Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec LCI le 3 mars 2007, sur le bilan de son action diplomatique et l'influence de la France dans le monde.

Prononcé le

Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q - Commençons par votre livre, "Des affaires pas si étrangères", qui ne vous sont pas si étrangères puisqu'il y a deux ans que vous en avez la charge au Quai d'Orsay. Vous avez souhaité faire un bilan et ce qui est aussi intéressant et original, c'est ce petit glossaire, à la fin de votre livre, ce petit lexique qui peut, je crois, en intéresser plus d'un.
R - Il s'agit, en fait, d'un clin d'oeil pour montrer que ces affaires ne sont pas si étrangères à la campagne présidentielle actuelle. Je crois que ce que pensent Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal, François Bayrou ou d'autres, de l'Iran, du Moyen-Orient, des relations transatlantiques, de l'avenir de l'Union européenne, est important. Ce que pensent les candidats à la présidence de la République de la politique européenne est plus important pour nos enfants et nos petits-enfants que ce qu'ils pensent, par exemple, du logement à court terme en France, même si le logement en France est une question très importante.
Ce livre est une réflexion. Cela commence à l'Assemblée générale des Nations unies, en septembre 2007par un chapitre "fiction" : 191 personnes regardent la tête du président de la République française. Est-ce une femme ou un homme ? Je ne le sais pas, mais en tout cas, que pense-il des grands domaines internationaux ? J'ai voulu simplement expliquer que, dans le monde dans lequel nous vivons, ce que pense cet homme ou cette femme de ces sujets aura des conséquences.
Prenons l'exemple de l'Inde qui comptera 1 milliard 700 millions de personnes en 2050. Sur ce milliard 700 millions de personnes, il y aura 20 % de chercheurs, d'ingénieurs, d'universitaires. Si l'Union européenne ne met pas des milliards, des centaines de milliards d'euros pour la recherche, eh bien c'est terminé ! Non seulement l'Inde sera dans la cour des grands mais nous ne jouerons même plus dans la cour des moyens.
Q - D'autant que les Indiens sont, aujourd'hui, très souvent en stage en France ou ailleurs pour repérer les meilleures technologies tout comme les Chinois, les Japonais ou autres.
R - Dans les années 70, les Américains ont entrepris la grande révolution du XXème siècle qui est Internet, les technologies de l'information. Pour nous, maintenant, la vraie technologie, ce sont les nanotechnologies. Et, dans ce secteur, les Indiens sont en train de s'y mettre. Pourtant, nous avons les meilleurs chercheurs fondamentalistes chez nous. A Toulouse, il y a des recherches du CNRS qui sont remarquables à ce sujet, mais les "Start up", elles, partent en Inde. Il faut donc tout faire pour relever le gant. Voilà, ces "Affaires" ne sont pas si étrangères : la politique internationale, c'est en même temps de la politique française.
Q - Puisque vous avez ouvert votre livre par ce fameux discours fictif qui aura lieu devant l'Assemblée générale des Nations unies dans 6 mois, revenons peut-être en arrière, avec le fameux discours de votre prédécesseur, Dominique de Villepin. Depuis ces 4 années, avez-vous l'impression que la place de la France, l'influence de la France, reste malgré tout la même dans le monde ?
R - L'influence de la France est encore plus importante. Nous avons besoin, le monde a besoin d'une voix qui ne soit pas alignée. Il suffit de regarder le monde entier, le monde arabe, le monde africain, le monde américain ou anglo-saxon. On nous écoute, on s'agace parfois mais nous sommes très respectés. Pourquoi ? C'est très simple, parce que nous respectons la souveraineté des peuples. C'est quelque chose d'intangible pour nous. Nous respectons l'indépendance et l'union nationale des peuples et nous pensons que les peuples doivent disposer d'eux-mêmes. C'est vrai au Liban, c'est vrai en Irak, c'est vrai au Canada, c'est vrai partout : ce sont cela les valeurs françaises.
Aujourd'hui, dans la Corne de l'Afrique, vous avez le monde arabe et non arabe face à face. Le monde occidental et le monde musulman qui se regardent ; on le voit avec l'Iran. La France se doit d'être au point d'équilibre.
Le président Chirac a cette vision-là. Le président Mitterrand avant lui a porté cet esprit, l'esprit de la France, est un esprit d'équilibre et de respect de l'autre.
Q - Dans votre livre, il y a à la fois ce dictionnaire de géopolitique qui est très utile pour les nouvelles générations et les anciennes également, je pense, mais qu'aimeriez-vous laisser comme traces en tant que ministre des Affaires étrangères ?
R - Il n'y a qu'une seule chose que je revendique, c'est peut-être d'avoir, un peu mieux que les autres écouté le discours de Jacques Chirac et du président brésilien, M. Lula.
Ce discours était de dire que le XXIème siècle sera le siècle du drame si le fossé entre les pays riches, qui sont de plus en plus riches, et les pays pauvres, qui restent toujours aussi pauvres, continue de se creuser.
L'idée, c'est d'inventer un nouveau concept, celui de la mondialisation équitable, la mondialisation solidaire. Il faut trouver de nouvelles contributions de solidarité avec des produits de la mondialisation tels que les billets d'avion, les recherches sur Google ou les accès à Internet qui, lorsque nous les utiliserons, apporteront un petit peu d'aide aux autres, de manière citoyenne et anonyme, pour réguler le monde qui devient complètement fou. Vous avez des centaines de millions de gens qui vont émigrer dans les pays du Nord, les pays riches, avec la xénophobie et le racisme derrière, et vous avez surtout des foyers de terrorisme effroyable, du à la colère et à l'humiliation.
Donnons des médicaments aux pays du Sud à travers UNITAID. On croit que ces questions relèvent de la morale, de l'éthique, du ministre de la Santé ou des médecins. Eh bien non, il s'agit bien là de politique internationale à l'état pur.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 mars 2007