Interview de Mme Marie-George Buffet, députée PCF et candidate à l'élection présidentielle 2007, à France Inter le 4 avril 2007, sur la place de sa canddidature à la gauche du Parti socialiste et sur le rôle futur du Parti communiste.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q- Candidate à l'élection présidentielle. M.-G. Buffet, bonjour. Deux questions rituelles dans ces entretiens politiques avec l'ensemble des candidats à l'élection présidentielle. D'abord savoir, pour aider nos auditeurs à se repérer dans une offre politique riche et foisonnante, quelles voix vous portez, M.-G. Buffet, dans cette élection ?
R- J'ai envie de dire un mot : les salariés. Ceux qui aujourd'hui qui sont inquiets par rapport à toute la précarité qu'il y a dans le travail, les licenciements, les délocalisations, le temps partiel imposé aux femmes et puis ce stress qui s'abat sur
eux.
Q- Et dont on a un exemple encore ce matin dans Libération.
R- Oui, avec un suicide.
Q- Avec un nouveau suicide.
R- Dans un restaurant, il faut dire d'ailleurs l'entreprise, Sodexho, une femme qui s'est suicidée parce qu'elle avait trop de pression au travail.
Q- Comment analysez-vous cette souffrance au travail, M.-G. Buffet ?
R- Mais parce qu'aujourd'hui on ne valorise pas le travail aussi bien au niveau bien sûr des salaires mais au niveau des conditions de travail, de la formation, on ne reconnaît pas le qualifications et surtout on demande aux hommes et aux femmes un rendement toujours plus fort, et comme il y a la peur de perdre l'emploi, donc il y a une tension qui se crée et ce n'est pas simplement bien sûr des hommes et des femmes qui sont sur les chaînes et tout, qui souffrent énormément au niveau physique et au niveau psychique, mais aussi des cadres, on l'a vu dans de grandes entreprises de l'automobile, qui ne supportent plus cette pression et cette inquiétude.
Q- Et que peut la politique pour ces gens-là ?
R- La politique, elle peut faire en sorte que...
Q- ... elle peut vraiment quelque chose ?
R- Mais oui, il faut arrêter de penser que la politique ne peut rien sur l'économique ou sur le monde du travail. Moi, j'en ai assez d'entendre ce discours. On peut faire en sorte, par exemple, que les salariés, il suffit d'une loi, à travers leurs syndicats, aient plus de pouvoir dans les gestions des entreprises. On peut faire en sorte, par exemple que l'inspection du travail ait plus de moyens pour faire en sorte que les conditions de travail soient respectées. On peut diminuer le temps de travail réellement sans augmenter les cadences, en embauchant. Tout cela relève d'une impulsion politique et ça peut se faire.
Q- Et ce serait une loi - deuxième question rituelle de ces entretiens, M.-G. Buffet - une loi de ce type qui vous semblerait la plus emblématique dans votre programme ?
R- Voilà ! Je pense que par rapport à ces pressions sur les salariés, à ces menaces de licenciement, à cette précarité, il faut un nouveau contrat de travail, il faut créer une sécurité d'emploi et de formation. Comme on a créé la Sécurité Sociale à la Libération pour garantir à tout le monde l'accès à la santé, il faut aujourd'hui que chacun et chacune soit garanti tout au long de son parcours professionnel par des périodes d'emploi et des périodes de formation, parfois une mobilité bien évidemment dans le travail, mais qu'il soit garanti de maintenir leurs revenus, leurs droits, leurs acquis, ça me paraît essentiel.
Q- Beaucoup de monde à la gauche de la gauche, dans cette élection présidentielle 2007. Trop de monde d'après vous, M.-G. Buffet ?
R- Mais écoutez, je pense qu'il faut se rassembler à gauche, mais ce n'est pas simplement la gauche de la gauche, il faut que toute la gauche se rassemble sur un projet qui soit vraiment un projet permettant d'améliorer la vie des hommes et des femmes de ce pays, un projet qui soit audacieux, par exemple par rapport à une véritable réforme de la fiscalité. Quand j'entends parler de TVA sociale, c'est un véritable scandale.
Q- Pour quelle raison ?
R- Mais parce que la TVA c'est déjà plus de 50 % des recettes du budget de l'Etat, alors que l'impôt sur le revenu, qui est un impôt plus juste quand même que la TVA, qui frappe tout le monde quels que soient ses revenus, ne représente plus que 17 % des recettes de l'Etat, et l'impôt sur les société 15 % des recettes de l'Etat. Et on veut encore ajouter aux salariés une nouvelle imposition alors que les entreprises se retireraient du financement de la protection sociale ? Alors, je sais bien que c'est le souhait de la patronne du Medef, madame Parisot, qui l'a dit dans le livre qu'elle a écrit, mais moi je pense qu'il faut que les entreprises participent à la solidarité nationale, à la protection sociale parce que, quand même, quelqu'un qui est soigné, quelqu'un qui est en bonne santé, ça contribue aussi au développement économique de notre pays.
