Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, à France 5 le 4 mars 2007 pour l'émission "Ripostes", sur la situation politique et son ralliement à Nicolas Sarkozy, candidat à l'élection présidentielle 2007.

Prononcé le

Média : France 5

Texte intégral


SERGE MOATI - Bonsoir, vous êtes bien, vous êtes vraiment bien sur France 5 et c'est " Ripostes " numéro 287. Déjà, eh oui. Je reçois aujourd'hui Jean-Louis BORLOO, ministre de la Cohésion sociale. Vous êtes aussi le ministre en charge du logement, de l'emploi, tout le social ou presque dans ce gouvernement. Quel boulot, Jean-Louis BORLOO. En tant que membre du gouvernement, d'ailleurs vous êtes un ministre très exposé en ce moment, depuis l'annonce par AIRBUS de 10 000 licenciements, dont 4 300 en France. Merci beaucoup d'avoir choisi " Ripostes " pour vous exprimer. On vous entend assez peu, à un mois et demi du premier tour de l'élection présidentielle. Les Français ont envie de mieux vous connaître, vous êtes un des ministres les plus populaires du gouvernement, si j'en crois le baromètre de popularité IFOP Paris-Match. Après un entretien avec moi, vous débattrez ensuite avec Jean-Claude MAILLY, le secrétaire général de Force ouvrière, vous parlerez emploi, chômage, AIRBUS évidemment. Et ensuite avec le socialiste Manuel VALS, député-maire d'Évry et proche de Ségolène ROYAL. Banlieue, logement et bien sûr campagne présidentielle, dont quelque chose me dit que vous allez être un acteur absolument central. On appelle ça de l'intuition. Donc je commence par un citation du Canard enchaîné, ça ne m'arrive jamais, mais CHIRAC aurait dit de SARKOZY : " Il n'a personne de costaud auprès de lui. Moi en 95 j'avais JUPPÉ, SEGUIN, MADELIN, des gens qui pouvaient rassurer. Lui n'a pas un grand intervenant auprès de lui. Il lui reste BORLOO. Mais son soutien va coûter cher. " Cher, combien ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Vous savez, monsieur MOATI, c'est vrai que je me suis tu pendant deux ou trois mois, pour deux raisons. C'est pas par inadvertance. D'abord parce que j'ai continué à travailler, la loi sur le logement opposable, j'ai éteint la lumière de l'Assemblée et du Sénat. Cette semaine on va lancer la caution publique pour les logements, pour éviter qu'il y ait des cautions, les services à la personne, etc. Donc d'abord j'ai bossé. Et puis la deuxième raison c'est que moi je suis quelqu'un d'entier, de passionné et de responsable...
SERGE MOATI - D'accord, mais on peut faire deux choses à la fois.
JEAN-LOUIS BORLOO - D'entier, de passionné et de responsable. Quand je pars à Valenciennes, je quitte tout parce que j'ai cette charge. Quand on me confie le logement, l'emploi et la rénovation urbaine, je ne fais que ça, un plan de cohésion sociale avec 20 programmes, et je le mets en place. Ma conviction, pourquoi je me suis tu jusqu'à présent, c'est que je suis certain, après mes 17 années d'expérience, à la fois de Valenciennes et dans ces trois ministères, en ayant, oh sans crier au succès, constaté qu'après 5 ans inexorables d'aggravation du chômage, ça fait deux ans de baisse, une crise du logement terrible, on a doublé la production de logement social. Ça ne s'est pas fait par hasard. Et au fond, si vous voulez moi mon propos et mon sujet, c'est quand je m'engage je m'engage à fond...
SERGE MOATI - Alors qu'est-ce qui vous empêche de vous engager avec SARKOZY ? Il y a un truc qui vous empêche.
JEAN-LOUIS BORLOO - Je vais vous le dire...
SERGE MOATI - Il y a un truc qui vous empêche, si...
JEAN-LOUIS BORLOO - Non, il n'y a que moi dans cette affaire.
SERGE MOATI - Oui, enfin ça nous concerne aussi un peu.
JEAN-LOUIS BORLOO - Laissez-moi au moins terminer cette phrase. Je suis convaincu que notre pays peut retrouver le plein emploi, un logement pour 20 % moins cher, une formation pour 100 % d'une classe d'âge, et enfin l'équité républicaine. Fort des expériences que j'ai eues, j'ai constaté qu'il nous faut à la fois concentrer les moyens et changer en partie de méthode. Alors...
SERGE MOATI - Et alors ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Eh bien je l'ai mis noir sur blanc. J'y ai passé mes nuits...
SERGE MOATI - Dans votre contrat républicain... Je ne sais pas si c'est pacte ou contrat ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Finalement c'est un livre, mais c'est au fond un programme de gouvernement...
SERGE MOATI - Ah carrément ! Alors c'est Matignon !
JEAN-LOUIS BORLOO - Mais arrêtez les jeux de rôle humains. Est-ce qu'on peut parler sérieusement ?
SERGE MOATI - Ah vous trouvez que je ne suis pas sérieux !
JEAN-LOUIS BORLOO - Attendez, ce que moi j'estime être un programme de gouvernement pour ces quatre fondations indispensables à notre pays, sans lesquelles il n'y a pas d'avenir. Alors vous savez, c'est un effort de le préciser et évidemment...
SERGE MOATI - Je peux vous poser une question de méthode ?... Vous avez écrit tous ces points comme ça, vous allez les montrer à SARKOZY et solennellement, devant des photographes, la télé. Il faut qu'il signe : d'accord, je te soutiens officiellement ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Mais c'est pas un pacte à soumettre et c'est pas des convictions. C'est pas des conditions, c'est mes convictions, voyez le lapsus est révélateur. Ce sont mes convictions et des certitudes de méthode. J'estime, monsieur MOATI...
SERGE MOATI - Mais il faut qu'il soit d'accord.
JEAN-LOUIS BORLOO - Mais c'est à moi... D'abord pour beaucoup, dans son programme il y a des éléments de réponse. Mais il se trouve que je suis comme je suis, je suis un horloger qui a regardé ce qu'il y a dans l'horloge et un espèce d'architecte. Moi je suis quelqu'un qui fait les choses. Et j'ai rendez-vous avec Nicolas SARKOZY dans les dix jours qui viennent pour... Alors évidemment qu'on a déjà discuté ensemble...
SERGE MOATI - Oui, vous allez vous téléphoner...
JEAN-LOUIS BORLOO - Non non, mais de manière plus approfondie, pour qu'il puisse étudier réellement ces éléments de programme et de méthode. Parce que je vais vous dire quelque chose, monsieur MOATI, vous savez que les quatre sujets dont on parle, il ne vous a pas échappé que ça fait plus de 30 ans que imperceptiblement ça se dégrade un peu, avec de temps en temps des améliorations.
SERGE MOATI - C'est vrai. L'éducation, c'était notre fleuron il y a 30 ans. Le plein emploi, c'était notre fleuron il y a 30 ans. Le logement, c'était notre fleuron il y a 30 ans. Et l'équité républicaine, c'était notre fierté. Alors il faut bien analyser...
SERGE MOATI - Alors tout ça se dégrade.
JEAN-LOUIS BORLOO - J'ai essayé d'analyser au fond, à la fois intellectuellement, politiquement et à la lumière de mes expériences récentes et je crois sincèrement qu'il y a des solutions et des changements de méthode à mettre en place.
SERGE MOATI - Vous allez donc voir SARKOZY d'ici dix jours, on saura tout, ça sera pas un rendez-vous secret...
JEAN-LOUIS BORLOO - Vous savez, je suis quelqu'un de transparent.
SERGE MOATI - D'accord, très bien. Et donc d'une manière transparente, vous allez dire : voilà ce à quoi je crois, est-ce que tu t'engages ? C'est ça ?
JEAN-LOUIS BORLOO - On va parler du fond. Mais attendez, moi si je m'engage, monsieur MOATI, d'abord j'engage ma propre vie et mes 17 années passées. Mais j'engage aussi d'une certaine manière, vous savez je ne me prends pas pour quelqu'un d'indispensable, mais imaginez-vous qu'il y a quelques personnes qui me donnent crédit dans ce pays. Crédit d'être quelqu'un qui se tait et qui fait, crédit quand il s'engage il le fait à fond. Crédit sur quelques sujets, d'autant que je crois incarner, imaginez-vous, la droite sociale et le centre. Donc à tous, pour toutes ces raisons-là, je suis convaincu qu'on va passer un pacte...
SERGE MOATI - Vous nous annoncez que ça y est, c'est fait ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Non mais je suis convaincu...
SERGE MOATI - Vous ne voyez pas comment ça ne marcherait pas.
JEAN-LOUIS BORLOO - Mais vous êtes formidable... Ce sont des choses sérieuses. Je ne vois pas pourquoi nous ne serions pas d'accord sur le fond. Cela étant dit, on ne vend pas la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Je précise, monsieur MOATI, qu'il ne s'agit pas d'un " oui si ". Je suis dans une famille politique, je ne changerai pas de famille politique. Moi depuis quatre ou cinq mois, j'ai toujours dit que un, je ne suis pas candidat à l'élection présidentielle, même si le parti radical le souhaitait. Deux, j'ai toujours dit que je n'étais pas candidat à la candidature au sein de l'UMP. Donc vous savez, je suis paisible et très serein....
