Déclarations de M. Charles Millon, ministre de la défense, sur le projet de loi portant réforme du service national (maintien de la conscription et suspension de l'appel sous les drapeaux) et réponse à des questions à l'Assemblée nationale les 29 et 30 janvier 1997, 4 février et 26 mars et au Sénat les 4, 5 et 6 mars.

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Circonstance : Discussion du projet de loi portant réforme du service national à l'Assemblée national et au Sénat du 29 janvier au 26 mars 1997

Texte intégral

Monsieur le président,
monsieur le président de la commission des affaires étrangères et de la défense,
monsieur le rapporteur,
mesdames, messieurs les sénateurs,
Le projet de loi portant réforme du service national que j'ai l'honneur de vous présenter rejoint un débat essentiel pour l'avenir de notre pays : celui qui porte sur la définition de notre nation, sur ce que Fernand Braudel appelait l'identité de la France.
Le projet de nouveau service national proposé aux Français par le Président de la République s'inspire d'une double conviction qui porte sur la nation et sur la République.
La première conviction, c'est que la mondialisation rend plus que jamais nécessaire l'enracinement dans la nation.
N'oublions pas les leçons du siècle qui s'achève : là où la nation a été exaltée sans mesure, elle s'identifie à un nationalisme hégémonique et destructeur ; là où la nation a été niée et occultée, elle revient sous la forme la plus barbare des guerres civiles ; là où la nation a été ignorée, banalisée, oubliée, elle revient sous forme de fantasme, de peur de l'étranger ou d'extrémisme politique.
Pour rayonner et prospérer, la France doit pouvoir compter sur une communauté nationale rassemblée, unie, confiante dans son avenir.
La seconde conviction, c'est que pour assurer la solidité et la pérennité de la République, la France a besoin de créer une nouvelle dynamique des droits et des devoirs.
Face à la crise de l'intégration, au relâchement des solidarités, au développement de l'exclusion, c'est une véritable reconquête citoyenne que doit entreprendre notre pays. Elle passe par de nouvelles relations entre le citoyen et la nation, par un nouvel équilibre entre l'obligation et l'initiative.
Le projet de nouveau service national a pour ambition essentielle de contribuer à répondre à ces exigences d'aujourd'hui. Il a bien sûr bénéficié de l'apport décisif de la commission présidée par M. Xavier de Villepin, et je tiens à l'en remercier. Il peut encore être amélioré par le Sénat, et je veux, à cet égard, rendre hommage à la qualité du travail parlementaire accompli, en particulier par le rapporteur, M. Serge Vinçon.
Aujourd'hui, le débat sur l'avenir du service national se pose essentiellement, éminemment, en termes civiques.
En effet - et je pense que chacun sur ces travées en conviendra - le débat stratégique sur la conscription a été tranché par la loi de programmation militaire que vous avez votée au mois de juin dernier.
En ouvrant le débat sur le choix du maintien de l'armée mixte ou du passage à l'armée professionnelle, le Président de la République a renoué avec une réflexion stratégique et militaire mise entre parenthèses. Souvenons-nous de la réflexion menée, en 1934, par le colonel de Gaulle avec son ouvrage Vers l'armée de métier, réflexion bientôt écartée par les instances politiques et militaires au profit d'un conformisme calfeutré.
Aujourd'hui, comme en 1934, c'est un changement radical, une véritable " révolution dans les affaires militaires " - pour reprendre l'expression du général de Gaulle - qui a permis au Président de la République de rouvrir la question de la professionnalisation sur le seul plan qui vaille, le plan stratégique.
Point n'est besoin de détailler les termes des discussions qui se sont déroulées ici même aux mois de mars, juin et décembre à l'occasion du débat d'orientation sur la politique de défense, du vote de la loi de programmation militaire et du vote du budget pour 1997.
Rappelons-nous simplement que la disparition de la menace militaire massive qui existait à 250 kilomètres de nos frontières a complètement remis en question la loi du nombre qui justifiait une armée de 550 000 hommes, et donc la nécessité de la conscription.
