Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, lors de la conférence de presse conjointe avec Cheikh Abdallah Bin Zayed Nahyan, ministre émirien des affaires étrangères, sur les relations bilatérales et la coopération culturelle franco-émiraties, les questions internationales liées au programme nucléaire iranien, au dialogue euro-palestinien, à la création du tribunal international au Liban, Abou Dabi le 11 mars 2007.

Prononcé le

Circonstance : Voyage de Ph. Douste-Blazy aux Emirats arabes unis (EAU) le 11 mars 2007

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Je voudrais, tout d'abord, remercier le Prince héritier d'Abou Dabi, Cheikh Mohammed Bin Zayed, ainsi que mon homologue, S.A. Cheikh Abdallah Bin Zayed, qui est un de mes amis personnels. Je suis heureux de le saluer et de lui dire que, petit à petit, je considère Abou Dabi comme mon pays, un pays que j'aime profondément. Je voudrais également remercier l'ensemble des autorités d'Abou Dabi pour la qualité de l'accueil qu'elles ont bien voulu nous réserver, à moi-même et à l'ensemble de ma délégation.
Cette visite s'inscrit dans le cadre d'une relation bilatérale très solide, très ancienne, de coopération, depuis plusieurs années, dans la droite ligne de ce que votre père avait dessiné. Elle témoigne de l'étroitesse de nos liens et de l'importance que nous attachons, à Paris comme à Abou Dabi, au dialogue confiant et constructif qui existe entre nos deux pays. Le rythme de nos rencontres et de nos échanges, la convergence de nos points de vue sur l'ensemble des questions régionales et internationales, sont une indication qui ne trompe pas sur le caractère exemplaire de nos relations.
Lors de nos entretiens, j'ai tenu à rappeler à mes interlocuteurs le soutien de la France, en cette période troublée que connaissent, aujourd'hui encore, le Golfe et le Moyen-Orient, à la sécurité et à la stabilité des Emirats arabes unis.
Ce soutien passe, bien sûr, par l'intensification de nos échanges politiques, mais aussi par le renforcement de notre coopération, notamment dans les domaines stratégiques de la sécurité et de la défense. Je vous rappelle, à ce titre, que nos deux pays sont liés, depuis 1995, par un accord de défense qui doit toujours être poursuivi et développé.
Et puis il y a le domaine culturel et éducatif et, à cet égard, Cher Ami, on vous doit beaucoup. La création d'un musée des Beaux-Arts, portant le nom de "Louvre Abou Dabi", en partenariat avec le Musée du Louvre, le plus grand des musées français, est l'illustration la plus éclatante de ce que nous pouvons faire ensemble. C'est avec des opérations de cette dimension que l'on mesure la vitalité des échanges entre nos pays.
Avant la réalisation de cette magnifique opération, il y a déjà eu des actions de coopération engagées avec l'université de La Sorbonne, de l'Ecole normale supérieure ou du lycée Louis le Grand. Le projet de coopération avec l'Ecole centrale, qui nous tient tous les deux à coeur, viendra, je l'espère, compléter l'offre française d'enseignement supérieur, aux côtés de La Sorbonne, de l'INSEAD, de l'ESMOD et de HEC.
D'autre part, vous le savez, les Emirats arabes unis constituent, pour la France, un partenaire commercial majeur au Moyen-Orient. Les échanges commerciaux se développent avec un très grand dynamisme. Encore aujourd'hui, nous venons de rencontrer des industriels qui viennent de signer un accord de coopération entre Suez et Al-Qudra pour établir un centre de décision régional en matière d'environnement. Les exportations françaises aux Emirats progressent notamment grâce à la vitalité de la communauté de plus en plus importante
Les entreprises françaises mesurent la nécessité d'être toujours plus performantes dans leurs offres, sur un marché en très forte croissance, caractérisé, je le sais, par une très forte compétition, mais aussi par la diversité de vos projets.