SERGE MOATI - Mais quand vous voyez le succès de BAYROU, vous ne vous dites pas : j'aurais dû y aller, mes idées, mon blason, tout ça ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Mais parce que la question n'est pas un problème de succès personnel...
SERGE MOATI - Je ne dis pas ça pour minorer...
JEAN-LOUIS BORLOO - La question c'est : comment on fait vraiment de ce pays, pour les 20 années qui viennent, un des grands leaders européens. C'est ça la question.
SERGE MOATI - D'accord. Mais moi je suis SARKOZY, par exemple, on va faire un petit jeu. Je vous appelle : Jean-Louis, voilà, j'ai besoin de toi, j'ai des problèmes de sondage en ce moment, ça ne marche pas bien, j'ai besoin d'une caution sociale, il y a BAYROU qui monte et ça me pose problème, etc., j'en ai marre des libéraux, ils sont trop libéraux... Mais là vous craquez ?
JEAN-LOUIS BORLOOI - Écoutez, monsieur MOATI, moi je ne change pas de camp, pas de famille politique. La seule question est celle de mon engagement total et complet... Il y a toujours des coalitions, dans tous les programmes de gouvernements, évidemment. Le problème est de savoir où est le rapport de forces. Et de surcroît je crois que ce problème de positionnement politique est un peu dépassé.
SERGE MOATI - Ah bon ?...
JEAN-LOUIS BORLOO - Le fond de notre histoire, monsieur MOATI...
SERGE MOATI - Gauche, droite, tout ça c'est fini...
JEAN-LOUIS BORLOO - Non non...
SERGE MOATI - C'est schématique ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Non, plus que ça, réducteur. Le fond de notre histoire, et c'est d'ailleurs bien qu'on puisse discuter avec un grand leader syndical comme Jean-Claude MAILLY tout à l'heure, c'est qu'en réalité notre pays continue à faire croire qu'il est un grand État centralisé, alors qu'il s'agit d'une mosaïque de pouvoirs et de responsabilités, et le principal problème de notre pays c'est de mettre de la synergie entre les différentes organisations de pouvoir. Sur ces quatre sujets-là, monsieur MOATI, ce n'est pas l'État seul. Son rôle doit d'ailleurs changer radicalement et évoluer. l'État c'est l'organisateur, le metteur en synergie des forces vives du pays. C'est ça le sujet.
SERGE MOATI - Les libéraux trouvent qu'il y a trop de pouvoir à l'État et que l'État en fait trop déjà...
JEAN-LOUIS BORLOO - Quand on fait de la rénovation urbaine, vous savez très bien qu'on le fait avec...
SERGE MOATI - Vous savez très bien que vous avez failli démissionner plusieurs fois parce qu'il ne vous suivait pas, enfin !
JEAN-LOUIS BORLOO - Les départements, les régions, les partenaires sociaux, on a fait...
SERGE MOATI - Qui vous a soutenu ? C'est Jacques CHIRAC.
JEAN-LOUIS BORLOO - Jacques CHIRAC, absolument.
SERGE MOATI - Et les autres n'étaient pas tous fanatiquement derrière vous, on vous trouvait trop ardent, trop réformateur, trop transformateur, vous le savez bien.
JEAN-LOUIS BORLOO - Non, c'est plutôt, je vais vous dire, non c'est pas ça.
SERGE MOATI - Ah bon, c'est pas ça ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Non, parce qu'on peut se raconter des blagues. Non, ça fait trente ans que les marquis du pays considéraient en gros que la rénovation urbaine et que les quartiers, c'était pas un sujet prioritaire. Tous les marquis de tous les partis politiques, c'est ça le sujet, en réalité chacun y allait de ce qu'il pouvait faire. Le maire d'Évry, les HLM, etc. Et puis il n'y avait pas de coordination, parce que c'était pas une priorité nationale, parce que les moyens étaient éclatés, parce qu'ils n'étaient pas dans la durée. La mobilisation des forces vives de notre pays. C'est cela notre sujet principal et c'est ce dont je suis convaincu et je convaincrai Nicolas SARKOZY.
SERGE MOATI - Donc je ne vous parle même pas de BAYROU.
JEAN-LOUIS BORLOO - Je suis convaincu... Mais parlez-moi de mon ami François...
SERGE MOATI - Vous pourriez tout à fait être premier ministre de BAYROU. C'est pas joué. BAYROU a dit qu'il avait beaucoup d'estime pour vous. Par contre vous vous n'avez pas toujours été très gentil avec lui. En 2001, dans l'Expansion, vous avez déclaré : " BAYROU ne connaît rien ni à la misère ni à la fortune. " Je ne sais pas ce que ça veut dire d'ailleurs ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Écoutez, je sais pas où vous avez pris ça... Mais si vous me le dites. C'est vrai mais vous savez il a d'autres qualités.
SERGE MOATI - Oui mais quand on connaît pas la misère et la fortune, c'est embêtant.
JEAN-LOUIS BORLOO - Non, mais d'abord tout le monde évolue, ensuite je peux vous donner ses qualités... C'est pas la Star ac' un gouvernement. Le problème c'est quel est le sujet politique posé. Moi je vais vous le dire. C'est d'abord une majorité gouvernementale. Alors j'assiste de manière stupéfait à quelque chose, j'ai l'impression que les socialistes nous refont le coup de 2002. En 2002 ils avaient un leader, Lionel JOSPIN...
SERGE MOATI - Avec lequel vous aviez eu presque envie de travailler à un moment.
JEAN-LOUIS BORLOO - Non, non, vous arrêtez de colporter des ragots.
SERGE MOATI - Ah bon...
JEAN-LOUIS BORLOO - Ils ont un leader, monsieur JOSPIN, en 2002. Et alors ils s'organisent, ils le nomment patron. Alors du coup dans sa majorité il y a CHEVÈNEMENT, il y a monsieur HUE qui était pourtant dans la majorité, il y a madame TOBIRA... Résultat des courses, le Parti socialiste n'est pas au second tour de la présidentielle. Et j'ai le sentiment qu'ils font un remake, là. Ils aiment pas trop, semble-t-il, tous, je parle des électeurs, Ségolène ROYAL, alors ils ont trouvé un autre système et je les vois peut-être en train de préparer encore une disparition du Parti socialiste au deuxième tour, au profit...
SERGE MOATI - Non !
JEAN-LOUIS BORLOO - Pourquoi pas. Au profit d'un Jean-Marie LE PEN dont on sait tous qu'il fera malheureusement plus de voix que ce qu'on raconte, alors on aura peut-être un SARKOZY-LE PEN, ou un SARKOZY-BAYROU, j'en sais rien. Mais je trouve que la répétition qu'ont les gens de gauche, les électeurs de gauche dans ce pays est assez stupéfiante.
SERGE MOATI - Vous le déplorez ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Oui, je le déplore parce que je pense que...
SERGE MOATI - Oui au projet socialiste ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Mais moi je fais les choses, j'ai travaillé avec... Monsieur MOATI, il faut des majorités gouvernementales, il faut des alternances démocratiques. Ça vous empêche pas de respecter les autres, ça n'empêche pas qu'il y a des programmes d'union sacrée, sur le logement on l'a fait avec qui ? Avec des villes de gauche, des départements de gauche, des départements de droite et des villes de droite.
SERGE MOATI - Il y a un homme qui vous écrit, il y a une lettre pour vous, est-ce que vous voulez bien la prendre et nous en faire profiter... Vous savez qui vous écrit ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Non, je ne sais pas.
SERGE MOATI - Je vais vous le dire, c'est Bernard TAPIE.
JEAN-LOUIS BORLOO - Oh ! Oh mon cher Bernard !
SERGE MOATI - Si vous voulez bien nous la lire.
JEAN-LOUIS BORLOO - Alors attendez, je mets mes petites lunettes. " Quand je t'ai vu pour la première fois, élève à l'Institut supérieur des affaires, on faisait des conférences avec un ami, avant que tu me remplaces à ce (inaudible). J'étais convaincu du destin qui serait le tien, sans savoir dans quelle branche, sur quel terrain tu t'accomplirais. Foot, politique, affaires. Quatre points que nous avons en commun. On s'est perdu de vue quelques années, la mairie de Valenciennes était ta femme, ta maîtresse, ta vie. C'est avec beaucoup de réticences que je me suis mis de nouveau à t'aimer, les gens t'attribuaient toutes mes qualités sans mes défauts. Évidemment les gens se trompent mais j'ai trop d'amitié pour toi pour en être jaloux. Bernard Tapie. Post-scriptum : Tu es chez les radicaux de droite, moi chez les radicaux de gauche, quel gâchis, ne serait-il pas temps qu'on les réunisse ? "
SERGE MOATI - Vous lui répondrez, évidemment. Alors vous avez envie de retravailler avec TAPIE ? Radicaux de gauche, radicaux de droite, tout ça ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Je suis convaincu que la grande famille radicale mérite de jouer un rôle fondamental dans notre pays.
SERGE MOATI - Je rappelle que vous êtes président du parti radical.
JEAN-LOUIS BORLOO - Absolument.