Bien sûr, n'oublions pas tout ce que les appelés ont apporté et continuent d'apporter à la défense de notre pays. N'oublions pas l'admirable conscience professionnelle et humaine avec laquelle les militaires d'active les forment et les encadrent encore aujourd'hui. Le service national permet aux jeunes de donner le meilleur d'eux-mêmes, et je souhaite ardemment que le volontariat de défense prolonge cette tradition.
Désormais, la question de l'avenir du service national relève d'un débat de société.
A l'origine, l'armée de conscription était une réponse militaire à la loi du nombre, qui avait assuré la victoire de l'armée de masse prussienne en 1870. Mais il existe une différence fondamentale entre ces deux modèles d'armée inspirés par le besoin de recourir à des effectifs nombreux : l'armée de conscription à la française est aussi, est toujours, une armée citoyenne.
Comme l'école, la conscription universelle, personnelle et obligatoire instituée en 1905 est allée au-delà de sa fonction première pour assumer un rôle de formation du citoyen. Comme l'école, la conscription universelle, personnelle et obligatoire a mis en oeuvre ce fameux creuset républicain qui a fait de jeunes gens de toutes origines et de tous milieux des citoyens français.
Jamais l'identité de la France n'a été une donnée statique, transmise exclusivement par le droit du sang. Dans une nation formée par l'apport successif, au fil des siècles, des provinces annexées par les rois de France et par celui des étrangers installés sur notre sol, dans une République fondée par le pacte politique de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, cette identité est le fruit sans cesse renouvelé de la volonté de vivre ensemble.
Rappelons-nous, mesdames, messieurs les sénateurs, ce qu'écrivait Fustel de Coulanges en 1870 : " Ce qui distingue les nations, ce n'est ni la race, ni la langue. Les hommes sentent dans leur coeur qu'ils sont un même peuple lorsqu'ils ont une communauté d'idées, d'intérêts, d'affections, de souvenirs et d'espérances. Voilà ce qui fait la patrie. La patrie, c'est ce qu'on aime. Si l'Alsace est et reste française, c'est uniquement parce qu'elle veut l'être. "
Aujourd'hui, qu'est-ce que l'identité de la France ? Bien sûr les habitants des anciennes provinces, ceux des départements et territoires d'outre-mer, mais aussi les enfants français de ceux qui, tout au long du xxe siècle, sont venus d'ailleurs pour travailler sur notre sol ou oeuvrer au décollage économique des Trente Glorieuses. Vouloir le mettre en doute, c'est vouloir mutiler la nation.
Or, de nos jours, le modèle d'intégration républicaine est en crise. Les institutions qui assumaient traditionnellement un rôle de formation du citoyen, de brassage social et culturel, de creuset national se heurtent aux doutes et aux difficultés.
Ainsi en va-t-il du service national. Lorsqu'il répondait aux besoins militaires d'effectifs nombreux, le service national était universel et égalitaire. Dès que les besoins en effectifs sont allés s'amenuisant, le service national n'a plus été en mesure de remplir de manière aussi pertinente sa fonction sociale. Aujourd'hui - retenez ce chiffre - un jeune sur quatre n'effectue aucune forme de service national. Ce sont précisément ceux qui auraient le plus besoin d'intégration à la communauté nationale qui sont écartés du service national : 53 % de la population qui a le plus faible niveau scolaire en est exemptée, contre seulement 18 % des titulaires d'une licence ou d'un diplôme supérieur ; 50 % des illettrés sont exemptés. Quant au principe d'égalité, il est battu en brèche par la diversification des formes du service national.
Face à l'inadaptation stratégique du service national qui a motivé le passage à l'armée professionnelle, face à son inadaptation civique croissante, trois options étaient possibles :
- soit nous supprimions purement et simplement le service national, comme l'ont fait un certain nombre de pays tels les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la Belgique et les Pays-Bas ;
- soit nous options pour le service civil obligatoire ;
- soit nous instituions un nouveau service national.
