Texte intégral
Q - Quels sont les buts de votre visite aux Emirats arabes Unis et au Koweït ? et quelles sont les questions que vous allez aborder avec les dirigeants de ces deux pays?
R - Tout d'abord, cette visite aux Emirats arabes unis et au Koweït est une indication de l'excellence des relations qui sont celles de la France avec ces deux pays. Il existe un dialogue politique continu et une très forte convergence de vues entre les dirigeants français, koweïtiens et émiriens sur de nombreux sujets, en particulier en ce qui concerne les grandes questions régionales : l'Irak, l'Iran, le Liban et la nécessaire relance du processus de paix au Proche-Orient.
Le Koweït et les Emirats arabes unis sont également d'importants partenaires économiques pour la France, aussi bien s'agissant de nos échanges commerciaux, en forte progression, qu'en ce qui concerne les flux d'investissements.
Enfin, dans le domaine éducatif et culturel existe une véritable volonté dans ces deux pays de nouer des liens toujours plus forts avec la France. La récente signature d'un accord sur la création à Abou Dabi d'un musée des beaux-arts portant le nom de " Louvre Abou Dabi " et l'ouverture de plusieurs antennes d'établissements universitaires français en sont de très bons exemples. De même, à Koweït, nous avons l'intention d'évoquer le renforcement de notre coopération, notamment dans le domaine médical mais aussi au travers de l'ouverture, dès cette année, d'une Alliance française.
Q - Vous allez ouvrir avec Le cheikh Abdallah bin Zayed Al Nahyan, ministre des Affaires étrangères de la fédération des Emirats, les travaux de la XVème Commission mixte franco-émirienne. Quelle est votre appréciation de l'état de la coopération entre les deux pays ?
R - La France et les Emirats arabes unis sont liés par un accord de coopération scientifique et technique signé en 1975. Des commissions mixtes de coopération ont lieu régulièrement entre nos deux pays, la dernière s'étant tenue en novembre 2001. Il s'agit aujourd'hui, de la XVème Commission mixte. La coopération entre nos deux pays s'est sensiblement accentuée au cours des dernières années et des derniers mois.
Enfin, dans le domaine judiciaire et juridique, notre coopération avec les Emirats arabes unis a été élevé au niveau fédéral en janvier 2002, grâce à la signature d'un nouvel accord entre l'Ecole nationale de la magistrature (ENM) et l'Institut fédéral d'Abou Dabi. D'autre part, une coopération administrative axée sur la formation des cadres administratifs a été engagée depuis 2002 entre l'ENA-IIAP et l'Institut de développement administratif d'Abou Dabi. Plusieurs sujets d'intérêt commun sont susceptibles d'être évoqués à l'occasion de la tenue de la commission mixte. Deux conventions d'entraide judiciaire doivent, par ailleurs, être signées.
Q - Les Emirats et La France sont des pionniers dans le dialogue entre les cultures et les peuples. L'ouverture, récemment, d'une antenne de la Sorbonne à Abou Dabi et la signature d'un accord sur la création d'un musée portant le nom de ''Louvre Abou Dabi" en témoignent. Quelle est la vision qui motive ces événements ?
R - La France est les Emirats arabes unis ont su bâtir un partenariat solide et durable dans le domaine de la culture et de l'éducation.
Dans le domaine éducatif, notre coopération a connu récemment un nouvel élan avec l'implantation d'une antenne de l'université Paris IV-La Sorbonne à Abou Dabi. Je suis, à ce titre, particulièrement satisfait de la rapidité avec laquelle ce projet a pu être mis en œuvre. Le soutien des autorités émiriennes a été essentiel. Ce nouvel établissement, qui a ouvert ses portes à la rentrée 2006 et à l'inauguration duquel M. Gilles de Robien, le ministre français de l'Education, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, a participé, est un exemple à suivre. C'est pourquoi j'accorde une importance particulière à sa réussite. De nouvelles filières en droit, en sciences politiques et en économie ouvriront leurs portes dès la fin de cette année.