SERGE MOATI - Dites-moi, il parle de quatre points communs : le foot, la politique, le business, les affaires en difficulté. En 1980, j'ai de mauvaises lectures, le magazine Forbes, vous classait parmi les cinq avocats les mieux payés du monde, quasiment, rien que ça. Comment expliquer, quel était le secret de votre réussite, au coeur des années fric ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Simplement quand on me confie quelque chose, quand quelqu'un venait me voir quand j'étais avocat, j'essayais de faire de mon mieux.
SERGE MOATI - Et ça ne marche pas, là ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Parfois. Ça marchait un peu plus souvent que ça ne marchait pas. Tout simplement.
SERGE MOATI - On venait vous voir et tac !
JEAN-LOUIS BORLOO - Mais moi je suis un besogneux, on me confie un truc, j'essaie de le faire à fond, je ne fais que ça, de manière obsessionnelle, tenace, et puis je ne lâche pas tant que c'est pas fait.
SERGE MOATI - Alors vous êtes devenu un des avocats les plus fortunés ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Pas fortuné, payé.
SERGE MOATI - Dans votre vie il y a une rupture. En 86 vous basculez, changement de vie radical, vous l'avocat, mais attention, par le biais d'un club de foot. Alors ça c'est aussi le syndrome TAPIE, peut-être, mais enfin celui de Valenciennes qui stagnait dans le ventre mou de la deuxième division, mais qu'est-ce qu'il vous prend ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Qui était en faillite.
SERGE MOATI - Oui, vous l'avez acheté pour 320 000 francs de l'époque, je crois. Mais qu'est-ce qu'il vous prend, Valenciennes pour vous c'est quoi ? C'est la rédemption sociale, la découverte d'une réalité qui vous était étrangère, ou l'immense incarnation de votre ambition qui passe en France, on le sait, par la politique et pas par le fric ?
JEAN-LOUIS BORLOO - C'est probablement un grand mélange de tout ça. L'amour du sport en équipe, une découverte, vraiment une émotion quand je suis arrivé la première fois et que j'ai vu les joueurs qui avaient du sparadrap autour des chaussures. Cette phrase terrible que j'ai lue : " Si les pylônes de Ningesser (c'est le nom du stade) s'éteignent, après les laminoirs, que le dernier qui s'en aille éteigne la lumière ". Donc j'ai été pris par tout ça. Et puis vous savez, il peut vous arriver dans la vie quelque chose de bizarre, c'est que tout d'un coup vous avez des gens qui vous font confiance.
SERGE MOATI - Ça a été le cas.
JEAN-LOUIS BORLOO - Vous êtes pas de là, vous n'avez pas fait croire que vous étiez de là, vous n'avez pas fait croire que vous mourrez là, vous n'avez pas trouvé une vieille cousine qui aurait traîné là, vous n'avez pas de parti politique, pas de formation politique. Vous dites simplement : on va essayer de s'en sortir, on va essayer d'avoir un avenir. Et puis les gens vous disent : cap, chiche ! Et là vous vous rendez compte que le problème du redressement d'une ville, c'est le même que celui d'un pays. Parce que penser une seconde que c'est le maire de Valenciennes ou la ville de Valenciennes qui peut redresser un bassin comme celui-là, le plus dévasté d'Europe, c'est une blague. C'est quoi le rôle à ce moment-là ? C'est simplement mettre en mouvement toutes les autres énergies. Les syndicats, les chefs d'entreprises, chambres de commerce, les services publics, la région...
SERGE MOATI - C'était votre laboratoire, Valenciennes.
JEAN-LOUIS BORLOO - Mais oui parce que la vraie vie c'est la mise en mouvement des énergies.
SERGE MOATI - C'est là que CHIRAC vous repère. Il voit l'avocat d'affaires transfiguré en élu efficace, en plus à la tripe sociale. Vous êtes soutenu par CHIRAC, son côté rad soc, peut-être ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Oui, mais par plein de trucs. Moi je crois absolument à son authenticité au moment de la fracture sociale.
SERGE MOATI - Oui, mais ça vous incarnez toute la fracture sociale à vous tout seul.
JEAN-LOUIS BORLOO - Je suis absolument convaincu. D'ailleurs... Il se trouve qu'il n'y a pas eu les gens pour faire, bon. Mais j'observe que quand je fais ce plan de cohésion sociale, qui me défend, qui pousse à mort ? C'est CHIRAC.
SERGE MOATI - Et personne d'autre ?
JEAN-LOUIS BORLOO - C'est CHIRAC. Pas personne d'autre, mais ça dérangeait forcément tout le monde. C'était une révolution de méthode. Faire des programmes comme ça avec des engagements de cinq ans, avec des lois de programmation, s'assurer que...
SERGE MOATI - Mais il y avait des gens qui étaient très contre.
JEAN-LOUIS BORLOO - Mais tous les marquis du régime étaient contre.
SERGE MOATI - Au lendemain du 21 avril 2002, vous pensez sérieusement qu'il peut vous nommer Premier ministre, vous qui vous présentez carrément comme un Premier ministre révolutionnaire. Souvenez-vous, ça a été sur France 3...
JEAN-LOUIS BORLOO - Oui, je me souviens.
SERGE MOATI - Ah vous vous souvenez, eh bien on va le revoir. Regardez.
JEAN-LOUIS BORLOO (ARCHIVES) - Premier ministre révolutionnaire au sens, dans les comportements, non mais je veux dire qui regarde les choses autrement, qui prenne les mesures d'urgence, qui anime. Moi je vous dis qu'on va à la cata. Voilà ce que je ressens absolument profondément quand je me promène partout. Non, la question est de savoir s'ils prennent un premier ministre révolutionnaire, c'est-à-dire moi, c'est la bagarre depuis ce matin... C'est la bataille... ou s'ils prennent SARKO ou RAFFARIN... Résultat des courses ce soir ou demain. Je vous tiendrai au courant.
SERGE MOATI - Ah ben non, ils ont pas joué le Premier ministre révolutionnaire, ou pas exactement en tout cas, c'était RAFFARIN. C'est RAFFARIN qui l'a pris, un peu moins révolutionnaire que vous, peut-être.
JEAN-LOUIS BORLOO - Mais vous savez qu'il a pris le pays dans un état... une croissance à zéro, et il a fait les retraites, l'assurance maladie. On en reparlera.
SERGE MOATI - D'accord, mais en tout cas après, en 2004, suite au remaniement, le même CHIRAC vous offre un immense ministère, la cohésion sociale, emploi, logement. Avez-vous eu le sentiment d'incarner tout seul le truc et est-ce que vous avez un sentiment de solitude. Franchement, ne me dites pas : c'était formidable, c'était une équipe fraternellement unie...
JEAN-LOUIS BORLOO - Non, je vais vous dire la vérité. Avec Gérard LARCHER, Laurent HENIN, Marc-Philippe de BRESSE sur logement, madame OLLIN puis Catherine VAUTRIN, ça a été fait, on était tous les six jour et nuit avec des collaborateurs à rêver de ce plan, à imaginer que tout se joue sur les ressources humaines de notre pays. On raconte des...
SERGE MOATI - On raconte des cracks.
JEAN-LOUIS BORLOO - Oui, on est convaincu qu'une croissance qui viendrait d'ailleurs est seule créatrice d'emplois, que le rapport de l'offre et de la demande... Le seul sujet dans notre pays, il n'y en a qu'un, monsieur MOATI, c'est les ressources humaines. Il n'y en a pas d'autre. Et la croissance d'un pays, c'est le résultat du nombre d'heures qualifiées fait par toute une population pendant toute une année.
SERGE MOATI - À un moment vous vous êtes dit : c'est moi ou le chaos, mon plan. Pas moi BORLOO, mais si, les banlieues, est-ce que vous vous êtes dit quand vous avez vu les émeutes de banlieues, est-ce que vous vous êtes dit : voilà, si on ne fait pas quelque chose d'urgence...
JEAN-LOUIS BORLOO - Mais un an avant on était dans ce plan banlieue. Cette phrase qui a été votée par l'Assemblée nationale : " le fossé ne cesse de se créer depuis vingt ans entre ceux dont les enfants ont un avenir et ceux qui ne reçoivent que la rage en lieu et place de diplômes. " On annonçait d'ailleurs dans un document que vous connaissez, c'est madame LARTIGUE qui à Montfermeil dit : " ça va péter, c'est le plan de la dernière chance, il faut accélérer. " Donc on le savait, bien sûr.
SERGE MOATI - On va aller rejoindre monsieur MAILLY, mais juste avant, 52 députés en septembre 2006 lancent une pétition pour que Béatrice SCHONBERG, votre épouse, continue à présenter le 20 heures qu'elle a finalement quitté dimanche dernier. J'en suis triste, on est beaucoup à en être tristes. Les députés signataires ne voyaient pas en quoi le fait d'être mariée avec un ministre remettrait en question son honnêteté professionnelle. Et vous ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Vous m'autoriserez à ne pas répondre à cette question.
SERGE MOATI - D'accord. Donc vous pensez évidemment qu'une femme ne doit pas fatalement penser comme son mari. Voilà.
JEAN-LOUIS BORLOO - Évidemment, mais ma situation personnelle fait que je ne répondrai pas à cette question.
