Texte intégral
Je suis très heureux d'ouvrir aujourd'hui la quinzième édition des Entretiens du Patrimoine. J'ai déjà eu l'occasion d'inaugurer, depuis mon arrivée au ministère de la Culture et de la Communication, plusieurs sessions des Entretiens du patrimoine, mais c'est la première fois qu'une édition se trouve placée sous le signe de l'Europe, et je m'en réjouis particulièrement.
Parce que notre patrimoine est notre bien commun, parce qu'il est, plus que le témoin, l'expression même de notre histoire collective, il est notre plus bel atout pour animer et faire vivre la conscience, l'identité et les valeurs européennes. La circulation des idées et de tous ceux qui les portent, artistes, écrivains, architectes, à toutes les époques, et leur inspiration réciproque, ont tissé jusqu'à aujourd'hui un réseau de mémoire à la fois unique et complexe, dont la présence est perceptible d'un bout à l'autre de notre continent. L'existence de ce patrimoine partagé est l'un des fondements de l'identité européenne.
A l'heure où nous célébrons le 50e anniversaire du Traité de Rome, et au moment où nous nous préparons à lancer, dans quelques heures, le label du patrimoine européen avec mes deux collègues ici présents - Mme Peres de Lima, ministre de la Culture du Portugal, et M. Voulgarakis, ministre de la Culture de la république hellénique - j'ai souhaité réunir à Paris des personnalités de plusieurs pays d'Europe - Allemagne, Espagne, Grande-Bretagne, Grèce, Italie, Roumanie, République Tchèque - et des responsables d'institutions européennes prestigieuses, pour les inviter à réfléchir ensemble, avec leurs collègues français, sur le patrimoine européen.
S'il est vrai qu'à l'époque où le Traité de Rome a été signé, il était clair que la culture ne pouvait en aucun cas devenir une compétence des institutions européennes à construire, tant était ancrée l'idée que la culture se rapporte exclusivement à l'identité de chaque nation, s'il est vrai aussi qu'il fallut attendre le Traité de Maastricht pour qu'une place soit officiellement dévolue à la culture dans la construction européenne, il est non moins évident que la culture doit aujourd'hui devenir une dimension centrale du projet européen qu'il nous faut relancer aujourd'hui. Cinquante ans après son acte fondateur, nous avons devant nous une nouvelle étape de la construction européenne, une étape majeure, dont il nous appartient d'inventer les formes, les objectifs et les solutions.
Au point de départ de l'aventure européenne se trouve une intuition remarquable : le meilleur moyen de lier entre eux les pays européens, c'est de les unir par des solidarités concrètes et indissolubles. En 1951, pour Robert Schuman et Jean Monnet, il fallait inventer cette solidarité dans le domaine de la sidérurgie ; ce fut la Communauté européenne du charbon et de l'acier. Aujourd'hui, alors que notre union est largement construite sur les plans de l'économie, de la monnaie ou de l'industrie, c'est dans le domaine de la culture que nous sommes appelés à créer de nouvelles solidarités concrètes. Pour en donner un exemple, je voudrais citer le réseau Herein, « réseau européen du patrimoine », outil remarquable de dialogue interculturel et de coopération intergouvernementale.
Il nous faut aujourd'hui identifier et mettre en valeur les éléments de culture et de patrimoine qui ont contribué par le passé et qui contribuent toujours à forger l'histoire et la conscience d'une communauté de pensée européenne.
La réflexion que vous allez engager durant ces trois jours porte donc à mes yeux un enjeu extrêmement important. Je tiens à remercier chaleureusement M. Jean Musitelli, ambassadeur de France, qui a été notre ambassadeur auprès de l'UNESCO, d'avoir accepté la présidence de ces trois journées et d'avoir activement participé aux réflexions préalables à l'organisation de ces Entretiens. Son expérience et sa connaissance des problématiques patrimoniales sont un atout précieux pour le succès de cette Rencontre, et je suis très heureux de sa présence parmi nous.
Ces trois jours devraient permettre d'aborder les principales questions qui surgissent à l'évocation de la notion de Patrimoine de l'Europe.
En vous aidant de l'étude d'opinion que la Direction de l'architecture et du patrimoine du ministère de la Culture et de la Communication a commandée à cette fin, vous pourrez tout d'abord vous interroger sur l'idée que les Européens se font de leur patrimoine, de manière à mieux comprendre les différentes manières dont ce patrimoine est géré dans les différents pays.
