Texte intégral
Tout d'abord, je voudrais exprimer ma reconnaissance aux autorités chinoises pour l'accueil qui m'a été réservé ainsi qu'à ma délégation à l'occasion de mon voyage à Pékin. Cette visite est pour moi importante car la Chine confirme chaque jour son rôle de très grande puissance, ses progrès économiques rapides et la place qu'elle prend dans notre monde interdépendant. Comme l'a affirmé le président de la République lors de sa visite d'Etat en Chine au mois d'octobre 2006, la France veut être pour la Chine un partenaire de référence.
Je me suis entretenu avec le Premier ministre, M. Wen Jiabao, ainsi qu'avec mon homologue, M. Li Zzhaoxing. Nous avons eu des échanges très approfondis sur plusieurs sujets d'actualité : l'Iran, la Corée du Nord, la crise libanaise, la situation au Moyen Orient, les sommets Afrique-France et Chine-Afrique, et puis bien sûr le Darfour et le Soudan. Nous avons procédé à un tour d'horizon de la relation franco-chinoise dont la qualité est aujourd'hui excellente, et dont l'intensité mérite d'être soulignée. Les perspectives offertes à notre coopération dans les domaines économiques majeurs, je pense au nucléaire, au ferroviaire, à l'aéronautique, ont été abordées.
Je suis venu également comme président mondial d'UNITAID et j'ai souhaité sensibiliser les autorités chinoises à l'importance de soutenir activement cette initiative fondée sur des financements innovants pour lutter contre la grande pauvreté dans les pays du Sud. Nous avons eu des discussions utiles sur la politique d'aide publique au développement, notamment en Afrique, car la Chine, comme la France, a des responsabilités de pays donateur vis-à-vis de ce continent.
Les grands projets de coopération médicale et culturelle entre nos deux pays ont également été au centre de mes entretiens. J'ai enfin rencontré le Comité d'organisation des Jeux Olympiques de 2008 ainsi que la municipalité de Pékin.
Q - Que pensez-vous des ouvertures américaines à la Syrie et à l'Iran dans le cadre des discussions entre grandes puissances, le fait que les Américains acceptent de participer à une discussion avec l'Iran et la Syrie sur le Moyen-Orient et l'Irak ?
R - Nous avons toujours été favorables au principe d'une telle conférence parce que nous estimons que l'avenir de l'Irak passe, d'une part, à l'horizon 2008, par un retrait des forces militaires internationales et en particulier américaines et britanniques et, d'autre part, par une souveraineté progressivement retrouvée de l'Irak sur la police, la justice, l'armée et tout ce qui fait un Etat de droit. Nous pensons que cela ne peut être fait qu'à partir d'une conférence qui réunirait tous les pays de la région. Nous sommes tout à fait favorables à cette conférence.
Q - Voyez-vous en cela un changement de l'attitude américaine ?
R - Désormais, l'opinion américaine souhaite un retrait progressif d'Irak. Tout le problème du retrait des forces internationales en Irak est le suivant : y rester, c'est rester dans un climat de guerre civile, un climat de conflit ethnique, de conflit religieux, de conflit au sein de la société civile et de conflit entre les occupants et les occupés. Certains pensent que partir ne ferait qu'accroître le chaos. Vous ne pouvez sortir de cette double logique de chaos que par un retour à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de l'Irak. Il est évident que tous les pays voisins de l'Irak sont parties prenantes à la stabilité de la région.
Q - Sur le dossier du nucléaire iranien, avez-vous senti que les Chinois étaient prêts à suivre les autres partenaires ?
R - Sur le nucléaire iranien, nous avons aujourd'hui le rapport de M. El Baradeï, demandé par la résolution 1737 du 23 décembre dernier qui a été votée à l'unanimité. Vous avez remarqué que l'Iran a refusé l'entrée de 38 inspecteurs de l'AIEA sur le territoire iranien. Ce rapport montre que les Iraniens n'ont pas mis en oeuvre ce que la résolution 1737 leur demandait. A partir de là nous avons toujours la même approche, nous Français. Elle combine la fermeté, en demandant aux Iraniens de suspendre leurs activités nucléaires sensibles, c'est-à-dire la conversion, l'enrichissement, mais également tout le programme balistique iranien et une volonté d'ouverture et de dialogue. C'est dans cet esprit que le président Chirac, déjà mi-septembre, avait fait la proposition à New York de double suspension : vous suspendez vos activités nucléaires sensibles, vous Iraniens, et nous, nous suspendons nos sanctions. Ils n'ont pas voulu entendre cela, je le regrette, mais notons que la porte du dialogue est toujours ouverte.