Le débat qui s'est déroulé dans toute la France au sein des communes et des associations, les travaux tout à fait remarquables de la commission présidée par M. Xavier de Villepin au Sénat et de la mission d'information présidée par M. Philippe Séguin à l'Assemblée nationale ont permis de dégager les grandes lignes du présent projet de loi.
D'abord, ils ont fait clairement ressortir l'attachement de notre pays au service national, et la volonté de le rénover plutôt que de le supprimer.
Ensuite, ils ont, pour la première fois, permis au débat de sortir d'une alternative simpliste entre la notion d'obligation et celle de volontariat.
Compte tenu de la difficulté d'instaurer un service civil obligatoire en termes de définition des tâches, de capacité d'accueil des administrations et des associations et de respect du principe d'égalité, c'est un équilibre original entre universalité et liberté, devoir et responsabilité qui a émergé peu à peu.
C'est cette approche nouvelle qui a inspiré la décision du Président de la République de proposer un nouveau service national aux Français. C'est elle qui est au coeur du projet de loi que le Gouvernement soumet aujourd'hui à votre approbation.
Ainsi, notre pays concilie choix de l'armée professionnelle et ambition d'un nouveau service national. Ainsi, notre pays concilie nécessité stratégique et impératif civique, reprenant en cela la tradition de 1905 qui a développé en parallèle armée de masse et creuset républicain.
Vous l'avez bien compris, le nouveau service national est donc une manifestation résolument moderne de l'exception française.
A la veille de l'an 2000, la France, qui a inventé les droits du citoyen, doit imaginer un nouveau modèle de citoyenneté.
A la veille du xxie siècle, le pays qui a repoussé, en 1792, les armées ennemies au cri de " Vive la nation ! " se doit de renouveler le pacte républicain et de cultiver l'esprit de défense.
A la veille du troisième millénaire, la nation qui s'est façonnée autour de l'école obligatoire et de la conscription universelle se doit de refonder le service national.
Je souhaite ardemment que la France, avec ce nouveau service national, joue un rôle précurseur. La crise de la citoyenneté, l'interrogation sur l'avenir de la nation ne concernent pas seulement la France, elles concernent toutes les démocraties développées. Partout, l'existence d'un chômage élevé, la précarité de l'emploi, l'individualisme croissant et l'incertitude sur les valeurs obligent à une réflexion sur les fondements de la démocratie et du pacte social. Déjà, l'Italie, l'Espagne et le Portugal réfléchissent à la suppression du service militaire tel qu'il existe et aux moyens de garantir l'esprit de défense. Dans cette perspective, le nouveau service national français constitue une première passionnante dans l'immense travail de reconquête civique qui attend nos nations.
Comme toute innovation, sa mise en oeuvre va demander modestie et pragmatisme.
Le service national que nous vous proposons constitue un projet réaliste et concret.
Réaliste et concret, car il est issu d'un dialogue avec les forces vives de la société civile et d'un travail interministériel approfondi.
C'est un projet réaliste et concret car il est préparé par des mois de réflexion pratique sur la mise en oeuvre.
C'est un projet réaliste et concret car le nouveau service national a vocation à être amélioré par l'expérimentation qui s'étendra sur plusieurs mois. C'est le choix du centre expérimental de rendez-vous citoyen de Mâcon qui doit ouvrir ses portes au mois de juin.
Trois éléments de nature différente composent le nouveau service national : le recensement, le rendez-vous citoyen et le volontariat.
Le recensement répond à la fois à un objectif militaire et à un objectif civique.
Il répond à un objectif militaire, car il garantit la faculté de recourir à nouveau à la conscription si un bouleversement stratégique radical venait à se produire.
Il répond à un objectif civique, car il constitue pour le jeune un véritable effet de miroir en lui renvoyant pour la première fois son appartenance à la communauté nationale et les devoirs qu'elle implique. Premier acte de citoyenneté, le recensement interviendra à la fin de la scolarité obligatoire, c'est-à-dire à seize ans. Elargi aux jeunes filles à partir de 2001, il donnera lieu à une information individuelle sur le rendez-vous citoyen.