SERGE MOATI - Mais vous comprenez que j'aie envie de la poser parce que vous nous avez privés d'une excellente journaliste. Bon, il est temps de passer à notre premier débat face à un homme que vous connaissez bien. Mais avant, regardez ces images.
JOURNALISTE (ARCHIVES) - À Saint-Nazaire l'inquiétude est réelle, le site sera vendu... Une crise qui relance le débat droite-gauche sur le rôle de l'État. Ce soir, huit régions socialistes demandent à rentrer dans le capital d'EADS. Les syndicats, eux, organisent la riposte, ils appellent les salariés français à se mettre en grève et à manifester mardi, avant d'organiser une journée d'action européenne mi-mars.
SERGE MOATI - Voici que nous a rejoints Jean-Claude MAILLY, bonjour et bienvenue. Alors le printemps risque d'être chaud, très chaud pour le ou la futur président de la République. Donc nous allons parler des cessations d'emplois d'AIRBUS. Le grand sujet, c'est AIRBUS qui s'est invité dans la campagne et Ségolène ROYAL a rendu visite à ses salariés vendredi, monsieur SARKOZY promet de faire des propositions, vous-même vous avez j'imagine sans arrêt des contacts avec les salariés. Une première question : un trou d'air à AIRBUS, 4 300 suppressions d'emplois. Pour vous, je vous cite : " Le gouvernement dans cette affaire a été incompétent et désinvolte. " C'est les mots que vous avez employés. Vous avez devant vous donc un représentant de ce gouvernement incompétent et désinvolte qui écoute vos quatre vérités.
JEAN-CLAUDE MAILLY - Oui, bonsoir monsieur le ministre. Je crois que ce dossier est emblématique. Il est emblématique de plusieurs choses, un, de la politique industrielle de notre pays, à la fois au niveau national et au niveau européen, premier élément. Il renvoie également à la question européenne, puisqu'il y a deux ans, je vous rappelle qu'on présentait AIRBUS et EADS comme le grand succès européen. Quand je dis que le gouvernement a été désinvolte et incompétent sur ce dossier, c'est qu'on a le sentiment très fort qu'il a pris le dossier à la dernière minute.
SERGE MOATI - Pourquoi ? Il était occupé par autre chose ?
JEAN-CLAUDE MAILLY - Je vais vous dire, fin novembre, alors c'était pas le ministre du Travail que je suis allé voir, c'est le ministre de l'Économie et des finances, avec un dossier, de notre point de vue complet, qu'on avait travaillé, etc., et on a vu que rien ne bougeait, il y a eu en même temps dans cette entreprise du côté français une bagarre au sommet avec un problème d'ego formidable entre monsieur FORGEART et monsieur CAMUS, monsieur FORGEART voulant la place, etc., et ça a fragilisé...
SERGE MOATI - La gouvernance, comme on dit maintenant, gouvernance...
JEAN-CLAUDE MAILLY - Oui, une gouvernance qui est réelle dans l'entreprise. Je ne parle pas des syndicats allemands, on est solidaires avec eux sur cette affaires mais les Allemands en ont tiré profit mais c'est de notre faute en même temps. Et donc on se retrouve aujourd'hui avec un gâchis, avec dans une entreprise où les carnets de commande sont pleins à craquer, 434 avions...
SERGE MOATI - Alors qu'est-ce qu'il faudrait faire ?
JEAN-CLAUDE MAILLY - Justement, dans cette situation nous nous pensons qu'il est indispensable que à la fois l'État monte dans le capital, qu'il n'y ait pas ce gâchis. Parce que vous dites 4 300 mais moi je rajoute les 1 100 de la Sogerma de Bordeaux qui ont eu lieu il y a un an, donc ça fait beaucoup. Donc que l'État intervienne et le ministre du Travail, qui est membre du gouvernement, même s'il n'est pas sur les questions économiques, qu'est-ce qu'il pense d'une augmentation du capital de l'État dans l'entreprise.
SERGE MOATI - Monsieur BORLOO, question précise.
JEAN-LOUIS BORLOO - Deux choses. La première c'est qu'il faut se poser la première question, c'est : était-il judicieux en 2000 de faire un pacte de gouvernance où l'État français, en l'occurrence le gouvernement de l'époque, messieurs JOSPIN et je crois que c'était STRAUSS-KAHN, mais pareil du côté allemand, ont donné la gouvernance, la vraie gouvernance opérationnelle à deux entreprises, l'une, LAGARDÈRE en France, et l'autre DAIMLER CHRYSLER. La première question, pas pour revenir sur le passé, c'est : est-il sérieux de continuer à avoir des États actionnaires minoritaires mais importants et une gouvernance déléguée à des industriels qui au fond ne font pas du développement de cette activité leur vraie stratégie économique.
SERGE MOATI - Alors qu'est-ce qu'il faut faire ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Moi mon sentiment c'est qu'il faut sortir de ce pacte de gouvernement. Je prends mes responsabilités...
SERGE MOATI - Donc que l'État...
JEAN-LOUIS BORLOO - Attendez, un pacte ça ne se rompt pas comme ça. Deuxièmement il faut un actionnariat industriel stable et puissant, et c'est à négocier avec les Allemands, on ne va pas le faire tout seul dans notre coin, car la question se pose dans les deux cas. Troisièmement, qu'il y ait une rationalisation des sites industriels, c'est à Louis GALLOIS, je crois que tout le monde salue la compétence à la fois industrielle et du sens du dialogue social de Louis GALLOIS, je crois que c'est vraiment pas l'homme qui est en cause...
SERGE MOATI - Il hérite d'une situation qui n'est pas géniale...
JEAN-LOUIS BORLOO - Absolument. Et quatrièmement, il y a des points particuliers sur la composite, le gouvernement a annoncé des efforts...
SERGE MOATI - Et c'est toujours les petits qui trinquent, si j'ose dire.
JEAN-LOUIS BORLOO - Attendez, de toute façon il faudra une augmentation de capital de plusieurs milliards. Attendez, le vrai sujet, l'année dernière AIRBUS a vendu plus d'avions que BOEING. On a un certain nombre de pertes, il y a des pertes pour des raisons que tout le monde connaît, enfin du moins pour l'essentiel, il faut recapitaliser, refaire de cette entreprise le fleuron mondial...
SERGE MOATI - Se substituer à LAGARDÈRE ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Il faut en débattre. Moi je pense sincèrement...
SERGE MOATI - Parce que eux veulent partir.
JEAN-LOUIS BORLOO - C'est ce que je vous dis, je ne vois pas pourquoi on a signé ce pacte de gouvernement sans... (inaudible), sincèrement, peut-être d'ailleurs qu'il aurait fallu réagir beaucoup plus tôt. Et quatrièmement laissez, Louis GALLOIS démarre un dialogue social mardi, sauf à nier le principe même du dialogue social, laissons-le, avec des partenaires sociaux qui sont parfaitement responsables, laissons-les étudier, regarder l'ensemble de cette situation.
SERGE MOATI - Monsieur BORLOO ne dit pas, comme Lionel JOSPIN : l'État ne peut pas tout. La célèbre phrase...
JEAN-LOUIS BORLOO - Attendez, moi je le reconnais, on reconnaît tous qu'il y a un problème de gouvernance sur cette entreprise. Maintenant on ne va pas régler ça en 15 jours. Mais les problèmes de gouvernance font que aujourd'hui par exemple on a sur les sites français, mais c'est pareil en Allemagne, sur Saint-Nazaire on ne sait pas trop, et sur Méaulte, par exemple, qui est un site menacé, dans la Saône, moi je connais Méaulte, autour c'est des champs, c'est 4 000 emplois directs et indirects, c'est les cockpits, le nez de l'avion, etc. On sait tous très bien, on nous dit une ouverture du capital, par exemple sur Méaulte, alors qu'il n'y a pas de problème là non plus de carnets de commande. On sait tous très bien... L'ouverture du capital ça conduit à quoi ? On veut faire rentrer un deux sous-traitants, moi j'aimerais bien qu'on m'explique quel sous-traitant français a les moyens d'investir sur Méaulte, premier élément. Deuxième élément, une fois - et Louis GALLOIS ne s'en cache pas, et je dis bien, je ne critique pas Louis GALLOIS quand il fait le boulot. Vous savez qu'il était représentant de l'État au conseil d'administration d'EADS, avant d'être président. l'État n'a pas remplacé Louis GALLOIS...
SERGE MOATI - Vous savez ce que dit monsieur SARKOZY... Il dit : " les États ne sont pas les actionnaires les plus avisés. "
JEAN-LOUIS BORLOO - C'est une erreur parce que ça a bien marché avec AIRBUS.
JEAN-CLAUDE MAILLY - Vous savez, il y a 40 ans, 67 c'est pas aujourd'hui... Il y a 40 ans on voulait déjà supprimer, le gouvernement voulait supprimer le site de Nantes, à l'époque, bon ben ça fait 40 ans que ça dure. Donc Méaulte, le risque demain c'est que Méaulte devienne un sous-traitant de AIRBUS. Vous savez, les salariés d'AIRBUS sont fiers de leur entreprise, ils ne veulent pas quitter AIRBUS. S'il y a une sous-traitance, ils sont délocalisés demain, ils le savent très bien.