A partir de là, nous travaillons actuellement. Les directeurs politiques du groupe des Six sont en train de travailler. Ils se sont rencontrés à Londres il y a trois jours, pour discuter d'un projet de résolution. Tout le rôle de la France est d'être ce point d'équilibre entre des Américains et des Britanniques qui veulent toujours plus de sanctions et des Russes et des Chinois qui ne souhaitent pas un tel niveau de sanctions. Le maître mot pour nous, c'est l'unité de la communauté internationale. Si une résolution, quelle qu'elle soit, n'était pas votée par l'un des cinq membres du Conseil de sécurité de l'ONU et par le Conseil de sécurité en entier, cela amoindrirait sa force politique vis-à-vis de l'Iran. L'Iran est devant un choix stratégique face à l'unité de la communauté internationale, et la Chine est totalement d'accord sur cette unité-là. Ou l'Iran s'isole ou il suspend ses activités nucléaires sensibles et alors oui, la négociation est ouverte.
Q - Voyez-vous la participation de la Chine à cette conférence sur l'Irak comme un élément supplémentaire de l'influence diplomatique chinoise ?
R - La Chine est un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, donc elle est au coeur même de ces discussions. Il ne se passe pas une semaine sans que nous n'ayons une discussion avec les Chinois. C'est un pays, comme vous le savez, qui joue un rôle éminent. Je pense au rôle de la Chine dans la crise nucléaire nord-coréenne. C'est un exemple des efforts de la diplomatie chinoise que je salue. Ce n'est pas pour autant que le dossier est bouclé et qu'il y a une dénucléarisation totale de la Corée du nord, mais nous avons souligné le caractère positif de la diplomatie chinoise sur ce sujet. Sur le sujet iranien, peut-être qu'en effet on ne les entend pas autant alors qu'ils ont un rôle majeur en tant que membre permanent du Conseil de sécurité.
Q - Soutenez-vous une participation de la Chine au Quartet sur le Proche-Orient ?
R - Les Chinois ont eu l'occasion de s'exprimer sur le Proche-Orient. J'en ai parlé longuement avec M. Li Zhaoxing hier. Vous pourriez aussi faire remarquer que les Chinois sont les seuls à s'abstenir de s'exprimer sur la résolution sur le Darfour. Il y a là, de la part des Chinois, une vision qui leur est propre. Je crois que, d'une manière générale, les Chinois et les Français partagent la même vision du multilatéralisme, nous croyons que le monde sera multipolaire et nous souhaitons qu'il le soit plus encore.
C'est la raison pour laquelle je plaide personnellement pour l'union politique de l'Europe. Le moment de l'Irak a presque été un moment manqué pour l'Europe parce qu'il y avait d'un côté des Américains et de l'autre des Français qui s'opposaient au Conseil de sécurité des Nations unies. J'ai regretté que l'Europe ne soit pas unie contre cette intervention militaire en Irak. Mais aujourd'hui, l'Europe est en train de s'organiser, sur le plan politique et de la défense. La Chine devient un pôle elle-même avec les pays qui l'entourent.
Il est normal qu'il y ait des discussions permanentes. Si nous reprenons le dossier israélo-palestinien, nous pensons que la médiation saoudienne à La Mecque a été positive. Nous pensons qu'elle a été positive tout d'abord parce qu'elle met fin à des affrontements entre le Fatah et le Hamas, entre les deux parties palestiniennes. Il est bon de mettre fin à cet affrontement qui peut mener au chaos, auquel personne n'a intérêt, à commencer par les Israéliens. Nous soutenons M. Abbas qui souhaite mettre en place un gouvernement d'union nationale. Qu'il le fasse avec M. Haniyeh, c'est une chose. Il a expliqué que le Hamas y serait minoritaire, que les trois postes des Finances, des Affaires étrangères et de l'Intérieur ne seraient pas au Hamas, mais surtout il a dit que le gouvernement d'union nationale reconnaîtrait les accords OLP-Israël. Pour moi, le fait qu'il reconnaisse ces accords montre qu'il reconnaît implicitement Israël. Si tel était le cas, si un gouvernement d'union nationale, qui reconnaît les accords OLP-Israël était en place dans les Territoires palestiniens, je propose que l'Union européenne coopère avec lui. Ce n'est pas la voie américaine, c'est la voie européenne et je souhaite qu'il y ait une voie européenne dans le conflit israélo-palestinien.
Q - Comment voyez-vous l'implication de la Chine en Afrique ?
R - Nous nous réjouissons de voir que la Chine s'intéresse à l'Afrique, puisque nous aimons ce continent. Nous venons de tenir le 24ème sommet Afrique-France. Souvent certains de nos compatriotes nous disent : regardez, nous sommes moins présents en Afrique, il y a d'autres pays qui s'y impliquent. Oui, bien sûr, il y a d'autres pays, il y a les Etats-Unis qui investissent aujourd'hui beaucoup en Afrique. Les Etats-Unis viennent de décider d'un commandement militaire pour l'Afrique, c'est un élément majeur. Il y a les Chinois qui investissent beaucoup en Afrique. Les Iraniens s'intéressent aujourd'hui à l'Afrique. Et je pourrais continuer comme ça une longue liste.