Comme le recensement, le rendez-vous citoyen fait partie du pôle obligatoire et universel du nouveau service national.
Visant à informer sur les droits et les devoirs découlant de l'appartenance à la communauté nationale, à renforcer la cohésion sociale et à promouvoir l'esprit de défense, le rendez-vous citoyen met en oeuvre une universalité sans précédent.
En effet, aucun garçon français entre le 1er janvier prochain et le 1er janvier 2003, aucun jeune Français, fille ou garçon, à partir du 1er janvier 2003, ne pourra être exempté, réformé du rendez-vous citoyen ou bénéficier d'un report de ce dernier.
Ce principe de l'universalité qui est à la base même de ce rendez-vous : l'absence d'exemption, de réforme ou de report permettra que tous les jeunes Français sans exception puissent se retrouver pendant quelques jours et retrouver ainsi les racines de leur nation, les racines de leur citoyenneté.
Ce principe d'universalité se double d'une volonté de brassage social qui sera concrétisé, durant les cinq jours du rendez-vous citoyen, par la constitution de groupes d'une vingtaine de jeunes. Chaque groupe, stable du début à la fin du rendez-vous citoyen, éprouvera sa responsabilité et sa solidarité au cours d'un certain nombre de " parcours collectifs ".
Le rendez-vous citoyen mise sur la densité, l'intensité et l'intérêt.
Se déroulant sur cinq jours, sans aucun temps mort, le rendez-vous citoyen débute par une phase de bilan personnel, se poursuit par une phase d'information civique et s'achève par une phase de présentation des volontariats. Certains se sont interrogés sur la pertinence d'une telle durée.
Plus longue, elle risquerait d'interrompre parcours scolaires, universitaires ou professionnels, de justifier alors dispenses et reports et, par là même, de remettre en cause son universalité. elle risquerait aussi et surtout de se transformer en période d'activités, de préparation militaire sans consistance, dans le cas d'activités militaires complémentaires, ou de camp de plein air dépourvu de sens.,
D'une durée plus brève, ce rendez-vous citoyen abdiquerait toute ambition civique pour reproduire étroitement le modèle de l'actuelle journée de sélection.
Pour susciter l'intérêt et l'adhésion des jeunes, c'est le recours aux méthodes les plus modernes d'évaluation et à une pédagogie civique active qui a été retenu. Cette dernière s'appuiera sur la participation à des débats avec des grands témoins et sur le partage d'un moment exceptionnel.
Enfin, le rendez-vous citoyen s'inscrit à la fois dans un parcours civique et dans un parcours d'insertion.
Dans un parcours civique, car il est bien évident que cette période d'information civique, cette période de préparation au volontariat, ce bilan personnel offert à chaque jeune Française ou Français est non pas simplement un moment dans la vie d'un jeune, mais l'aboutissement d'un parcours civique engagé dans la famille, à l'école, dans la communauté de base, commune ou association. Ce moment d'information et de sensibilisation doit être préparé par l'instruction civique dispensée à l'école, et le ministère de l'éducation nationale travaille actuellement à renforcer cet aspect essentiel de l'enseignement.
Le rendez-vous citoyen sera prolongé par un engagement citoyen que l'on appelle le volontariat. L'information civique prendra deux grands aspects.
Le premier aspect de ce parcours civique sera constitué par une pédagogie de ce que signifie, aujourd'hui, être citoyen et par une présentation des valeurs de la République. Le Haut conseil du service national veillera à leur affirmation et au respect des principes de neutralité et de laïcité de l'Etat.
Le second aspect de ce parcours civique sera une sensibilisation aux grands enjeux de défense. Il est en effet essentiel de rappeler aux générations qui n'ont jamais connu que la paix à quel point la tranquillité, la prospérité et la démocratie sont des conquêtes fragiles, toujours susceptibles d'être menacées. Il est indispensable d'insister sur les efforts et les sacrifices que suppose la défense de notre pays, et sur l'élan que doit susciter la patrie si elle venait à être en danger.