Q- Quand vous dites que la gauche, toute la gauche doit se retrouver sur un programme de défense des salariés, ça n'est pas le cas aujourd'hui ?
R- Non, parce que je pense aujourd'hui que madame S. Royal porte un projet qui ne va pas dans ce sens. Lorsqu'elle dévalorise les profits sans se préoccuper de savoir à quoi servent ces profits, est-ce qu'ils sont reversés vers les salariés, vers la modernisation des entreprises, vers la recherche, ou est-ce qu'ils vont vers les OPA, ce qui est le cas aujourd'hui à 70 % ? Bon. Lorsqu'elle dit qu'il faut créer un nouveau contrat pour les jeunes qui serait un contrat où le salaire, les cotisations sociales soient entièrement pris par l'Etat - mais en fait par les régions et donc par l'imposition, donc par les salariés eux-mêmes, alors que les entreprises ne participeraient plus du tout - ce n'est pas ce que demandent les jeunes. Les jeunes ils demandent de rentrer dans la vie active avec un contrat stable.
Q- Son programme n'est donc pas assez à gauche d'après vous, M.-G. Buffet ?
R- Oui, il ne se donne pas les moyens. Rien sur une véritable réforme de la fiscalité dont je parlais, rien sur de nouvelles institutions qui changent réellement...
Q- Elle propose la 6ème République.
R- Non, la 6ème République simplement avec des mesurettes mais pas une 6ème République avec une Assemblée nationale élue à la proportionnelle, avec la parité, avec de nouveaux pouvoirs réels pour les citoyens et citoyennes et surtout pour les salariés dans la gestion des entreprises. Et puis surtout il faut que la gauche s'empare de la question européenne. On ne peut pas dire qu'on veut reconstruire les services publics, améliorer les conditions des hommes et des femmes du monde du travail si on ne refond pas l'Union européenne sur l'harmonisation sociale et non pas sur la concurrence...
Q- Dans l'actualité politique et sociale, "Plan de campagne", le nom d'un grand centre commercial du sud de la France où il sera désormais interdit de travailler le dimanche, pour en tout cas une partie des enseignes. Est-ce que les gens n'ont pas le droit de choisir, s'ils le veulent, de travailler ce jour-là et de consommer ce jour-là ? Pourquoi faut-il interdire absolument ce type de chose ?
R- Il faut qu'il y ait des droits dans ce pays, et par exemple le droit à un repos hebdomadaire. Quand vous rencontrez les hommes et les femmes qui travaillent dans ces centres ouverts le dimanche, qu'est-ce qu'ils vous disent ? Souvent que pour eux c'est une obligation parce qu'ils n'ont pas d'autres moyens.
Q- Souvent ?
R- Souvent, mais souvent, mais oui, souvent ce sont des jeunes qui travaillent le dimanche pour financer leurs études. Si à ces jeunes on leur fournissait une allocation, par exemple, d'autonomie leur permettant d'aller le plus loin possible dans leurs études, ils n'auraient pas besoin de venir travailler dans ces magasins le dimanche.
Q- Mais est-ce que l'autonomie ce n'est pas aussi de se confronter au monde du travail quand on est jeune ?
R- Se confronter au monde du travail, c'est un peu l'idée, pareil, de madame Parisot, la responsable du Medef, qui dit : « Il faut savoir prendre des risques ». Mais les salariés tous les jours ils prennent des risques, tous les jours ils sont menacés dans leur travail avec ces plans, ces licenciements boursiers qu'on apprend... Moi, vous savez, je parcours la France, je vois le nombre d'entreprises... bon, tous les jours. Donc, le risque ce n'est pas pour eux, hein, le risque, non. Le risque, c'est aux grands patrons de les prendre et ils n'en prennent pas beaucoup.
Q- Non mais là je pose la question de l'autonomie. Vous dites : « Il faudrait une allocation d'autonomie pour les étudiants ». Est-ce que aussi, je veux dire, se frotter tout simplement au monde du travail n'est pas une expérience valorisante parmi d'autres, M.-G. Buffet ?
