Interview de Mme Laurence Parisot, présidente du MEDEF, à France 2 le 5 avril 2007, sur le pouvoir d'achat et l'emploi dans le cadre de l'élection présidentielle 2007.

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Média : France 2

Texte intégral


Q- Il y a un sondage qui montre que les deux préoccupations principales des Français pour cette campagne, sont : le pouvoir d'achat et l'emploi. Sur le pouvoir d'achat d'abord, les entreprises peuvent-elles faire quelque chose ?
R- Le pouvoir d'achat et l'emploi, cela veut dire que les préoccupations des Français sont des préoccupations économiques. Et la bonne nouvelle de cette campagne électorale c'est que, l'économique et le social, les deux vont ensemble, ont été au coeur, au centre des débats. Répondre à cette préoccupation, fondée, justifiée des Français, c'est penser une politique économique globale, qui permette de se doter d'un taux de croissance élevé, non pas 2, 2,25 ou 2,5 % comme le proposent la plupart des grands candidats...
Q- Voilà, alors, vous, vous dites : les candidats manquent d'ambition...
R- Oui.
Q- ...2 % de croissance pour la France, ce n'est pas assez, il faut se fixer 4 %. Mais comment y arrive-t-on à 4 % ?
R- Parce que...oui... Il faut se fixer 3, 3,5, 4 %, parce que la vraie réponse à cette préoccupation des Français sur le pouvoir d'achat et sur le chômage, passe par un taux de croissance plus élevé, c'est-à-dire, un mouvement de l'économie qui permet de créer des richesses. La France est depuis de nombreuses années en panne de création de richesses. Pour augmenter le niveau de vie des plus modestes, des plus défavorisés, pour sortir ceux qui sont dans ce que l'on appelle, d'une manière tout à fait tragique "la nouvelle pauvreté", ce sont les richesses globales qu'il faut accroître. Et pour cela, il faut stimuler la production.
Q- Alors autrement dit, l'augmentation du pouvoir d'achat ce n'est pas pour demain, ce n'est pas pour tout de suite si on vous écoute ? Il faut attendre l'augmentation de la croissance, etc. ?
R- Oui, mais, sauf que "l'augmentation de la croissance, etc.", ce n'est pas quelque chose qui peut tomber du ciel comme la météo, un jour, il fait beau, un jour, il pleut ! L'augmentation de la croissance, et donc ensuite de tous les facteurs vertueux qui vont après, comme le pouvoir d'achat, cela s'organise, cela se fabrique, cela se crée par une politique économique qui encourage la production. Il faut bien comprendre qu'en France, depuis un certain nombre d'années, que ce soient les politiques des Gouvernements de gauche et les politiques des Gouvernements de droite, on a mis l'accent sur ce que l'on appelle la demande, c'est-à-dire,en gros, la consommation...
Q- C'est-à-dire, on augmente les salaires pour que les gens achètent plus.
R- Ce n'est pas qu'on augmente les salaires, parce que les choses ne se passent pas comme cela. Mais, on a une politique fiscale, une politique d'investissement, qui encourage la consommation. Quelle a été la conséquence de cette politique au cours de ces six dernières années ? La consommation des Français a augmenté de 21 %, c'est beaucoup. L'augmentation des importations a été de 41 %, et l'augmentation de la production de 1 % seulement. Si vous voulez, cette politique, qui a stimulé la consommation, a affaibli l'appareil de production français, et donc en l'affaiblissant, ne permet pas des augmentations de salaire aussi élevées que ce que les salariés peuvent espérer ; ne permet pas les créations d'emplois que nous souhaitons tous, parce que c'est notre intérêt général qui le commande. Il faut donc se demander comment l'on fait pour que nos entreprises puissent grandir plus vite, puissent embaucher plus vite ? Et là, il y a des questions...
Q- Alors, vous avez une réponse, vous : il faut baisser les charges ?
R- Il y a un enjeu fiscal...
Q- Mais ce n'est pas nouveau. Cela aussi, les charges on les a souvent baissées, et l'emploi n'a pas suivi !
R- Parce que... Vous avez tout à fait raison de dire cela. Parce que, une politique économique, ce n'est pas une juxtaposition de mesures qui peuvent au total apparaître comme contradictoires, dont les effets s'annulent les uns avec les autres. Ce qui est frappant et assez dommage dans la campagne depuis quelques semaines c'est que, on entend finalement de la plupart des principaux candidats, chaque semaine, une mesure qui peut apparaître intéressante. Mais la question, ce n'est pas de les voir d'une manière isolée, c'est la cohérence de la politique économique et sociale, c'est...