C'est pourquoi le ministère de la défense prendra un rôle majeur dans le déroulement, l'organisation et l'encadrement du rendez-vous citoyen. Ce dernier constitue en effet une occasion privilégiée de cultiver le lien entre l'armée et la nation, entre l'armée et la jeunesse. Ceux qui servent la défense de notre pays doivent pouvoir témoigner de la force et du sens de leur engagement. Ils doivent pouvoir susciter, à travers la présentation des volontariats de défense, adhésion et vocations. Ils doivent pouvoir inciter la jeunesse à adhérer et à participer à l'effort de défense.
Certains d'entre vous avaient souhaité, lors du débat sur la réforme du code de la nationalité, que l'acquisition de la nationalité française fît l'objet d'une cérémonie solennelle marquant l'engagement du citoyen envers la nation, son acceptation des droits et des devoirs. Ce que nous proposons aujourd'hui relève de la même inspiration. Au terme du rendez-vous citoyen, un brevet du citoyen sera remis à chaque jeune. Ce sera là l'illustration de l'acte d'adhésion au pacte républicain, la confirmation de l'appartenance à une communauté nationale.
Le rendez-vous citoyen s'inscrit également dans un parcours d'insertion.
Il existe, aujourd'hui, un véritable problème d'insertion en France. Jamais les conditions d'entrée dans la vie active n'ont été aussi difficiles, jamais l'effort à fournir pour s'adapter aux nouvelles réalités n'a été aussi important. Contrairement à nos générations qui disposaient d'un certain nombre de repères et de perspectives claires en ce qui concerne le monde professionnel, le premier emploi, l'installation, le niveau de vie, les jeunes Français doivent trouver leur voie dans un univers en pleine mutation. Pour les plus fragiles, comme les 80 000 jeunes qui sortent sans diplôme du système scolaire, sans parler des 17 % de jeunes gens qui sont reconnus illettrés à l'issue de l'actuelle période de trois jours, la marginalisation est une véritable menace.
C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de faire du rendez-vous citoyen l'occasion d'une deuxième chance offerte à toutes les jeunes Françaises et à tous les jeunes Français, qui pourront alors la saisir. Le bilan personnel dans le domaine médical, culturel et professionnel offert à chaque jeune est une chance unique de repérer les handicaps, l'illettrisme, les difficultés scolaires ou sociales. Il permettra de proposer à ceux qui en auront besoin d'entrer dans un véritable parcours individuel d'insertion, et je tiens à ce propos à saluer la contribution remarquable apportée à ce projet, grâce à son expérience de terrain, par mon collègue Xavier Emmanuelli.
Ainsi, le rendez-vous citoyen contribuera à lutter contre les trois grands risques auxquels est confronté notre pays.
Le premier risque est de voir la nation devenir un lieu vide, et la devise républicaine un slogan sans consistance.
Enfin, le troisième risque, c'est l'enfermement dans une image passéiste.
A l'heure de l'individualisme, il est urgent de redonner du sens au principe de liberté. Il faut rappeler aux jeunes que l'exercice de la liberté suppose la responsabilité. Il faut réinscrire la liberté dans une perspective citoyenne, dans une pédagogie des droits et des devoirs.
A l'heure de l'exclusion et de la précarité, il est urgent de redonner de la substance au principe d'égalité. Le fossé entre un discours égalitariste immuable et des inégalités croissantes n'est plus supportable. C'est une véritable égalité des chances que nous devons aujourd'hui promouvoir.
A l'heure de la démagogie et de la montée de l'intolérance, il est urgent de redonner des couleurs à l'idéal de la fraternité. Rappeler l'importance des principes de laïcité et de respect de l'autre, souligner la nécessité des valeurs de civilité est aujourd'hui un impératif civique.
