Déclaration de M. Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur la création d'un institut des Amériques, Paris le 5 mars 2007.

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Circonstance : Lancement de l'Institut des Amériques à l'Institut de France le 5 mars 2007

Texte intégral


C'est toujours pour moi un plaisir et un honneur de prendre la parole à l'Institut de France, devant une assemblée rassemblant les plus beaux esprits et les savants les plus respectés de notre pays.
Je voudrais redire devant vous tout le profond respect qui est le mien pour les cinq Académies qui forment l'Institut de France, et aussi toute l'importance que j'accorde à leurs recommandations. Tout récemment, j'ai reçu l'avis de l'Académie des sciences concernant l'apprentissage du calcul. C'est en me fondant sur cet avis que j'ai élaboré la circulaire que je présenterai après-demain sur ce sujet essentiel pour tous les élèves de France.
J'ai aussi souhaité associer étroitement plusieurs académiciens, scientifiques ou littéraires, aux rénovations pédagogiques que j'ai engagées.
Je pense notamment à la réécriture des programmes, pour laquelle j'ai sollicité Marc Fumaroli, de l'Académie française, et aussi le professeur Jean-François Bach, Secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences. Je pense aussi à la réforme de la grammaire, à laquelle j'ai associé Erik Orsenna.
Je suis pour ma part intimement convaincu que les Académies ont plus que jamais un rôle déterminant à jouer dans l'avenir de notre système éducatif. Vous avez d'ailleurs prouvé l'intérêt que vous portiez aux questions éducatives en faisant paraître une importante contribution sur l'avenir de notre jeunesse. Que les avis des Académies puissent peser sur le débat public, et sur l'orientation des politiques, cela me paraît non seulement justifié, ô combien, par votre science et votre autorité, mais aussi grandement souhaitable.
Car à une époque où prolifèrent les demi-vérités, les avis infondés, à une époque où la moindre opinion peut avoir son « quart d'heure de célébrité », il est bon que la voix des Académies puisse se faire entendre.
En venant prendre la parole devant vous, je souhaite poursuivre le dialogue entre mon ministère et les Académies, et vous présenter un grand projet scientifique qui, je crois, doit mobiliser les autorités académiques et intellectuelles de notre pays.
Ce projet, c'est l'Institut des Amériques.
Je n'ai pas besoin de vous rappeler le rôle éminent que la France a joué dans l'invention des Amériques comme objet d'étude et de réflexion. Le mot même d'Amérique a été inventé en France, il y a cinq cents ans exactement, à Saint-Dié des Vosges. Dès ce moment, l'Amérique est pour l'esprit français autant une idée qu'un territoire. Et c'est d'ailleurs encore en France, à Paris cette fois, au début du second Empire, que fut imaginée la notion d' « Amérique latine ». La France a ainsi projeté sur les Amériques ses concepts, ses visions, ses idéaux.
En consacrant en juin 2005 une séance interacadémique exceptionnelle à Alexis de Tocqueville, vous avez rappelé toute l'importance et l'actualité de cet auteur qui est l'un de mes préférés. Nous savons tous ce que ce penseur exceptionnel a apporté à l'analyse de la démocratie américaine, mais aussi, en retour, à l'analyse de la France. Il a apporté l'une des plus belles illustrations des beaux fruits que nous pouvons tirer de la comparaison entre les deux rives de l'Atlantique. Mais il n'y a pas que Tocqueville : il y a tous ces grands savants et intellectuels français, souvent des académiciens d'ailleurs, qui consacrent ou ont consacré leur vie au continent américain.
Et quel bel objet d'étude que ce continent !
Car il ne s'agit pas seulement d'un objet physique : c'est en quelque sorte le condensateur de nos rêves et de nos utopies.
Rêves des origines, lorsque la découverte des Amériques redonna son lustre au fantasme de l'homme primitif.
