Texte intégral
Monsieur le Recteur, Cher Dalil,
Monsieur le Ministre (Pierre Joxe),
Monsieur le Président des Maires d'Ile de France (Claude Pernes),
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs, Chers Amis,
Je suis particulièrement heureux d'être aujourd'hui parmi vous à la Mosquée de Paris et de répondre à l'invitation de mon ami Dalil Boubakeur. Comme le rappelle un tableau qui orne votre bureau, cher Dalil, c'est dans le salon de l'horloge, au quai d'Orsay, que fut signé, en octobre 1922, l'acte de fondation de l'Institut musulman de Paris.
Pour le ministre des Affaires étrangères que je suis, ce ne sont pas tant les aspects relatifs au culte qui me concernent au premier chef, mais la dimension culturelle, au sens le plus large du terme. Elle est aujourd'hui inséparable de l'action internationale afin de lever tous les malentendus et donner à l'intelligence et à la tolérance la place qui leur reviennent.
Lors de l'inauguration à l'Elysée, le 13 septembre 2006, de l'Atelier culturel euro-méditerranéen, le président de la République a souligné l'enjeu majeur du dialogue entre les peuples. La mondialisation s'accompagne en effet parfois de l'affirmation des identités et par conséquent du risque de "divorce entre les cultures". A plus d'une reprise, le président a fustigé le prétendu "choc des civilisations" qui n'est rien d'autre qu'un "choc des ignorances". Comme le dit d'ailleurs le gendre du Prophète Mohamed, "l'homme est l'ennemi de ce qu'il ignore".
Ce message est particulièrement opportun en ce moment où la France s'interroge sur la force de son modèle, au moment où la question de notre destin commun fait l'objet d'un débat public qui mérite lucidité et hauteur de vue.
La première exigence qui s'impose à nous consiste à privilégier l'éducation, la culture et la connaissance au service d'une vision humaniste commune.
L'affaire des caricatures du prophète Mahomet de l'automne 2006 et son retentissement à l'échelle du monde sont là pour nous rappeler à un devoir d'intelligence qui implique pour les Etats comme pour les "passeurs culturels" de nouvelles exigences et de nouvelles responsabilités. Car, aujourd'hui, l'éducation et la connaissance sont les meilleures armes contre toutes les manipulations et toutes les instrumentalisations.
Le combat pour la reconnaissance mutuelle et le partage des savoirs n'est jamais acquis. C'est un combat permanent, un combat jamais achevé. Condorcet nous le rappelle dans le Tableau historique des progrès de l'esprit humain. C'est le défi que doit affronter la communauté internationale, les Etats, les ONG, les grandes religions, dans les années à venir afin que la société mondiale de la connaissance soit un instrument de paix et non un facteur de division.
Comment expliquer l'exacerbation des tensions que nous constatons de nos jours ? Sommes-nous vraiment, comme le voudraient les extrémistes de tout bord, confrontés à un choc entre l'Islam et l'Occident ? Les choses sont plus complexes, les réalités religieuses et sociales plus diversifiées. Il y a bien aujourd'hui un Islam d'Occident, celui qui vit harmonieusement en Europe au diapason des valeurs républicaines, comme le montrent de façon éclatante les derniers sondages sur les musulmans de France. A l'inverse, l'Orient n'abrite-t-il pas de multiples communautés religieuses, qui subissent les mêmes épreuves et les mêmes conflits, mais partagent aussi les mêmes valeurs spirituelles et humanistes ?
Il est important que les responsables politiques, dans le domaine qui est le leur, remettent les choses et les idées en perspective. Il est capital de souligner, comme l'a fait le président de la République encore récemment, la nécessité "d'éviter tout amalgame entre l'Islam, qui est une grande religion respectable et respectée, et l'islamisme radical, qui est une action tout à fait différente, de nature politique".
