Interview de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, à France-Inter le 2 mars 2001, sur sa campagne à Dole pour les élections municipales, la campagne des Verts, son action au sein du ministère et son projet pour les Verts.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli La liberté, n'est-ce pas mieux que le pouvoir. Vous êtes candidate à Dole où la partie n'est pas gagnée et vous allez quitter le Gouvernement afin d'être plus disponible pour votre parti. Alors que le candidat des Verts à la mairie de Paris, Y. Contassot, disait hier sur notre antenne sa différence avec le socialiste B. Delanoë, les Verts vont-ils jouer plus fort leur partition ? Que dites-vous des sondages qui ont été publiés après le débat Séguin-Delanoë ?
- "J'avoue que j'ai du mal à me passionner pour des sondages. Je constate que de nombreux électeurs ne savent pas encore pour qui ils vont voter ni s'ils vont voter. On leur apporte assez peu d'attention. C'est un comportement qui est nouveau en France et qu'on connaît bien, hélas, de l'autre côté de l'Atlantique. Il y a de plus en plus de gens qui ne se sentent pas réellement concernés par les phénomènes électoraux, notamment les jeunes. C'est vrai qu'il est parfois difficile de dépasser le jargon des élections et la façon dont se mène l'élection. Le premier message que je voudrais faire passer, au-delà des sondages et au-delà des débats entre tel ou tel candidat, c'est vraiment qu'il faut éplucher les programmes et puis peut-être, pour reprendre un slogan qui était celui de France Inter autrefois, "écouter la différence." C'est assez compliqué finalement de s'y retrouver."
Certes, il faut prendre toutes les précautions d'usage vis-à-vis des sondages. Néanmoins, il y a un petit effet paradoxal qui est intéressant à analyser. Il y a une poussée des socialistes et alors que les citoyens expriment de plus en plus leur préoccupations pour les questions environnementales, on a l'impression - en tout cas les sondages nous le disent - que les Verts se tassent un peu. C'est paradoxal !
- "Non. Les sondages à Paris ne font pas une dynamique sur l'ensemble de la France. Regardez les intentions de votes en faveur des Verts à Lille, à Grenoble et dans d'autres grandes villes et vous verrez qu'ils sont tout à fait satisfaisants - au-dessus de 10 % sans aucun problème ! Vous savez très bien que les municipales sont extraordinairement bi-polarisées et cela peut donner l'impression qu'il n'y aurait que deux listes. Il y a en d'autres. Dans 25 % des grandes villes de France, les Verts présentent des listes autonomes. C'est le cas à Paris. Y. Contassot n'a guère d'espace, me semble-t-il, pour mener sa campagne électorale. Mais je pense que le score des Verts sera l'indication d'une volonté des Parisiens d'une plus grande prise en compte des questions de qualité de la vie."
Mais dites-vous comme Y. Contassot que la bipolarisation parisienne est une mascarade ?
- "Non, pas une mascarade. Je crois qu'on peut éviter les grands mots qui humilient et qui caricaturent. Pour la première fois depuis longtemps, les Parisiens ont le sentiment qu'ils peuvent changer quelque chose. Ils auront peut-être envie de passer au deuxième tour, avant de s'exprimer lors du premier. J'ai envie de leur dire : "prenez votre temps." Plus il y a aura de votes pour les Verts au soir du premier tour, plus B. Delanoë sera amené à prendre en compte les préoccupations des Verts pour remettre la voiture à sa place, pour privilégier la qualité de l'alimentation dans les cantines, pour associer une force politique nouvelle aux décisions qui seront prises à Paris. Il faut qu'il le dise assez nettement au soir du premier tour."
Que dites-vous de la difficulté du parcours pour les ministres du Gouvernement en lice pour les municipales, que ce soit Mme Guigou, M. Gayssot ou vous-même ? Le parcours est compliqué.
- "Nous n'avons pas choisi des sinécures."
C'est vrai.
- "Je crois que cela se sent. Nous faisons campagne. Il y a eu une époque peut-être où le fait d'être ministre constituait un avantage, c'était avant la décentralisation. Les ministres débarquaient avec les moyens de l'Etat et se permettaient d'annoncer des délocalisations d'entreprises publiques, des installations de services. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas d'une part parce que la décentralisation est passée par là, d'autre part parce que ce sont des comportements qui seraient jugés tout à fait indécents. J'en juge ainsi pour ce qui me concerne. Nous faisons campagne comme n'importe quel autre candidat, avec peut-être la petite gène supplémentaire que peut représenter l'exposition publique et permanente que représente la responsabilité gouvernementale. Ceci dit, ce n'est pas désagréable en ce moment d'être ministre : un million de chômeurs en moins, c'est un bilan qu'on a assume avec beaucoup de tranquillité et de satisfaction."
Vous dites que ce n'est pas désagréable. Néanmoins, je posais la question de la liberté et du pouvoir voire de la liberté ou du pouvoir. Dites-vous : "bientôt la quille."