De manière plus générale, la France et les Emirats souhaitent approfondir leurs échanges bilatéraux dans le domaine de la formation des élites et renforcer leurs actions de coopération scientifique et technique dans différents domaines : médecine, sciences juridiques et administratives, ou audiovisuel, notamment.
L'autre volet important de notre coopération, vous venez de le citer, est la création, au sien du complexe muséographique de l'île de Saadiyat, d'un grand musée des Beaux-Arts à Abou Dabi, portant le nom de "Louvre Abou Dabi", à laquelle sont étroitement associés le Louvre et nos plus grands musées. Il s'agit d'un projet très ambitieux, auquel M. Renaud Donnedieu de Vabres, le ministre français de la Culture, et moi-même, sommes très attachés. Je suis particulièrement heureux que les négociations aient pu aboutir favorablement en aussi peu de temps pour un projet dont le rayonnement international est amené à constituer une illustration de nos liens privilégiés.
Ces deux événements sont des symboles forts en terme de rayonnement international, d'excellence dans les domaines de l'enseignement universitaire et de la culture ainsi qu'une illustration des liens privilégiés qui unissent nos deux pays.
Q - Vous avez déclaré récemment, en ce qui concerne le dossier nucléaire iranien, que les Six sont d'accord sur le cadre envisagé d'une nouvelle résolution au sein du Conseil de sécurité. Quel est l'état de la discussion actuellement entre les Six sur ce sujet? Pourriez-vous nous parler des nouvelles mesures envisagées? Y a t-il une date fixée pour présenter cette nouvelle résolution au Conseil ?
R - Comme vous le savez, les E3+3 ont commencé des discussions sur un deuxième projet de résolution sous article 41. Les pays du Moyen-Orient, en particulier les Etats du Golfe, sont concernés au premier chef par l'enjeu de sécurité que constitue le programme nucléaire iranien.
Il est donc naturel que je m'entretienne de ce sujet avec mes interlocuteurs émiriens. Nos échanges me permettront de présenter la politique de la France et de ses partenaires ainsi que le rôle susceptible d'être joué par les Etats du Golfe dans ce dossier et de recueillir leurs analyses.
Je crois que cela n'a pas beaucoup de sens de spéculer sur les dispositions exactes et détaillées qui sont discutées. Divers documents de travail ont circulé. En ce qui nous concerne, nous estimons qu'il convient de conserver une certaine discrétion afin que les discussions en E3+3 et au Conseil de sécurité puissent se dérouler dans les meilleures conditions.
Q - La France n'a pas montré un enthousiasme particulier pour assister à la conférence des pays membres permanent du Conseil de sécurité et des pays voisins de l'Irak à Bagdad. Quelles sont les raisons de votre réticence ? Et comment évaluez-vous les derniers développements dans ce pays ?
R - La France n'a pas fait montre de la réticence que vous lui prêtez à participer à la réunion du 10 mars à Bagdad. Bien au contraire, elle a répondu favorablement aussitôt qu'elle y a été invitée. Elle promeut en effet, depuis longtemps, l'idée d'associer les pays voisins de l'Irak au processus de paix et de stabilisation de ce pays. Dès lors qu'ils manifestent une volonté sincère d'œuvrer en ce sens, ces pays ont un rôle essentiel à jouer. La réunion du 10 mars, à laquelle les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies ont été conviés en qualité d'observateur, a vocation à préparer la conférence régionale qui devrait se tenir en avril dont, encore une fois, nous accueillons le principe avec satisfaction. Nous avons par ailleurs participé à tous les exercices auxquels nous avons été invités et nous appuyons les initiatives régionales pour faciliter le dialogue inter-irakien, comme celle de la Ligue arabe.