Et c'est ainsi que les Amériques furent associées aux premiers balbutiements de l'anthropologie Comme le disait Rousseau, érigé par Lévi-Strauss en père fondateur des sciences de l'homme : « quand on veut étudier les hommes, il faut regarder près de soi ; mais pour étudier l'homme, il faut apprendre à porter sa vue au loin ».
L'horizon des Amériques fut précisément ce lointain vers lequel se tournèrent les regards de tous ceux qui, comme Montaigne, firent de l'homme l'objet de leurs réflexions. Ce fut aussi l'horizon de ceux qui voulurent inventer une nouvelle façon pour les hommes de vivre ensemble, en réalisant l'idéal de liberté des Lumières.
Dans toutes les Amériques, l'esprit du XVIIIème siècle français a circulé et a donné ses plus belles couleurs. La Révolution américaine et la Révolution française ont dialogué comme deux soeurs nées de la même idée de la primauté du droit naturel. Les indépendances latino-américaines sont nées dans l'évocation permanente de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789, traduite par le grand Antonio Narino.
L'amitié franco-américaine c'est alors Jefferson s'écriant : « Tout homme a deux patries, la sienne et la France ». C'est Bolivar séjournant en France au temps de Napoléon et puisant à diverses sources les ferments de son génie libérateur.
De cette époque est née une entente réciproque et indéfectible entre nos jeunes Républiques, éclairées par un soleil de juillet.
L'esprit de progrès n'a cessé d'inspirer ensuite l'ensemble de nos relations. La fécondation mutuelle des universités a été et reste une grande réalité. Le cas de la naissance de l'Université de Sao Paolo dans les années 30 par l'appui de jeunes universitaires appelés à devenir les grands noms des sciences humaines françaises n'est que le plus emblématique. Aujourd'hui encore, de multiples accords scellent cet esprit de coopération. J'en veux pour preuve l'espace d'enseignement supérieur Union européenne-Amérique latine -Caraïbes qui vise à créer de véritables ponts entre nos diplômes et dont l'Institut des Amériques devra être un fer de lance. Aujourd'hui encore, les Amériques cristallisent nos rêves. C'est le fameux « rêve américain ».
Mais au-delà des souvenirs, des rêves et des constructions théoriques, les Amériques constituent aujourd'hui une formidable réalité physique, politique et culturelle, que caractérise une grande diversité.
L'Institut des Amériques a justement vocation a être le lieu où se concentrera la recherche française sur cet objet polymorphe, en perpétuelle mutation.
Car parler des Amériques, c'est d'emblée risquer le jeu de l'unité et de la diversité. Il y a bien sûr la grande distinction entre l'Amérique latine d'une part, les États-Unis et le Canada d'autre part et cette distinction a vocation à structurer un institut comme celui-là. Mais cela ne doit pas faire ignorer le caractère pluriel et mélangé des Amériques.
De la Terre de Feu au Rio Bravo, et du Rio Bravo à l'Alaska, les histoires nationales, les processus identitaires, les réalités économiques sont multiples.
La France elle-même a une histoire très riche sur le continent américain. Du Québec aux Antilles, de la Louisiane à la Guyane, la France a porté sa destinée sur des terres qui sont riches à son coeur. Aujourd'hui, les départements français des Amériques ont un avenir qui passent par leur capacité à jouer un rôle d'interface entre l'Europe et les Amériques.
Les évolutions les plus récentes accentuent les convergences américaines. Amérique latine et Amérique septentrionale s'interpénètrent de plus en plus. Les migrations hispaniques aux États-Unis en sont l'illustration la plus marquante.
Cette minorité compte près de 40 millions de personnes, dont plus de 7 millions d'électeurs, qui influencent l'évolution de la culture américaine : la langue, l'art ainsi que l'économie et bien sûr la politique.
Principale minorité de la principale puissance du monde, les Latinos des États-Unis sont le ferment d'une évolution intérieure et extérieure majeure.
Ils ont pesé sur les dernières campagnes présidentielles. Ils influenceront aussi de plus en plus la politique étrangère des États-Unis.