Pourquoi ? D'abord parce que l'Afrique est à 5 % de croissance annuelle depuis plus de dix ans. Il faut commencer à comprendre que la croissance du monde va se trouver de plus en plus en Afrique. La jeunesse du monde est en Afrique. Tous les grands défis et tous les grands risques aujourd'hui du XXIème siècle sont en Afrique. Les investisseurs sont partout et je ne peux que me féliciter de l'aide ou de l'intérêt pour l'Afrique que montrent les Chinois, mais je dis en même temps aux Chinois qu'il faut le faire en aidant l'Afrique à avoir une bonne gouvernance. Que signifie la bonne gouvernance ? C'est donner de l'argent à des Etats s'ils sont capables de diminuer leurs dettes, de rentrer au Club de Paris, aider des Etats qui ne sont pas corrompus. Il y a donc aussi cette réflexion que nous devons avoir avec la Chine.
Enfin, l'Afrique concentre les grands risques mondiaux. Le poumon droit de la planète, c'est l'Amérique du Sud et le poumon gauche c'est l'Afrique centrale, et il est très important de nous battre les uns et les autres pour dire à tous les pays d'Afrique centrale qu'il ne faut pas déforester et que les investisseurs du monde entier doivent respecter aussi ce poumon-là. Je pourrais également parler du risque sanitaire, d'où la raison d'être d'UNITAID.
Q - Sur le Soudan par exemple et la bonne gouvernance, pensez-vous que la Chine n'en fait pas assez ?
R - C'est une discussion que j'ai eue hier avec M. Li sur le Soudan et le Darfour. Tout le monde connaît les relations économiques entre le Soudan et la Chine. J'ai été très intéressé par la discussion que j'ai eue avec mon homologue. Parce que je pense que la crise du Darfour est une crise d'une gravité exceptionnelle, la plus grave crise du continent africain aujourd'hui, parce que le Soudan est le plus grand pays africain, parce qu'il a des frontières avec neuf autres pays, parce que vous avez trois risques.
Le risque humanitaire, tout le monde le connaît. Ce sont 300.000 morts, 2,5 millions de déplacés, 150.000 à 200.000 personnes exclues de toute aide humanitaire. Tout le monde est touché par cette situation, en particulier les opinions publiques occidentales qui trouvent cela intolérable, et elles ont raison. J'ai signé moi-même l'appel que Bernard Kouchner a fait, que j'ai fait, que nous avons tous fait ensemble.
Il y a aussi un risque politique de partition du Soudan. Ce n'est qu'en janvier 2004 que l'accord du Sud Soudan a été trouvé.
Il y a enfin un risque régional. Vous connaissez bien le Tchad, la Centrafrique, et je vois qu'il peut y avoir une extension du conflit du Darfour aux autres pays limitrophes. Il nous faut prendre garde à ce risque d'extension.
Lorsqu'au Conseil de sécurité des Nations unies nous avons voté il y a deux mois une résolution qui prévoit la plus grande opération de maintien de la paix jamais votée par les Nations unies, 20.000 hommes, 16.000 Casques bleus, 4.000 gendarmes, en effet, ceux qui se sont abstenus, ce sont les Chinois. En face, on a vu le président Béchir refuser toute entrée d'un Casque bleu au Darfour, en disant : "je n'accepterai pas que le diable puisse rentrer et transformer ce conflit du Darfour en conflit entre les Etats-Unis et le monde musulman". Et nous devons faire très attention à ne pas aussi donner cette impression là. C'est la raison pour laquelle je pense que la médiation érythréenne, comme ce que fait la France aujourd'hui, va dans le bon sens.
Il faut trouver un accord politique que j'appellerais "Abuja +". L'accord d'Abuja, c'est un groupe rebelle qui discute avec le gouvernement du Soudan, il faut que les trois autres groupes rebelles qui n'ont pas signé l'accord d'Abuja viennent le signer. A partir de là, il y aura un accord politique. C'est ce sur quoi nous avons travaillé et j'ai abordé ce sujet avec mes amis chinois. Je leur ai dit qu'il fallait nous aider dans cette médiation-là, ils en ont convenu. En attendant, il faut demander à M. Béchir d'accepter un déploiement de la force hybride au Darfour dans les plus brefs délais, et les Chinois en conviennent aussi.
Q - Pensez-vous que, quelle que soit la personne qui sera élue aux prochaines élections présidentielles, la relation franco-chinoise ne peut que se développer automatiquement ou faudra-t-il y mettre une volonté politique ?