Le deuxième risque est que la nation soit dénaturée par ceux qui prônent l'identité par l'exclusion, le repli sur soi et la peur des autres.
Avant, on avait laissé le système s'enfermer sur lui-même et se bloquer complètement et, aujourd'hui, vous êtes un certain nombre à vous mettre de la cendre sur la tête ou à vous déchirer les vêtements par rapport à la montée de l'intégrisme ou de l'intolérance !
Pour lutter contre cette menace, il faut avoir le courage de réaffirmer avec force les valeurs de la République. Il n'est plus possible de répondre à la banalisation de certains discours par la passivité ou le relativisme généralisé. La République est un Etat de droit qui suppose le respect de ses principes et l'adhésion aux valeurs qui la fondent.
Pour lutter contre la tentation de ceux qui cherchent à dénaturer la nation, il faut promouvoir une certaine idée de la France, une France généreuse, courageuse, entreprenante, dans un monde marqué par l'apparition de nouvelles technologies ou l'émergence de nouveaux marchés.
Enfin, le troisième risque, c'est l'enfermement dans une image passéiste.
Pour conjurer ce risque, nous devons être des républicains de notre temps. Il ne s'agit pas, aujourd'hui, de s'abandonner à l'illusion de maintenir, contre vents et marées, l'école des hussards noirs et l'armée des pantalons garance. Il s'agit de reconstruire un modèle républicain qui puisse passer le cap du siècle prochain.
Le chemin qui mène à une citoyenneté active ne peut naturellement se limiter à cette phase de sensibilisation et d'information que constitue le rendez-vous citoyen. Celui-ci doit trouver des prolongements dans des engagements qui peuvent être multiples, et fort différents. Celui que la nation propose à sa jeunesse, c'est le volontariat,
Le volontariat ne relève pas d'une approche étatique classique, mais d'une conception résolument moderne de la citoyenneté.
Sécurité et défense, cohésion sociale et solidarité, coopération internationale et action humanitaire, ce sont les trois domaines dans lesquels les jeunes Français de dix-huit à trente ans pourront choisir de servir la communauté nationale durant plusieurs mois.
Le volontariat " sécurité et défense " permettra d'entretenir de manière concrète le lien armée-nation, et de maintenir la relation forte qui doit exister entre l'armée et la jeunesse.
Le volontariat " cohésion sociale et solidarité " donnera l'occasion à la jeunesse de France d'exprimer sa générosité en répondant utilement à des besoins réels de la communauté nationale.
Quant au volontariat " coopération internationale et aide humanitaire ", il répond à la volonté du Gouvernement d'encourager les jeunes Français à s'expatrier, à découvrir la vie à l'étranger et l'intérêt qu'il y a à participer au rayonnement de la France.
Aucun de ces trois types de volontariat, même ceux qui relèvent de l'Etat, ne correspond à une formule administrative et mécanique. C'est un élan qui déborde le cadre des droits et des devoirs juridiques ; c'est une affirmation de soi au service de la communauté nationale, une démarche singulière qui rejoint l'intérêt collectif. Cette innovation bouscule une tradition profondément ancrée en France.
En effet, pour avoir, historiquement, inventé l'Etat nation, notre pays a du mal à distinguer l'Etat de la nation. Pourtant, Etat et nation sont de nature différente.
L'Etat est essentiellement, comme le définit Carré de Malberg, une puissance d'action, de commandement et de coercition. Il est également le garant de l'intérêt général.
La nation, pour sa part, est le coeur battant d'une communauté d'hommes, le lien vivant qui tisse une solidarité spontanée entre compatriotes, la mémoire d'un destin partagé mêlée à un élan collectif vers l'avenir.
Avec le volontariat, ce n'est plus en termes d'obligation que nous raisonnons ; c'est un geste d'adhésion à la nation, une manifestation de responsabilité librement consentie que nous rendons possible.
c'est à la tradition du volontariat républicain symbolisée par les soldats de l'an II, mais aussi par les résistants de 1940-1945 ; c'est à la tradition d'un patriotisme spontané pour défendre la patrie en danger que nous nous référons.