JEAN-LOUIS BORLOO - Monsieur MAILLY, la question posée par Louis GALLOIS n'est pas celle-là, mais une fois de plus c'est au dialogue social entre lui et les représentants salariaux d'aller au fond des choses. Son idée, comme d'ailleurs pour des pôles de compétitivité, qui est une position gouvernementale qui ne vous avait pas choqué à l'époque, si je m'en souviens bien, considère que autour des composites, avec des moyens financiers complémentaires que le Premier ministre a d'ores et déjà débloqués, comment avec d'autres industriels faire un pool de compétitivité dans lequel AIRBUS et EADS resteraient majoritaires ? C'est ça quand même...
SERGE MOATI - Monsieur BORLOO, que pensez-vous de l'initiative des huit présidents PS des régions concernées qui ont écrit à monsieur VILLEPIN pour pouvoir acheter des parts d'EADS, maison mère d'AIRBUS ? C'est une bonne initiative ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Oui, ça fait partie du débat mais vous savez...
SERGE MOATI - Un peu plus, on est au coeur...
JEAN-LOUIS BORLOO - Mais laissez-moi le commenter. Les Lander allemands et les régions françaises, c'est des rapports qui n'ont rien à voir, ni en puissance économique, ni en puissance financière. Alors si c'est une collaboration, elle est nécessaire, des régions françaises. Est-ce qu'elle doit prendre la forme d'une participation au capital... Je vous rappelle...
SERGE MOATI - Pourquoi l'UMP n'a pas eu une idée pareille ? Parce qu'elle n'a pas de région vous allez me dire...
JEAN-LOUIS BORLOO - Attendez, mais non... Mais est-ce que vous savez que la loi française, à la suite de MANUFRANCE, a interdit que des collectivités locales soient actionnaires ? C'est ça la situation. À la suite du drame de MANUFRANCE. Parce que la ville avait été prise en otage d'une certaine manière, ce qui était un drame financier et social. Donc regardons. La participation des régions, sous une forme ou sous une autre, formation, qualification, mais peut-être pourquoi pas, que ce soit l'occasion qu'on regarde... Excusez-moi, je suis un républicain, je pense qu'il y a un vrai sujet qui est l'industrie nationale, je pense que ce qui a été fait sur ALSTOM à l'époque par le ministre des Finances, où il y a eu une réintervention de l'État au capital d'ALSTOM, on avait dit à l'époque : SARKOZY est en train de nationaliser. Non, il y avait un moment de passage obligé, ça a été fait, je ne suis pas hostile du tout à ce type d'intervention.
SERGE MOATI - D'accord, nous en prenons bonne note, y compris de votre rendez-vous très proche avec Nicolas SARKOZY. Mais ces 4 300 suppressions d'emplois vont ternir votre bilan de ministre de l'Emploi, alors qu'il y a quatre jours à peine vous vous réjouissiez d'avoir atteint un taux de chômage de 8.6, un chiffre incontesté par l'association...
JEAN-LOUIS BORLOO - Un ministre de l'Emploi ne se réjouit jamais qu'il y ait des chômeurs, même à 8.6...
SERGE MOATI - Est-ce que vous contestez ces chiffres ?
JEAN-CLAUDE MAILLY - Je ne conteste pas le taux officiel de chômage. Ce qui pose problème aujourd'hui, c'est qu'en face il n'y ait pas les créations d'emplois. Quand je dis les créations d'emplois, je parle de vrais contrats de travail avec de vrais emplois. Je vais prendre un exemple. Il y a tout le secteur des services, des emplois de services, qui sont un gisement potentiel d'emplois. Sauf que très fréquemment, aujourd'hui ce sont des emplois, c'est deux heures par-ci, deux heures par-là, c'est des contrats à temps partiel, c'est donc des contrats très précaires. Et là ça fait près de deux ans qu'on est en train de négocier avec le patronat, ne serait-ce que le champ d'application. Il y a déjà des entreprises, je ne vais pas faire de publicité ou de contre-pub, vous savez une entreprise qui vend des ordinateurs, des télévisions, etc., qui a dans son service actuellement des gens qui peuvent venir chez vous réparer les ordinateurs, eh bien ils essaient de les faire sortir de la convention collective de l'entreprise pour avoir des conditions de travail moins importantes. Donc il y a un problème de nature des emplois créés...
SERGE MOATI - Donc un problème de chiffrage ?
JEAN-CLAUDE MAILLY - Chiffrage sur le taux officiel tel qu'il est, non, sauf que cette diminution du taux de chômage...
SERGE MOATI - Il n'y a pas de tromperie ?
JEAN-CLAUDE MAILLY - Ça joue sur des problèmes qui sont des problèmes démographiques, ça joue à la fois parce que les salariés dits âgés sont partis, à la fois parce que l'augmentation de la population active est moins forte aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a quelques années. Il y a des radiations également qui sont plus importantes qu'auparavant. Le problème c'est qu'en face il n'y a pas de vraie création d'emploi, notamment industrielle où ça chute. Et c'est ça qui est nécessaire, c'est la contrepartie.
JEAN-LOUIS BORLOO - Mais là je suis à la fois en accord et en désaccord avec monsieur MAILLY. Je suis en accord avec monsieur MAILLY sur le fait que le taux d'emploi, qui est un taux officiel, ça baisse, ça baisse, bon, et de l'autre côté on a bien 400 000 cotisants de plus aux caisses de sécurité sociale, 300 000 cotisants de plus à l'UNEDIC et, quoi qu'on dise, l'UNEDIC qui perdait beaucoup d'argent a un excédent d'exploitation de 400 millions d'euros cette année...
JEAN-CLAUDE MAILLY - Ce qui était prévu.
JEAN-LOUIS BORLOO - Prévu parce qu'on avait prévu cette augmentation. Donc ça c'est un point de désaccord. Le point d'accord évident, c'est que... attendez, ça, ça ne qualifie pas des emplois, je veux dire que...
SERGE MOATI - Ça veut dire que...
JEAN-LOUIS BORLOO - Je vais vous dire ce que ça veut dire. Ça veut dire que l'Europe, les pays d'une manière générale qui ont connu le plus de croissance en Europe ou aux États-Unis, enfin et les États-Unis, la croissance s'accompagne en général par des temps de travail partiel, par un accroissement d'inégalités. Et tout le problème de la France, absolument, tout le problème de la France, c'est d'éviter ce double écueil. C'est-à-dire à la fois avoir de la croissance, et de la croissance en emplois on en a, mais en même temps que ces emplois soient des emplois qui sont le plus possible, voire essentiellement, des CDI et des temps pleins. On prend l'exemple des services à la personne, monsieur MAILLY a absolument raison, constater qu'il y a deux ans l'essentiel du secteur était un secteur à temps partiel subi. Pourquoi ? Parce que c'était un secteur qui était peu organisé. Quand vous avez fait une fois deux heures midi, une fois deux heures le soir, pour une personne âgée ou un portage à domicile, et qu'il n'y a pas d'autres activités, vous êtes dans le temps partiel subi. On a signé un contrat de progrès, avec tout le monde d'ailleurs, dans ce secteur-là, on va annoncer les chiffres après-demain, en deux ans on aura fait 400 000 emplois, mais surtout, 70 % des emplois sont passés du temps subi ou au temps choisi ou au temps complet. Nous attendons la signature de la convention collective, nous poussons à la signature de la convention collective, nous avons mis en place les assises de la professionnalisation, nous avons ouvert des centres de formation sur les services à la personne, et je suis convaincu que c'est un des secteurs, c'est pas le seul, ouh là là... il y a des gisements d'emplois à condition d'aller vers professionnalisation et temps plein.
SERGE MOATI - Oui, mais ces radiations...
(Brouhaha)
Expliquez-moi, comment on peut radier quelqu'un ?
JEAN-CLAUDE MAILLY - On téléphone à une personne, ça se fait même automatiquement. Si elle ne décroche pas, elle est radiée et si c'est une erreur il faut qu'elle fasse la démarche pour se réinscrire. Sauf que bien souvent les chômeurs qui sont en situation les plus fragiles, eh bien ils ne font même pas la démarche pour se réinscrire. Alors il y a une augmentation, je ne dis pas que ça explique tout...
JEAN-LOUIS BORLOO - Monsieur MAILLY, quand même, franchement, il y a 400 000 cotisants de plus et 350 000 chômeurs de moins. Il doit quand même y avoir un tout petit peu un rapport...
JEAN-CLAUDE MAILLY - Vous savez que sur le service à la personne il y a y compris des emplois - du blanchiment d'une certaine manière - des emplois qui étaient... je ne critique pas ça, donc ça explique aussi des cotisants supplémentaires. Le problème de fond, c'est qu'en face de cette diminution du chômage, il n'y a pas les créations d'emploi. Mais c'est lié aussi à un problème de politique économique. Moi je considère qu'on n'a plus de débat économique dans notre pays aujourd'hui, il n'y a plus de débat économique... Un vrai débat économique...
JEAN-LOUIS BORLOO - Mais je pense absolument que depuis... Le commissariat au plan il y a dix ans était un grand lieu de débat stratégique...
SERGE MOATI - Excusez-moi monsieur SARKOZY... Monsieur SARKOZY... Je suis obsédé par monsieur SARKOZY...