R - La Chine et la France ont cela de spécifique, entre autres, que ce sont des peuples qui ont derrière eux des civilisations et des cultures anciennes. On ne peut développer des relations avec la Chine que si elles sont empreintes de confiance. Et cette confiance-là, elle repose sur deux éléments majeurs : la fréquence de la rencontre et le respect de l'autre. Je crois qu'en effet il y aura cette volonté, pour plusieurs raisons.
La première, évidente, c'est tout simplement en raison de l'enjeu économique que représente la Chine aujourd'hui, sur des sujets aussi importants que le nucléaire ou les transports. Je viens de signer une convention entre une PME toulousaine qui fait la première application de Galileo avec les pompiers de la ville de Chongqing. Si cette application aboutit à un magnifique projet qui permettra de mieux maîtriser les incendies, il y aura derrière un marché colossal. Personne n'a le choix aujourd'hui dans le monde sur les relations économiques. Il y a une mondialisation, elle s'impose à nous. J'espère qu'elle sera la plus équitable, la plus solidaire possible, mais elle est aussi basée sur l'économie de marché.
La seconde, c'est le respect. Je pense qu'il est fondamental de continuer à respecter les Chinois. Hier, j'ai eu l'occasion d'aborder la question des Droits de l'Homme devant mon homologue chinois, d'aborder cela de manière calme, mais j'ai dit des choses que je devais dire. J'ai parlé de la Birmanie, j'ai parlé de cette femme prix Nobel de la paix, actuellement dans les geôles birmanes et j'ai demandé aux Chinois de nous aider là-dessus. Il n'y a pas de sujet tabou mais simplement il y a un respect à avoir aussi.
Q - Y aura-t-il des coopérations entre la France et la Chine pour les Jeux Olympiques ?
R - Les athlètes français vont participer et, j'espère, gagner des médailles. Nous avons organisé à plusieurs reprises des Jeux Olympiques et nous sommes disposés à aider les organisateurs chinois, en termes de sécurité, d'organisation, de médecine d'urgence. Il y a aussi la Francophonie, et nous en avons beaucoup parlé avec les responsables des Jeux Olympiques, et nous allons aider à parler le français, pendant ces Jeux Olympiques, car, comme vous le savez, le français est la langue des Jeux Olympiques.
Q - Vous allez participer à la rencontre à six sur l'Iran, quelles sont les perspectives de sanctions ?
R - Sur les sanctions, il faut savoir que nous avons voté des sanctions le 23 décembre dernier, c'était la résolution 1737. Nous n'avons pas encore défini la deuxième résolution. Ce que nous voyons c'est que, pour la première fois depuis longtemps, un débat s'installe en Iran. Il y a en effet un grand débat entre certains anciens comme M. Rafsandjani ou son frère ou l'ancien président Khatami ou même quelques proches du guide Khamenei, qui se posent la question de savoir si oui ou non le discours radical du président Ahmadinejad est le bon. Ce débat n'existait pas avant, et je pense que les sanctions votées lors de la résolution 1737 n'y sont pas pour rien. Par ailleurs, je renouvelle ma condamnation des propos inacceptables et choquants du président Ahmadinejad concernant Israël et la tenue d'une conférence sur l'Holocauste en décembre dernier.
Q - Airbus a dévoilé hier son plan de restructuration, certains candidats, comme Mme Royal qui a déclaré que si elle était élue, demanderaient son annulation, je voudrais avoir votre opinion là-dessus.
R - Airbus est le plus grand succès européen sur le plan industriel. Il y a quinze ans, sur dix avions de ligne de plus de cent places, trois Airbus étaient vendus pour sept Boeing. Aujourd'hui, il y a au moins six Airbus pour quatre Boeing, sur dix avions vendus. Le plan Power 8 a été présenté. Il est nécessaire qu'il n'y ait pas de licenciement sec, c'est d'ailleurs ce que le président M. Gallois a proposé. Je crois qu'il est très important de bien suivre les activités d'Airbus à la fois au niveau d'Airbus même mais également au niveau des sous-traitants, car vous savez que, de plus en plus, un avion est construit par les sous-traitants. L'argent de l'Etat d'un côté, l'argent des collectivités locales de l'autre, ont été importants pour le développement d'Airbus. Il est donc important aujourd'hui de regarder de très près l'avenir de ces sites. Je vois avec plaisir que la décision d'assembler l'Airbus A350 a été prise pour Toulouse. C'est une bonne chose pour Toulouse car c'est un avion d'avenir. Je souhaite regarder de plus près l'ensemble du plan, de façon à être sûr que la masse critique que représentent les chercheurs, les ingénieurs d'Airbus et des sous-traitants reste présente et que cette masse critique ne diminue pas, car il faut des années pour arriver au niveau où nous sommes arrivés à Toulouse. Je fais confiance à la direction d'Airbus pour cela. Mais ce puzzle qui s'est monté progressivement au fil des années pour aboutir à un joyau qui s'appelle Airbus doit être respecté.