Enfin, nous avons abordé l'actualité régionale et internationale, en particulier le dossier iranien qui est si important pour la stabilité et l'avenir de la Fédération et du Moyen-Orient tout entier. Nous avons évidemment évoqué la situation en Irak, où la réunion préparatoire avait eu lieu hier et où nous étions, évidemment, représentés. Nous nous sommes également entretenus de la situation au Proche-Orient où, plus que jamais, une solution politique du conflit irakien devient nécessaire.
Je voudrais, par ailleurs, vous remercier, Altesse, pour votre présence à la Conférence de Paris III, que le président Chirac avait organisée, et pour le soutien financier exemplaire - à la fois par son importance mais aussi par la rapidité de sa mise en oeuvre.
Sur tous ces sujets, j'ai pu recevoir l'éclairage de Cheikh Abdallah et de Cheikh Mohammed : celui des Emirats arabes unis, de ses dirigeants qui partagent avec la France les mêmes valeurs de respect des civilisations et des religions, de respect de l'autre tout simplement. C'est la raison pour laquelle nous sommes d'accord sur la plupart des volets régionaux et internationaux. Merci encore pour votre invitation.
Q - Vous avez déclaré hier au Koweït que les membres permanents au Conseil de sécurité seraient favorables au renforcement des sanctions à l'encontre de l'Iran. Comment la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis vont-ils pouvoir dépasser les obstacles présentés par la Chine et la Russie sur cette question du renforcement des sanctions ?
Autre évolution marquante ces derniers jours : la visite de M. Javier Solana à Damas, laquelle a été saluée par le président Chirac. Que s'est-il passé pour que la France change ainsi radicalement de position au sujet d'un dialogue avec la Syrie ?
R - Concernant l'Iran, il faut bien comprendre que notre position non seulement ne varie pas mais qu'elle est axée autour de deux mots-clé : ceux de fermeté et de dialogue. Les deux mots vont ensemble.
Fermeté quand, le 23 décembre dernier, à l'unanimité des membres du Conseil de sécurité des Nations unies, nous définissions des sanctions économiques vis-à-vis de l'Iran, pour la première fois. Nous avons demandé à l'Iran un certain nombre de pas concrets. L'Iran a décidé de ne pas les faire. Après avoir pris connaissance du rapport négatif du directeur général de l'AIEA, M. El Baradeï, nous avons donc décidé, Allemands, Britanniques, Français, mais aussi Américains, Russes et Chinois, de nous revoir. Nos directeurs politiques se sont rencontrés, il y a quelques jours, et nous travaillons actuellement à une deuxième résolution qui vise à reprendre l'esprit même de la résolution 1737.
Nous pensons qu'il faut des sanctions, qu'il s'agisse des personnes ou les entités responsables des programmes nucléaire et balistique. En suivant le même processus, la France doit s'attacher à l'unanimité car s'il n'y a pas d'unanimité, il n'y a pas d'efficacité. Vous avez cependant raison de dire, et ce n'est un secret pour personne, que la Russie et la Chine d'un côté, les Américains de l'autre, ne sont pas tout à fait d'accord. A nous de trouver des accords comme nous l'avons toujours fait, depuis deux ans, que ce soit au niveau de l'Agence - au Conseil des gouverneurs - ou que ce soit au niveau du Conseil de sécurité.
Ceci étant, nous sommes ouverts au dialogue. Le président Chirac l'a toujours dit : suspension des activités nucléaires sensibles d'un côté ; suspension des sanctions de l'autre. Je regrette que les Iraniens, pour l'instant, n'aient pas saisi la main que nous leur avons tendue.