Je peux comprendre que l'immense majorité des croyants, qui ont de leur religion une conception tolérante et pacifique, puissent se sentir profondément blessés par ces amalgames, eux pour qui le mot même d'islam est à rapprocher du mot "salam", c'est-à-dire la paix. C'est ce message qu'ils retiennent : c'est ce même message que d'autres trahissent par leur fanatisme et leur violence.
Je sais aussi que la misère et la très grande pauvreté constituent un facteur aggravant de l'ignorance et de la violence, qui nourrissent les exclusions. Pour combattre le fléau des pandémies et pour sortir de cette logique, un projet comme UNITAID a vu le jour. Pour redonner une perspective de développement durable, les Nations unies ont défini la notion de Bien public mondial. Il s'agit de répondre aujourd'hui à ces "fractures" profondes à l'échelle de la planète, qui sont très souvent le creuset de l'instabilité politique. Je suis convaincu que la paix passe aussi par la lutte contre toutes les formes d'exclusion et de relégation.
Parce qu'elle s'est construite sur un désir profond, celui de la Paix, l'Union européenne doit être aux avant-postes du dialogue entre les cultures.
La France et l'Europe veulent construire avec leurs voisins du Sud de la Méditerranée, mais aussi du Proche et Moyen-Orient, une véritable communauté d'Etats démocratiques et prospères. Cette région a connu au cours des cinquante dernières années des bouleversements radicaux. Elle ne peut prendre le risque de l'aventure sous prétexte de sortir de l'immobilisme. Il lui faut maîtriser le changement. Seule la mise en œuvre de processus et de réformes équilibrés permettra une dynamique d'ouverture politique, de renforcement de l'Etat de droit, de pluralisme et de prospérité fondée sur l'intégration régionale.
L'Europe a précisément pour ambition d'accompagner les Etats dans leur volonté de réforme, en inscrivant ses relations dans un cadre durable de coopération multilatérale, dans une dimension à la fois politique, économique et culturelle, et en respectant ce qui fait souvent l'originalité de ses partenaires, qu'il s'agisse de leur vie politique, sociale ou culturelle. C'est l'enjeu du partenariat euro-méditerranéen. Si le Sommet de Barcelone, l'année dernière, n'a pas comblé toutes les attentes, la volonté et la détermination de la France demeurent entières.
Je regrette, pour ma part, que le Processus de Barcelone engagé en 1995 n'ait pas suffisamment développé le volet culturel, qui est pourtant l'un des trois piliers du Partenariat euro-méditerranéen. Il m'apparaît donc essentiel de promouvoir des projets concrets dans des domaines aussi divers que la traduction, la production audiovisuelle, la formation, l'enseignement. Là où des initiatives verront le jour, ce seront des liens plus forts qui seront tissés entre les peuples. Partout où seront combattus les idéologies de la peur - notamment celles qui voudraient réduire le débat aux notions de "croisade" ou de "Djihad" - ce seront autant de passerelles qui seront construites au service d'un certain humanisme.
L'ambition du dialogue entre les cultures demeure vivante comme en témoignent les autres initiatives engagées avec nos partenaires européens, méditerranéens, et arabes, comme l'Alliance des civilisations, initiative du Premier ministre espagnol José Luis Zapatero et du ministre des Affaires étrangères de Turquie, Abdullah Gül.
Le dialogue inter-religieux est également un élément essentiel du rapprochement entre les peuples. Chacun a pu mesurer les gestes importants du pape Jean-Paul II à l'endroit des juifs et des musulmans. Je sais que le Saint-Siège n'entend pas abandonner "l'esprit d'Assise", né de la grande rencontre organisé en 1984 entre un très grand nombre de représentants des religions. Qu'elles soient fondées sur le Livre ou sur la sagesse tout simplement, les grandes religions ont aujourd'hui une très grande responsabilité dans le dialogue entre les cultures, aux côtés des Etats et de la société civile. Il n'y a pas en effet, à nos yeux, une seule voie, mais un ensemble d'acteurs qui doivent agir de manière convergente, tant au niveau bilatéral que dans les grandes enceintes du multilatéralisme.