JEAN-LOUIS BORLOO - Je vous en prie, mon cher PERNAULT, c'est pas grave...
SERGE MOATI - Je vous superpose maintenant ! Est-ce que vous êtes d'accord, donc avec monsieur SARKOZY, lorsqu'il propose de supprimer le poste d'un fonctionnaire sur deux qui part à la retraite. Devant monsieur MAILLY, tiens !
JEAN-LOUIS BORLOO - Écoutez, j'avais cru comprendre que c'était à Bercy...
SERGE MOATI - Monsieur SARKOZY ne veut pas supprimer un fonctionnaire sur deux ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Non, j'ai cru comprendre qu'il voulait revenir au nombre de fonctionnaires de 1997 ou 98...
JEAN-CLAUDE MAILLY - Il s'est planté sur les chiffres.
JEAN-LOUIS BORLOO - Moi sur ce sujet je crois que les choses sont claires. La France a choisi un certain nombre, un modèle avec de la gratuité, gratuité de l'école, gratuité ou quasi hospitalière, etc. C'est un choix républicain que personne ne remet en cause...
SERGE MOATI - Bien sûr, le modèle social.
JEAN-LOUIS BORLOO - C'est ce qu'on appelle globalement le modèle social français.
SERGE MOATI - Dont vous êtes un défenseur.
JEAN-LOUIS BORLOO - Ce qui est élémentaire est ou gratuit ou pas cher, de façon à ce que la République y gagne et que tout le monde y ait accès. C'est une donnée que nous avons et je crois que personne ne souhaite le changer. En revanche que dans certains secteurs, dans certains secteurs, l'amélioration de la bureautique, des moyens de communication, des NTIC, permettent d'alléger, et que dans d'autres on mette plus de moyens, ça me paraît assez élémentaire.
SERGE MOATI - Mais monsieur MAILLY trouve que...
JEAN-CLAUDE MAILLY - Mais attendez, quand on dit " il faut supprimer un fonctionnaire sur deux ", je dis que c'est une lecture comptable. J'ai rien contre les comptables mais c'est résumer la politique économique à une question de comptabilité. Donc on ne peut pas... Ça c'est la logique : attention la dette, qui est devenu un débat de fous, anxiogène, etc. Donc ça ne marche pas, ça.
SERGE MOATI - Donc comme ça, ça fait peur à tout le monde et ça ne sert à rien, c'est ça ?
JEAN-CLAUDE MAILLY - On inquiète tout le monde avec la dette, il faudrait savoir ce qu'on appelle par dette, mais personne n'est choqué quand on dit aux gens : maintenant vous allez pouvoir vous endetter 50 ans pour acquérir un logement. Attendez, si vous vous endettez 50 ans, c'est bien à vos enfants et à vos petits-enfants que vous laissez...
SERGE MOATI - Et deuxième chose, vous êtes d'accord avec monsieur SARKOZY lorsqu'il dit qu'il faut réglementer le droit de grève ?... C'est une bonne question ça, je ne voudrais pas qu'on se quitte comme ça avec monsieur MAILLY...
JEAN-LOUIS BORLOO - J'ai trop d'estime pour monsieur MAILLY pour ne pas lui dire quand je ne suis pas d'accord avec lui. L'histoire du logement...
SERGE MOATI - Quoi, payer 50 ans son logement...
JEAN-LOUIS BORLOO - Pourquoi payer un loyer c'est mieux pour celui qui n'a pas trop de sous que, pendant une période plus courte, payer un crédit ? C'est-à-dire tous les mois améliorer un peu son capital. Si le crédit est inférieur au loyer...
SERGE MOATI - Pour terminer, le droit de grève, il faut le réglementer, comme votre candidat le pense ?
JEAN-LOUIS BORLOO - D'abord je vous ai dit qu'on se voyait dans 15 jours...
SERGE MOATI - Vous avez dit : sauf miracle, c'est mon candidat.
JEAN-LOUIS BORLOO - Vous êtes terrible, vous voulez faire l'impasse sur tout...
SERGE MOATI - Non, je vous pose des questions.
JEAN-LOUIS BORLOO - Vous voulez ma position ?
SERGE MOATI - Oui.
JEAN-LOUIS BORLOO - Je vais vous la donner. Un, le droit de grève est sacré. Deux, le droit au travail aussi, qui a un sujet clair lorsque le droit de l'un va contre le droit de l'autre. Qu'il y ait donc des méthodologies qui permettent de sortir de ce conflit, ça me paraît normal, ça ne me paraît pas scandaleux. Mais attention, c'est un sujet qui est extrêmement sensible, c'est plus un problème de pratique, me semble-t-il, que d'encadrement totalement législatif. Et troisièmement je souhaiterais qu'il y ait un débat avec les partenaires sociaux sur ce sujet...
SERGE MOATI - Donc en simple et dans le texte, ça donne quoi ? (Brouhaha)
Je vous remercie beaucoup, monsieur MAILLY, d'être venu. À bientôt. Je vous présente maintenant, cher monsieur BORLOO, Manuel VALS, maire d'Évry, banlieue parisienne, député-maire d'Évry, auteur d'un livre que je vais vous montrer, très proche de Ségolène ROYAL, il est maire comme vous l'avez été, il aime la ville comme vous, il est socialiste et pas tout à fait comme vous et il vient d'écrire " Les habits neufs de la gauche ", paru aux éditions Robert Laffont. Donc chère Manuel VALS, voilà quelques instants que vous écoutez, j'imagine, Jean-Louis BORLOO. Dites-nous comment, au plan politique, vous percevez ce personnage ?... Vous voulez le bouquin ?... Il va se mettre à lire pendant que vous parlez... Comment vous percevez Jean-Louis BORLOO ?... Mais je vais vous passer aussi les livres de Jean-Louis BORLOO, il avait écrit " Un jeune homme en colère ", vous pourriez le lire et moi je ferais l'émission tout seul. Mais dites-moi, comment vous percevez ce personnage, comment vous le situez politiquement ?
MANUEL VALS - Le personnage est sympathique, je ne doute pas un seul instant de ses convictions, on peut travailler ensemble sur le terrain, tous les maires vous le diront, même s'il y a de la continuité, la politique de la ville c'est aussi 20 ans de continuité pour faire face à 30 ans de ségrégation territoriale et sociale qui mine évidemment notre pacte républicain. Mais en même temps je voudrais rappeler à Jean-Louis BORLOO que nous sommes en pleine campagne présidentielle...
SERGE MOATI - Ça lui a pas échappé, j'ai l'impression...
MANUEL VALS - Je crois qu'il est fâché un peu avec les dates, parce que nous sommes à quelques semaines du premier tour de l'élection présidentielle et puis les Français sont en train, évidemment, de se forger une opinion. Il est membre d'une majorité, vous êtes membre d'un gouvernement depuis cinq ans, et puis vous avez soutenu évidemment Nicolas SARKOZY, cela ne fait aucun doute, malgré le suspense ménagé avec beaucoup de talent...
SERGE MOATI - On a fait avancer le schmilblick, on ne va pas recommencer...
MANUEL VALS - Je crois qu'on sait comment ça va se terminer. D'ailleurs monsieur BORLOO est un peu comme tous les centristes, il termine de toute façon, ça sera le cas aussi avec François BAYROU, à droite c'est le destin naturel d'un bon centriste. Mais je réponds à votre question...
JEAN-LOUIS BORLOO - À condition qu'on ne nous fasse pas les poches entre temps quand même...
MANUEL VALS - Mais il est plein de contradictions. Il est plein de contradictions, parce qu'il s'apprête à soutenir Nicolas SARKOZY, après avoir été dans le même gouvernement pendant cinq ans, qui propose une politique totalement contradictoire au fond avec les principes que défend Jean-Louis BORLOO.
SERGE MOATI - Sur quels points, et après il vous répond.
MANUEL VALS - On va prendre trois sujets. Politique de proximité, parce qu'on a besoin de sécurité dans nos quartiers pour mener des politiques sociales. La police de proximité a été supprimée et nous savons que cela a fait des dégâts considérables dans nos quartiers. Nicolas SARKOZY annonce la suppression des zones d'éducation prioritaire, on sait qu'on a besoin de ce type de politique en faveur de l'éducation. Troisièmement, assumé par Jean-Louis BORLOO, suppression au début de la législature, des emplois-jeunes, dont nous savons que c'était une réponse nécessaire dans nos quartiers, d'autant plus vrai que quelques années après Jean-Louis BORLOO a été obligé d'inventer lui aussi des emplois aidés. Donc il y a là des contradictions fondamentales. Et donc quand on est membre d'un gouvernement, quand on est membre d'une majorité, eh bien on assume un bilan. Et Jean-Louis BORLOO, malgré tout ce qui a été fait, on ne peut pas dire aujourd'hui que dans les banlieues et dans les quartiers populaires ça va mieux, illustré évidemment par ce qui s'est passé à l'automne 2005. Nous savons que c'est pas le résultat de 4 ou 5 ans de politique seulement, mais il y a là des contradictions...
SERGE MOATI - Donc vous lui dites qu'il faudrait qu'il annule son rendez-vous...