La situation sur le terrain est extrêmement préoccupante. Ne serait-ce qu'au plan humanitaire, on parle de 1,5 à 1,8 million de personnes déplacées à l'intérieur de l'Irak, de 2 millions de réfugiés dans les pays voisins. L'ampleur et la complexité du conflit qui déchire l'Irak, sans pour autant nous conduire à la résignation, ne peuvent que nous inciter à la modestie dans l'analyse. Dans un contexte aussi dégradé, produit de quatre années d'affrontements, l'issue est difficile à appréhender pour le pays lui-même et pour les équilibres régionaux que l'intervention en Irak a bouleversés. Que faudrait-il faire ? Nous pensons que l'indépendance et l'unité du pays - dans le respect de sa diversité - doivent être privilégiées. Parvenir à ces objectifs requiert une relance du processus de réconciliation nationale afin de dégager les termes d'un consensus de l'ensemble des composantes de la société irakienne sur les institutions et l'avenir du pays. Cette mobilisation intérieure des Irakiens doit nécessairement être accompagnée, au niveau régional, - je l'ai dit précédemment - de l'engagement des pays voisins en faveur de la stabilité de l'Irak et, au niveau international, de celui de la communauté des nations, étant entendu qu'une responsabilité particulière incombe aux membres de la Coalition.
Q - Après la formation d'un gouvernement d'union nationale palestinien, allez-vous demander à vos partenaires européens et américain de traiter avec ce gouvernement et reprendre une coopération normale avec lui ? La France va t-elle essayer d'assouplir le blocage à son égard ?
R - Nous l'avons dit à plusieurs reprises : la France est prête à reprendre des contacts directs avec tout gouvernement palestinien légitime dont la plate-forme politique prendrait en compte les attentes de la communauté internationale.
Nous préciserons notre position dès lors que ce gouvernement sera formellement investi et nous serons bien sûr très attentifs au contenu de cette plate-forme. Il est important que celle-ci reflète une prise en compte des principes du Quartet auxquels nous sommes attachés et qui doivent être le point d'aboutissement d'un processus engagé avec le Hamas.
En tout état de cause, il faut éviter que la fenêtre d'opportunité ouverte par l'accord de La Mecque du 8 février et la constitution du nouveau gouvernement palestinien ne se referme prématurément.
Ignorer l'évolution positive que traduit l'accord de La Mecque reviendrait à saboter l'action du président Abbas pour rassembler les Palestiniens et à le décrédibiliser. L'alternative, c'est la guerre civile à Gaza et demain peut-être en Cisjordanie. Seuls les extrémistes de la région y ont intérêt.
C'est la position que la France défend notamment auprès de nos partenaires européens.
Q - Il semble que la France souhaite la convocation d'une conférence internationale sur le conflit israélo-palestinien. Pourriez-vous nous parler de cette nouvelle approche ?
R - La guerre de l'été dernier a montré le caractère inopérant d'une politique unilatéraliste fondée sur la force.
La communauté internationale a le devoir de favoriser la reprise d'un processus politique de substance entre Israéliens et Palestiniens.
Dans ce cadre, la réunion tripartite de Jérusalem du 19 février a permis de poursuivre le dialogue entre Palestiniens et Israéliens initié lors de la rencontre de décembre dernier entre MM. Olmert et Abbas. Il s'agit maintenant de définir un réel horizon politique pour les Palestiniens et de mettre en œuvre un certain nombre de mesures concrètes.
A brève échéance, pour rétablir durablement la confiance entre les parties, des signes forts sont en effet nécessaires tels que la libération du soldat de nationalité franco-israélienne, Gilad Shalit et la concrétisation des mesures sur lesquelles le Premier ministre israélien s'était engagé en décembre vis à vis de Mahmoud Abbas (libération de prisonniers, allègement des entraves à la circulation dans les Territoires, dégel complémentaire des taxes dues à l'Autorité palestinienne).
La communauté internationale doit se donner pour objectif l'organisation, à terme, d'une conférence internationale sur le statut final des Territoires palestiniens qui, sans prétendre dicter aux parties les termes d'un règlement, apporterait les garanties auxquelles elles aspirent.