Lorsque l'on travaillera sur la relation transatlantique dans le futur, on parlera de plus en plus de « triangle atlantique » pour tenir compte du poids grandissant de l'Amérique latine dans le monde occidental. Ce sera vrai sur le plan politique mais aussi sur le plan économique. D'ores et déjà, le commerce avec le Mercosur atteint une taille significative. Sait-on que nos investissements au Brésil sont plus importants encore que nos investissements en Chine ? Ces phénomènes d'intégration et de différenciation sont donc autant de champs d'études passionnants que l'Institut des Amériques pourra prendre en charge et fédérer. Je voudrais insister un instant sur ce dernier point, qui contribue à justifier la création de l'Institut des Amériques.
Bien sûr, de nombreuses équipes de recherches étudient déjà les Amériques, et dans de nombreuses disciplines : histoire, géographie, ethnologie, anthropologie, relations internationales, économie, science politique, droit etc.
Mais ce qui fait toujours cruellement défaut à la recherche française, c'est un lieu qui puisse concentrer autour de l'objet « Amériques », l'ensemble des recherches qui lui sont consacrées. Aujourd'hui, comme vous le savez, la recherche française accomplit un immense effort pour regrouper ses forces au sein de structures fédératives, comme les Pôles de recherche et d'enseignement supérieur, ou les Réseaux thématiques de recherche avancée. J'en profite pour remercier la commission présidée par Jean Dercour, de l'Académie des sciences, qui nous a donnée la capacité à apprécier les différents projets, et même parfois à les faire évoluer, comme c'est le cas en l'espèce.
Le projet d'Institut des Amériques s'inscrit dans le même effort, et le même esprit : faire travailler ensemble les chercheurs qui se consacrent à un même objet d'étude, pour gagner en efficacité, pour créer des synergies, et pour atteindre une visibilité suffisante sur le plan international.
Il répond d'autant plus à l'esprit de cette loi qu'il provient de la communauté des chercheurs concernés qui ont développé cette idée depuis de nombreuses années sous l'oeil bienveillant de mes prédécesseurs, depuis Claude Allègre jusqu'à François Fillon, en passant par Jack Lang et Luc Ferry.
Je suis heureux aujourd'hui de pouvoir donner l'impulsion décisive, celle qui permet de créer l'institution et de lui donner les moyens de son existence. J'ai souhaité le faire parce que je suis intimement persuadé que la France a besoin d'institutions de ce type, ayant la masse critique nécessaire et la visibilité internationale nous permettant de compter scientifiquement dans le monde d'aujourd'hui.
Les chercheurs proposent de se regrouper en un Groupement d'Intérêt scientifique « Institut des Amériques » à partir de l'élargissement de l'actuel « GIS Amérique latine ». C'est une formule pragmatique et concrète qui doit permettre d'évoluer en quelques mois vers une fondation. Aujourd'hui, la recherche sur les Amériques est dispersée sur toute la France. Le but n'est pas, bien entendu, de tout rassembler en un seul lieu.
Il s'agit plutôt de mettre en réseau tous les laboratoires de recherche, autour d'une tête de réseau implantée à Paris.
Il y aura donc trois « étages » :
- une grande bibliothèque-médiathèque,
- des projets de recherche communs,
- et des enseignements établis conjointement entre les universités partenaires.
J'ai souhaité l'inscription dans le contrat de plan État-Région, à hauteur de 9 millions d'euros, des dépenses d'investissement nécessaires pour la réalisation d'un tel lieu. Je remercie la région Ile de France pour sa participation qui traduit sa volonté de rayonnement international vers les Amériques mais aussi sa politique en matière de bibliothèque universitaire. Le recteur-chancelier de Paris a veillé personnellement à l'aboutissement de ce dossier, ce dont je le remercie aussi vivement, de même qu'à l'identification du lieu qui sera dans la grande aire universitaire Jussieu-Tolbiac en pleine évolution.