Il appartient autant aux associations et aux entreprises qu'à l'Etat de porter ce projet. C'est parce que les forces vives de notre pays se l'approprieront qu'il sera national et qu'il vivra, et non parce que l'Etat interviendra quotidiennement. Loin d'être seulement des auxiliaires de l'Etat, comme c'est le cas avec les formes civiles du service national actuel, les organismes d'accueil devront définir et proposer eux-mêmes aux volontaires des projets attractifs et des activités enthousiasmantes.
Certes, accueillir un jeune volontaire, c'est bousculer des habitudes. Certes, encadrer un jeune volontaire, c'est connaître un certain nombre de difficultés, de soucis. Certes, faire participer un jeune volontaire à l'objet même de l'association suppose imagination, innovation et adaptation, mais c'est une chance unique d'éviter la routine et l'institutionnalisation, de diffuser et d'enraciner dans l'administration le mouvement associatif ou l'entreprise, la dimension civique d'un engagement.
Bien sûr, de son côté, l'Etat assumera pleinement ses responsabilités.
Tout d'abord, il sera le garant des missions d'intérêt général et des principes républicains, parmi lesquels figurent la neutralité et la laïcité. C'est tout l'objet du Haut conseil du service national, qui devra s'assurer du respect de ces principes dans tous les types de volontariat.
Ensuite, l'Etat offrira, dans les volontariats qui dépendront directement de lui, comme le volontariat militaire, la possibilité de prolonger cette première approche par une expérience professionnelle.
Enfin, l'Etat prendra en charge la protection sociale des volontaires accueillis par des associations.
Mais, ce que met également en jeu le volontariat, c'est une forme de réciprocité entre le citoyen et la nation.
D'abord, parce que l'engagement au service de la communauté nationale devient une des formes de la construction personnelle, à travers la richesse de l'expérience acquise, le fait d'éprouver son appartenance à la nation, l'apprentissage de la confiance en soi.
Ensuite, parce que la nation doit exprimer au volontaire, quel que soit son champ d'activité, une forme de reconnaissance. Des dispositions spécifiques à chaque type de volontariat permettront de la traduire.
J'aurai l'occasion de revenir longuement, en réponse à vos interventions, sur les modalités concrètes du volontariat qui constitue, pour notre nation, un projet essentiel.
CONCLUSION
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en vous demandant d'approuver ce projet de loi - vous l'avez bien compris, étant donné les interruptions dont a été émaillé mon propos - ce n'est pas à un exercice législatif courant que le Gouvernement vous convie. C'est un geste d'affirmation citoyenne, un geste de confirmation républicaine qu'il vous demande d'accomplir.
En effet, il y a urgence.
Hier, c'était un régime totalitaire, appuyé sur une énorme puissance militaire, qui constituait la principale menace contre notre territoire et contre notre démocratie. L'armée de conscription nous a permis, et je lui rends hommage, avec la force de dissuasion, d'y faire face.
Aujourd'hui, cette menace s'est dissipée, comme le constatent unanimement tous les experts, tous les spécialistes. C'est désormais de l'intérieur que viennent les principales menaces contre notre pays.
Mesdames, messieurs les sénateurs, n'entendez-vous pas, aujourd'hui, des idéologies pernicieuses, affirmant l'inégalité des races, attaquer les fondements de la République ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, ne voyez-vous pas certains maires fouler aux pieds les principes de la République en prônant le racisme, la discrimination et l'exclusion ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, ne sentez-vous pas le communautarisme appeler au rejet de l'autre et au repli sur soi ? Ne sentez-vous pas l'intégrisme s'en prendre à la laïcité et à l'Etat de droit ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, rappelez-vous que la France n'a jamais été la France quand elle a renié ses valeurs universelles, quand elle a refusé son identité tissée, au cours des siècles, par la diversité des origines et des religions,...
quand elle a bafoué son patrimoine, abdiqué son exception de patrie des droits de l'homme.
