Texte intégral
Q - Quelle analyse fait la CFDT des défis auxquels est aujourd'hui confrontée l'Union européenne ?
R - Je vois deux défis essentiels se présenter à l'Union Européenne. L'un d'eux est de réussir son intégration. Son intégration géographique, mais aussi économique, sociale et politique. L'autre défi consiste à retrouver l'adhésion des citoyens. On ne s'est pas rendu compte, en France peut-être encore moins qu'ailleurs, à quel point l'adhésion de dix nouveaux membres en 2004, complétée par deux autres début 2007, ne peut pas se réduire à un simple changement d'échelle. Il s'agit aussi d'un changement de nature. L'Europe à 27 ne peut plus fonctionner comme à 6 dans un monde qui n'est plus celui des années 1950. Ou alors on se contente du plus petit dénominateur commun et l'Europe ne devient plus qu'une zone de libre-échange. Une grande majorité d'Européens en attend autre chose.
La création d'un marché unique a toujours été considérée comme un outil au service de la paix, de la démocratie, de la prospérité et de la construction d'un modèle social que le monde entier nous envie. Il doit être au service de la solidarité entre les peuples européens dans le monde tel qu'il est aujourd'hui.
Pour cela, le marché unique doit être achevé. On a déjà beaucoup fait pour la circulation des biens et des capitaux. La circulation des personnes connaît encore des restrictions - les replis nationalistes et le fantasme du " plombier polonais " sont tenaces. On a vu les difficultés rencontrées pour les échanges de services ... Toute la difficulté consiste à montrer que l'élargissement d'un marché ne signifie pas la déréglementation à tout va. Il s'agit, au contraire, de définir des règles communes qui permettent à la fois de le dynamiser et de le réguler. C'est un équilibre subtil que l'on ne peut trouver que par le dialogue, au niveau politique et au niveau qui nous concerne le plus, le social. La directive Services est un excellent exemple de compromis positif qui peut être construit par une bonne articulation entre dialogue social et dialogue démocratique au Parlement européen.
Q - Pour réussir, l'Europe doit aussi se donner des objectifs. Lesquels ?
R - La stratégie de Lisbonne fixait celui de devenir l'économie la plus compétitive et la plus dynamique, fondée sur la connaissance, le développement durable et la cohésion sociale. Elle exprime bien la complémentarité entre l'économique et le social. Malheureusement, elle manque de moyens, à la fois budgétaires et politiques.
La volonté politique fait souvent défaut. Une prise de conscience commence à se faire jour face aux problèmes de sécurité d'approvisionnement énergétique et du réchauffement climatique. Il semble y avoir aujourd'hui consensus pour que des politiques soient définies dans les domaines de l'énergie et de l'environnement. Cela demande aussi des politiques ambitieuses en matière de recherche et d'innovation. Par ailleurs, les déboires d'Airbus ou d'Alcatel-Lucent démontrent la nécessité d'élaborer des politiques industrielles. L'Europe dispose de nombreux atouts dans des technologies de pointe, il ne faut pas les laisser se déliter !
C'est en mettant en place de telles politiques, dans un cadre favorisant la cohésion sociale, que l'on répondra aux attentes des citoyens. Pour y arriver, il faudra résoudre la question des institutions et celle du budget. Le budget européen est, en effet, clairement insuffisant pour pouvoir servir d'instrument de politique économique. Sa révision en 2014 est une échéance au moins aussi importante que celle de la réforme des institutions. Budget et institutions doivent être des moyens au service d'une volonté politique. La transparence, la participation des citoyens aux débats nous aideront à mieux faire comprendre et partager les enjeux.
Q - Quel rôle le syndicalisme peut-il jouer dans la construction européenne ?
R - Le syndicalisme doit pleinement prendre sa place dans la recherche de la cohésion sociale en Europe. Nous travaillons en ce sens avec la CES (Confédération européenne des syndicats). Le dialogue social est un outil privilégié pour trouver les réponses aux défis que nous venons d'évoquer. La Commission européenne consulte régulièrement les partenaires sociaux. Mais les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous, soit que le patronat européen, réuni dans Business Europe (ex-Unice), ne veut pas négocier, soit par blocage du conseil des ministres européens. Nous le voyons à propos de la directive Temps de travail. Aussi faut-il parfois utiliser nos moyens de mobilisation pour obtenir des résultats. Nous l'avons vu avec la directive Services, nous le voyons à nouveau avec la pétition pour des services publics de qualité accessibles à tous ... De nombreux rendez-vous nous attendent.
Q - Quel regard porte la CFDT sur l'avenir du projet de traité constitutionnel qui a été ratifié par 18 États membres sur 27 ?
R - Lorsque le débat sur le projet de traité constitutionnel européen s'est engagé en France, la CFDT a réaffirmé haut et fort que l'Europe était un élément fondateur de son identité. Elle a été la première organisation syndicale française à s'engager franchement dans la défense du traité. Nous avons rappelé alors que le mouvement syndical européen uni dans cette bataille avait réussi à obtenir la reconnaissance des droits sociaux aux côtés des droits politiques, civils et économiques. Nous avons affirmé aussi que nous voulions une Europe sociale et solidaire, une Europe de la croissance et de l'emploi, une Europe de la régulation et de la protection. Une Europe plus politique et mieux gouvernée. Ce qui était en jeu pour le mouvement syndical l'est plus que jamais aujourd'hui encore : c'est le modèle social européen, l'affirmation de nos valeurs, la reconnaissance de la Charte des droits fondamentaux, la recherche d'un compromis, l'équilibre entre un développement économique et un développement social et solidaire soucieux de l'environnement.
L'Europe ne sera jamais un chemin tracé d'avance. Ainsi, le traité constitutionnel européen était un moyen pour consolider la démocratie. Aujourd'hui, au-delà du débat sur son avenir, la CFDT continue de défendre les objectifs qu'elle a soutenus en 2005. Une régulation économique au service de la croissance et de l'emploi, un dialogue social et de négociation au niveau général comme dans les branches, une affirmation plus nette des services publics, davantage d'harmonisation fiscale. Ce modèle social européen pour lequel nous nous battons fait partie intégrante de notre conception du syndicalisme, qui mène de front la critique sociale, l'ambition de la transformation et la conquête des résultats. À 27, le compromis est beaucoup plus difficile à trouver et il sera sans doute moins ambitieux qu'on ne le pensait en 2005 mais il est indispensable. L'Europe n'est pas le problème, elle est notre solution.
Propos recueillis par Élisabeth Kulakowska source http://www.cfdt.fr, le 26 mars 2007