Notre pays bénéficie à cet égard d'une culture et d'instruments qui font d'elle le pivot du Dialogue entre les civilisations.
Nous sommes fiers d'avoir en France un outil exceptionnel du dialogue entre les cultures : je veux parler de l'Institut du monde arabe. Le rayonnement que connaît l'Institut a dépassé les frontières de la France et de l'Europe, jusqu'aux rives de l'Amérique, puisque des personnalités américaines de premier plan s'y rendent en visite, et lui rendent hommage. D'autres moyens doivent exister, notamment dans le domaine de la formation des enseignants aux cultures religieuses, et notamment à l'Islam, comme cela a été proposé dans divers rapports. Auprès du grand public, des expositions comme "Venise et l'Orient", comme celle sur les sciences arabes, ou bien les remarquables collections du Musée des Arts premiers (quai Branly) viennent aussi rappeler les "ponts" jetés entre nos cultures et les apports réciproques qui les ont fécondées. L'ouverture d'une antenne de la Sorbonne à Abou Dabi, les nombreux partenariats qui se développent entre nos écoles et nos institutions universitaires - au Maghreb comme dans les pays du Golfe - constituent un signe très encourageant.
Je souhaite également insister sur l'importance du développement des relations entres nos sociétés civiles. Nous n'avons pas toujours été à la hauteur de nos engagements. C'est pourquoi il est urgent de soutenir les initiatives de part et d'autre et d'encourager la création de partenariats durables entre nos villes, nos hôpitaux, nos ONG. Je souhaite également rendre hommage à tous ces Français originaires du sud de la Méditerranée et de l'Afrique noire, trait d'union naturel entre les "deux rives". Vous contribuez activement par vos engagements au rapprochement entre nos peuples et nos cultures. C'est aussi pour cette raison que j'ai souhaité promouvoir la diversité de façon résolue et déterminée au sein du ministère des Affaires étrangères. Je considère qu'il s'agit là d'un atout et d'une richesse au service de la crédibilité du message de la France et de son rayonnement culturel et politique.
Nous devons enfin continuer à nous mobiliser pour faire émerger un Islam de France. Celui-ci pourrait servir de modèle pour nos voisins européens mais aussi dans le monde arabo-musulman. Je suis convaincu, pour ma part, que, dans les principaux défis que l'Islam doit relever, notamment ceux de la modernité ou de la mondialisation, l'Islam de France peut jouer un rôle constructif et utile. Notre pays, terre de laïcité, véritable creuset où se sont mêlés les influences et les cultures, demeure le lieu idéal pour permettre l'adaptation de l'Islam à la modernité.
Vous l'aurez compris, réconcilier la République et la diversité est à mon sens l'une des priorités pour renforcer le message de la France dans le monde. Il s'agit d'offrir à tous les Français, quelles que soient leurs origines, le sentiment qu'ils sont la France et qu'ils façonnent un nouveau visage pour la République au XXIème siècle. Il faut dire clairement qu'il est aujourd'hui possible d'édifier une nation pluraliste, forte de sa diversité, fondée sur une histoire partagée au service d'un projet commun.
Il nous faut, en un mot, retrouver un humanisme véritable, fondé sur des valeurs universelles, léguées à la fois par les religions du Livre et par l'esprit des Lumières : un humanisme de l'intelligence et de la raison critique, mais aussi du respect de l'autre, de la générosité, et de la tolérance.
Peut-être certains auront vu dans mes propos la part trop importante des souhaits et des vœux pour l'avenir. J'ai voulu, en ce qui me concerne, être fidèle à l'esprit des lieux. Sur l'une des poésies sculptées sur les murs de cette Mosquée, n'est-il pas écrit : "Soyez assurés, ô visiteurs, de l'accomplissement de tous vos souhaits". Ce soir, je souhaite partager ces souhaits avec vous.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 mars 2007