Texte intégral
Je suis très heureux d'ouvrir aujourd'hui ces Dialogues européens auxquels je vous ai invité, dans ce lieu emblématique de la fécondité des échanges culturels et de la force du rayonnement des arts et de la culture.
Vous le savez, cette semaine marque le cinquantième anniversaire du Traité de Rome. J'ai souhaité mettre tout particulièrement la culture à l'honneur, pour cette célébration, parce que je suis profondément convaincu que, cinquante ans après sa création, l'Europe connaît aujourd'hui une nouvelle étape dans son développement, dans laquelle la culture doit occuper la première place.
C'est ce que Milan Kundera exprime en ces termes : « l'ambition européenne est avant tout une ambition culturelle ». Et d'ajouter cette définition - que je ferais volontiers mienne - de l'identité de l'Europe : « le maximum de diversité dans le minimum d'espace ».
Pourquoi une ambition culturelle ? Il pourrait sembler paradoxal en effet de vouloir construire aujourd'hui l'Europe de la culture, tant l'Europe a été celle des artistes, des créateurs, des écrivains, des penseurs, bien avant que d'être celle du charbon et de l'acier.
Le lieu magnifique dans lequel nous avons la chance d'être réunis aujourd'hui en est un témoin éclatant : s'ils pouvaient parler, ces murs nous conteraient la longue histoire de l'amitié franco-italienne, une amitié fondée sur l'art, et la culture, une amitié forgée par les échanges, et l'inspiration mutuelle. Hector Berlioz, Georges Bizet, Claude Debussy, Charles Garnier, Jean-Baptiste Carpeaux, Charles Gounod, Eric Tanguy, François Bon, Jean-Michel Othoniel et tant d'autres ont puisé en ces lieux leur inspiration, leur force créatrice, l'émergence de leur oeuvre et de leur message.
Compositeurs, peintres, graveurs, sculpteurs, architectes, et, plus récemment, écrivains, cinéastes, plasticiens, designers, photographes, scénographes, restaurateurs d'oeuvres d'art et historiens de l'art, ont parfait ici leur formation, dans cet esprit de partage et d'ouverture qui est depuis l'origine celui de cette prestigieuse Académie.
Oui l'Europe de la culture fut, est, et sera toujours un fait, concret, pour tous les créateurs, qui la vivent au quotidien. Patrice Chéreau, et de nombreux autres artistes, ont exprimé cette profonde conscience mais surtout cette expérience concrète de l'Europe, lors des Rencontres pour l'Europe de la culture, que j'ai tenu à organiser à Paris, les 2 et 3 mai 2005.
Georges Lavaudant, vous en êtes un autre exemple éclatant, vous qui avez dirigé pendant dix ans le Théâtre de l'Odéon, Théâtre de l'Europe, avec pour mission de favoriser le travail en commun des metteurs en scène, des comédiens, des auteurs et autres praticiens européens de l'art dramatique, en vue de créer des oeuvres nouvelles et de vivifier le patrimoine artistique de l'Europe.
Vous l'avez, chère Barbara Cassin, brillamment exprimé, dans le registre du vocabulaire philosophique, dans votre Dictionnaire des intraduisibles, en montrant que les langues et les pensées ne vivent et ne se comprennent que par comparaison, rencontre, vol, et interférence. La culture européenne est elle aussi un palimpseste. « On ne comprend une identité qu'à partir d'ailleurs, dites-vous. Au fond, on ne parle bien sa langue qu'en la comparant avec une autre langue ». Sans doute peut-on dire de même de la culture et c'est, au fond, je crois, ce qui fait aujourd'hui la force et la vitalité du message de l'Europe.
Mais le référendum sur la constitution de 2005, en France comme aux Pays-Bas, a montré combien nos concitoyens ont le sentiment de voir leur identité diluée dans la mondialisation. Cela veut dire que pour aller de l'avant, pour s'ouvrir à l'autre, il faut que les peuples européens se sentent assurés et rassurés dans leurs racines nationales et comprennent que l'Europe peut les aider à conserver leur identité face aux risques de l'uniformisation du monde. Oui, l'Europe est une force.