La recherche des bases déjà existantes d'une communauté patrimoniale européenne, et des conditions d'un dialogue des patrimoines, sera élargie par l'étude des situations de trois autres continents, grâce à la présence de personnalités venues du Mexique, du Bénin et du Japon.
C'est enfin, en présence de Jacques Toubon, président de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, mais aussi président du Haut Conseil franco-allemand, que vous pourrez aborder, le troisième jour, les nouvelles dynamiques du patrimoine, et en particulier le projet, qui trouve aujourd'hui son premier aboutissement, de Label européen du patrimoine.
Cette initiative est née d'une proposition formulée lors des « Rencontres pour l'Europe de la Culture », que j'ai accueillies à Paris, à la Comédie- Française, en mai 2005, et qui rassemblaient les ministres de la culture, avec des artistes, des créateurs et des penseurs, venus de tous les pays.
Lancé avec mes collègues espagnols, grecs, hongrois, roumains, et italiens, rejoints ensuite par la plupart des pays européens, ce label distingue les hauts lieux de mémoire et de création, les sites et les monuments emblématiques de l'identité européenne, qu'ils évoquent notre passé commun ou qu'ils représentent l'avenir que nous bâtissons ensemble, afin que le public le plus large ressente et s'approprie cet esprit européen, cette identité culturelle qui lie nos destinées depuis des siècles.
Cette visibilité européenne est essentielle pour l'attractivité de nos territoires. L'attribution de ce label engagera les opérateurs ou les propriétaires de ces lieux à un effort particulier en matière d'accueil des publics et d'animation multilingue. Je souhaite que le plus grand nombre d'États puisse pendant le mois de mars apposer les plaques sur les premiers sites labellisés retenus à titre symbolique. Je sais qu'en ce moment même en Espagne, notre collègue Carmen Calvo procède au lancement du Label européen par l'apposition d'une plaque sur le monastère de Yuste.
Je tiens à dire que ce processus est une démarche ouverte, à laquelle chaque pays membre peut se joindre dans les mois ou les années qui viennent. Les pays qui n'ont pas encore fait de propositions de sites pourront rejoindre le processus en cours quand ils le souhaiteront et présenter leurs propositions lors de la première réunion du Comité européen, composé des ministres européens de la culture ou de leurs représentants, qui se réunira en septembre prochain, et ensuite au moins une fois par an.
Cette première réunion aura par ailleurs pour objectif de créer un comité d'experts qui sera consulté sur les sites proposés et se réunira, avant la fin de l'année 2007, pour permettre au Comité du patrimoine européen d'arrêter, au début de l'année 2008, la nouvelle liste de sites susceptibles d'être labellisés selon une procédure désormais régulière et formalisée.
La France assurera le secrétariat du label du patrimoine européen en 2007 et l'Espagne en 2008, et je propose qu'en 2008, pendant la présidence française de l'Union européenne, soit organisée à notre initiative une réunion de l'ensemble des opérateurs des sites labellisés, afin de les inciter à se structurer en un réseau attractif et démonstratif de l'identité européenne. Nous souhaitons vivement qu'un nombre suffisant de pays puissent soutenir cette initiative, afin que le label puisse devenir, à terme, une véritable action communautaire.
Cher collègue, j'aurai la joie de participer, lundi prochain, à la cérémonie prévue à l'Acropole d'Athènes, le 26 mars à votre invitation ; mais aussi à l'apposition de la plaque sur le Capitole à Rome le 23 mars à l'invitation de M. Rutelli, notre collègue italien. Je tiens à vous remercier tout particulièrement, Madame le Ministre, chère Isabel Peres de Lima et Monsieur le Ministre, cher Giorgos Voulgarakis, d'avoir accepté d'être à mes côtés aujourd'hui à Cluny. Votre présence est pour moi le signe le plus fort de l'esprit de ce Label : en mettant en valeur des lieux essentiels de notre histoire et de notre culture communes, nous voulons faire prendre conscience au public le plus large que la substance même de
l'esprit européen est une sorte d'esprit de famille, l'esprit d'une communauté dont les racines plongent au sein même des fiertés nationales, qui sont légitimes et qu'il convient d'honorer.
Je vous souhaite à tous de vivre trois journées de discussions riches et fructueuses, de rencontres, de découvertes ; je ne suis pas le seul à en attendre les résultats avec intérêt ! En tous les cas, je veux vous remercier d'ores et déjà de votre présence, de votre curiosité et de votre passion, au service du patrimoine, au service de la culture, au service de l'Europe.
Je vous remercie.Source http://www.culture.gouv.fr, le 21 mars 2007