les petites entreprises ont d'autres intérêts que ceux défendus par Laurence Parisot.
Q - La CGT vient de rendre publique une déclaration sur les élections. Vous refusez de donner une consigne de vote mais ne manquez là encore pas l'occasion d'épingler Nicolas Sarkozy ...
R - C'est vrai, ce n'est pas un scoop, que nous avons de grosses divergences avec le candidat de l'UMP - mais aussi avec d'autres- sur la politique économique et sociale qui doit être menée. Il suffit de comparer ce qu'ils disent et ce que revendique la CGT pour le constater...
Q - Vous avez refusé de le rencontrer alors que vous voyez Ségolène Royal vendredi. N'y a-t-il pas deux poids deux mesures ?
R - Nous avons choisi de nous adresser plutôt aux salariés sous forme notamment d'un journal qui sera diffusé à 1,5 million d'exemplaires. Cela nous semble plus efficace car c'est des électeurs que dépendra le résultat du scrutin présidentiel. La CGT n'a sollicité de rendez-vous avec aucun candidat. Nous examinons au cas par cas les demandes officielles de rencontre. Nous ne sommes pas focalisés sur tel ou tel candidat mais sur leurs projets politiques dans le domaine économique et social. Et sur ce point, il y a une énorme différence : le candidat de l'UMP affirme haut et fort que sa première loi remettra en cause le droit de grève.
Q - On vous entend surtout sur sa réforme du droit de grève et de la représentativité syndicale. N'avez-vous pas peur d'apparaître comme corporatiste ?
R - Les exemples étrangers ne manquent pas : les atteintes aux libertés syndicales précèdent souvent les atteintes sévères aux droits sociaux. Nicolas Sarkozy veut toucher à deux droits fondamentaux, qui sont des éléments très importants de la démocratie. Il veut aussi amplifier des mesures que nous avons déjà combattues. Je pense notamment au CNE. J'attends aussi de voir Nicolas Sarkozy expliquer aux salariés d'Airbus que pour gagner plus ils n'ont qu'à travailler plus.
Q - Votre virulence contre Nicolas Sarkozy n'est-elle pas une façon de rassembler la CGT contre un candidat pour éviter de se prononcer pour un autre, en l'occurrence celui du PC, qui plafonne à quelques pourcents dans les sondages ?
R - La déclaration de la CGT sur les élections de 2007, qui rappelle que nous n'avons pas vocation à donner une consigne de vote, a été adoptée à l'unanimité. Les choix de nos dirigeants, comme ceux de nos adhérents, penchent plutôt à gauche, c'est vrai. Mais on a aujourd'hui une CGT mature sur ses responsabilités qui sont d'ordre syndical. Tout le monde sait à la CGT que le syndicat a tout à perdre à devenir un terrain d'affrontement politique. C'est loin d'être négligeable quand je vois les fractures existant dans certaines confédérations étrangères. La plupart des dirigeants de la CGT ont parfaitement conscience que la priorité pour résoudre les problèmes sociaux est de travailler à un syndicalisme plus fort, des salariés mieux organisés, quel que soit le gouvernement. A ce propos, le futur président de la République doit avoir conscience du climat revendicatif qui l'attend : nous assistons à une montée en puissance des conflits salariaux dans les entreprises actuellement.
Q - Vous revendiquez un SMIC à 1.500 euros brut assorti d'un relèvement des grilles salariales. Que pensez-vous des propositions de Ségolène Royal sur ces sujets ?
R - D'abord, nous voulons un SMIC à 1.500 euros brut tout de suite, pas dans cinq ans. Ensuite, nous sommes contre les exonérations de cotisations sociales, même en échange d'une revalorisation salariale. Nous préférons une modulation des cotisations qui pénalise les entreprises qui abusent de la précarité et une responsabilisation des donneurs d'ordre sur l'emploi chez leurs sous-traitants. Dans les négociations sur l'Unedic, l'unité syndicale devra un jour se faire et tenir sur cette double revendication.
Q - On vous a entendu sur les programmes de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal, pas sur celui de François Bayrou. Que pensez-vous de sa social-économie et comment expliquez vous sa progression dans les sondages ?
R - Les exonérations de charge n'ont pas prouvé leur effet sur l'emploi. L'idée de M. Bayrou d'exonérer les deux premiers emplois créés est d'autant plus contestable qu'elle serait appliquée à l'aveugle, à toutes les entreprises dans tous les secteurs. Sur l'endettement de l'Etat, à force de vouloir adopter une position simple, il n'évite pas le simplisme. S'il s'agit d'investir sur du moyen ou long terme, l'endettement n'est pas condamnable en soi. Enfin, je n'ai pas à me prononcer sur la progression actuelle de M. Bayrou dans les sondages. Peut-être tient-elle en partie à une réaction citoyenne des électeurs face à des médias qui voudraient dicter leur conduite ? Un phénomène analogue a été constaté en 2002 et lors du référendum européen. A quoi bon prédire un résultat avant que l'électeur ne se soit prononcé ?
Propos recueillis par Leïla De Comarmond et Lucie Robequainsource http://www.cgt.fr, le 6 mars 2007