Concernant la Syrie, ce que nous ne souhaitions pas - le président Chirac l'a dit à plusieurs reprises -, c'est que chaque pays engage une démarche unilatérale, au fil de l'eau, sans politique préétablie et que chaque pays européen aille voir les uns ou les autres - ce n'est pas notre idée de l'Europe. Notre idée de l'Europe, c'est une Europe politique, une Europe qui ait une politique étrangère et une politique de défense commune. A cet égard, nous avons un homme de grand talent, le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, Javier Solana. Les 27 pays de l'UE ont établi une feuille de route précise, avec un discours précis, non pas au nom de la Commission mais au nom du Conseil européen, au nom des responsables politiques européens, pour dire à la Syrie ce que nous souhaitons.
Je tiens à souligner que, pour nous, il est important que les différentes résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies portant sur le tribunal à caractère international visant à savoir qui a tué l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri - mais aussi d'autres personnalités : journalistes, députés - personnalités de la société civile -, soient mises en oeuvre. M. Brammetz fait aujourd'hui son travail à la tête de la commission internationale qu'il dirige. Le Tribunal international doit pouvoir, le moment venu, désigner et punir ceux qui ont fait cela.
Q - Concernant l'accord qui vient d'être signé et la coopération culturelle entre les Emirats et la France : dans quelle mesure va-t-il contribuer à l'élargissement des relations sur le plan culturel ?
Vous avez parlé d'une politique de fermeté et de dialogue. Si le dialogue échoue, cela signifiera-t-il que la fermeté sera incarnée par l'option militaire ? Quelle est la position de la France au sujet d'un usage de la force à l'encontre de l'Iran ?
R - Avant d'être ministre des Affaires étrangères, j'ai été ministre de la Culture. Ce poste avait été occupé par Jacques Duhamel, qui a été un très grand ministre de la Culture en France. On lui avait posé la question suivante : pour vous, qu'est-ce que la culture ? Il avait répondu : "la culture, pour quelqu'un qui y croit et estime que c'est important, c'est la différence entre une journée de travail et une journée de vie". C'est une très belle définition.
La culture, c'est la vie. La culture, c'est ce qui permet de comprendre qu'il y a des différences entre les hommes, entre les civilisations. La culture n'existe que si elle se frotte à une autre. Sinon, c'est une dictature. La culture, c'est l'essentiel de la vie. Il est merveilleux de pouvoir avoir des musées, de pouvoir montrer des peintures, de pouvoir montrer des sculptures, de pouvoir écouter des musiques, issues d'autres cultures. Lorsque l'on ouvre tout un pan du Musée du Louvre à l'art islamique, lorsque le président Chirac ouvre un des plus grands musées du monde, celui des Arts primitifs, lorsque les Emirats arabes unis, Cheikh Mohammed et Cheikh Abdallah, décident de lancer le musée du "Louvre Abou Dabi", ils travaillent pour l'humanité.
En réalité, on dépasse de très loin les problèmes régionaux, les problèmes politiques, les difficultés quotidiennes, on est dans ce qui est de plus beau chez l'homme, c'est-à-dire la culture. Par définition, c'est quelque chose qui ne peut que nous rapprocher et, surtout, rapprocher les hommes qui vivent sur cette planète. Si ces derniers ne se connaissent pas et ne se comprennent pas, alors ils se combattent.
Je dois dire aussi que tout ce que nous faisons sur le plan de l'éducation et des diplômes est absolument nécessaire. Plus il y aura d'étudiants émiriens à HEC, plus nous serons heureux. Pourquoi ? Parce que les jeunes, Emiriens et Français, de vingt à vingt-cinq ans, qui vont se rencontrer à HEC vont devenir amis pour le reste de leur vie ; ensuite, ils vont faire des affaires ensemble. C'est bon pour nos pays alors qu'aujourd'hui, toutes les élites du monde partent à Berkeley ou à Harvard. Je n'ai rien contre mais Polytechnique ou HEC ce n'est pas mal non plus ! On peut aussi se battre pour cela.