Alors que, aujourd'hui, il n'y a pas un lieu en France de concentration des ressources documentaires sur les États-Unis et le Canada ; alors que la superbe bibliothèque de l'Institut des Hautes études de l'Amérique latine ne peut plus se développer faute de place, la bibliothèque de l'Institut des Amériques permettra aux chercheurs et aux étudiants de disposer d'un instrument de travail efficace et rayonnant. L'abonnement aux banques de données sera un aspect décisif des premières réalisations et j'ai demandé que le site web de l'Institut des Amériques puisse rapidement offrir les services attendus à tous ses membres.
Il s'agira donc de créer un vrai maillage international de lieux de recherche, associant, autour d'un centre parisien, des implantations dans les régions françaises, et aussi des pôles installés sur le continent américain.
Ce sont près de 20 établissements, l'Université de la Sorbonne Nouvelle ayant joué un rôle moteur ce dont je félicite son président, qui sont associés à ce projet et qui pourront ainsi voir épanouir leurs actions en direction du continent américain. L'Institut des Amériques pourra d'ailleurs être un instrument pour l'ensemble des établissements français dans leurs relations transatlantiques. Car, ne nous y trompons pas, c'est une conception de la place et du rôle de l'Université dans la société que je souhaite promouvoir au travers d'un tel projet.
L'Université n'est pas une citadelle. Elle est ouverte sur le monde. Lors de la crise internationale liée à la guerre en Irak, nous avons manqué d'un lieu tel que celui-ci pour que, au-delà des clichés et des incompréhensions, de vrais échanges intellectuels permettent d'éclairer le débat public. Dans un grand pays comme le nôtre, l'Université doit jouer un rôle dans les grandes options internationales que prend l'État mais aussi dans les stratégies des entreprises, des associations humanitaires. C'est en jouant ce rôle d'influence, lié à la qualité de sa recherche, que l'Université peut bien préparer ses étudiants à la vie professionnelle. La qualité de la formation dépend de la qualité scientifique qui elle-même suppose une ouverture au monde. Il faudra un comité des amis de l'Institut des Amériques pour associer les États et les acteurs de la société civile à son développement. Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, vos pays pourront donc être des acteurs de la vie de l'institution.
L'Institut des Amériques devra aussi travailler avec la commission européenne et avec de grandes institutions internationales comme la Banque interaméricaine de développement.
Pour l'étude des questions internationales, le projet d'Institut des Amériques préfigure sans doute d'autres regroupements à venir dans le paysage universitaire français. Il existe un projet d'Ecole de relations internationales qui pourra certainement s'articuler avec l'Institut des Amériques. Sur l'Europe, l'Afrique ou l'Asie, de nouvelles synergies sont aussi à attendre.
Mesdames et Messieurs, l'acte que nous vivons aujourd'hui est un acte de science et d'amitié. Je l'ai voulu solennel car il doit marquer une grande ambition scientifique pour l'Université et pour la vie intellectuelle française en général. Je l'ai voulu collectif car j'ai voulu marquer l'amitié qui doit unir nos pays.
Je suis un homme de paix et je suis le ministre d'un État qui oeuvre pour la paix. En voyant tous les ambassadeurs des Amériques que je réunissais il y a peu de temps pour échanger sur ce projet, je mesurais l'importance de l'enjeu et la chance que nous avons de pouvoir nous entendre pour aller vers un but commun.
Le continent américain est souvent appelé le Nouveau Monde. Depuis sa découverte, il est le moteur, mental et matériel, de ce que l'on nomme aujourd'hui la mondialisation. Le grand défi de notre temps est de réussir cette mondialisation. C'est par le dialogue, l'équilibre, la compréhension mutuelle que l'on y parviendra. Permettez-moi de penser que le beau projet que je vous ai présenté aujourd'hui y contribuera.
Je vous remercie.Source http://www.education.gouv.fr, le 6 mars 2007