Q- Vous trouvez que les candidats font du "coup par coup", qu'il n'y a pas de logique, c'est cela ?
R- Oui, et il n'y a pas assez cette logique de stimulation de la production. Quand les candidats disent, à juste titre : il nous faut une politique industrielle, et il nous faut...j'étais hier soir dans un dîner avec beaucoup de chefs d'entreprises, d'entreprises industrielles, du secteur de l'électronique, PME ou grandes entreprises. Tous attendent effectivement une politique industrielle, mais qu'est-ce que cela veut dire une politique industrielle ? Cela veut d'abord dire, faire en sorte que, les entreprises françaises ne soient pas les entreprises les plus taxées au monde. Comment peut-on être encore compétitifs sur nos propres produits, pas seulement à l'exportation, mais y compris en France, si nous sommes les entreprises les plus taxées au monde ? Pour cela, pour modifier cela, il y a des enjeux de réforme fiscale, mais aussi faire en sorte que l'Etat cesse de dépenser, de manière...je dirais...un peu inconsidérée comme il le fait depuis quelques années.
Q- Mais, est-ce que les baisses de taxes, les baisses de charges, ne faudrait-il pas les limiter par exemple aux entreprises qui embauchent ?
R- Vous ne pouvez pas...c'est une vue de l'esprit de penser qu'il peut y avoir une espèce de grand Manitou, donc un Etat savant, qui va pouvoir dire : cette entreprise-là, on peut lui faire une baisse des charges parce qu'elle embauche, et puis, celle-là, elle n'est pas en train d'embaucher, donc, surtout, on maintient des charges élevées. Alors que c'est justement parce qu'elle "besoin d'air", selon l'expression et le titre de notre livre, qu'il faut, au contraire, l'encourager. Je crois qu'il faut avoir une politique générale, une politique segmentante, d'une politique qui crée des effets pervers...
Q- Ciblée quoi, voulez-vous dire ?
R- Une politique trop ciblée, c'est du archi déjà vu ! Cela fait 20 ou 30 ans que l'on fait cela ! Et cela crée des effets d'aubaine, et cela crée aussi des effets d'évictions. Il y a des entreprises qui ont été l'objet d'une forme de discrimination, parce qu'elles ne rentraient pas dans le critère qui avait été défini d'une manière étatique.
Q- Alors, vous proposez, vous aussi, vous, ce que vous appelez la baisse des charges, vous réclamez une baisse des charges, et en particulier, ce que vous réclamez surtout, c'est la fin de la durée légale du temps de travail. On ne parle même plus de 35 heures, on parle de fin de la durée légale du travail. Les Français sont-ils prêts à accepter cela ?
R- D'abord, je crois que le débat sur les 35 heures a beaucoup progressé ces dernières années. Et le fait que...
Q- Mais vous, vous n'en êtes plus là. C'est : fin de la durée légale du travail !
R- Fin de la durée légale, établie par le législateur, d'une manière uniforme, quelle que soit l'entreprise, quel que soit le secteur d'activité, quelle que soit la conjoncture. Ce que nous demandons, c'est que cette durée du travail soit établie par la négociation, entre les organisations syndicales et les organisations patronales, soit au niveau des branches, soit au niveau des entreprises. Et du coup, chacun trouvera son optimum adapté aux contraintes de l'entreprise.
Q- Cela ne va-t-il pas créer des injustices d'une entreprise à une autre ?
R- Je crois que cela va, au contraire, permettre... Si vous voulez, il y a des entreprises qui trouvent un bon seuil de rentabilité à 35 heures, elles pourront rester à 35 heures. Il y en a d'autres, c'est à 36 ou 36,5, ou à 37, que leur bon équilibre peut être atteint. Il faut permettre, compte tenu des spécificités de chacun, mais tel que chacun sur le terrain, dont encore une fois les organisations syndicales et patronales, peuvent l'apprécier. Dans la campagne, on a plus d'une fois entendu que, le modèle suédois avait d'énormes vertus. Je dis, oui, c'est tout à fait vrai. Dans le modèle suédois, il n'y a pas de durée légale du travail. La durée du travail, est définie par contrats, par accords entre les partenaires sociaux. Et vous savez, "Besoin d'air", c'est donner de l'espace à la société civile, les organisations syndicales et les organisations patronales sont au coeur de cette société civile. Si nous avions un peu plus de liberté pour agir ensemble, je crois que ce serait tout à fait bénéfique pour tout le monde.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 avril 2007