- "Pas du tout. J'ai beaucoup travaillé au ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement, d'ailleurs je n'ai pas relâché mon effort. J'ai encore quelques mois de travail devant moi pour finir un certain nombre de chantiers qui ont été engagés il y a plusieurs années déjà. J'ai simplement le sentiment qu'au cours de la vie, il y a plusieurs façons de se montrer utile et de s'engager. Je crois que mon parti doit franchir un vrai saut en qualité et en applications sur le terrain pour être plus crédible encore au cours des années qui viennent. J'ai envie d'y contribuer. Je ne le vois ni comme un renoncement, ni comme une fuite mais au contraire comme une façon peut-être de mettre les mains dans le cambouis et de rendre service à mon parti. J'ai été un peu blessée par quelques réactions qui donnaient à penser qu'un homme politique n'a décidément pas le choix entre la fuite en avant frénétique vers le pouvoir et la fuite. Je crois que les Verts ont montré qu'on pouvait faire de la politique plus simplement, plus modestement. Je ne vois pas comme un déshonneur le fait de retourner m'occuper d'un parti politique qui est jeune encore, qui a besoin de travailler sur son programme, sur son articulation avec les attentes de la société. Ce parti a beaucoup interpellé, beaucoup séduit et doit continuer à garder son avance sur le plan des idées et de propositions concrètes qui changent la vie des gens."
Je ne vois pas en effet pas où on aurait pu trouver du déshonneur. Il y a même un côté Saint-Cynathus assez honorable là-dedans. Mais n'empêche ! On vous a vu plusieurs fois, alors que vous êtes toujours au Gouvernement faire un effort de contrôle sur vous, quelquefois assez important pour ne pas trop faire entendre votre différence à vous, celle des Verts. Maintenant que vous sortez, est-ce que la partition des Verts va s'exprimer différemment ?
- "Cela fait partie de l'équation, évidemment. La marge de manoeuvre au sein du Gouvernement pour s'exprimer est relativement limitée en raison de la solidarité gouvernementale. Cela dit, je n'ai pas l'intention d'aboyer à tort et à travers au moment où je quitterai le Gouvernement. J'assume complètement le choix d'ancrer les Verts dans la majorité plurielle. Cette différence ne se fera entendre qu'avec le souci de construire les Verts et la gauche. Je vais essayer de faire entendre ma petite musique et je ne doute pas que ce ne sera pas facile."
D'autant que là, il y a un grand chantier ouvert. Quand on entend y compris le dirigeant de la FNSEA, M. Guyau, dire qu'on n'est pas dans une crise agricole mais dans une crise de société, il y a un chantier ouvert, non?
- "Une partie du problème est lié au fait que de nombreuses catégories sociales, dont les agriculteurs, savent qu'ils vont devoir évoluer rapidement mais qu'ils n'ont pas forcément d'interlocuteurs pour le faire. Je pense notamment au monde syndical agricole. Ces agriculteurs ont besoin de se retrouver des représentants qui incarnent cette volonté d'évoluer et de réformer en profondeur la Politique agricole commune, de rompre avec des décennies de co-gestion et de distribution inéquitable d'aides publiques par le biais de la Pac. Je crois que J. Glavany a donné des signaux très clairs de cette intention d'aider les agriculteurs à surmonter une crise dont ils ne sont que très partiellement responsables. Toute la société a été finalement collectivement responsable de ce qui s'est passé avec l'affaire de la vache folle. C'est le signe aussi d'une volonté, au-delà de la crise, de changer les règles du jeu."
Avez-vous été choquée par le traitement fait à Cohn-Bendit- je ne veux pas dire l'affaire - et les questions posées par la référence à ce livre qu'il avait publié dans les années 1970 ?
- "Je crois que mai 1968 a ébranlé des valeurs qui étaient profondément ancrées à droite : autoritarisme, étatisme, machisme. C'est aujourd'hui peut-être que nous constatons, derrière cette obsession récurrente anti-mai 1968, une volonté de revenir en arrière, un fantasme de restauration. Je crois que mai 1968 a été très utile. C'est le moment où on a commencé à s'inquiéter des impasses de la société de consommation, de la solitude dans les villes, de l'aliénation par le travail, de la prise en compte de l'écologie et de la solidarité. C'est aussi le moment où on a commencé à poser les bases d'une libération des femmes, de la reconnaissance de l'homosexualité. Quant aux droits de l'enfants, je crois que mai 1968 a fait progressé le sujet. On a pris conscience de l'attention qu'il fallait leur porter, du fait qu'il ne fallait pas seulement les dresser mais les élever, les éduquer. C'est le moment de l'éducation anti-autoritaire, des innovations pédagogiques. Si des excès ont été commis à cette époque, ils était largement partagés au sein de la société. D. Cohn-Bendit s'est exprimé d'une façon sans doute maladroite, mais je ne le crois en aucun cas pédophile ou violent avec des enfants. C'est exactement l'inverse. Il a été en recherche, en attente. Je considère que le procès qui lui est fait est scandaleux et exorbitant."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 2 mars 2001)