Il y a donc un lien direct entre cette nouvelle étape de la construction européenne et la victoire que nous avons remportée grâce à la détermination de la France et à la mobilisation de l'Europe, avec l'adoption, en moins de deux ans, à la quasi-unanimité de la communauté internationale, de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles dans le cadre de l'Unesco, qui vient d'entrer en vigueur dimanche 18 mars.
Dans la lettre qu'il a adressée ce même jour, que je n'hésite pas à qualifier d'historique, au Directeur général de l'Unesco, le Président de la République a exprimé toute l'importance qu'il accorde à cette étape majeure, symbolique, fondatrice dans les relations internationales : « Faire vivre cette convention sera pour l'Unesco une grande et haute mission, et pour la France une priorité. Nous nous y emploierons avec toute la détermination qu'exige la défense de la diversité des cultures et du dialogue des civilisations au service de la paix et du progrès humain. »
Cette convention grave, dans le marbre du droit international, le fait que les biens culturels ne sont pas des marchandises comme les autres. Elle garantit le droit des États et de la Communauté européenne à soutenir les politiques culturelles, face aux règles du libre-échange. Elle scelle, de façon très concrète, la devise plus que jamais actuelle, un demi-siècle après la signature ici, à Rome, du pacte fondateur de l'Union européenne, « Unie dans la diversité ».
Là, réside, nous en sommes tous conscients, le noeud de la construction de l'identité européenne aujourd'hui. Nous devons, pour reprendre l'expression de Paul Ricoeur, qui est aussi l'un de vos thèmes de réflexion et, je l'espère, de proposition, de cet après-midi, « réussir à différer ensemble». Je suis profondément convaincu et je sais que vous partagez cette conviction que c'est par la culture que nous donnerons une âme à l'Europe, c'est par elle que nous cultiverons la conscience partagée d'appartenir à une même communauté de destin, dans la diversité de nos identités.
Partager sans appauvrir, réunir sans unifier, tel est le grand défi que nous devons relever aujourd'hui, et les Rencontres de mai 2005 ont été l'occasion de poser les premiers jalons concrets de cette Europe de la culture que nous appelons de nos voeux. J'y reviendrai tout à l'heure de façon plus détaillée, mais permettez-moi d'évoquer la création du Label du patrimoine européen, qui vise à mettre en lumière les hauts lieux de mémoire et de création, les sites et les monuments emblématiques de l'identité européenne, qu'ils évoquent notre passé commun ou qu'ils représentent l'avenir que nous bâtissons ensemble.
J'ai proposé d'inscrire trois sites français sur la liste du patrimoine européen, qui illustrent à mes yeux les différentes lectures de ce nouveau label : l'Abbaye de Cluny, la Cour d'Honneur du palais des papes, à Avignon, la maison de Robert Schuman à Scy-Chazelles. Et c'est la Place du Capitole qui est retenue par et pour l'Italie.
J'ai dévoilé lundi la première plaque à l'abbaye de Cluny, en présence de plusieurs de mes collègues, et je participerai à Athènes, lundi prochain, à la cérémonie de lancement du Label en Grèce à l'Acropole, aux côtés de mon collègue grec.
Je pense que c'est par des initiatives de cette nature que nous ferons ressentir au public le plus large cet esprit européen, cette identité culturelle, qui lie nos destinées depuis tant de siècles et qui demeure plus jamais une réponse nécessaire, urgente et positive aux défis de la mondialisation.
Je vous remercie de l'apport de vos idées, de votre réflexion, de vos dialogues à cette oeuvre qu'il est de notre responsabilité historique d'approfondir, de poursuivre et de réussir ensemble.Source http://www.culture.gouv.fr, le 26 mars 2007