Merci beaucoup.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 mars 2007
Je me suis entretenu avec le Premier ministre, M. Wen Jiabao, ainsi qu'avec mon homologue, M. Li Zzhaoxing. Nous avons eu des échanges très approfondis sur plusieurs sujets d'actualité : l'Iran, la Corée du Nord, la crise libanaise, la situation au Moyen Orient, les sommets Afrique-France et Chine-Afrique, et puis bien sûr le Darfour et le Soudan. Nous avons procédé à un tour d'horizon de la relation franco-chinoise dont la qualité est aujourd'hui excellente, et dont l'intensité mérite d'être soulignée. Les perspectives offertes à notre coopération dans les domaines économiques majeurs, je pense au nucléaire, au ferroviaire, à l'aéronautique, ont été abordées.
Je suis venu également comme président mondial d'UNITAID et j'ai souhaité sensibiliser les autorités chinoises à l'importance de soutenir activement cette initiative fondée sur des financements innovants pour lutter contre la grande pauvreté dans les pays du Sud. Nous avons eu des discussions utiles sur la politique d'aide publique au développement, notamment en Afrique, car la Chine, comme la France, a des responsabilités de pays donateur vis-à-vis de ce continent.
Les grands projets de coopération médicale et culturelle entre nos deux pays ont également été au centre de mes entretiens. J'ai enfin rencontré le Comité d'organisation des Jeux Olympiques de 2008 ainsi que la municipalité de Pékin.
Q - Que pensez-vous des ouvertures américaines à la Syrie et à l'Iran dans le cadre des discussions entre grandes puissances, le fait que les Américains acceptent de participer à une discussion avec l'Iran et la Syrie sur le Moyen-Orient et l'Irak ?
R - Nous avons toujours été favorables au principe d'une telle conférence parce que nous estimons que l'avenir de l'Irak passe, d'une part, à l'horizon 2008, par un retrait des forces militaires internationales et en particulier américaines et britanniques et, d'autre part, par une souveraineté progressivement retrouvée de l'Irak sur la police, la justice, l'armée et tout ce qui fait un Etat de droit. Nous pensons que cela ne peut être fait qu'à partir d'une conférence qui réunirait tous les pays de la région. Nous sommes tout à fait favorables à cette conférence.
Q - Voyez-vous en cela un changement de l'attitude américaine ?
R - Désormais, l'opinion américaine souhaite un retrait progressif d'Irak. Tout le problème du retrait des forces internationales en Irak est le suivant : y rester, c'est rester dans un climat de guerre civile, un climat de conflit ethnique, de conflit religieux, de conflit au sein de la société civile et de conflit entre les occupants et les occupés. Certains pensent que partir ne ferait qu'accroître le chaos. Vous ne pouvez sortir de cette double logique de chaos que par un retour à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de l'Irak. Il est évident que tous les pays voisins de l'Irak sont parties prenantes à la stabilité de la région.
Q - Sur le dossier du nucléaire iranien, avez-vous senti que les Chinois étaient prêts à suivre les autres partenaires ?
R - Sur le nucléaire iranien, nous avons aujourd'hui le rapport de M. El Baradeï, demandé par la résolution 1737 du 23 décembre dernier qui a été votée à l'unanimité. Vous avez remarqué que l'Iran a refusé l'entrée de 38 inspecteurs de l'AIEA sur le territoire iranien. Ce rapport montre que les Iraniens n'ont pas mis en oeuvre ce que la résolution 1737 leur demandait. A partir de là nous avons toujours la même approche, nous Français. Elle combine la fermeté, en demandant aux Iraniens de suspendre leurs activités nucléaires sensibles, c'est-à-dire la conversion, l'enrichissement, mais également tout le programme balistique iranien et une volonté d'ouverture et de dialogue. C'est dans cet esprit que le président Chirac, déjà mi-septembre, avait fait la proposition à New York de double suspension : vous suspendez vos activités nucléaires sensibles, vous Iraniens, et nous, nous suspendons nos sanctions. Ils n'ont pas voulu entendre cela, je le regrette, mais notons que la porte du dialogue est toujours ouverte.