Concernant l'Iran, je comprends votre question. Que se passe-t-il, à un moment donné, si la voie diplomatique ne marche pas ? Tout d'abord, je pense très franchement que la voie diplomatique est possible. J'y crois, et je ne veux pas croire un seul instant que l'Iran, après s'être isolé politiquement et économiquement, puisse prendre d'autres risques. On évoque l'hypothèse d'un recours à la force. Je pense personnellement que les Etats-Unis reconnaissent que la stratégie alliant disponibilité au dialogue et pression porte actuellement ses fruits. Je l'ai dit hier, il me semble que pour la première fois depuis très longtemps il y a débat en Iran entre d'une part le discours radical de Ahmadinejad et, de l'autre, un discours différent de l'ancien président Khatami, de Rafsanjani, de son frère, de certains proches du guide Khamenei.
Vous posez une question sur la force. Les contacts actuels entre Américains, Européens, Russes et Chinois relatifs à l'adoption de nouvelles mesures témoignent de l'adhésion de tous à cette démarche diplomatique qui privilégie l'adoption de pressions par la communauté internationale dans un cadre multilatéral, y compris des Etats-Unis. Notre objectif est donc une solution négociée, dans le cadre du système multilatéral. Les autorités américaines se sont exprimées à plusieurs reprises et au plus haut niveau dans le même sens. La résolution 1737 est placée sous l'article 41 de la Charte qui exclut tout recours à la force. J'ajoute qu'une frappe militaire contre l'Iran aurait des conséquences imprévisibles et profondément déstabilisatrices, aussi, pour l'ensemble de la région. Aujourd'hui nous sommes dans la diplomatie et dans des sanctions d'ordre économique.
Q - L'Union européenne a récemment pris une décision au sujet du gouvernement palestinien. Existe-t-il des mécanismes de dialogue avec ce gouvernement et quelles sont les perspectives ouvertes par ce dialogue ?
R - J'observerai d'abord que la France a déjà dit, à plusieurs reprises, qu'elle est prête à reprendre des contacts directs avec tout gouvernement palestinien légitime dont la plate-forme politique prendrait en compte les attentes de la communauté internationale. Nous préciserons notre position dès lors que ce gouvernement sera formellement investi et nous serons, bien sûr, très attentifs au contenu de cette plate-forme. Il est important que celle-ci reflète une prise en compte des principes du Quartet. Vous les connaissez : les trois principes, auxquels nous sommes très attachés et qui doivent être le point d'aboutissement d'un processus engagé avec le Hamas.
En tout état de cause, il faut éviter que la fenêtre d'opportunités ouverte par l'accord de la Mecque du 8 février et la constitution éventuelle du nouveau gouvernement palestinien, ne se referme prématurément. Ignorer l'évolution positive que traduit l'accord de la Mecque reviendrait à saboter, je dis bien à saboter, l'action du président Mahmoud Abbas pour rassembler les Palestiniens et finirait par le décrédibiliser. L'alternative serait la guerre civile à Gaza et, demain peut-être, en Cisjordanie. Seuls les extrémistes ont intérêt à cela. C'est la position de la France, qu'elle défend notamment auprès de ses partenaires européens. La réunion tripartite de Jérusalem du 19 février a permis de poursuivre le dialogue au plus haut niveau entre Ehud Olmert et M. Abbas. Il s'agit maintenant de réfléchir à un réel horizon politique pour les Palestiniens et de mettre en oeuvre un certain nombre de mesures concrètes.
Il y a aussi des mesures à prendre du côté israélien. En particulier, la concrétisation des mesures sur lesquelles le Premier ministre israélien s'était engagé en décembre vis-à-vis de Mahmoud Abbas : libération de prisonniers, allègement des entraves à la circulation dans les Territoires, dégel complémentaire des taxes dues à l'Autorité palestinienne. Et puis il y a des signes forts qui sont importants, aussi, du côté palestinien : libération du caporal Gilad Shalit qui a la double nationalité française et israélienne. Voilà ce que je voulais dire. Il y a donc une voie européenne, j'en suis persuadé : la France plaide pour qu'il y ait une voie européenne dans le règlement du conflit.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2007