R- Mais pourquoi... Mais à ce moment-là, qu'on organise de véritables stages pour un étudiant, ça c'est très bien, et que ces stagiaires soient respectés, ne soient pas utilisés pour remplacer les salariés et qu'ils aient vraiment un statut de stagiaire, mais c'est pas de ça qu'il s'agit. Là, il s'agit d'étudiants qui, parce qu'ils ne peuvent pas financer leurs études, sont obligés de travailler. Et lorsqu'on travaille en faisant ses études, on a moins de chance de réussir qu'un étudiant qui peut consacrer tout son temps à l'étude. Donc, moi je suis pour qu'il y ait égalité des droits pour les jeunes, et donc qu'ils puissent tous consacrer un plein temps à leurs études.
Q- Et en tout état de cause, interdiction stricte du travail le dimanche ?
R- Mais écoutez, je crois que, oui, qu'il faut respecter le repos hebdomadaire pour que chacun puisse profiter du dimanche pour aller se promener, pour aller au théâtre, au cinéma et voilà, tout simplement.
Q- Elle est dure la campagne en ce moment, non ?
R- Non, elle n'est pas dure parce qu'on a une envie de débats chez les hommes et les femmes que je rencontre qui est formidable, on discute des grands enjeux de société : de la santé, de l'école, de l'emploi, de l'Europe. Donc c'est plutôt un plaisir de faire cette campagne et ce qui m'étonne le plus, mais c'est que énormément d'hommes et de femmes aujourd'hui ne savent pas encore ce qu'ils vont voter. J'étais, hier, dans une rencontre d'appartement, il y avait huit personnes, beaucoup me disaient qu'ils ne savaient pas... ils voulaient voter à gauche, ils avaient envie de voter pour les propositions, le projet que je porte, ils hésitaient encore sur le fameux "vote utile". Jusqu'au bout, je crois, il va falloir mener cette campagne, débattre pour convaincre que le vote utile c'est pas de voter pour le moins pire parmi les candidats qui ont été pré désignés, mais c'est de voter pour résoudre ses problèmes, voter pour ses idées et voter pour les valeurs que l'on veut porter.
Q- Beaucoup de thèmes de campagne jusqu'à présent, jusqu'à ce que la question de l'insécurité et de l'immigration ressurgisse, beaucoup de thèmes de campagne étaient à gauche, et la gauche reste statistiquement, on va dire pour l'instant, dans les enquêtes d'opinion, plutôt faible par rapport à ce qu'elle a pu être par le passé. Ça, vous l'expliquez comment ? C'est étonnant, non ?
R- Non, ce n'est pas étonnant. Je pense que la gauche a déçu lorsqu'elle était en responsabilité. La droite cogne, mais je pense que la droite a petit à petit mis dans les consciences qu'il n'y avait pas d'autre politique possible, et on a l'impression qu'à gauche la principale candidate regarde un peu au centre. Donc, je pense qu'il faut au contraire porter à gauche un projet audacieux, un projet porteur de grandes réformes que j'ai rappelées tout à l'heure, et c'est comme ça que la gauche reprendra des couleurs et battra la droite, et j'espère réussira cette fois-ci à répondre aux attentes populaires.
Q- Est-ce que dans les livres d'histoire, on inscrira 2007 comme la date où on a vu disparaître le Parti communiste du paysage politique français, M.-G.Buffet ?
R- Mais écoutez, mais pourquoi vous voulez absolument que le Parti communiste disparaisse ?
Q- Non, je vous pose une question, mais vous n'êtes même pas candidate communiste.
R- Le Parti communiste français se porte bien, il l'a montré encore dimanche à Bercy en faisant ce formidable meeting. Il se porte bien avec ses 134 000 militantes et militants, avec ses plus de 10.000 élus, et il va continuer à militer avant, pendant et après les présidentielles et j'ai envie de dire aux hommes et aux femmes de gauche de ce pays : vous avez besoin d'un Parti communiste qui porte justement une ambition pour la gauche, qui n'est pas...
Q- ... d'un Parti communiste ?
R- Oui, qui porte une ambition pour la gauche.
Q- Non mais c'était d'un Parti communiste, juste la question.
R- Oui, mais bien sûr, mais bien sûr, d'un Parti communiste qui porte une ambition pour la gauche, d'un Parti communiste qui ne se résigne pas aux alternances entre la droite violente et une gauche molle qui font que petit à petit l'idée de changement disparaît dans ce pays. Moi, je n'ai pas envie de dire un jour à mes petits-enfants qu'il faut se résigner, j'ai envie de leur dire qu'il faut toujours se lever, se battre pour obtenir des nouveaux acquis, des nouveaux droits parce que notre peuple on a besoin. Et donc, je pense que le Parti communiste à de beaux jours devant lui.
Q- Mais ce n'est pas O. Besancenot qui incarne ça aujourd'hui, hors du Parti communiste, non ?
R- Mais écoutez, non. Le Parti communiste justement mène un combat particulier entre une gauche qui renonce telle que celle qui est portée par S. Royal et une gauche qui...