Il est urgent, aujourd'hui, d'affirmer avec force les valeurs de la République, " sans distinction d'origine, de race ou de religion ". C'est, aujourd'hui, l'une des expressions essentielles de l'esprit de défense.
Il est urgent de remettre en marche, de revaloriser le creuset républicain. Il est urgent de prévenir l'éclatement de la nation en renouvelant le pacte républicain.
Hier, l'école et le service militaire ont façonné la République.
Aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs, en approuvant le projet de nouveau service national, vous donnerez à la France un des lieux d'intégration du siècle prochain.
Vous instituerez, grâce au rendez-vous citoyen, une façon moderne de cultiver l'attachement à la patrie.
Vous inventerez, grâce au volontariat, de nouvelles formes d'engagement civique.
Ainsi, vous permettrez à la République d'aborder avec confiance les défis du XXIe siècle.
(Source http://www.senat.fr, le 21 février 2002)
je voudrais tout d'abord vous adresser mes remerciements les plus profonds : vous avez abordé ce débat avec, pour certains, passion, pour d'autres, raison, enfin, pour d'autres encore, intérêt pour la communauté nationale. Il était bon que M. de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, et M. Vinçon, son rapporteur, mènent cette démarche qui, comme chacun a pu le constater, est fort importante pour la nation.
Je voudrais remercier les orateurs des groupes de la majorité du soutien qu'ils apportent au Gouvernement, mais prendre note aussi des préoccupations qui ont été émises ici et là sur toutes vos travées, que ce soit sur celles de l'opposition ou celles de la majorité. J'essaierai, autant que faire se peut, de répondre aux interrogations qui ont été soulevées et d'apaiser un certain nombre des inquiétudes qui ont pu être exprimées.
Permettez-moi trois observations d'ordre général.
Tout d'abord, je constate avec une satisfaction certaine le consensus qui existe maintenant autour de l'armée
Je fais partie de cette génération qui, voilà environ trente ans, constatait, sur les bancs des universités ou dans les grandes écoles, qu'un certain sentiment antimilitariste était exploité par certains mouvements, pacifistes notamment, qui contestaient la nécessité pour notre pays d'avoir une armée et une défense. Aujourd'hui, tout cela a disparu, et je m'en félicite.
Il est bien évident qu'en relisant l'histoire de France - ou de toute nation ! - on s'aperçoit que l'origine même de l'idée de nation provient de ce moment où des femmes et des hommes se sont groupés pour maîtriser leur destin et se défendre contre les menaces. Eh bien ! il est parfois nécessaire et essentiel de revenir à l'origine même de notre communauté nationale, de retrouver nos racines. A cet égard, le débat qui a eu lieu à l'Assemblée nationale et qui se tient aujourd'hui au Sénat est un débat que je qualifierai de fondateur, mieux même, de refondateur d'une certaine conception de la nation.
Comme je l'ai dit dans mon propos introductif, il me paraît essentiel, aujourd'hui, pour éviter le risque des nationalismes dangereux, d'accorder un respect tout particulier à la nation.
Par ailleurs, au-delà du consensus qui existe autour de l'armée, nous constatons une tendance à idéaliser le passé.
Je voudrais m'adresser ici à un certain nombre d'entre vous qui ont présenté le service militaire, tel qu'on l'a connu ou tel qu'on le connaît encore, comme un lieu idyllique et sans problème : si, aujourd'hui, nous avons ce débat, si le Président de la République, le 22 février 1996, a décidé, en tant que chef des armées, qu'il fallait réformer, c'est bien parce qu'un certain nombre de problèmes se posaient !
Il ne sert à rien de parer le passé de toutes les vertus. Il est préférable, je pense, de dresser un constat tout à fait objectif et réaliste pour ensuite apporter les réponses qui s'imposent. Mais prenons acte ensemble du fait qu'aujourd'hui il existe un consensus sur la défense nationale, sur l'esprit de défense et sur l'armée. C'est déjà une bonne base de départ pour nos débats.