Le Quartet gagnerait également à associer à ce processus les pays arabes modérés. Nous constatons que tous les pays arabes ont soutenu l'Accord de La Mecque. La réalisation de cet accord et l'entrée en fonction d'un gouvernement d'union soutenu par la communauté internationale créeraient une dynamique d'apaisement dans la région. La mise en œuvre de l'initiative arabe de paix de Beyrouth de 2002 doit également être un facteur de stabilisation de la région moyen-orientale.
La "Feuille de route" demeure le cadre de référence. Elle est emblématique du soutien actif de la communauté internationale à un règlement équitable du conflit israélo-arabe. Equitable car elle impose des obligations aux deux parties : il s'agit pour les Palestiniens de mettre un terme aux actions militaires visant le territoire israélien ; il s'agit aussi pour Israël de s'abstenir de tout acte unilatéral qui pourrait préjuger du statut final des Territoires palestiniens et vider de sa substance la solution des deux Etats.
Ce n'est qu'au prix du respect par les deux parties de ces obligations que le processus politique pourra progresser.
Dans ce cadre, la communauté internationale doit se donner pour objectif l'organisation, à terme, d'une conférence internationale sur le statut final des Territoires palestiniens qui, sans prétendre dicter aux parties les termes d'un règlement, apporterait les garanties auxquelles elles aspirent.
Q - Le Liban vit dans un blocage politique depuis des mois. Avez-vous l'impression qu'il est à la veille d'un déblocage vu certains contacts et développements récents dans la région ?
R - La crise politique que connaît le Liban est une crise grave et profonde qui procède notamment d'une crise de confiance. Les Libanais sont divisés, mais le gouvernement légitime de Fouad Siniora, issu d'élections démocratiques, doit pouvoir travailler.
Plus que jamais, la priorité est au rétablissement du dialogue entre toutes les forces politiques. Le Liban ne peut se permettre de laisser cette crise se prolonger indéfiniment, au risque de glisser sur une pente fatale.
Les nombreux défis que doivent relever les Libanais ne sauraient attendre : la reconstruction économique, les réformes mais aussi la mise en œuvre de la Résolution 1701 du Conseil de sécurité sont autant de priorités qui rendent indispensable pour les Libanais de retrouver rapidement leur unité.
Sur les solutions à la crise, la France soutient toutes les initiatives visant à rétablis le dialogue entre les forces politiques dans le respect de la légalité libanaise. Les efforts déployés en ce sens par la Ligue arabe et les parties régionales reçoivent notre plein soutien.
C'est aussi sur le front de la reconstruction et de l'assainissement de l'économie que se joue l'affirmation de l'Etat libanais. La Conférence de Paris du 25 janvier, avec 7,6 milliards de dollars de contributions, a été un grand succès. Nous nous félicitons que la Fédération ait une nouvelle fois montré, à l'occasion de cette conférence, son plein engagement dans l'effort de la communauté internationale en faveur du Liban.
Nous devons aider le gouvernement de ce pays à capitaliser sur ce succès pour rétablir le dialogue entre les parties et mettre en œuvre son programme de réformes. Cette affirmation de l'Etat libanais constitue une des clés de la stabilisation de la région et nous savons à quel point les Emirats arabes unis y sont attaché.
Enfin, les différentes parties doivent à tout prix respecter la Ligne bleue et s'abstenir de toute escalade, malgré la nervosité dont ont pu témoigné les incidents du 7 mars dernier.
Q - L'ambassadeur français aux Nations unies a évoqué récemment la possibilité de prendre des mesures à l'encontre du Soudan. Quel est l'état des consultations actuellement au Conseil de Sécurité concernant la question de Darfour?
R - Le Conseil de sécurité des Nations unies suit avec préoccupation l'évolution de la situation sécuritaire au Darfour. C'est dans ce cadre que le Conseil travaille au renforcement de la présence internationale au Darfour et à la possibilité de prendre de nouvelles mesures à l'encontre de ceux qui se rendent coupables d'attaques à l'encontre des populations civiles et des opérateurs humanitaires.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 mars 2007