Q- ... c'est une gauche qui renonce ou qui assume ?
R- Non, qui renonce, qui renonce. Lorsqu'on se plie devant l'Europe libérale, on renonce, on dit d'avance qu'on ne pourra pas mener une politique vraiment à gauche. Et une gauche comme celle portée par O. Besancenot, qui nous dit qu'il ne pourra pas constituer une majorité, et que donc on restera dans l'opposition et qui me fait la proposition, à moi, de dire : "On va déjà créer une unité de l'opposition"... Mais enfin c'est désespérant pour les hommes et les femmes qui sont dans l'urgence sociale. Ils n'ont pas envie qu'on crée une union de l'opposition, ils ont envie qu'on crée les conditions d'une majorité à gauche qui change réellement la vie. C'est ça l'urgence.
Q- Mais c'est l'idée que vous refusez, c'est le calendrier que vous refusez ou c'est le principe qu'un autre parti que le Parti communiste assume cette parole-là dans l'espace public ?
R- Ce n'est pas à moi de refuser...
Q- ...on fait de l'histoire en direct, là, on ne fait pas de la polémique, M.-G.
Buffet.
R- Mais non, mais enfin, est-ce qu'on crée les conditions que de nouveau l'espoir se lève à gauche dans ce pays. Si le discours qu'on porte c'est un discours qui dit : "Écoutez, n'importe comment, avec ces présidentielles, ces législatives, c'est fichu la gauche parce qu'il y a le Parti socialiste qui est dans une voie de renoncement, nous on n'est pas assez nombreux dans ce qu'ils appellent "la gauche de la gauche", donc on va rester cinq ans dans l'opposition et puis on va faire des candidatures témoignages". Mais vous savez, les hommes et les femmes qui aujourd'hui sont menacés de licenciement, les hommes et les femmes qui ont du mal à finir leur fin de mois, ce qu'ils demandent c'est pas qu'on reste dans l'opposition cinq ans, ce qu'ils demandent c'est qu'on crée les conditions que la gauche bouge, que la gauche soit majoritaire, qu'elle batte la droite et que cette fois-ci, elle fasse une politique qui réponde à leurs attentes. C'est ça l'urgence.
Q- Candidature témoignage, c'est O. Besancenot, ça ?
R- Oui, moi je pense que lorsqu'on s'inscrit en dehors d'une démarche qui vise à créer une nouvelle majorité à gauche, oui, ce sont des candidatures témoignages. Alors, ça peut plaire un moment mais ça ne résout pas les problèmes.
Q- Et ça veut dire donc qu'il faut assumer le risque du Gouvernement, M.-G. Buffet ?
R- Mais il faut bien sûr assumer les risques du Gouvernement. Moi, je me bats pour une nouvelle majorité à gauche, pour un Gouvernement de gauche qui porterait cette politique capable de réformer la vie dans ce pays, parce que sinon on sert à quoi, si à un moment donné on ne prend pas en main des responsabilités ? Les hommes et les femmes qui luttent en ce moment - on parle aujourd'hui de PSA, on parle tout ça, moi je les vois depuis des années les gens de PSA, ils travaillent à côté de chez moi, où j'habite - qu'est-ce qu'ils attendent de nous ? Ils attendent pas de nous simplement qu'on dise, « bravo, vos luttes », ils attendent que demain à PSA les syndicats aient de nouveaux droits dans la gestion d'une entreprise comme celle-ci pour faire en sorte que leurs conditions de travail soient meilleures.
Q- Donc, la Ligue communiste révolutionnaire c'est juste quoi ? La rhétorique ?
R- Mais non, je n'ai pas dit cela...
Q- Non mais je vous pose la question.
R- Je m'adresse à toute la gauche, du Parti socialiste à la Ligue communiste, pour leur dire : la question aujourd'hui ce n'est pas ou de porter une gauche qui renonce ou de porter une gauche qui témoigne, qui conteste, mais qui refuse de participer à une majorité, la question c'est est-ce qu'on est capable à gauche de se rassembler, les hommes et les femmes de gauche, ceux et celles justement qui refusent le renoncement, de se rassembler pour créer une nouvelle majorité et un gouvernement qui change la vie ?
Q- D'un mot, M.-G. Buffet, vous avez été ministre, donc ça pourrait se reproduire si les circonstances historiques sont réunies, comme on dit ?
R- Ecoutez, moi, je pense que d'autres certainement peuvent l'être. Moi, j'ai décidé à un moment donné de laisser la place aux plus jeunes.
A tout de suite, on vous retrouve dans « Inter - Activ » dans une petite dizaines de minutes.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 avril 2007