MANUEL VALS - Oui, parce qu'au fond il y a deux modèles, il y a deux idées, même si c'est plus compliqué que ça : comment on vit dans notre société ? Et il y a une manière de vivre ensemble que nous essayons de proposer, et il y a une manière plus dure d'organiser notre société, et c'est, Jean-Louis BORLOO, le choix que vous êtes en train de faire.
SERGE MOATI - Jean-Louis BORLOO, implacable, hein ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Oh, implacable, mais tout le monde connaît le talent de Manuel VALS, je me souviens il était le porte-parole de Lionel JOSPIN en 2002...
MANUEL VALS - Non, non non non...
JEAN-LOUIS BORLOO - En tous les cas beaucoup d'estime...
MANUEL VALS - Beaucoup d'estime pour Lionel JOSPIN, oui...
JEAN-LOUIS BORLOO - Mais d'ailleurs vous avez raison.
MANUEL VALS - Et puis élu maire en 2001. Mais il faut rétablir...
JEAN-LOUIS BORLOO - D'ailleurs peut-être qu'il a eu tort de ne pas vous prendre comme porte-parole...
SERGE MOATI - Je vous en prie, avancez !
MANUEL VALS - On fait l'émission sur moi alors...
JEAN-LOUIS BORLOO - Vous êtes un personnage intéressant... Mais attendez, les leçons moi ça va comme ça.
SERGE MOATI - Les siennes ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Du PS en général.
SERGE MOATI - Pourquoi ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Je vais vous dire pourquoi. Un, la rénovation urbaine, il ne faut quand même pas charrier, la gauche, en 25 ans, a mis 28 millions d'euros par an sur la rénovation urbaine. Grâce à l'effort de tous, partenaires sociaux, villes, régions, États, la ville d'Évry a à sa disposition 120, 130, 140 millions d'euros ou aux alentours de 130 millions d'euros, sur deux quartiers...
MANUEL VALS - Sur un quartier.
JEAN-LOUIS BORLOO - Alors donc un peu plus, donc 140 millions sur un quartier, donc encore plus sur deux...
SERGE MOATI - Mais répondez à sa question, parce que là on n'est pas dans un débat régional...
JEAN-LOUIS BORLOO - Mais si, si si. Évry, il y en a 500 en France comme ça. On a mis en place, pour lutter contre la ségrégation urbaine, ce qui n'avait pas été fait, excusez-moi... C'est pour ça que franchement je suis assez détendu. Parce que ce sujet est crucial, parce que la ségrégation sociale, parce qu'en 30 ans, Vaulx-en-Velin c'est il y a 25 ans, on a laissé se dégrader ce qui n'est qu'une crise urbaine et sociale en crise d'identité. Alors on sait, et Manuel le sait aussi bien que moi, qu'il y a par ailleurs une course contre la montre, que tout ça n'est pas parfait, que la machine est en route, et heureusement, et j'en ai pas honte et je l'assume. Deuxième sujet, parce que ça va avec : vous savez quelle est la plus grande attaque depuis 20 ans sur le pouvoir d'achat ? La plus grande attaque, c'est le logement. Pendant 20 ans on a construit deux fois moins de logements que nécessaire dans notre pays. Les années noires du logement et du logement social, c'est les 5 années du gouvernement de monsieur JOSPIN. On a augmenté de 50 % la production de logements, de 100 % des logements sociaux. Vous savez ce qui s'est passé, monsieur MOATI ? Quand vous ne construisez pas pendant 20 ans, la rareté est telle qu'on a fait une attaque sur le pouvoir d'achat de près de 30 %. Dans les 3 ans qui viennent, par une offre supérieure à la demande, on va réduire...
SERGE MOATI - Donc ils sont mal placés, c'est ça ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Attendez, je vais quand même répondre aux questions où il y a une différence de vue. En matière de sécurité... chacun est comme il est, moi je suis... Attendez, une des raisons pour lesquelles je vais avoir ce débat avec Nicolas SARKOZY, mais je l'ai mis noir sur blanc, parce qu'un des quatre programmes d'intérêt national prioritaire pour moi, un des quatre, c'est la justice sociale territoriale, l'équité républicaine, ce problème de quartiers. Le problème des banlieues, monsieur, c'est pas le problème des banlieues, c'est le problème de toute la France, c'est le problème de la République. Ça c'est extrêmement grave. Et moi j'estime qu'on a fait la ségrégation, on a lutté contre la ségrégation urbaine et on va gagner ce pari-là. Mais grâce aux maires, parce que c'est eux au fond qui le gagnent sur le terrain. Il nous faut des moyens beaucoup plus massifs. C'est ce que j'ai mis noir sur blanc. Et croyez-moi, c'est pour ça...
SERGE MOATI - Que vous allez présenter à Nicolas SARKOZY.
JEAN-LOUIS BORLOO - ... que je ne transigerai pas, parce que pour moi c'est un sujet crucial...
SERGE MOATI - Vous ne transigerez pas si vous n'avez pas satisfaction sur ces deux points.
JEAN-LOUIS BORLOO - Oui, mais on n'est pas dans... je ne suis pas dans le caprice, je suis dans la responsabilité.
SERGE MOATI - J'ai compris,d'accord, mais enfin il y a un moment où il faut quand même... Sur quoi vous...
JEAN-LOUIS BORLOO - Eh bien vous verrez, ce document sera prêt... il est prêt depuis aujourd'hui...
SERGE MOATI - Depuis ce dimanche ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Oui, absolument, juste avant de venir je suis allé... j'ai corrigé, voyez. J'ai corrigé parce qu'entre ce que je crois dire et puis ce qu'on lit quand on n'est pas dans le sujet, je me suis rendu compte que je voulais dire trop de choses.
SERGE MOATI - Il n'y a pas un point qui serait pour vous le non possibulus, c'est-à-dire j'y vais pas puisqu'il n'est pas d'accord là-dessus ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Mais vous observerez que le " j'y vais pas " ne veut pas dire " je change de famille politique ". Ça veut dire : moi, à titre personnel, je me sens pas de dire : écoutez les gars, croyez-moi, on va le faire. Je vais être immodeste une seconde, imaginez-vous que je crois avoir un tout petit peu de crédit. Et si je parle d'emploi et que je dis : après 10.2, 8.6, on va aller entre 5 et 6, et j'explique les moyens...
SERGE MOATI - Vous dites ça ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Mais bien entendu, et j'en suis absolument convaincu. Je vais vous dire, je suis trop orgueilleux, trop orgueilleux, pour qu'on me le refoute dans la figure trois ans ou quatre ans après. Donc je vous garantis que, voilà, si je m'engage, je m'engagerai sur des choses comme ça et je les tiendrai.
SERGE MOATI - Publiquement ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Évidemment.
SERGE MOATI - D'accord. Pourquoi avez-vous dit, monsieur le maire d'Évry, en préparant cette émission, je résume votre pensée : le ministre BORLOO serait bon, d'ailleurs 50 % des sympathisants de gauche le trouvent bon, mais en suivant Nicolas SARKOZY... je recommence, Jean-Louis BORLOO se placerait dans le camp, je vous cite " du désespoir de la banlieue ". C'est-à-dire que vous recommencez là-dessus ?
MANUEL VALS - Oui, parce que je crois, comme lui d'ailleurs, que c'est le sujet principal. C'est pas le problème de la banlieue, c'est celui des quartiers populaires, de la souffrance exposée à la figure de ce pays...
JEAN-LOUIS BORLOO - De la République.
MANUEL VALS - Et les responsabilités sont partagées et c'est vraiment évidemment l'avenir de la République qui se joue dans ces quartiers.
SERGE MOATI - Vous êtes d'accord là-dessus.
MANUEL VALS - Et pour y répondre il faut une politique de la ville. Jean-Louis BORLOO est trop sévère, il y a eu une continuité...
SERGE MOATI - Sur le bilan de la politique JOSPIN, il n'a pas été d'une gentillesse excessive...
MANUEL VALS - Une partie de ce que nous faisons, par exemple dans ma ville, sans parler d'elle, c'est pas le sujet, mais nous l'avons entamé aussi avec le gouvernement précédent. Il y a eu un développement, une amplification. Mais le renouvellement urbain ne suffit pas. Et moi le reproche principal que je fais à Jean-Louis BORLOO, c'est qu'il s'est beaucoup occupé de l'urbain mais pas suffisamment de l'humain, des hommes, des femmes et des jeunes qui vivent dans ce quartier. Et pardon de vous le dire, Jean-Louis BORLOO...
JEAN-LOUIS BORLOO - Vous vous foutez du monde, la principale revendication c'était quoi ? C'était soutenir des financements dans ces villes. J'ai fait voter une loi pour mettre 600 millions d'euros de dotation de solidarité urbaine pour ces villes en grande difficulté, pour Évry, pour Montfermeil, pour Clichy-sous-Bois, plus de 5 millions d'euros de plus par an pour Clichy-sous-Bois et Montfermeil...
MANUEL VALS - Jean-Louis BORLOO, vous le savez bien, nous sommes, au vu des problèmes de chômage, de précarité, d'échec scolaire, nous sommes, et nous le savons tous, très loin...
JEAN-LOUIS BORLOO - 20 % de baisse du chômage des jeunes dans les quartiers depuis un an...
MANUEL VALS - Vous avez parfaitement que les jeunes, entre 18 et 25 ans sont sans qualification, sans formation...