A partir de là, nous travaillons actuellement. Les directeurs politiques du groupe des Six sont en train de travailler. Ils se sont rencontrés à Londres il y a trois jours, pour discuter d'un projet de résolution. Tout le rôle de la France est d'être ce point d'équilibre entre des Américains et des Britanniques qui veulent toujours plus de sanctions et des Russes et des Chinois qui ne souhaitent pas un tel niveau de sanctions. Le maître mot pour nous, c'est l'unité de la communauté internationale. Si une résolution, quelle qu'elle soit, n'était pas votée par l'un des cinq membres du Conseil de sécurité de l'ONU et par le Conseil de sécurité en entier, cela amoindrirait sa force politique vis-à-vis de l'Iran. L'Iran est devant un choix stratégique face à l'unité de la communauté internationale, et la Chine est totalement d'accord sur cette unité-là. Ou l'Iran s'isole ou il suspend ses activités nucléaires sensibles et alors oui, la négociation est ouverte.
Q - Voyez-vous la participation de la Chine à cette conférence sur l'Irak comme un élément supplémentaire de l'influence diplomatique chinoise ?
R - La Chine est un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, donc elle est au coeur même de ces discussions. Il ne se passe pas une semaine sans que nous n'ayons une discussion avec les Chinois. C'est un pays, comme vous le savez, qui joue un rôle éminent. Je pense au rôle de la Chine dans la crise nucléaire nord-coréenne. C'est un exemple des efforts de la diplomatie chinoise que je salue. Ce n'est pas pour autant que le dossier est bouclé et qu'il y a une dénucléarisation totale de la Corée du nord, mais nous avons souligné le caractère positif de la diplomatie chinoise sur ce sujet. Sur le sujet iranien, peut-être qu'en effet on ne les entend pas autant alors qu'ils ont un rôle majeur en tant que membre permanent du Conseil de sécurité.
Q - Soutenez-vous une participation de la Chine au Quartet sur le Proche-Orient ?
R - Les Chinois ont eu l'occasion de s'exprimer sur le Proche-Orient. J'en ai parlé longuement avec M. Li Zhaoxing hier. Vous pourriez aussi faire remarquer que les Chinois sont les seuls à s'abstenir de s'exprimer sur la résolution sur le Darfour. Il y a là, de la part des Chinois, une vision qui leur est propre. Je crois que, d'une manière générale, les Chinois et les Français partagent la même vision du multilatéralisme, nous croyons que le monde sera multipolaire et nous souhaitons qu'il le soit plus encore.
C'est la raison pour laquelle je plaide personnellement pour l'union politique de l'Europe. Le moment de l'Irak a presque été un moment manqué pour l'Europe parce qu'il y avait d'un côté des Américains et de l'autre des Français qui s'opposaient au Conseil de sécurité des Nations unies. J'ai regretté que l'Europe ne soit pas unie contre cette intervention militaire en Irak. Mais aujourd'hui, l'Europe est en train de s'organiser, sur le plan politique et de la défense. La Chine devient un pôle elle-même avec les pays qui l'entourent.
Il est normal qu'il y ait des discussions permanentes. Si nous reprenons le dossier israélo-palestinien, nous pensons que la médiation saoudienne à La Mecque a été positive. Nous pensons qu'elle a été positive tout d'abord parce qu'elle met fin à des affrontements entre le Fatah et le Hamas, entre les deux parties palestiniennes. Il est bon de mettre fin à cet affrontement qui peut mener au chaos, auquel personne n'a intérêt, à commencer par les Israéliens. Nous soutenons M. Abbas qui souhaite mettre en place un gouvernement d'union nationale. Qu'il le fasse avec M. Haniyeh, c'est une chose. Il a expliqué que le Hamas y serait minoritaire, que les trois postes des Finances, des Affaires étrangères et de l'Intérieur ne seraient pas au Hamas, mais surtout il a dit que le gouvernement d'union nationale reconnaîtrait les accords OLP-Israël. Pour moi, le fait qu'il reconnaisse ces accords montre qu'il reconnaît implicitement Israël. Si tel était le cas, si un gouvernement d'union nationale, qui reconnaît les accords OLP-Israël était en place dans les Territoires palestiniens, je propose que l'Union européenne coopère avec lui. Ce n'est pas la voie américaine, c'est la voie européenne et je souhaite qu'il y ait une voie européenne dans le conflit israélo-palestinien.
Q - Comment voyez-vous l'implication de la Chine en Afrique ?
R - Nous nous réjouissons de voir que la Chine s'intéresse à l'Afrique, puisque nous aimons ce continent. Nous venons de tenir le 24ème sommet Afrique-France. Souvent certains de nos compatriotes nous disent : regardez, nous sommes moins présents en Afrique, il y a d'autres pays qui s'y impliquent. Oui, bien sûr, il y a d'autres pays, il y a les Etats-Unis qui investissent aujourd'hui beaucoup en Afrique. Les Etats-Unis viennent de décider d'un commandement militaire pour l'Afrique, c'est un élément majeur. Il y a les Chinois qui investissent beaucoup en Afrique. Les Iraniens s'intéressent aujourd'hui à l'Afrique. Et je pourrais continuer comme ça une longue liste.