JEAN-LOUIS BORLOO - Ça je suis bien d'accord, c'est pour ça que je vous dis qu'il faut un plan complémentaire.
MANUEL VALS - Je ne dis pas que c'est facile et qu'on le fait comme ça en claquant des doigts. Mais nous sommes très loin du compte et vous allez soutenir précisément quelqu'un qui de toute façon ne peut plus mettre les pieds dans ces quartiers populaires, ce qui indique bien le rapport de votre camp politique avec ce qui se passe dans ces villes et dans ces quartiers. Et pour aller plus loin, parce que je vais nourrir votre programme, et vos exigences et vos conditions à l'égard de Nicolas SARKOZY, il y a un sujet, la fameuse loi SRU, et l'application des 20 % de logements sociaux dans toutes les villes. 800 villes n'appliquent pas...
SERGE MOATI - Il va dire à SARKOZY, dans ses cinq points, qu'il faut le faire à Neuilly.
MANUEL VALS - C'est le symbole, voilà, mais personne n'y croit. Pourquoi il ne l'a pas fait depuis cinq ans ? Et c'est là toute la contradiction qui est la vôtre, Jean-Louis BORLOO. Et c'est là la contradiction qui est la vôtre, avec le projet de Nicolas SARKOZY. Parce que le projet de Nicolas SARKOZY, Jean-Louis BORLOO, il n'est pas en train de s'écrire, il a déjà été prononcé, il est déjà écrit, il est déjà annoncé, mais personne n'y croit...
SERGE MOATI - Mais il aura peut-être vraiment besoin, si BAYROU monte...
MANUEL VALS - Tout le problème de Jean-Louis BORLOO c'est de monter dans le train, il ne sait pas comment le faire. Et c'est toute la difficulté d'aujourd'hui.
JEAN-LOUIS BORLOO - Non, monsieur VALS, je vous ai pas...
MANUEL VALS - Mais si, c'est un peu la difficulté, non ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Non, je crois...
MANUEL VALS - Si, je crois que c'est le problème.
SERGE MOATI - Vous lisez toujours le livre de VALS ?
MANUEL VALS - Non, c'est le résumé, là.
JEAN-LOUIS BORLOO - Non, je trouve que c'est bien de prendre des leçons d'un membre du Parti socialiste. Voilà les logements sociaux sous monsieur JOSPIN. Monsieur Manuel...
MANUEL VALS - VALS... Monsieur Jean-Louis...
JEAN-LOUIS BORLOO - Parce que vraiment j'ai de l'estime pour lui donc j'ai un peu de mal entre le prénom et le nom. Mais on ne va pas faire... Voilà où on en était...
SERGE MOATI - On voit qu'il y a un truc qui monte, mais là on ne peut pas...
JEAN-LOUIS BORLOO - 42 000, 105 580. Alors maintenant si je prends avec les loyers sociaux privés, 7 400, 38 300. Si je fais le total des logements sociaux, 51 000, 143 580 en 5 ans. Et sur la loi SRU, un parlementaire français ne peut pas dire que 800 villes ne l'appliquent pas. Non, excuse-moi, je suis ministre du logement, je sais de quoi je parle. Ce n'est pas vrai.
MANUEL VALS - Si.
JEAN-LOUIS BORLOO - Ce n'est pas vrai. Il y a... Ce n'est pas vrai parce que j'ai fait faire les constats de carence des villes qui ne l'appliquaient pas, j'ai triplé les pénalités et j'ai saisi le préfet moi-même dans les quatre cas pour signer des permis de construire.
MANUEL VALS - Jean-Louis BORLOO, une seule ville a été concernée par ce constat de carence.
JEAN-LOUIS BORLOO - C'est pas vrai.
MANUEL VALS - Dans le Val-de-Marne, mais si, vous le savez parfaitement.
JEAN-LOUIS BORLOO - Dans le Val-de-Marne,
MANUEL VALS - Non non non, partout. Un seul constat de carence.
JEAN-LOUIS BORLOO - C'est pas vrai. Il y a des villes qui ont des programmes... Mais on ne va pas passer deux heures là-dessus.
MANUEL VALS - C'est important parce que c'est la philosophie même de la manière dont on voit la société.
JEAN-LOUIS BORLOO - Attendez, il y a des villes de gauche, comme des villes de droite, qui au départ avaient du retard, ont un programme de rattrapage, et celles-là, c'est-à-dire plus de 700 sur les 747 exactement, suivent leur programme de rattrapage.
SERGE MOATI - Mais est-ce que monsieur SARKOZY vous donnera les moyens de rattraper cette politique, est-ce qu'il vous donnera les moyens de continuer votre plan de cohésion sociale ? Ça fait partie de vos points ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Monsieur MOATI, quand j'ai lancé le plan de cohésion sociale, vous vous souvenez que le Monde, tout le monde a titré : c'est très très bien, mais c'est Harry Potter, il n'aura pas l'argent. Hein, c'était ça quand même. Il ne fera pas 100 000 logements sociaux, il n'aura pas les milliards de la rénovation urbaine...
SERGE MOATI - L'argent ne sera pas sanctuarisé.
JEAN-LOUIS BORLOO - L'argent ne sera pas sanctuarisé. J'ai tout lu. Vous savez, l'espèce de société de la suspicion permanente. Qui était le ministre de l'Économie et des finances à l'époque ? Un monsieur qui s'appelait Nicolas SARKOZY. Je n'ai pas eu un problème de finance et de budget. Pas un. Voilà. Donc c'est pas ça. Ce que je crois réellement, c'est que notre pays, notre pays doit hiérarchiser ses priorités et changer les méthodes. Voilà ce que je crois. Une élection présidentielle et un gouvernement c'est une stratégie pour un pays...
SERGE MOATI - Vous irez avec lui en banlieue ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Attendez, les 700 quartiers...
SERGE MOATI - Là où il a un peu de mal à y aller en ce moment, vous irez ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Monsieur MOATI, je crois sincèrement être, sinon celui, en tous les cas un de ceux, peut-être avec Philippe Van de MALE qui est là-bas, qui dirige l'Agence de rénovation urbaine, celui qui a été...
SERGE MOATI - Au premier rang, là, pour les caméras...
JEAN-LOUIS BORLOO - Les 700 quartiers, je les ai tous faits au moins une fois, et beaucoup d'entre eux, deux ou trois fois. Je les connais absolument par coeur et en plus je les aime.
SERGE MOATI - Vous emmenez donc Nicolas SARKOZY avec vous ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Eh bien s'il est président de la République, avec plaisir.
SERGE MOATI - Pendant la campagne ?
JEAN-LOUIS BORLOO - Mais attendez...
JEAN-LOUIS BORLOO - Parce que vous n'avez pas aimé les mots maladroits, etc., vous n'êtes pas d'accord avec ça, karcher, racaille, etc.
JEAN-LOUIS BORLOO - Non mais c'est très très compliqué d'être ministre de l'Intérieur. Très compliqué.
MANUEL VALS - Et candidat à l'élection présidentielle en plus, oui.
JEAN-LOUIS BORLOO - Oui, je crois. Et je ne vous parle pas des mesquineries qui sont dites par tel ou tel. Je ne vois pas pourquoi le Premier ministre à l'époque aurait pu être candidat et pas un ministre. Mais cela dit, sur le fond de l'image, sur le fond des fonctions mêmes, écoutez, franchement, moi je peux ne pas être d'accord sur tout avec Nicolas SARKOZY, on n'est pas faits pareil, on n'a pas la même histoire. Mais... je suis vraiment convaincu qu'il a été tellement impressionné par tous ces sujets-là, c'est pas l'effet du hasard si c'est celui qui a lutté contre la double peine, qui a mis en place le CFCM, qui a imaginé, même si on peut ne pas être d'accord, la discrimination positive. Parce que le fils d'émigrés de l'Est, quelque part il sent l'injustice. On peut ne pas être d'accord sur ses réponses, mais quelque part il les aime...
SERGE MOATI - Donc il a changé, quoi, comme il l'a dit à son discours.
JEAN-LOUIS BORLOO - Je pense qu'il y a eu un gros malentendu.
SERGE MOATI - Un dernier mot ?
MANUEL VALS - Je pense que là encore, il est temps de préparer son ralliement. Mais encore une fois c'est deux projets qu'il faut présenter aux Français. Et comment on vit ensemble dans ces quartiers, comment on vit ensemble dans ces villes. Et c'est deux types de sociétés qu'on est en train de présenter. Et c'est ça qui me désole.
SERGE MOATI - Monsieur BORLOO, je remarque simplement avant de nous quitter, et je vous remercie beaucoup d'être venu, vraiment ça me fait très plaisir, qu'il y a beaucoup de gens du gouvernement ici. Je regarde, du gouvernement ou de l'UMP. Je ne sais pas si c'est un signe, moi je n'interprète aucun signe comme ça, mais c'est rare dans le public d'avoir autant de monde.
JEAN-LOUIS BORLOO - Le maire de Chanteloup-les-Vignes, le maire de Bourges, le maire de Rueil...
SERGE MOATI - Valérie PÉCRESSE, Philippe van de MALE, monsieur LARCHER... Merci beaucoup monsieur BORLOO, à dimanche prochain.Source http://www.partiradical.net, le 6 mars 2007