Pourquoi ? D'abord parce que l'Afrique est à 5 % de croissance annuelle depuis plus de dix ans. Il faut commencer à comprendre que la croissance du monde va se trouver de plus en plus en Afrique. La jeunesse du monde est en Afrique. Tous les grands défis et tous les grands risques aujourd'hui du XXIème siècle sont en Afrique. Les investisseurs sont partout et je ne peux que me féliciter de l'aide ou de l'intérêt pour l'Afrique que montrent les Chinois, mais je dis en même temps aux Chinois qu'il faut le faire en aidant l'Afrique à avoir une bonne gouvernance. Que signifie la bonne gouvernance ? C'est donner de l'argent à des Etats s'ils sont capables de diminuer leurs dettes, de rentrer au Club de Paris, aider des Etats qui ne sont pas corrompus. Il y a donc aussi cette réflexion que nous devons avoir avec la Chine.
Enfin, l'Afrique concentre les grands risques mondiaux. Le poumon droit de la planète, c'est l'Amérique du Sud et le poumon gauche c'est l'Afrique centrale, et il est très important de nous battre les uns et les autres pour dire à tous les pays d'Afrique centrale qu'il ne faut pas déforester et que les investisseurs du monde entier doivent respecter aussi ce poumon-là. Je pourrais également parler du risque sanitaire, d'où la raison d'être d'UNITAID.
Q - Sur le Soudan par exemple et la bonne gouvernance, pensez-vous que la Chine n'en fait pas assez ?
R - C'est une discussion que j'ai eue hier avec M. Li sur le Soudan et le Darfour. Tout le monde connaît les relations économiques entre le Soudan et la Chine. J'ai été très intéressé par la discussion que j'ai eue avec mon homologue. Parce que je pense que la crise du Darfour est une crise d'une gravité exceptionnelle, la plus grave crise du continent africain aujourd'hui, parce que le Soudan est le plus grand pays africain, parce qu'il a des frontières avec neuf autres pays, parce que vous avez trois risques.
Le risque humanitaire, tout le monde le connaît. Ce sont 300.000 morts, 2,5 millions de déplacés, 150.000 à 200.000 personnes exclues de toute aide humanitaire. Tout le monde est touché par cette situation, en particulier les opinions publiques occidentales qui trouvent cela intolérable, et elles ont raison. J'ai signé moi-même l'appel que Bernard Kouchner a fait, que j'ai fait, que nous avons tous fait ensemble.
Il y a aussi un risque politique de partition du Soudan. Ce n'est qu'en janvier 2004 que l'accord du Sud Soudan a été trouvé.
Il y a enfin un risque régional. Vous connaissez bien le Tchad, la Centrafrique, et je vois qu'il peut y avoir une extension du conflit du Darfour aux autres pays limitrophes. Il nous faut prendre garde à ce risque d'extension.
Lorsqu'au Conseil de sécurité des Nations unies nous avons voté il y a deux mois une résolution qui prévoit la plus grande opération de maintien de la paix jamais votée par les Nations unies, 20.000 hommes, 16.000 Casques bleus, 4.000 gendarmes, en effet, ceux qui se sont abstenus, ce sont les Chinois. En face, on a vu le président Béchir refuser toute entrée d'un Casque bleu au Darfour, en disant : "je n'accepterai pas que le diable puisse rentrer et transformer ce conflit du Darfour en conflit entre les Etats-Unis et le monde musulman". Et nous devons faire très attention à ne pas aussi donner cette impression là. C'est la raison pour laquelle je pense que la médiation érythréenne, comme ce que fait la France aujourd'hui, va dans le bon sens.
Il faut trouver un accord politique que j'appellerais "Abuja +". L'accord d'Abuja, c'est un groupe rebelle qui discute avec le gouvernement du Soudan, il faut que les trois autres groupes rebelles qui n'ont pas signé l'accord d'Abuja viennent le signer. A partir de là, il y aura un accord politique. C'est ce sur quoi nous avons travaillé et j'ai abordé ce sujet avec mes amis chinois. Je leur ai dit qu'il fallait nous aider dans cette médiation-là, ils en ont convenu. En attendant, il faut demander à M. Béchir d'accepter un déploiement de la force hybride au Darfour dans les plus brefs délais, et les Chinois en conviennent aussi.
Q - Pensez-vous que, quelle que soit la personne qui sera élue aux prochaines élections présidentielles, la relation franco-chinoise ne peut que se développer automatiquement ou faudra-t-il y mettre une volonté politique ?
R - La Chine et la France ont cela de spécifique, entre autres, que ce sont des peuples qui ont derrière eux des civilisations et des cultures anciennes. On ne peut développer des relations avec la Chine que si elles sont empreintes de confiance. Et cette confiance-là, elle repose sur deux éléments majeurs : la fréquence de la rencontre et le respect de l'autre. Je crois qu'en effet il y aura cette volonté, pour plusieurs raisons.
La première, évidente, c'est tout simplement en raison de l'enjeu économique que représente la Chine aujourd'hui, sur des sujets aussi importants que le nucléaire ou les transports. Je viens de signer une convention entre une PME toulousaine qui fait la première application de Galileo avec les pompiers de la ville de Chongqing. Si cette application aboutit à un magnifique projet qui permettra de mieux maîtriser les incendies, il y aura derrière un marché colossal. Personne n'a le choix aujourd'hui dans le monde sur les relations économiques. Il y a une mondialisation, elle s'impose à nous. J'espère qu'elle sera la plus équitable, la plus solidaire possible, mais elle est aussi basée sur l'économie de marché.
La seconde, c'est le respect. Je pense qu'il est fondamental de continuer à respecter les Chinois. Hier, j'ai eu l'occasion d'aborder la question des Droits de l'Homme devant mon homologue chinois, d'aborder cela de manière calme, mais j'ai dit des choses que je devais dire. J'ai parlé de la Birmanie, j'ai parlé de cette femme prix Nobel de la paix, actuellement dans les geôles birmanes et j'ai demandé aux Chinois de nous aider là-dessus. Il n'y a pas de sujet tabou mais simplement il y a un respect à avoir aussi.
Q - Y aura-t-il des coopérations entre la France et la Chine pour les Jeux Olympiques ?
R - Les athlètes français vont participer et, j'espère, gagner des médailles. Nous avons organisé à plusieurs reprises des Jeux Olympiques et nous sommes disposés à aider les organisateurs chinois, en termes de sécurité, d'organisation, de médecine d'urgence. Il y a aussi la Francophonie, et nous en avons beaucoup parlé avec les responsables des Jeux Olympiques, et nous allons aider à parler le français, pendant ces Jeux Olympiques, car, comme vous le savez, le français est la langue des Jeux Olympiques.
Q - Vous allez participer à la rencontre à six sur l'Iran, quelles sont les perspectives de sanctions ?
R - Sur les sanctions, il faut savoir que nous avons voté des sanctions le 23 décembre dernier, c'était la résolution 1737. Nous n'avons pas encore défini la deuxième résolution. Ce que nous voyons c'est que, pour la première fois depuis longtemps, un débat s'installe en Iran. Il y a en effet un grand débat entre certains anciens comme M. Rafsandjani ou son frère ou l'ancien président Khatami ou même quelques proches du guide Khamenei, qui se posent la question de savoir si oui ou non le discours radical du président Ahmadinejad est le bon. Ce débat n'existait pas avant, et je pense que les sanctions votées lors de la résolution 1737 n'y sont pas pour rien. Par ailleurs, je renouvelle ma condamnation des propos inacceptables et choquants du président Ahmadinejad concernant Israël et la tenue d'une conférence sur l'Holocauste en décembre dernier.
Q - Airbus a dévoilé hier son plan de restructuration, certains candidats, comme Mme Royal qui a déclaré que si elle était élue, demanderaient son annulation, je voudrais avoir votre opinion là-dessus.
R - Airbus est le plus grand succès européen sur le plan industriel. Il y a quinze ans, sur dix avions de ligne de plus de cent places, trois Airbus étaient vendus pour sept Boeing. Aujourd'hui, il y a au moins six Airbus pour quatre Boeing, sur dix avions vendus. Le plan Power 8 a été présenté. Il est nécessaire qu'il n'y ait pas de licenciement sec, c'est d'ailleurs ce que le président M. Gallois a proposé. Je crois qu'il est très important de bien suivre les activités d'Airbus à la fois au niveau d'Airbus même mais également au niveau des sous-traitants, car vous savez que, de plus en plus, un avion est construit par les sous-traitants. L'argent de l'Etat d'un côté, l'argent des collectivités locales de l'autre, ont été importants pour le développement d'Airbus. Il est donc important aujourd'hui de regarder de très près l'avenir de ces sites. Je vois avec plaisir que la décision d'assembler l'Airbus A350 a été prise pour Toulouse. C'est une bonne chose pour Toulouse car c'est un avion d'avenir. Je souhaite regarder de plus près l'ensemble du plan, de façon à être sûr que la masse critique que représentent les chercheurs, les ingénieurs d'Airbus et des sous-traitants reste présente et que cette masse critique ne diminue pas, car il faut des années pour arriver au niveau où nous sommes arrivés à Toulouse. Je fais confiance à la direction d'Airbus pour cela. Mais ce puzzle qui s'est monté progressivement au fil des années pour aboutir à un joyau qui s'appelle Airbus doit être respecté.
Merci beaucoup.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 mars 2007